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Ecrit par aldoresfidele

- Madame, veuillez signer ici, s’il vous plaît, dit l’infirmière, un large sourire sur le visage.

La dame à qui elle s’adressait était d’une beauté rare. Pour une femme de trente ans, elle respirait la jeunesse et la santé de la vingtaine. Plutôt courte de taille, son corps restait néanmoins ferme et attrayant. Elle dégageait une impression de profonde maturité et un sourire discret s’était dessiné sur ses lèvres. Elle prit le stylo que lui tendait l’infirmière et apposa sa signature sur le document qui lui était montré.

- Merci beaucoup madame. Rentrez bien monsieur Giovanni.Prenez bien soin de lui, madame, dit l’infirmière en regardant la dame qui s’éloignait en poussant un fauteuil roulant dans lequel était installé un homme.

- Merci pour tout, Alice, répondit l’homme à qui elle s’adressait. Prenez soin de vous aussi. Dès qu’ils furent loin, la femme s’adressa à Giovanni, l’homme dans le fauteuil roulant.

- De quoi elle se mêle-elle ? C’est à elle de me dire comment je suis censée prendre soin de mon mari ? Et puis pourquoi elle t’appelle par ton prénom ? Ce n’est pas professionnel. Elle aurait pu dire Monsieur Agani. Pourquoi elle te tutoie ?

L’homme affichait un sourire amusé. Sa femme n’avait pas changé d’un iota. Toujours aussi jalouse. Cela le rassurait en partie. Soudain, il remarqua qu’ils n’avançaient plus. Il tourna sa tête et la vit, les bras croisés, le dévisageant.

- Giovanni, tu ne me réponds pas ? Pourquoi cette femme est aussi familière avec toi ? Sept mois que tu as passés ici et tu as déjà trouvé une maîtresse dans la clinique ? Giovanni !

Giovanni et sa femme se regardèrent. Elle, une moue choquée sur le visage, lui, un sourire moqueur. Un dixième de secondes plus tard, ils éclatèrent de rire et se remirent en route.

- Je suis heureuse que tu rentres enfin, chéri. Tu nous as manqué à la maison, lui murmura-t-elle.

- Moi aussi je suis heureux de pouvoir rentrer. Merci, pour être restée.

- Ne me remercie pas. Pour le meilleur et pour le pire, jusque dans nos autres vies, non ?

- Jusque dans nos autres vies, répéta-t-il.

Giovanni se souvenait de son mariage comme s’il avait eu lieu la veille. Une cérémonie pleine de vie, de couleurs et de passion. Il avait décidé avec sa femme de ne pas mettre de costume noir. « Je vais à mon mariage, pas à un enterrement », disait-il. Tous deux étaient magnifiquement accordés en blanc. Lorsque le prêtre leur fit prononcer les vœux de mariage, Giovanni refusa de répéter cette partie-là, sous prétexte que ça ne lui allait pas.

- Non, mon Père. Ces vœux-là ne me correspondent pas. Un froid glacial se saisit de l’assistance. Il continua pour virer toute confusion :

- Je ne dis pas que je ne veux plus d’elle comme femme ! Mais la mort ne peut pas nous séparer. Elle et moi, c’est au-delà des frontières de la mort et jusque dans nos autres vies. 

 Après quelques secondes d’égarement, la foule explosa en applaudissements et en rires. Le prêtre les regardait avec une tendresse infinie. C’était devenu rare, de voir des gens aussi complices se marier, s’aimer et se compléter aussi bien. Il accepta de modifier sa formulation.

- Monsieur Giovanni Agani, acceptez-vous de prendre pour épouse mademoiselle Vanessa Kouton comme femme, pour le meilleur et pour le pire, jusque dans l’au-delà ?

- C’est maintenant que parlez comme il faut, mon Père. Oui, je le veux, répondit alors Giovanni, empli de bonheur. 

Cette phrase est devenue leur petit code, leur expression d’amour propre à eux. Giovanni et Vanessa étaient ce que certaines personnes appelaient des âme-sœurs. Leur fusion était telle qu’ils partageaient les mêmes passions pour le sport et pour les jeux de société. 

