1- La rencontre
Ecrit par debo rah
Il est des moments dans la vie qui se glissent discrètement sous notre peau, des instants où la réalité cesse d'être ce que nous pensions qu'elle était, où tout peut basculer sans préavis. Pour Éléonore Delcourt, ce moment arriva un soir d'automne, comme une brise glacée qui souffle sans crier gare. Elle n'aurait jamais su que ce geste si anodin, ce hasard, allait tracer le fil d'une histoire qu'elle n'aurait jamais pu imaginer.
Elle n'était pas du genre à fréquenter les mondanités, à se fondre dans des lieux où l'artifice était plus important que la substance. Mais ce soir-là, elle s'était laissée convaincre par Agathe, une amie de longue date, qui lui avait juré que l'événement était une « occasion unique ». Un vernissage privé dans une galerie d'art située dans un quartier chic de Paris. Éléonore n'était pas convaincue, mais la promesse de revoir de vieux amis et de profiter d'un verre de vin gratuit l'avait poussée à accepter l'invitation.
Le tableau qui dominait la salle était une toile géante, éclatante de couleurs et d'intensité, représentant une figure humaine qui semblait à la fois fascinante et douloureuse. Une œuvre moderne, pleine de chaos, un tourbillon de formes indéchiffrables, mais qui dégageait une émotion brute. Le genre de peinture qui vous étreint le cœur sans que vous sachiez vraiment pourquoi.
Éléonore se tenait à l'écart des groupes qui discutaient bruyamment autour de l'œuvre, un verre de vin dans les mains. Son regard se perdait dans les formes de la toile, mais son esprit était ailleurs, plus préoccupé par la question de savoir pourquoi elle se sentait aussi étrangère à cet univers d'apparence et de richesse. Les lumières tamisées de la galerie jouaient sur son visage, dessinant des ombres profondes sous ses yeux fatigués. Elle était fatiguée de sa vie, de ses rêves qui semblaient toujours hors de portée. Elle était fatiguée de la facilité avec laquelle tout semblait être déjà régi par des règles invisibles, par des codes sociaux auxquels elle n'avait jamais pu se conformer.
Mais alors, un mouvement attira son regard. Il n'était ni pressé ni bruyant, mais il se distinguait. Un homme se tenait à l'entrée de la pièce. Il était grand, imposant, avec une silhouette élégante dans un costume noir parfaitement ajusté. Il avait l'air de sortir d'un autre temps, d'un autre monde, tout en étant parfaitement ancré dans le présent. Son regard perça immédiatement la foule. Il scrutait la pièce d'un œil froid, calculateur, comme s'il mesurait chacun des invités.
Éléonore ne pouvait détacher ses yeux de lui, bien qu'elle n'arrive pas à dire pourquoi. Il était l'archétype du charisme. Un charisme qui semblait à la fois irrésistible et intimidant. L'homme se tourna lentement, croisant son regard sans le moindre effort. Un frisson la parcourut. Il n'avait pas l'air d'avoir remarqué son trouble, mais elle se sentit, d'un coup, totalement exposée. Il s'approcha de la peinture, se penchant pour en observer les détails.
Éléonore se retrouva prise dans la toile de ce regard, envoûtée, presque hypnotisée par l'assurance qui émanait de lui. Il n'était pas simplement séduisant, il imposait quelque chose de plus : une présence dominante qui s'étendait bien au-delà de son apparence. C'était un homme qui avait appris à maîtriser tout ce qui l'entourait, y compris les autres.
Elle secoua légèrement la tête, essayant de se détacher de cette impression étrange, mais il était déjà trop tard. Son attention était captée. Et il le savait. L'homme se redressa et, d'un geste fluide, s'éloigna de la peinture pour traverser la pièce vers elle, sans que son regard ne se détourne une seule seconde.
Éléonore sentit son cœur accélérer sous l'intensité de l'attention qu'il lui portait. Elle tenta de sourire, un peu nerveuse, mais avant même qu'elle ne puisse prononcer un mot, il parla.
