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Ecrit par Gioia
Trentième partie
Belle Mally
Si il y’a un souhait qu’on peut faire c’est d’être aussi heureux que les enfants dès que la sonnerie de fin des cours retentit. En mon temps le prof pouvait nous garder pour un extra dix ou quinze minutes s’il jugeait ne pas avoir assez avancé dans sa matière. Il ne faut même pas tenter ça avec les élèves de l’école américaine. Si certains ne se lèvent pas pour sortir de la classe, c’est que tu te feras convoquer par
le directeur ou son adjoint pour des plaintes d’élèves. Ici on respecte tout le monde. Autant les profs méritent le respect des élèves, autant nous devons aussi les respecter.
Je sors de classe et croise ma collègue Amandine que je connais depuis trois ans maintenant. Je lui propose un lift et elle me demande quelques minutes le temps qu’elle finisse avec quelqu’un qui avait une question. Je m’en vais donc l’attendre dans la cour tout en regardant les enfants jouer et bavarder. Amandine enseigne les cours de santé et la chimie. Moi le français, la littérature, les arts dramatiques et l’ECJS (éducation civique juridique et sociale) dépendant de la classe. Ça nous a pris du temps avant de cliquer, par ma faute. En dehors des petites causeries dans la salle des profs ou en pause je restais dans mon coin. Tout ça faisait partie de mon plan pour m’habituer à la solitude et savoir apprécier mon quotidien dans sa simplicité. Je suis heureuse de dire que j’y suis arrivée à un moment. Je ne sais pas concrètement comment mais un soir j’étais au lit avec ma terreur Elikem à mes côtés. Comme le sommeil ne venait pas je relisais mes notes pour le cours de demain. La pluie tombant sur la toiture me berçait. Je me suis sentie apaisée d’un coup. J’ai imaginé ma vie dans les années à venir et je me suis dit oui même si ça devait rester comme ça je serais bien. Même si maman devait s’en aller. Je serais triste. Brisée pour un moment. Je vais me coucher en chambre. Pleurer. Puis un jour je sortirai. Je vais reprendre mes activités et continuer. Ça fait deux ans et demi maintenant que j’ai eu cette pensée. Maman n’est pas décédée Dieu merci. Elikem m’en sort une nouvelle chaque jour et j’aime ma vie. Maman par contre n’aime pas le fait que je ne sorte pas comme les jeunes filles de mon âge. Elle attend toujours que je rencontre un homme comme quoi elle préfère ça. J’en ai rencontré des hommes. Ça n’a juste pas été loin parce que j’ai perdu l’habitude de socialiser. À vrai dire on parle et à part dire des choses sur mon travail, maman ou ma fille je ne sais plus quoi dire. Du coup ils se désintéressent. Ils font de moins en moins signe jusqu’à devenir des fantômes pour certains. Pour d’autres nous sommes restés des connaissances. Quelques salutations quand on se croise en ville et chacun continue son chemin.
Ce qui effraie maman et je le sais parce qu’elle le raconte à ma fille bien que j’ai interdit, c’est que pour elle je suis tombée dans une sorte de désintérêt total pour la gent masculine. Je ne cherche rien. Je ne fais pas d’efforts pour aller vers les gens. Quand Amandine m’invite je trouve des prétextes pour ne pas y aller. Je vais quand même vers les gens je trouve moi. Juste que ses gens ne sont pas nombreux. L’un étant le maître de CEP1 d’Elikem puis la maman d’Eli dont je me suis un peu rapprochée.
Je me lève en voyant Amandine arriver enfin. Comme toujours elle traîne un gros sac rempli de bouquins avec elle. J’ouvre la valise de ma Sentra (Nissan) pour qu’elle dépose ses affaires puis elle vient s’installer en avant avec moi.
Belle: ça te dérange que j’ouvre les fenêtres?
Amandine: oh toi aussi est ce que c’est ma voiture?
Belle: c’est juste pour un moment le temps de sortir la chaleur étouffante de la voiture
Amandine: je te suis hein. Il fait même bon avec l’orage qui s’annonce là. Un temps comme ça appelle à un bon sommeil mais le mien de mari ne comprend pas ça. C’est ce soir qu’il va me demander de lui faire le foufou de taro et manioc avec la sauce claire à l’agouti. Est ce qu’on fait ça à une femme dans ma condition?
