18-
Ecrit par lpbk
— J’adore la comparaison, s’extasia Clotilde en relisant quelques
passages.
— Merci, ça fait plaisir.
— Vraiment, j’ai aussi l’impression d’être une pêche toute fripée
quand je vois toutes mes amies casées, se marier, acheter des apparts, faire
des bébés. Moi à côté j’écris juste des articles, qui ne me rapportent pas un
rond en plus. Mais bon…C’est la vie qu’on a choisie.
— Merci Clotilde, ça me rassure. J’avais vraiment peur
d’avoir perdu la main niveau écriture.
— Non, t’inquiète Zoé. Il y a quelques petits trucs à revoir mais
dans l’ensemble c’est plutôt bon. Au fait, tu peux m’appeler Clo’ comme on va
bosser ensemble maintenant…
— Ok, Clo
— Top ! Hâte de lire tes prochains articles Zoé.
Clotilde raccrocha laissant Zoé s’adonner à une effusion de joie.
Pourquoi exactement ? Elle n’en avait aucune foutre idée. L’audience du webzine
n’était pas mirobolante et le salaire quasi nul. Mais ce nouveau projet était
comme une bouffée d’air frais pour elle. Une première inspiration pure, fraîche
et revigorante après une longue période d’apnée.
Zoé dressa une liste de tous les sujets qu’elle rêvait d’aborder
et commença aussitôt ses recherches sur les différents thèmes. De la pression
du mariage elle était passée à la mobilisation politique dans les quartiers
populaires, un grand écart éditorial qu’elle exécuta à la perfection. Elle
rédigea pas moins de cinq articles cet été que Clo dévora. Cette double vie de
RH la journée et rédactrice le soir avait, un temps, fait oublier à Zoé ses
déboires amoureux et professionnels, lui permettant de se concentrer sur une
activité qui la passionnait.
L’été touchait bientôt à sa fin. Il avait glissé entre les doigts
et les plissures des robes estivales de Zoé. La jeune femme profitait du peu de
temps libre pour écrire ses articles esquivant les terrasses parisiennes,
fardées de touristes et de locaux que les brûlants rayons du soleil rameutaient
en masse aux abords des trottoirs. Les rares fois où elle s’y était attablée,
elle critiquait allègrement avec Faty et Adjoua, le gang des moutardes. La
petite guéguerre avait replongé les filles dans les joies des manigances
d’adolescentes de teen movies hollywoodiens qu’elles affectionnaient plus
jeunes. Chaque clan y allait de sa stratégie puérile pour emmerder l’autre : de
l’ignorance des emails, SMS aux infos erronées en passant par la mauvaise
volonté flagrante et le manque d’enthousiasme sur certaines activités
proposées. L’EVJF était dans une semaine et la situation entre les deux groupes
d’amies était aussi tendue qu’au lendemain du débarquement de la Baie des
Cochons.
Emma, témoin et prétendue meilleure amie de Bérénice, était de
loin la pire du gang des moutardes; d’une parce qu’elle appelait Bérénice,
Petit grain de riz. Zoé manqua de rendre son déjeuner lorsqu’elle aperçut pour
la première fois ce surnom dans la conversation. De deux Emma était d’une
condescendance, l’air de dire je-sais-tout-sur-tout-donc-fermez-là. Zoé ne
l’avait jamais vue mais chacune de ses interventions laissait transparaître
cette arrogance. Puis, Emma était d’une telle radinerie que si avant sa naissance
un décompte de tout ce qu’elle dépenserait au cours de sa vie avait été
calculé, elle aurait choisi de ne pas naître.
Emma avait réussi à imposer un EVJF dans leur région natale, que
Bébé avait hâte de retrouver selon ses dires, alors qu’étudiantes, Bérénice
clamait à toute oreille attentive qu’elle rêvait de fuir son patelin.
Malheureusement, elle devait y retourner assez souvent car peu éloigné de ce
Paris qu’elle adorait tant et dont elle avait toujours rêvé. Zoé avait défendu,
à s’en rompre les doigts, l’idée d’un EVJF dans la capitale. Le gang des
moutardes s’y était opposé. Le projet d’un EVJF à Paris est tombé à l’eau. Le
premier coup dur d’une longue liste de crasses que Zoé eut du mal à
l’encaisser.
Elle prépara donc son sac pour découvrir Dijon. Malgré tout, elle
avait l’opportunité d’entrevoir, le temps d’un week-end une nouvelle ville de
France, elle qui était si peu sortie de la région parisienne.