— Vous aimez l'œuvre, mademoiselle ?
La voix du mystérieux homme n'était pas seulement grave, elle était profonde. Chaque mot semblait peser lourd dans l'air. Un ton rassurant, mais tranchant, comme celui d'un homme qui avait l'habitude de donner des ordres. Éléonore, prise de court, répondit, son verre de vin dans les mains tremblantes.
— Je... Je trouve cela fascinant. Un peu déroutant, mais fascinant.
Il inclina légèrement la tête, comme s'il l'étudiait attentivement, puis fit un geste vers la toile.
— Vous savez, l'artiste a voulu capturer quelque chose d'indescriptible. Une émotion brute. Une vérité. Ce que beaucoup d'entre nous ignorent de notre propre nature.
Éléonore était intriguée, mais aussi un peu déstabilisée. L'homme, tout en s'exprimant avec une passion apparente pour l'art, dégageait quelque chose de plus. Comme si, au-delà de l'œuvre, il parlait d'autre chose, de leur rencontre.
— C'est un peu comme ça, parfois, n'est-ce pas ? L'art vous expose... nous expose tous.
Un silence lourd s'installa entre eux. L'instant semblait suspendu, comme si le temps se dérobait sous leurs pieds. Éléonore tenta de détourner les yeux, mais il avait déjà capté son regard, une fois de plus. Elle chercha quelque chose à dire pour alléger cette atmosphère tendue, mais ses mots restaient bloqués.
Il se pencha alors un peu plus près, comme pour s'assurer qu'elle l'entende, et murmura :
— Damien. Damien Morel.
Il prononça son nom avec une telle autorité qu'elle n'eût d'autre choix que de se présenter à son tour, en une fraction de seconde.
— Éléonore Delcourt. Je suis... je suis simplement une visiteuse, ce soir. Pas une grande connaisseuse en art, vous savez...
Il sourit légèrement, un sourire difficile à cerner, presque un rictus. Il n'était pas méprisant, mais il la considérait comme une énigme qu'il avait décidé de percer. Ses yeux sombres, insondables, brillaient d'une lueur amusée, mais il ne disait rien de plus.
Damien leva un doigt, comme pour souligner une idée qui lui traversait l'esprit.
— Vous êtes modeste, mademoiselle Delcourt, mais vous êtes aussi curieuse. La curiosité est une qualité rare dans ce monde où tout semble déjà avoir été vu et dit.
Éléonore sentit une étrange chaleur lui monter aux joues. Elle ne savait pas si c'était l'effet du vin ou si, simplement, la situation lui semblait aussi déroutante qu'envoûtante. Elle n'était pas habituée à ce genre de conversation, à cette assurance tranquille qui semblait venir de cet homme. Chaque mot qu'il prononçait avait le poids d'une conviction inébranlable, comme si lui seul détenait la vérité de ce qui se passait autour d'eux. Elle avait l'impression d'être une spectatrice passive de quelque chose qu'elle ne comprenait pas totalement.
Elle essaya de se détendre, de reprendre pied dans la réalité.
— Vous êtes un amateur d'art, alors ? demanda-t-elle, pour briser le silence qui commençait à peser.
Damien, tout en maintenant son regard sur elle, haussait légèrement les sourcils, comme s'il avait été étonné par sa question. Mais il n'émit aucune réponse immédiate. Il sembla réfléchir un instant avant de répondre, sa voix douce mais décidée.
— Non. Pas vraiment. L'art n'est qu'un prétexte. Un moyen d'accéder à quelque chose de plus profond.
Éléonore se sentit à la fois fascinée et déstabilisée par cette réponse. Qu'entendait-il par « quelque chose de plus profond » ? Elle n'osa pas poser la question, redoutant qu'il ne lui réponde d'une manière encore plus énigmatique.