Belle: courage maman, j’ai dit parce que je suis à cours de phrases réconfortantes pour elle.
Amandine a deux garçons avec son mari et attend un troisième. Elle est à six mois actuellement. Depuis que je la connais elle m’a parlé de long en large des exigences du dit mari. Exigences qui me dépassent. Il refuse qu’ils aient une aide à la maison et demande à la fois un repas tout frais chaque soir. Si c’est le même repas que la veille il faut qu’on le présente de façon différente sinon il s’énerve, gueule et dit qu’elle ne le respecte pas malgré qu’il donne l’argent à la maison. Quand elle lui explique qu’elle n’en peut plus avec tout ce qu’elle comme charges il lui rappelle qu’il ne lui a pas demandé de travailler. En plus sa mère à lui a élevé trois garçons sans père, tout en étant commerçante et sans aucune aide donc si elle n’est pas contente qu’elle retourne chez ses parents. Tout le long du trajet elle m’a raconté de ses choses qui continuent à me choquer pourtant j’en ai entendu une masse depuis qu’on se connaît. Je pense qu’elle a besoin de se vider le cœur quand on se voit donc je ne fais que l’écouter et j’interviens de temps en temps même si j’aurais aimé faire mieux, comme peut-être la soulager réellement de son fardeau. Même quand je la dépose le monsieur n’aime pas. Il a vu ma tête quand je me garais devant leur maison puis il a piaffé avant d’entrer.
Amandine: awo Seigneur quand est ce que tu vas délivrer ta fille? Elle a dit en levant les mains au ciel
Belle: ça va aller maman on connaît le chef non. Ne regarde pas ça
Amandine: en tout cas merci beaucoup pour ta patience et gentillesse envers moi. Tu as un cœur en or
Belle: moi même j’en ai reçu beaucoup donc je suis qui pour ne pas en donner
Amandine: si tu as le temps viens avec ma belle fille. On va manger un peu. J’ai acheté deux agoutis bien dodus
Belle: lol okay si ta belle fille a le temps ça. Tu sais qu’elle ne rate pas son émission de chant ce soir hein
Amandine: eh tu as raison. Je la salue ainsi que maman elle a dit en riant
Je suis partie et en dix minutes j’étais chez moi. Je sors pour ouvrir le portail puis faire entrer ma voiture. Ma perla sautillait depuis la devanture de notre chambre salon tout en me faisant les gros signes de mains comme les agents de circulation.
On avait dit qu’elle aurait des troubles d’apprentissage mais j’essaie plutôt de freiner son cerveau qui court trop vite. La dernière fois elle me demandait comment son papa Eli était à Miami, moi ici et on a réussi à la mettre dans le ventre. Elle sait depuis qu’Eli n’est pas son vrai père mais je pense qu’elle ne fait pas encore la distinction entre le vrai et le faux. La dysplasie bronchopulmonaire est encore là mais rare. Elle tombe malade quelques fois mais les antibiotiques suffisent à terrasser tout ça. Je remercie le ciel que côté nourriture personne ne la bat et elle n’est pas difficile. Le bavardage c’est autre chose. Je ne parle plus de sa curiosité. Elle tirait sur mon sac dès que je sortais de la voiture
Elikem: maman tu as ramené quoi?
Belle: donc pas de bisous, pas bonsoir. Toi c’est seulement tu as ramené quoi?
Elikem: bonsoir bisous maman bisous bisous. Ya les beignets dans le sac?
Je ris et frappe mes mains en secouant la tête avec sa face toute joyeuse qu’elle me donne. Maman depuis l’intérieur, hèle le nom de Perla.
Gisèle: Elikiki tu es où? Viens finir le riz avant que maman n’arrive hein sinon je ne t’achète plus kopiko quand je vais aller au marché
Belle: tu ne finis pas un mais tu viens chercher ici? Ton ventre va exploser un jour et toute la nourriture va se verser par terre
Elikem: c’est pas vrai, je suis moi beaucoup fort et bien long me répond en riant
Belle: je suis grande on dit simplement, je lui réponds en riant aussi
Je lui laisse mon sac que la miss traîne avec difficulté à cause du poids et nous entrons à l’intérieur
Gisèle: tu es déjà rentrée et je n’ai pas entendu le bruit?