Le vendredi soir du départ, les filles se donnèrent rendez-vous
dans un bar à gare de Lyon. Elles bandèrent les yeux de Bébé pour lui cacher la
destination de leur trajet. Elles étaient loin de se douter que ce petit jeu
nourrirait de faux espoirs chez la future mariée.
— Non mais les filles, vous m’avez donné rendez-vous près de gare de
Lyon, on va dans le sud. Il y a zéro surprise là. Allez enlevez-moi ce bandeau,
j’ai l’air d’une conne.
— T’as toujours l’air d’une conne, répliqua Adjoua
— Et puis le Sud c’est large hein, ajouta Zoé
— Cannes ? Nice ? Non Saint-Tropez ? Marseille ? Même Lyon je
serai contente.
— …
Les trois autres filles échangèrent des regards gênés, conscientes
de la future déception de Bébé quand cette dernière s’apercevrait que son EVJF
se déroule à Dijon. La seule grande ville près de chez elle à laquelle elle se
rendait chaque week-end et dont elle connaissait les moindres recoins. « La
pauvre s’imagine déjà faire la crêpe sur une plage dans le sud de la France »,
se désola Zoé.
— Ah vous ne répondez pas ! J’avais raison c’est une des cinq ! Se
félicita la future mariée.
— Pauvre Bébé, t’es à côté de la plaque.
Faty et Zoé s’étranglèrent. L’une mit un coup de coude dans les
côtes d’Adjoua qui se tordit de douleur, l’autre renchérit avec une tape sur la
main.
— Aïe ! Oublie la plage abandonnée, coquillage et crustacés Bébé !
Ce n’est pas dans ce sud-là qu’on va.
— Adjoua ! S’emportèrent les deux autres filles.
— Je n’ai pas envie qu’elle se fasse des films. De toute façon,
elle va bien finir par comprendre.
— Les petits savent tôt ou tard que le Père Noël n’existe pas,
c’est pas pour autant qu’on leur balance la vérité, répliqua Zoé.
— Mauvais exemple, rappelle-toi que cette connasse l’a dit à sa
petite-cousine de quatre ans ! Dit Faty.
— Putain t’es vraiment un monstre.
— Elle l’avait cherché, lança Adjoua imperturbable.
Arrivées avec trente minutes d’avance, elles décidèrent de tuer le
temps dans un kiosque.
— Les filles, prenez-moi un mag avec un test débile genre « quelle
romantique es-tu ? » demanda Bébé toujours bandée.
Faty, elle, s’était attaquée au rayon confiserie, les bras chargés
de gâteaux et de bonbons. Elle avait également fait le plein de lectures
légères.
— Faty t’es sérieuse ? On n’a qu’une heure trente de trajet tu
n’auras jamais le temps de lire et de bouffer tout ça, renchérit Zoé.
— Comment ça on n’a qu’une heure trente ? On ne va vraiment pas
dans le sud ?
— …
— Je pensais que c’était une blague que vous jouiez la comédie
pour garder la surprise intacte.
La voix de Bébé montait légèrement dans les aigües et effectuait
un vibrato assez inquiétant.
— Ah non désolée c’était la vérité, s’excusa Adjoua.
— Putain mais une heure et demie, ça veut dire qu’on ne va même
pas à Lyon là. Vous m’emmenez où ?
Bébé réfléchit un instant, puis poussa un hurlement qui fit sursauter
le vendeur qui encaissait le butin de Faty. Bébé tenta de retirer son bandeau
qui s’était enchevêtré dans sa chevelure, ce qui l’enragea davantage. Elle
parvint enfin à l’enlever.
— On va à Dijon ?! Demanda-t-elle en furie les interrogeant du regard
l’une après l’autre.
Aucune ne répondit. Bébé avait sa réponse.
— Remercie le gang des moutardes, conclut Adjoua.
— Quoi ?
Adjoua était tellement habituée à les appeler de la sorte qu’elle
n’avait plus aucun souvenir du véritable nom des amies d’enfance de Bébé.
— Tu sais tes potes de Dijon !
— Emma…
— Oui oui celle-là même tiens.
Le regard de Bébé se perdit dans le vide. Un peu plus et elle se
jetterait sous un train. Les filles craignaient qu’une situation si peu
dramatique ne vire au drame à cause du stress des préparatifs. Elles
l’entourèrent aussitôt.
— Allez fais pas la gueule ma Belle, l’importance c’est qu’on soit
toutes ensemble non ? Ça va être la folie ce week-end, tu verras.
— Et puis on a plein de merdes à bouffer et à lire, dit Faty en
secouant les paquets de bonbons devant les yeux humides de Bébé.
Elle sourit.