— Vous devez être un homme occupé, non ? Un homme avec beaucoup de choses à gérer, avec... des responsabilités, des choix importants à faire, dit-elle, tentant de trouver une terre plus familière, plus confortable.
Un éclat amusé traversa brièvement le regard de Damien, comme si la question l'avait diverti. Il ne répondit pas tout de suite, se contentant de la fixer, comme s'il mesurait ses paroles, pesait la justesse de sa réponse.
— C'est amusant que vous disiez ça, Éléonore. Vous croyez qu'on peut être occupé et gérer des choses tout en étant véritablement libre ?
Elle sentit une vague de confusion l'envahir. La question n'était pas banale, et elle n'avait pas de réponse toute faite. Son regard se posa sur lui, mais elle ne pouvait pas lire ce qui se passait dans ses yeux. Elle commença à percevoir une sorte de tension entre eux, une tension qui n'était pas simplement due à la proximité physique, mais à une sorte de jeu subtil qu'il semblait vouloir instaurer.
— Je suppose qu'on peut être occupé et se sentir emprisonné, répondit-elle, presque à contrecœur. Ce n'est pas toujours une question de liberté, parfois c'est juste une question de survie.
Damien la fixa longuement, son regard semblant pénétrer l'essence même de ses pensées. Il s'approcha un peu plus, et Éléonore sentit son souffle se couper. La distance physique entre eux se réduisait, mais c'était la tension psychologique qui semblait s'alourdir. Il n'avait pas bougé, mais il semblait occuper tout l'espace autour d'elle, comme une ombre imposante qu'elle ne pouvait fuir.
— La survie... c'est une façon de voir les choses, en effet. Mais vous savez, il existe des moyens de survivre autrement. Des manières de s'extraire de ce carcan sans avoir à y laisser une part de soi.
Il s'était penché un peu plus près, presque comme un chuchotement. Éléonore sentit une vague d'émotion la traverser, quelque chose qui se mêlait de fascination et d'angoisse. L'homme en face d'elle semblait avoir une autorité naturelle, un pouvoir presque palpable. Il n'était pas agressif, mais il imposait une présence qui capturait son attention. L'idée qu'il pourrait, d'une manière ou d'une autre, influencer sa vie l'effleura. Une idée qu'elle rejeta immédiatement, mais qui persistait, comme une graine plantée dans son esprit.
— Et comment ça fonctionne, dans votre monde, Monsieur Morel ? demanda-t-elle, cherchant à reprendre le contrôle de la conversation.
Il sourit légèrement, toujours ce sourire qui ne révélait rien de ses intentions. Puis il se redressa et se recula d'un pas, comme pour donner de l'espace à leur échange.
— Ce n'est pas si simple, mademoiselle. Dans mon monde, tout a un prix. Une vérité, une illusion, une émotion, tout cela se paie d'une manière ou d'une autre. Vous pouvez choisir ce que vous voulez, mais il y a toujours un prix à payer, et parfois, vous ne le savez que trop tard.
Éléonore cligna des yeux, perturbée par cette nouvelle tournure dans leur conversation. Elle chercha ses mots, mais il était évident qu'il avait lancé une invitation implicite à un jeu auquel elle n'avait jamais pensé participer. Elle ne savait pas si elle était prête à entrer dans ce jeu. Mais en même temps, elle ne pouvait pas détacher son regard de lui. Il l'avait, d'une manière étrange, capturée.
Le silence s'installa de nouveau, lourd de sous-entendus. Elle chercha à s'échapper de ce moment de tension, mais elle savait au fond d'elle que quelque chose venait de se passer, quelque chose qui allait marquer le début d'un enchevêtrement complexe entre eux. Peut-être que ce n'était pas seulement un regard croisé dans une galerie d'art. Peut-être que c'était le début de quelque chose de bien plus grand. Une tempête qu'elle n'avait pas encore vue venir, mais qui faisait déjà vaciller les fondations de sa vie.
— Je... je dois m'excuser, dit-elle finalement, comme pour se donner une chance de s'échapper. Il est tard et... je devrais partir.