Belle: tu allais entendre comment quand tu regardes nollywood avec tous tes sens?
Gisèle: petit nollywood que je regarde te blesse le cœur hein. Courage les vacances arrivent. Les écoliers ne vont plus déranger
Belle: c’est toi qui aime te mentir que je suis jalouse de toi. Elikem on fini le riz avant de manger les beignets
Elikem: j’ai déjà tout mangé maman
Belle: je suis ici et je vois dans ton assiette madame. Il y’a encore les grains de riz dedans
Elikem: c’est grand maman qui umm elle grand maman c’est pour toi. Bonne appétit, elle répond en poussant doucement l’assiette devant ma maman
Gisèle: ha ha mais ma fille c’est comme ça? J’ai dit que j’ai envie du riz?
Elikem: tu avais toi dit que je mange moi trois et puis tu vas tout bien manger grand maman.
Gisèle: j’ai pas dit ça hein
Elikem: oui! Ta dit toi!
Elles ont commencé et le pire c’est que je ne sais pas qui ment parmi les deux. Quoiqu’il en soit j’ai pris l’assiette pour donner le reste à ma fille. Elle pleurait tout en mangeant. Grand maman se moquait d’elle ce qui lui valut quelques gros yeux de Perla mais est ce que ça freine ma mère.
Quelques minutes plus tard les deux mangeaient les beignets ensemble et commentaient leur film comme des vieilles copines. Je ne sais pas ce que ma fille comprend dedans mais elle aussi dit sa part de choses. J’en ai profité pour prendre une douche et sur un coup de tête j’ai décidé d’aller voir Amandine. J’ai changé de tenue à Elikem puis nous étions parties avec les bénédictions de maman qui souhaitait qu’un homme me tombe dessus par magie durant cette balade.
Nous arrivions chez Amandine mais il y’avait une petite commotion chez elle.
Elle me prend sur le côté avec Elikem pendant que son mari criait au salon.
Belle: tout va bien ici?
Amandine: hum non oh. Figure toi que le ciel entend ma prière. Le foufou est annulé. Il y’a une assise au salon actuellement pour le cas d’une petite cousine de mon mari.
Belle: oh d’accord. Je venais t’aider à piler mais je vais repartir alors
Amandine: mais comment ça? Reste et tu me tiens compagnie non. Tu viens à peine d’arriver
Belle: c’est pas mieux de retourner à l’intérieur?
Amadine: moi que tu vois comme ça? Haha. Mon cher ils ne m’impliquent jamais dans leurs conversations cette famille. Quand ça commence mon mari me dit juste d’aller prendre l’air et ça tombe bien même. Elikiki c’est comme ma belle fille? Elle dit en se dirigeant vers les chaises sur la terrasse.
Elikem: très bien. Bébé il est dans ton ventre?
Amandine: oui ma chérie mais je t’ai dit que c’est ton futur beau frère hein pas bébé. Tu vas épouser mon deuxième fils
Elikem: mais papa Eli lui a dit pas du question
Belle: pas de question mon ange
Amandine: papa Eli là il continue à nous bloquer? Il rentre quand pour voir comment mon Terence est beau? Elle me demande
Belle: les choses de papa Eli et sa Xena je ne rentre pas dedans
Amandine: tu as raison ma belle. Attend je te raconte bien l’histoire de la petite cousine là, elle dit en s’installant confortablement
Je ne suis pas trop intéressée mais c’est là que la pluie commence. Nous sommes quand même protégées là où nous sommes. Elikem porte son pull et je lui ai donné son cahier de dessin en plus de crayons pour la distraire. Elle était assise à mes côtés et faisait ses activités. Amandine me racontait l’histoire avec entrain comme si elle attendait cette opportunité depuis longtemps
Amandine: fallait voir les conseils non sollicités que cette fille se permettait de me donner ici après que mon mari ait fini de verser ses plaintes me concernant dans sa famille. Elle venait me sortir des histoires de non tu dois être mieux organisée. C’est pas normal que grand frère se plaigne autant de toi. Ma grande sœur a des triplés, nous vivons en France et elle gère sa maison d’une main de maître donc appelle là pour les recommandations
Belle: et c’est dans cette voix nasillarde qu’elle te le disait aussi?
