1- Les couleurs de nos amours
Ecrit par lpbk
Voilà pourquoi je déteste ces déjeuners en famille.
Ça ne fait même pas encore une heure que Tina est arrivée mais voilà, toutes les conversations tournent autour d’elle et de son parfait fiancé. Tristan !
« J’espère que ce sera bientôt ton tour Nowa. », lance ma mère.
« Ne la dérange pas avec ces histoires Moëra. », rétorque mon père.
« Voilà, tu prends déjà sa défense ! Est-ce mal si je tiens à ce que la plus petite de mes filles suive les traces de sa grande sœur ? »
« Non ! Mais … »
Elle ne laisse pas mon père terminer sa phrase.
« Non mais quoi ? Je constate juste que malgré le fait qu’elle travaille tu continues de lui signer des chèques à chaque fin de mois. »
« Maman, c’est un stage ! », rétorquai-je.
« Qui dure tout de même depuis deux ans. »
Décidément elle ne comprendra jamais.
« Moëra ! Ça suffit ! », ma grand-mère vient de mettre un terme à cette conversation.
J’observe maman faire la moue dans son coin. Elle sait que Paola ne rigole pas. Je passe le reste de la journée à regarder Tina dandiner son annulaire gauche sous nos nez. Déjà qu’elle ne se prenait pas pour rien là, elle doit clairement penser être la huitième merveille du monde.
Je rêve devant la machine à café. Je rêve d’un contrat. Un tout petit. Ma période de stage arrive à sa fin et je n’ai aucune certitude que je serai retenue. L’africain est vraiment le roi de l’exploitation de l’homme. Deux ans que je travaille comme une force née et toujours rien. Une odeur de brulé me chatouille les narines me sortant brusquement de ma rêverie.
« Merde ! »
Les tranches de pain cramoisies finissent à la poubelle tandis que je m’en vais m’apprêter. Je dois retrouver ma meilleure amie et cousine Iris NYANE dans moins d’une heure.
Je m’appelle Nowa NYANE ! J’ai 25 ans. Je vis dans un appartement cosy au centre de Cocody. Autant vous l’avouez tout de suite, c’est mon père Luis NYANE qui paie tout. Et pour cause, dans ce pays, les jeunes talents dans mon genre ont du mal à se faire une place au soleil. Malgré mon master en direction de La photographie publicitaire, de la mode et de l'art je n’arrive à décrocher un contrat nulle part. Et pourtant quand je lève les yeux sur les panneaux publicitaires qui tapissent Abidjan je ne peux m’empêcher de penser que la publicité et les ivoiriens ça fait deux. Il y a donc à faire dans ce domaine.
J’ai une sœur. Tina. Tout le contraire de moi. La nature est bien injuste. Tina c’est une « sirène noire » comme aime le dire maman. Il faut voir le tombé d’une robe sur elle pour comprendre. Je ne sais pas ce qu’elle mange mais voilà, tout lui réussit. A peine ses études terminées, qu’elle décrochait déjà un CDI et quatre mois après elle faisait la rencontre de Tristan qu’elle présente aujourd’hui comme le grand amour de sa vie et qu’elle est sur le point d’épouser. Aucune ombre à son tableau à elle.
Maman ! Je ne trouve pas les mots pour décrire le personnage. Je dirai juste que c’est une femme compliquée.
Et puis il y a ma grand-mère. Paola NYANE ! Elle aurait 50 ans en moins qu’on serait les meilleures amies du monde. C’est en quelque sorte mon modèle. J’ai passé mon enfance à l’écouter me répéter combien je suis belle et que je ne devrais écrire ma propre histoire mais comment faire quand on évolue dans l’ombre d’une sœur comme Tina et qu’on a la peau mouchetée ?
Trèves de plaintes ! J’arrive chez Iris.
« Il faut qu’on aille voir cette affaire au village. C’est trop louche. Tu es tout le temps en retard Iris. »
Elle fait semblant de ne pas m’écouter.
« Je suis sûre que même à ton mariage tu seras en retard. »
Elle se tourne vers moi.
« Bien-sûr que je serai en retard. Il faut savoir se faire désirer. », répond-t-elle en me faisant un clin d’œil.
« Tu veux savoir ce qui me rassure ?
« Vas y ! »
« Au moins tu seras la première à ton enterrement. »
Nos yeux se croisent à travers la glace et nous partons dans un fou rire.
« En parlant de mariage, Tristan a fait sa demande. »
« C’est la merde ! »
« Eh bah, moi qui pensait que tu serais heureuse pour ta cousine ! »
« C’est clair que maintenant ce n’est plus un melon qu’elle a à la place de la tête. C’est carrément une pastèque. Quoiqu’il en soit, félicitations à eux. »
Je regarde les différents flacons et tubes posés sur la coiffeuse.