Damien ne réagit pas immédiatement. Il se contenta de la regarder, ses yeux sombres ne quittant pas son visage. Un instant, elle se demanda s'il allait la laisser partir. Puis, comme une conclusion inéluctable, il dit d'une voix basse, presque imperceptible, mais néanmoins pénétrante :
— Vous reviendrez, Éléonore. Je vous attends.
Elle le regarda une dernière fois, hésitante, avant de tourner les talons et de se diriger vers la sortie. Mais une partie d'elle savait déjà qu'il n'avait pas prononcé ces mots par simple courtoisie. Non, Damien Morel n'était pas du genre à faire des promesses sans y mettre une intention. Elle s'éloigna, mais la sensation étrange qu'il avait laissée en elle ne la quittait pas. Et au fond, elle savait qu'il avait raison. Elle reviendrait. Elle ne pouvait pas encore l'admettre, mais elle reviendrait.
Le lendemain du vernissage, Éléonore se réveilla avec un léger malaise. Son esprit s'était perdu dans les méandres de la soirée, mais une pensée persistait : Damien Morel .Son regard, sa présence imposante, presque hypnotique. Elle ne parvenait pas à l'expliquer, mais quelque chose chez lui l'avait dérangée. Il avait ce je-ne-sais-quoi de tout-puissant qui lui rappelait qu'elle était, à ses yeux, une simple silhouette parmi tant d'autres. Elle avait voulu échapper à cette sensation en se concentrant sur son quotidien, mais elle ne pouvait l'ignorer. Il était là, dans sa tête, insidieux, comme une obsession silencieuse.
Elle passa la matinée à se concentrer sur son travail. Le café, son quotidien modeste, les habitués qui se faufilaient entre les tables. Ce serait une journée comme les autres, elle s'en faisait la promesse. Mais la réalité est souvent plus tenace que nos résolutions.
Au moment de la pause déjeuner, son téléphone vibra dans la poche de son tablier. Un message. Elle fronça les sourcils en voyant l'expéditeur : Damien Morel.
"Éléonore, j'espère que vous allez bien. Je repense à notre conversation de la galerie. Si vous en avez le temps ce soir, je serai au restaurant : Le Marais ,à 20 h. Je serai ravi de vous y retrouver."
Elle prit une profonde inspiration, presque surprise. Elle ne s'y attendait pas. Ni à son message, ni à cette invitation, aussi directe qu'implicite. Pourquoi lui avait-il écrit ? Pourquoi voulait-il la revoir ? Comment avait-il eu son numéro de téléphone ? Elle n'avait rien demandé, et pourtant... son nom, ce simple geste, semblait s'imposer à elle comme une évidence.
Elle hésita. Ses yeux se posèrent sur les clients du café, indifférents à sa tourmente intérieure. C'était un simple dîner. Rien de plus. Pourtant, elle sentait cette pression dans sa poitrine, ce poids inconnu, presque une force qu'elle ne pouvait contrôler. Elle était tiraillée entre l'envie de l'ignorer et celle de céder à cette curiosité morbide.
Elle pensa à la galerie. À son regard. À cette impression dérangeante qu'il avait laissée en elle. Et sans vraiment comprendre pourquoi, elle tapa une réponse.
''Je ne sais pas trop quoi dire, Damien. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée'' .
Elle appuya sur "Envoyer" avant de pouvoir se raviser, mais elle ne ressentit pas immédiatement de soulagement. La décision était prise. Elle avait mis de la distance, elle l'avait repoussé. C'était tout ce qu'elle pouvait faire.
Mais, contre toute attente, le téléphone vibra presque aussitôt.
"Je comprends. Mais vous savez, la vie peut être pleine de surprises. Je pense que vous devriez me donner une chance de vous montrer qu'on peut être plus que de simples inconnus."