Amandine: ne me dérange pas Belle. Elle m’énerve depuis si longtemps que c’est la voix que je lui ai attribué. Imagine que quand je l’ai ramassé elle m’a dit que je ne connais rien et c’est moi qui fait la fière. Pourquoi la grande connaisseuse n’a pas pu s’éviter le sida? Moi je me demande
Belle: tcho elle est malade et tu me racontes ça en riant? Toi aussi
Amandine: hé pardon pardon. Je vais rire encore et encore. Ha ha ha. Elle n’a rien vu. C’est le genre qui se croit trop belle et futée. Qu’elle vienne nous dire comment elle a pris le sida en question.
Belle: primo c’est quand même une maladie et on ne rit pas de ça. Deuxio n’importe qui peut la prendre et je sais de quoi je parle
Amandine: quoi tu l’as toi?
Belle: non je n’ai pas dit ça
Amandine: bon même si tu l’avais pour toi me ferait mal mais elle non. Parce qu’elle se jouait trop la miss parfaite. Une fois elle est venue mettre sa bouche dans une de mes disputes avec mon mari sur notre dot future. Tu sais que le type là jouait avec moi sur ça comme je t’ai dit. Imagine la miss me sort que si le titre de madame était si important pour moi j’attendais quoi pour fermer mes jambes au lieu de les ouvrir et pomper les enfants jusqu’à deux. Et voilà qu’on découvre que c’est son copain qui lui a donné le VIH. Le copain fait quoi dans son yoni jusqu’à lui donner le vih mah? Copain hein pas mari?
Belle: Dieu du ciel, je dis en portant la main à la bouche. Tout ça me rappelle tellement Ciara et Magnim puis une ampoule s’est allumée dans mon esprit. Comment s’appelle la fille? J’ai demandé parce que le papa de Ciara a plein d’enfants dehors.
Amandine: harmonie et elle n’a rien d’harmonieux crois moi
Belle: harmonie? Et tu dis qu’elle a vécu en France?
Amandine: heuh oui pourquoi l’air de surprise? Tu la connais de quelque part?
Belle: j’en connais une mais j’ignore si c’est elle
Amandine: ah et elle faisait quoi là-bas? Des bêtises j’imagine
Belle: rien que je sache
Amandine: hum belle tu aimes trop ça. En tout cas j’en sais assez pour bien rire. Ça n’arrive pas qu’aux autres on dirait gros lol
Elle continuait dans des diverses moqueries. Je prenais juste mon mal en patience. La pluie a finalement cessé et les gens sont sortis du salon. Parmi eux, elle était là. Harmonie. Son regard désolant a croisé le mien puis il est passé à l’étonnement.
(.....)
Cette idée est restée dans ma tête depuis. Je n’arrivais pas à m’en débarrasser donc j’ai demandé à Amandine si elle pouvait m’aider à rencontrer Harmonie. Elle m’a surpris en me disant qu’harmonie elle même avait demandé mon contact.
J’ai eu son coup de fil le soir de ma discussion avec Amandine. Quatre jours plus tard je me rendais au lieu de rencontre fixé par harmonie. Elle paraissait faible assise dans ce fauteuil et toussait quelque peu. Je lui ai ouvert l’eau minérale avant de me rassoir à ma place
Harmonie: merci d’être venue, elle a dit après un moment
Belle: pas de problème. Comment ça va?
Harmonie: j’ai le VIH. Tu dois déjà le savoir vu qu’amandine se plaît à le dire partout
Belle: je suis désolée pour toi, j’ai dit après un moment
Harmonie: attend avant de l’être, elle répond avec un sourire qui semble défaitiste
Belle: okay je suis toute ouïe
Harmonie: tu te souviens la dernière fois qu’on s’est vu à La Redoute. J’avais sous-entendu qu’un truc s’était passé entre Magnim et moi mais c’est faux. C’est vrai qu’il m’a écrit mais c’est parce que j’avais demandé à un ami commun des conseils pour envoyer de la marchandise au pays. Il l’a dit à Magnim qui est entré en contact avec moi et m’a expliqué comment faire, quelle compagnie était la meilleure ainsi de suite.