« Tu verrais le caillou qu’il lui a offert. Un vrai bijou. Et tu verrais la tête de madame NYANE, c’est à croire que c’est elle qui se marie. Enfin … Tu n’as toujours pas fini ? »
« Regarde-moi ! Il faut du temps pour obtenir ce résultat ! »
Je prends place sur le lit et je patiente en pianotant sur l’écran de mon portable.
Le programme de cette journée est simple. Séance beauté au Plateau dans le centre de remise en forme et de bien-être de Mimi, la maitresse de mon père. Après ça, on se fera un restau quelque part en ville et puis, chacune retournera à sa petite vie abidjanaise.
Mimi n’est pas là. Son fils, mon frère caché a attrapé une vilaine grippe du coup, elle est à son chevet.
« Quand les noirs ont l’argent ! Pour une petite grippe de rien du tout, tu emmènes l’enfant à la clinique. Nowa, nous aussi un jour nous serons des boss. »
Je ne peux m’empêcher de rire.
« Tu ne vas pas faire de soins ? »
Je fais non de la tête.
« Pourquoi ma chérie ? Si Mimi n’est pas là n’est-ce pas nous on la remplace ? », me lance la demoiselle qui s’occupe d’Iris.
« Y a que Mimi qui la touche. »
Elle me toise et continue à frotter la peau de ma cousine avec une mixture très parfumée.
Un gommage, un masque et une coiffure plus tard et nous sommes dans les rues du Plateau à trainer d’un magasin à un autre en racontant nos vies. Iris essaye encore une robe.
« Comment tu la trouves ? »
Je décroche de mon portable pour la regarder.
« Trop courte, trop moulante et trop flashy ! »
« C’est que c’est la bonne alors ! »
« Je ne sais même pas pourquoi tu me demandes mon avis à chaque fois. »
« Tu n’as pas encore compris que quand ça ne te plait pas c’est que c’est tout à fait mon genre ? », dit-elle en entrant à nouveau dans la cabine d’essayage.
Quelques minutes plus tard, nous sommes dans un taxi en route pour le débarcadère.
C’est samedi, le restaurant est bondé. Après quelques minutes d’attente, nous finissons par avoir deux places en terrasse. Nous attendons notre commande en sirotant des boissons rafraichissantes et en parlant de banalité.
« S’il vous plait mesdames, est-ce que deux personnes peuvent s’assoir avec vous ? »
J’ai envie de mourir de rire. Le serveur a un de ces accents.
« Ça te dérange Nowa ? »
Je fais non de la tête. Le serveur s’éloigne un court instant pour revenir avec deux beaux spécimens. Je déglutis à la vue de celui en short bleu clair. Il a eu de la chance à la loterie génétique lui.
« Bonsoir. », lance l’autre en tirant sa chaise.
Mes yeux sont toujours braqués sur celui debout en pleine conversation téléphonique.
« C’est vraiment gentil d’avoir accepté que nous nous mettions avec vous. »
Iris a un sourire d’idiote accroché à son visage. Je lui donne un coup de pied sous la table.
« Ouille ! »
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Je crois que je me suis faite piquer par un moustique. »
Il sourit.
« Calvin et lui au téléphone c’est Rudy. »
« Moi c’est Nowa et elle s’est Iris, ma cousine. »
« Je vois que la beauté est une histoire de famille chez vous. »
Un nouveau sourire idiot se dessine sur les lèvres de ma cousine.
« Vous êtes du quartier ? »
« Non ! Nowa vit à Cocody et moi je suis à Marcory. Et vous ? »
« Nous sommes du quartier. Nous vivons dans le même immeuble. C’est mon meilleur ami. »
Rudy raccroche et vient s’installer.
« Salut ! »
Il n’a pas l’air content.
« Elle dit quoi ? »
Lorsque j’entends Calvin dire « elle » je me dis « pas de chance ». Il est trop beau pour être célibataire, qu’est-ce que j’imaginais ?
Rudy fait la grimace. Calvin fait les présentations mais on dirait bien que ce beau gosse a la tête ailleurs. Je ne suis pas du genre à perdre mon temps, je me concentre donc sur mon assiette qui vient d’arriver. Iris a beaucoup plus de chance, Calvin est en train de lui faire les yeux doux. Je commence à en avoir marre de tenir la chandelle.
Nous quittons la table avant eux. Rudy n’aura pas dit grand-chose, trop occupé à pianoter sur l’écran de son portable et à crisper sa mâchoire. Calvin a pris le numéro d’Iris en lui promettant de nous inviter à prendre un verre. Je suis presque certaine qu’il fait cette promesse à toutes les filles qui le dépannent.
Allez Nowa, tu rêveras de lui pendant un moment et puis son souvenir s’évanouira de ta mémoire comme un pet dans la nature.