Une sensation étrange la saisit. Le message n'était pas qu'une invitation, il portait une insistance subtile. Un jeu, un défi. Damien n'était pas du genre à accepter un refus, c'était évident. Mais pourquoi cette insistance ?
Éléonore soupira, son cœur battant un peu plus vite. Elle savait qu'elle allait craquer, qu'elle allait céder à ce qu'il voulait. Peut-être qu'il n'y avait pas de mal à le voir à nouveau, à comprendre ce qu'il attendait d'elle. Peut-être qu'il finirait par s'éloigner s'il se rendait compte qu'elle ne correspondait pas à ses attentes. Mais pour l'instant, une part d'elle voulait tout de même savoir pourquoi. Pourquoi lui ?
Elle n'eut pas le temps de se poser davantage de questions.
Le soir même, après son service au café, elle se retrouva dans les rues de Paris, sous une lumière tamisée qui lui sembla à la fois intime et oppressante. Le Marais ce quartier qu'elle connaissait à peine, avait un charme que ses yeux fatigués ne parvenaient pas à saisir.
Chaque ruelle semblait plus étroite, chaque pas plus lourd. Le restaurant était tout ce qu'elle avait imaginé : un endroit élégant, un peu prétentieux même, avec des murs de briques apparentes et des lampes tamisées. L'atmosphère était feutrée, presque secrète, comme si chaque conversation y était un secret murmuré.
Elle entra à l'intérieur, cherchant Damien des yeux, et son regard se posa immédiatement sur lui, à une table discrète dans un coin de la salle. Il était assis, seul, son regard plongé dans une carte, mais dès qu'il la remarqua, il leva les yeux et lui fit signe de s'approcher.
Elle avança, un peu nerveuse. Un instant, elle se sentit perdue dans cette salle, comme si elle venait d'être projetée dans un autre monde. Un monde où elle n'était pas la simple serveuse d'un café, mais une invitée. Une pièce dans un jeu qu'elle ne comprenait pas encore.
— Vous êtes en retard, Éléonore, dit-il d'une voix calme, presque amusée.
Elle se mordit la lèvre, irritée par sa manière de l'attendre comme un maître de cérémonie.
— Désolée, je ne suis pas habituée à ce genre de lieux.
Il lui adressa un léger sourire, celui qu'il réservait à ceux qui étaient conscients de leur propre fragilité. Mais ce sourire n'était ni moqueur, ni bienveillant. Il était un simple constat, comme s'il savait déjà tout de vous avant même que vous ne le lui disiez.
— Ne vous en faites pas, j'aime bien ce genre de surprises. Prenez place.
Elle s'assit, nerveuse, les mains soudainement moites. Il ne laissait jamais le silence s'installer trop longtemps, et à peine s'était-elle installée qu'il reprenait la parole, comme pour la maintenir dans l'étrangeté de ce moment.
— J'ai l'impression que vous avez un don pour refuser les invitations. Mais, vous voyez, les hommes aiment les défis, Éléonore. Vous, vous êtes un défi.
Elle ne savait pas comment répondre. Que dire face à cet homme qui semblait jouer un jeu qu'elle ne comprenait pas, mais dont chaque règle la faisait vaciller un peu plus ?
Le serveur apporta rapidement un verre de vin, mais Éléonore ne toucha pas à sa coupe. Elle se sentait déjà emportée par l'atmosphère, une lourde sensation d'irréalité l'envahissant à chaque seconde. L'endroit, la table intime, la lumière tamisée... tout dans cet instant semblait hors de propos, hors de son monde. Et Damien, assis en face d'elle, incarnait cette distance. Non seulement il était un homme d'une rare sophistication, mais il avait cette façon de rendre tout autour de lui plus intense, plus... significatif.
Il la scrutait en silence, comme si chaque détail de son visage l'intéressait plus que tout. Un regard perçant, presque clinique, qui semblait chercher à déchiffrer son âme.
Pourquoi être venue, Éléonore ? lui demanda-t-il enfin, d'un ton plus doux, presque indifférent, mais avec cette pointe d'autorité qu'il n'arrivait jamais à masquer.