Belle: tu veux rire? Je demande choquée
Harmonie: j’aimerais bien
Belle: non mais tu te rends compte de ce que ton mensonge a causé! Je crie tout en me levant
Harmonie: s’il te plaît ne me frappe pas, elle dit en plaçant les bras autour d’elle
Elle est plus fragile que dans mes souvenirs. Je me rappelle aussi de Ciara et la rage monte, ce qui continue de me faire crier
Belle: Ton mensonge éhonté a détruit le monde des gens! C’était quoi ton problème? Magnim sort avec toi une fois et il n’a plus le droit de se mettre avec une autre?
Harmonie: j’ai juste dit ça comme ça pour rire!
Belle: pour rire? C’est pour rire aussi que tu es parti partager la nouvelle sur Facebook? C’est quoi ce sens de l’humour nuisible? Tu as gagné quoi?
Harmonie: j’ai changé. s’il te plaît, tu sais où je peux trouver Magnim pour lui demander pardon? Le guérisseur de ma mère dit que je dois expier mes fautes avant que je ne sois totalement rétablie, elle me dit en se mettant à genoux
Belle: tu as le vih. C’est un traitement médical qu’il te faut pas un guérisseur
Harmonie: faux! si Félix a pu guérir de ça avec un guérisseur c’est que je peux aussi!
Belle: Félix? Quel Félix?
Harmonie: comment ça quel Félix?
Belle: dis moi vite de quel Félix il s’agit! J’hurle
Elle me le décrit et je me laisse tomber dans le fauteuil. Les larmes roulent sur mes joues en pensant à Magnim. Sa joie de vivre qui a disparu d’un jour à l’autre. Magnim qui a été accusé par tous. Magnim qui a disparu de la nature. Le seul sur qui j’ai compté un nombre incalculable de fois. Mon petit gamin que les événements ont changé
(....)
Le soir là j’ai longtemps pleuré. Je ne pouvais pas faire semblant. Elikem et maman ont essayé de me consoler mais rien ne changeait. J’étais au lit reniflant et Elikem parlait au téléphone avec Eli.
Elikem: maman elle a le gros chagrin. Elle me rend toute triste
Eli: ......
Elikem: elle arrête pas de faire bouhou bouhou. J’ai dit que je vais acheter pour elle le proissant (croissant) avec le cocola mais elle fait encore beaucoup bouhou.
Eli: ......
Elikem: d’accord je vais la donner mais tu fais quoi?
Eli: .....
Elikem: grand maman a dit que toi faut vite revenir sinon elle va partir se marier avec papa bob
Eli: .......
Elikem: c’est vrai elle a dit, elle répond en riant
Eli: .......
Elikem: d’accord je vais dire tention (attention) papa bob. Maman, c’est papa Eli. Elle me dit en me donnant le téléphone
Eli: hey bijou
Belle: coucou
Eli: Elle est pas belle cette voix
Belle: je suis juste dépassée, je réponds en anglais pour que ma fille ne comprenne pas
Eli: qu’est ce qui te chagrine
Je lui raconte tout. Enfin il connaissait déjà l’histoire de ma vie mais je lui rajoute les détails qu’il ignorait
Eli: well that’s a whole mess (c’est un vrai cafouillis)
Belle: je sais même pas par où commencer pour le dire à Ciara. Elle se reconstruit ici au pays et enfin elle est arrivée à tourner la page. Lui ramener ça maintenant c’est comme si on ouvre la boîte de Pandore
Eli: tu veux mon avis?
Belle: bien sûr
Eli: l’honnêteté marche souvent mieux que de vouloir protéger la personne surtout quand il s’agit d’adultes comme vous deux. Elle aura du mal. Elle sera chamboulée mais au moins tu seras là pour la soutenir. Et si possible vous pourrez réparer le tort causé à Magnim
Belle: tu as raison. N’empêche qu’on ne sait toujours pas comment ils ont été infecté. Je veux dire je suis pas mal sûr que c’est Félix qui a contaminé Ciara mais comment c’est ce que je me demande
Eli: ca demande une soirée entre filles avec elle. En plus maman me dit sur WhatsApp que tu ne sors pas assez pour une fille de ton âge
Belle: elle redécouvre sa vingtaine dans la soixantaine et tout d’un coup je dois faire pareil lol pourtant je vais avoir 29 ans bientôt
Eli: Elle veut juste te voir épanouie
Belle: tu es marié. Elle t’a adopté comme son fils donc voilà le mariage qu’elle cherchait
Eli: lol n’est ce pas
Elikem: maman je vais parler à papa Eli maintenant tu as fini
Belle: mais est ce que j’ai dit que j’ai fini?