Depuis qu’ils se sont rencontrés au collège en troisième, plus rien n’avait pu les éloigner l’un de l’autre. Vanessa était allée étudier en France pendant trois ans, et même après cette longue absence, ils n’avaient pas arrêté de s’aimer profondément. Ce fut donc sans aucune surprise qu’ils se marièrent et vécurent jusquelà heureux, sans aucune embrouille majeure.

Tout allait pour le mieux jusqu’à ce jour fatidique où Vanessa reçut l’appel de l’hôpital où son mari avait été admis d’urgence. Lorsqu’on lui annonça qu’il se trouvait entre la vie et la mort, ses jambes flageolèrent. Elle ne put tenir debout. Ce fut son amie Alakè qui l’emmena à la clinique. Elle ne put voir son mari directement, car il était en pleine opération. Le docteur en charge de l’opération mit du temps à sortir.

- Madame Agani, l’opération est toujours en cours. Pour l’instant, nous ne pouvons rien dire par rapport à l’état de votre mari. Nous faisons de notre mieux pour qu’il aille mieux.

Elle ne put répondre. Les cernes sous ses yeux et les larmes qui dévalaient silencieusement ses joues témoignaient de toute la douleur qu’elle ressentait sur le moment. Elle était perdue et son cœur était comme compressé. Elle se demandait comment elle ferait pour survivre s’il s’en allait, s’il la laissait pour rejoindre les anges au paradis.

- Ne dis pas ce genre de choses, Vanessa ! Gio va s’en sortir. C’est un homme fort, tu verras il s’en sortira, lui répétait sans cesse son amie, Alakè.

Près de trois heures après être reparti en salle d’opération, le docteur revenait enfin, un sourire contenu sur les lèvres.

- Il est vivant, nous avons fait tout ce qui était possible pour lui sauver la vie. Toutefois, madame Agani, j’aimerais m’entretenir en privé avec vous.

Alakè s’éloigna un peu et scrutait le visage de son amie pour y déceler une émotion. Elle la vit pleurer, sourire puis se couvrir le visage. Lorsque le docteur s’en alla, elle se rapprocha de son amie.

- Il y a quoi, chérie ?

- Il ne marchera plus jamais. Toute la partie inférieure de son corps est paralysée, répondit Vanessa, les yeux enflés à cause des torrents de larmes qui séchaient sur sa joue.

Alakè la consola du mieux qu’elle put. Elle ne put sortir un mot, parce qu’elle se doutait bien que cela ne servirait à rien. Il fallait juste la laisser pleurer, se vider de tout ce qu’elle avait gardé tout ce temps. 

Dans l’esprit de Vanessa, c’était une danse endiablée de sentiments mitigés. Oui, elle était heureuse. Oui, elle rendait grâce au ciel, son Giovanni était en vie. Mais il était paralysé à vie. Elle imaginait tout ce que ça entraînerait comme complications au quotidien et elle eut peur.

Mais elle l’aimait, ou du moins elle tenait assez à lui pour ne pas l’abandonner à cause d’une infirmité. Giovanni, c’était son homme, il avait toujours été là pour elle. Alors elle resterait jusqu’au bout.

Giovanni resta hospitalisé tout le reste de l’année. Ce fut compliqué pour lui, parce qu’il avait toujours été quelqu’un de très indépendant. Il devait attendre l’aide d’une personne tierce pour ses besoins les plus primaires. Sa vision de la vie avait changé, en sept mois d’hospitalisation. Vanessa, sa charmante épouse, était restée avec lui chaque jour qu’elle pouvait, sans toutefois porter atteinte à son travail. Lorsqu’elle n’était pas là, c’était Alice qui prenait soin de lui.

ette infirmière fut bonne pour lui du début à la fin de son séjour. C’est donc logiquement que leur lien d’amitié s’était tissé. Il prévoyait d’ailleurs lui faire parvenir un bouquet de fleurs et un collier en reconnaissance de ses services pour lui. Il savait Vanessa très possessive, mais il se sentait obligé de le faire. Alors il le ferait, elle comprendrait.

Giovanni AGANI