Elle leva les yeux, un peu prise de court par cette question directe. C'était comme s'il ne voulait pas de réponses superficielles, comme s'il attendait d'elle une vérité brute. Mais quelle vérité pouvait-elle bien lui offrir ?
<<Je suppose... je suppose que j'étais curieuse, répondit-elle, la voix un peu plus faible qu'elle ne l'aurait souhaité. >>
Il hocha la tête lentement, un sourire énigmatique jouant sur ses lèvres.
Curieuse, oui, je comprends. Vous ne croyez pas aux coïncidences, n'est-ce pas ? Vous êtes du genre à voir un sens caché dans tout ce qui vous arrive.
Elle haussait les épaules, agacée mais intriguée.
Pas toujours. Parfois, les choses sont simplement ce qu'elles sont.
Damien la fixa un instant sans rien dire, puis, tout à coup, sa posture se fit plus détendue. Il s'appuya légèrement sur le dossier de sa chaise, son regard ne quittant toujours pas le sien.
Vous m'impressionnez, Éléonore. Vous avez l'air de savoir vous défendre, de maintenir une distance. Mais vous savez, il y a des choses que vous ne pouvez pas éviter, peu importe combien vous vous y efforcez.
Le ton de sa voix avait changé, devenant plus affirmatif, presque prémonitoire. Elle se sentit soudainement mal à l'aise, un frisson courant sur sa peau. C'était comme s'il savait déjà ce qu'elle pensait, ce qu'elle ressentait.
Elle s'empara enfin de son verre, le portant à ses lèvres sans vraiment le goûter, tentant de retrouver une contenance. L'alcool brûla sa gorge, mais ce n'était rien comparé à la chaleur de l'interrogation qui se dégageait de lui.
— Vous avez un... regard particulier sur le monde, Éléonore, reprit-il lentement. Une sorte de froideur, une réserve, mais aussi une fragilité. C'est intéressant. Et perturbant.
Elle soutint son regard, plus par défi que par conviction.
— C'est peut-être que je préfère ne pas m'attacher à ce qui est illusoire, répondit-elle, d'un ton plus sec.
Il la regarda un instant, comme si ses mots pesaient lourdement dans l'air, puis il se pencha légèrement en avant, la fixant toujours avec une intensité presque dérangeante.
— Vous aimez croire que vous pouvez contrôler les choses. Mais croyez-moi, Éléonore, le contrôle est une illusion. Vous êtes déjà entrée dans ma vie . Vous m'avez répondu, vous êtes ici avec moi ce soir. Ce n'est pas un hasard, vous le savez, n'est-ce pas ?
Elle se figea, un souffle coupé dans sa gorge. C'était exactement ce qu'elle craignait, qu'il la mette dans une position où elle n'avait plus d'échappatoire. Elle voulait se lever, partir, fuir cette conversation qu'elle ne comprenait pas, mais elle se retrouva figée, prise dans son regard, dans son emprise silencieuse.
— Vous ne pouvez pas contrôler ce qui se passe entre nous, Éléonore. Ni même ce que vous ressentez à cet instant.
Elle détourna les yeux, le cœur battant la chamade. Il n'avait pas tort, elle le savait. Depuis qu'il était apparu dans sa vie, il avait su prendre une place qu'elle n'avait pas anticipée. Un espace qui lui échappait, et plus elle résistait, plus cette place devenait évidente.
— Pourquoi moi ? demanda-t-elle soudain, sa voix brisée par un mélange d'irritation et de confusion. Pourquoi m'avoir choisie ? Vous pouvez avoir n'importe qui, pourquoi m'impliquer dans votre... vie ?
Il sourit à cette question, mais ce n'était pas un sourire de moquerie. Non, c'était un sourire presque triste, mais froid, calculé.