Elikem: tu as déjà beaucoup parlé. Tu as fait 20 fois donc c’est mon tour
Belle: je ne donne rien
Elle s’est mise à pleurer, se rouler sur le lit et toutes les simagrées que je lui connais. Eli a voulu la reprendre mais j’ai dit non. Il le fera quand madame comprendra la notion du respect. Je lui ai dit de saluer mme Coleman Laré Aw de ma part avant de raccrocher. La miss qui faisait les crises revenait demander le câlin maintenant. Je l’ai réprimandé et elle s’est excusée avant de venir dans mes bras.
Eli s’est finalement marié au docteur Cathy Coleman cette année. C’était bizarre j’avoue au début pour moi parce qu’on est resté si proche tous les deux que je ne l’ai pas vu venir. Il m’a mentionné quelques fois qu’elle était maintenant aux Etas Unis mais je n’étais pas au courant d’une quelconque relation entre eux. À vrai dire je ne connaissais pas grand chose de la vie amoureuse d’Eli parce qu’il n’en parlait jamais. Mais tout de sa famille je savais. Son père, sa mère, sa sœur Alima, ses cousins et cousines. J’en ai parlé à pas mal mais surtout à cause d’Elikem qu’ils ont adopté. Depuis qu’il est marié j’essaie quand même de prendre mes distances et surtout contrôler ma fille qui réclame tout le temps l’attention de papa Eli. Il a été un ami en or pour moi et je ne veux pas causer des soucis dans son mariage surtout que le docteur Coleman aussi a pris soin de moi.
Ciara Kunakey
Le sujet favori de maman c’est le divorce d’Antoine. Elle raconte à toutes ses amies sans préciser de nom. Ce qui l’indigne c’est que loussika ait mis Antoine à la porte depuis quatre ans maintenant. Elle chante partout que c’est inadmissible quand le monsieur est propriétaire. Pourtant Antoine lui même ne se plaint pas. Tout ce qui l’intéresse c’est récupérer sa femme. Du moins de ce que Lou me raconte. Quand je dis qu’elle a un cœur immense cette femme je ne fais pas d’euphémisme. Elle m’a cru quand je lui ai tout raconté de ce que je savais. Elle a cru en moi bien que d’autres auraient dit non, Toute votre famille m’a pris pour une conne. Mais non. Elle me parle et surtout je suis là pour elle. Quelque soit sa décision je la soutiens. Même si Antoine m’a lui aussi beaucoup soutenu. C’est grâce à lui et maman que j’ai pu dépasser ce stigma de maladie incurable et arrêter de limiter ma vision du futur à ça. En plus de ça il a payé tous mes traitements sans exception le temps que je me trouve un emploi. Mais le mal c’est le mal. Ça n’excuse pas l’horrible façon dont il s’est moqué de sa femme et belle. Il connaît mon opinion et heureusement pour lui n’attend rien de moi.
Aujourd’hui je vis à Lomé. En fait j’y vis depuis un an bientôt. J’avais commencé à la société générale et il y’a deux mois de ça j’ai rejoint Safmarine. Ironie du sort, c’est mon demi frère de l’époque le directeur d’agence. celui qui vivait dans le même quartier que nous mais ne m’adressait pas la parole. C’est en travaillant avec lui que j’ai même connu son nom. Jean Bosco alias JB Akueson. J’ai compris que lui a été reconnu ainsi qu’Antoine par le paternel. Mais moi je n’étais pas assez bien ou digne j’imagine. De toute façon Antoine m’a dit qu’il n’avait rien eu de cette reconnaissance. Il s’est débrouillé seul pour arriver en France et s’est battu jusqu’au niveau qu’il a atteint actuellement. Ce qui me tue dans le cas de mon frère c’est qu’il a eu un père irresponsable donc techniquement on se dit qu’il n’aurait aucune envie de faire ça à Elikem mais non. Il n’a jamais mentionné la petite les fois où on s’est parlé. Quand j’ai repris contact avec Belle il y’a quelques années elle m’a dit avoir accouché mais de laisser tomber pour ce que j’avais promis concernant mon frère. Elle était en mesure de s’occuper de sa fille et ça lui convenait ainsi. J’ai fait comme demandé. Je ne m’en mêle plus et chacun fait selon sa conscience. C’est un peu comme ça entre Belle et moi aussi. Chacun dans son coin. Elle a sa fille. Je n’arrive pas à ne pas penser à mon fils quand je l’entends en parler. Je me sens remplie de mélancolie. J’ai peur que ça devienne de l’envie. Je ne veux pas ressembler à ça donc je garde mes distances. Elle aussi faisait pareil du coup on s’est éloigné un peu. Mais elle a appelé aujourd’hui pour me prévenir de sa visite. Je pensais qu’elle viendrait avec la petite donc j’ai acheté plein de choses qu’elle aime manger. Je ne les vois pas souvent mais je retiens le peu que Belle me dit sur elle. Comme maman fait les drames depuis que je suis malade, Belle n’entre pas dans la maison quand elle vient. Elle m’appelle et je sors pour la voir.