— C'est une bonne question, Éléonore. Je pourrais vous dire que c'est parce que vous êtes... différente, mais ce serait trop simple. Vous êtes comme un puzzle, et je suis intrigué par ce qui manque. Ce n'est pas votre beauté qui m'attire, ni votre personnalité, bien que toutes deux soient indéniablement captivantes. C'est quelque chose de plus profond. Quelque chose que vous ne voyez pas encore vous-même.
Elle se mordilla la lèvre, ses mains serrées autour de son verre. Ses mots la frappaient comme des vagues, l'emportant à chaque seconde.
Damien ne se contentait pas de la regarder. Non, il la sondait, la déchiffrait. Et elle, elle se laissait faire, sans pouvoir l'arrêter.
— Vous parlez comme un homme qui contrôle tout, Damien. Mais peut-être que vous êtes juste un homme qui a peur d'être contrôlé, pensa-t-elle, mais elle n'osa pas le dire à voix haute.
Il la fixa un instant, le regard glacial mais étrangement pensif. Puis, sans répondre à sa pensée, il se redressa et ordonna des plats pour eux deux.
— Parfois, Éléonore, les choses arrivent pour une raison. Vous en comprendrez peut-être la vôtre un jour. Pour l'instant, laissez-moi juste vous montrer ce que c'est que de vivre sans contrôle.
Les mots tombèrent dans l'air, lourds et irrévocables.
Elle baissa les yeux, son cœur battant la chamade. Elle se sentait comme un oiseau pris dans une toile d'araignée, incapable de s'échapper. Ce dîner, cette rencontre... tout devenait plus flou, plus intense. Une partie d'elle savait qu'elle n'avait plus le choix. Elle avait déjà franchi un seuil, et cette rencontre, tout comme son regard, la maintenait là. Dans son jeu.
Le serveur apporta rapidement un verre de vin, mais Éléonore ne toucha pas à sa coupe. Elle se sentait déjà emportée par l'atmosphère, une lourde sensation d'irréalité l'envahissant à chaque seconde. L'endroit, la table intime, la lumière tamisée... tout dans cet instant semblait hors de propos, hors de son monde. Et Damien, assis en face d'elle, incarnait cette distance. Non seulement il était un homme d'une rare sophistication, mais il avait cette façon de rendre tout autour de lui plus intense, plus... significatif.
Il la scrutait en silence, comme si chaque détail de son visage l'intéressait plus que tout. Un regard perçant, presque clinique, qui semblait chercher à déchiffrer son âme.
— Pourquoi être venue, Éléonore ? lui demanda-t-il enfin, d'un ton plus doux, presque indifférent, mais avec cette pointe d'autorité qu'il n'arrivait jamais à masquer.
Elle leva les yeux, un peu prise de court par cette question directe. C'était comme s'il ne voulait pas de réponses superficielles, comme s'il attendait d'elle une vérité brute. Mais quelle vérité pouvait-elle bien lui offrir ?
— Je suppose... je suppose que j'étais curieuse, répondit-elle, la voix un peu plus faible qu'elle ne l'aurait souhaité.
Il hocha la tête lentement, un sourire énigmatique jouant sur ses lèvres.
— Curieuse, oui, je comprends. Vous ne croyez pas aux coïncidences, n'est-ce pas ? Vous êtes du genre à voir un sens caché dans tout ce qui vous arrive.
Elle haussait les épaules, agacée mais intriguée.
— Pas toujours. Parfois, les choses sont simplement ce qu'elles sont.
Damien la fixa un instant sans rien dire, puis, tout à coup, sa posture se fit plus détendue. Il s'appuya légèrement sur le dossier de sa chaise, son regard ne quittant toujours pas le sien.
— Vous m'impressionnez, Éléonore. Vous avez l'air de savoir vous défendre, de maintenir une distance. Mais vous savez, il y a des choses que vous ne pouvez pas éviter, peu importe combien vous vous y efforcez.