J’ai enfilé mes chaussures et je suis sortie avec le sachet quand elle a appelé. Je me suis installée à ses côtés dans la voiture mais pas d’Elikem en vue.
Ciara: elle est où la perla?
Belle: avec sa mamie. Je voulais te parler De choses sérieuses et tu sais comment elle aime répéter tout ce qu’elle entend
Ciara: lol okay je comprends. Je lui avais acheté ses proissants ici moi, je dis sur un ton taquin
Belle: continue à te moquer du français de ma fille, elle réplique avec le sourire
Ciara: elle me contamine trop avec sa façon de parler Elikiki, je répond sur un rire
Belle: parlant de contamination. Ciara j’ai un truc important à te dire
Ciara: ne me dis pas que toi aussi.....
Belle: attend je parle d’abord
Elle me raconte tout. Le sachet de croissants tombe de mes mains dans la voiture. Je l’écrase de mon pied sans savoir. Je tremble en me remémorant ses dernières années. Je me sens envahie et je commence à secouer vivement la tête pour chasser les souvenirs. Félix m’a donné le VIH quand ça?
Ciara: je n’ai jamais couché avec Félix après Magnim je te jure, je crie tout en pleurant
Belle: je te crois Cici. Je t’en prie essaie de te calmer. Tu.....
Ciara: il m’a contaminé comment? Comment? Je cries.
On ouvre brusquement la portière. C’est maman et elle regarde Belle avec furie
Farida Bouraima
Après plus de quatre ans en France mon pied a foulé le sol togolais hier. Je revenais pour voir mon oncle parce que son état de santé s’empirait. Il est décédé ce matin malheureusement. Nous n’étions pas si proches mais le savoir loin de ce monde renforce cette idée en moi que je suis seule maintenant. Mais je ne suis plus la Farida d’antan. Je ne crains plus Madame Astou ni quiconque qui voudrait me faire du mal. J’ai fait du chemin en quatre ans. J’ai fini le lycée et rajouté deux ans d’université en psychologie. Je compte finir la troisième année de ma licence et par après faire une maîtrise à distance de deux ans en sexologie. J’ai été inspirée par le docteur remblais ainsi que le psychiatre vers qui elle m’a référé suite à ma rupture avec Tao. Je me suis dit qu’il y’a probablement beaucoup de couples comme le mien qui se sont séparés pour des problèmes ayant des solutions quand même concrètes mais par manque de resources ou stigma beaucoup n’y ont pas eu accès. Si je suis là c’est aussi pour rencontrer un sexologue ici, amie du docteur Remblais qu’elle m’a recommandé. Je veux savoir comment le processus a été pour elle parce que c’est à Lomé que je compte ouvrir mon cabinet une fois mes études et une bonne expérience de travail complétées.
Si j’en suis ici aujourd’hui c’est grâce à Tao. Le revoir ici à la veillée de mon oncle, dix jours après son décès me trouble. Je suis un peu en retrait avec des anciens amis de maman mais toute mon attention est sur Tao. Bien que j’ai quitté l’appartement, il a continué à me virer de l’argent chaque mois jusqu’à ce que je lui demande d’arrêter quand j’ai eu assez d’économies pour subvenir à mes besoins.