Le ton de sa voix avait changé, devenant plus affirmatif, presque prémonitoire. Elle se sentit soudainement mal à l'aise, un frisson courant sur sa peau. C'était comme s'il savait déjà ce qu'elle pensait, ce qu'elle ressentait.
Elle s'empara enfin de son verre, le portant à ses lèvres sans vraiment le goûter, tentant de retrouver une contenance. L'alcool brûla sa gorge, mais ce n'était rien comparé à la chaleur de l'interrogation qui se dégageait de lui.
Elle sentit soudain le poids d'une question brûlante, mais cette fois, c'était la sienne.
— Comment avez-vous eu mon numéro ? demanda-t-elle, plus fort qu'elle ne l'aurait voulu, la voix trahissant une note de nervosité qu'elle n'avait pas su contenir.
Il sembla surpris, mais pas désarçonné. Il esquissa un sourire léger, mais avec une froideur qui la fit frissonner.
— Ah, vous êtes plus perspicace que je ne pensais, Éléonore, dit-il en posant son verre. Vous vous demandez comment j'ai eu votre numéro. C'est simple. J'ai demandé à Agathe.
Elle blêmit, surprise par la simplicité de sa réponse. Agathe... son amie d'enfance, cette amie qui l'avait poussée à accepter l'invitation au vernissage. Cette amie qui, sans qu'elle ne l'ait demandé, lui avait peut-être offert bien plus que ce qu'elle aurait voulu.
— Agathe... ? murmura-t-elle, déstabilisée. Mais pourquoi ?
Damien haussait les épaules, un geste dénué de toute prétention, mais qui marquait un certain détachement.
— C'est une vieille amie à vous, non ? Elle me connaît assez bien. Elle m'a dit que vous seriez réceptive à ce genre de proposition. Vous n'avez pas été surprise, n'est-ce pas ?
Éléonore, qui sentait la colère monter en elle, secoua la tête, incrédule.
— Vous avez manipulé la situation, alors. Vous m'avez envoyée dans cette galerie pour que... pour que je me sente... obligée de venir ce soir ?
Damien sembla réfléchir un instant, comme si cette possibilité ne l'avait même pas effleuré. Puis il répondit, d'une voix presque détachée.
— Si vous voulez voir les choses sous cet angle, peut-être. Mais je n'ai pas l'intention de vous manipuler, Éléonore. Ce que j'essaye de faire, c'est d'ouvrir une porte. Ce que vous choisirez de faire ensuite dépend de vous.
Le ton était à la fois calme et ferme, mais il y avait quelque chose d'intangible dans ses paroles, un sous-entendu qui la perturbait.
— Ouvrir une porte, répéta-t-elle, son esprit tournant à toute vitesse. Mais dans quel but, Damien ? Qu'attendez-vous de moi ? Qu'est-ce que tout cela signifie réellement ?
Il la fixa intensément, comme si ses yeux pouvaient lire à travers elle, puis répondit simplement :
— Ce que j'attends, Éléonore, c'est que vous arrêtiez de fuir. Parce que vous fuyiez, vous le savez, non ? Vous avez été curieuse ce soir, mais vous hésitez encore. Vous vous demandez pourquoi vous êtes là. Mais vous êtes là pour une raison. Vous allez me comprendre, bientôt.
Elle se leva soudainement, un éclat de colère dans les yeux.
— Non, vous ne me comprenez pas ! Vous ne pouvez pas tout contrôler comme ça, Damien. Ce n'est pas un jeu !
Il resta là, impassible, mais son regard perça la distance qui les séparait. Il la laissa se lever, puis, avec un calme presque absolu, il dit :
— Éléonore. Ce n'est pas un jeu. Mais vous allez bientôt le découvrir.
La tension entre eux était palpable, mais, étrangement, il n'y avait aucune échappatoire. Elle était piégée, pas par la force, mais par la manière dont il semblait comprendre chaque partie d'elle, ses failles, ses résistances. Et au fond d'elle, une petite voix se faisait de plus en plus forte, la poussant à comprendre jusqu'où il était prêt à aller.