Je pensais le voir en compagnie de sa femme mais il est là avec maman. Physiquement il est totalement différent de l’homme que j’ai connu. Sa taille demeure. Son visage déjà plein de barbe à l’époque est passé au stade du père noël. Un père noël noir de muscle pur qui ne sourit pas. En Même temps l’occasion ne demande pas un sourire. Toutes les fois où j’ai senti une pointe de regret à cause de ma décision je me suis rappelée cette image de lui sortant d’un restaurant avec Kenza qui était enceinte il y’a trois ans et je sais que j’ai bien fait. Aujourd’hui il a son cabinet à Lomé. Un grand cabinet selon Nina. On doit à son cabinet l’immeuble de la compagnie téléphonique où elle est assistante. Rien qu’à voir la main possessive de maman sur son bras et la façon dont elle le regarde on sent qu’elle est fière de son garçon.
J’ai senti une tape sur mon épaule et j’ai détourné le visage pour répondre à la personne. Je me suis assurée de rester loin pour ne pas les croiser mais finalement le sort a décidé autrement.
Je raccompagnais des invités quand il revenait pourtant je le croyais parti.
Tao j’ai retrouvé mon portefeuille, la voix de maman dit derrière lui et nous coupe de notre long échange de regard sans mots
Ma’a Tao: eh Farida c’est toi ça? Tu as bien grandi
Farida: bonsoir maman, tu as bonne mine
Ma’a Tao: toi aussi. Et puis tu ne pouvais pas me prévenir que tu étais là?
Tao: on y va maman
Ma’a Tao: oh okay. Farida appelle moi un peu. Tao attend toi aussi est ce que mes jambes sont aussi longues que les tiennes? Elle demande en le rattrapant quand il était au loin
Il n’a pas pipé un mot. Dans son regard j’ai cru lire un instant de la colère puis la distance était de retour.
Ciara Kunakey
Je suis assommée depuis la nouvelle de Belle. Je me lève sans force. Au travail j’essaie de me concentrer mais à la maison je suis morose. Je me couche et je repasse les dernières années de ma vie. La dernière fois que j’ai vu Félix, c’était peu avant mon départ à Londres. Il avait encore des affaires chez moi. Parmi elles sa TV qu’il avait acheté et mis chez moi pour qu’on la regarde ensemble. J’avais mis des annonces en ligne pour la vendre.
J’ignore comment il a su mais il a débarqué un jour quand J’étais avec des potentiels locataires que Lou a envoyé pour une visite. Il m’a sorti un long discours sur comment c’est sa TV et si je suis une crevarde incapable de payer la mienne ce n’est pas la sienne que je vais vendre. Je me suis emportée et je l’ai traité de tous les noms en lui rappelant qu’il ne valait rien. J’ai toujours eu un toit avant lui. La TV ne peut pas me dépasser. Dans la rage il voulait reprendre tout ce qu’il m’a déjà offert. Je suis allée dans ma chambre tout Lui sortir sans exception. Le con n’a même pas pu tout ramasser avant de partir. Depuis je ne l’ai plus jamais vu. Quand je dis bien jamais c’est jamais. Donc le VIH qu’il a lui même je ne comprends pas parce qu’on s’était fait dépister au début de notre relation. C’est vrai que par après non bien qu’on ait fait presque deux ans ensemble. Mais après lui je me suis aussi fait tester. Bien après trois mois et j’étais séronégative.
Comme je ne trouvais pas de réponses j’ai appelé Lou pour lui raconter en espérant qu’elle pourrait m’aider. Sur le coup elle n’avait rien mais elle a promis me revenir.
Presque une semaine après, je m’apprêtais à aller au travail quand mon téléphone me signale un message. Je le prends et il était de Lou qui parlait avec panique.
Lou: mon trésor, quelque soit ce que tu fais tu ne touches plus à ta bétadine si tu utilises la même. Tu emmènes maman se faire tester. Je t’en prie dis moi quand tu reçois ce message
Je l’appelle directement.
Ciara: elle a quoi ma bétadine, je demande avec appréhension
Lou: j’ai retrouvé le contact d’un des locataires. Il a dit qu’il se souvient avoir vu Félix dans ta salle de bain avec une lame à raser et il saignait. Il lui a proposé de l’aide mais il a dit non ça va puis il a pris une bouteille jaune. Eux ils ont continué leur visite.
Mon téléphone m’a échappé et je suis tombée sans aucune volonté sur mon lit, la bouche ouverte et la peau froide d’un coup.