65:clear the air

Ecrit par Gioia

 

***Ama Ekoue***

Il n’y a pas plus heureuse que moi à l’heure actuelle sinon Gaëtan peut-être, mais il refuse de partager ce qui garde ce sourire permanent sur son visage depuis trois semaines. Je n’ai pas encore partagé avec lui la nouvelle du retour imminent des enfants. Son mari n’a pas été retenu comme gestionnaire de l’hôpital, mais ils lui ont offert un autre poste ; il sera, je crois le coordinateur administratif de l’institution ; jusqu’à présent je ne sais pas concrètement ce que ça veut dire, mais l’essentiel c’est qu’il ne saura pas au chômage et surtout ma fille sera bientôt avec nous.

Je m’apprête rapidement afin de sortir, mais au moment de prendre les clés de voiture, Gaëtan me les retire.

-tu vas encore où aujourd’hui ? me demande-t-il avec suspicion

-il est 9h du matin non, la plupart des gens vaquent à leurs occupations à cette heure

-les gens qui ont un emploi, sauf que toi ma vieille tu es à la retraite anticipée et pourtant ton pied ne cesse de se presser dehors ses derniers jours donc je le répète, tu vas où ?

-pardon Gaëtan je vais juste au grand marché, en plus je ne me mets pas sur ton dos lorsque tu veux aller dehors donc redonne les clés merci

-viens donc les chercher ici, dit ce vieux papi et sans gêne s’assoit dessus, me faisant soupirer d’exaspération

-c’est encore quoi ? Hein ? Hier tu étais tout joyeux et chantais comme un canari non ? Qui t’a fait quoi ?

-c’est toi me prenant pour un imbécile qui me fait quelque chose Ama. Tu penses être née avant moi ? Depuis quand le grand marché est actif les mercredis ? Et ce n’est pas hier seulement que tu y as été avec Jérémie ?

Le ton sur lequel il ne dit ne laisse place à aucun doute. J’ai parlé hier à Jennifer pendant que je me rendais au grand marché. Et Jérémie a probablement entendu quelque chose qu’il a rapporté à son père. Je prends place aux côtés de mon mari et envoie la main pour toucher sa nuque, mais il l’esquive.

-Ouvre ta bouche et confesse tes manigances ; qu’est-ce que vous faites comme cachoteries dans cette maison ?

-Eh chéri ce n’est pas ça voyons, tu vois les enfants voulaient juste nous faire une surprise

-ah bon hein, ils voulaient, mais on t’a annoncé la nouvelle par contre moi, celui grâce à qui Jennifer est arrivée là je ne mérite pas.

-Toi aussi j’ai bien dit que l’intention c’était de nous surprendre, juste que tu nous connais entre femmes on a du mal avec les secrets. Sinon Jennifer est très reconnaissante. Combien de fois elle nous l’a prouvé ? Ce n’est pas grâce à elle qu’on a une si belle et grande télé ?

-en tout cas, dis lui que je ne cherche même pas son argent donc elle peut me cacher sa venue! je ne l’avais pas vu avant de manger, et je continuerai à manger tant que mon cerveau sera en place, dit-il très remonté puis me quitte en trombe pour la chambre

Je récupère les clés, fais un tour dans la chambre de mon dormeur de fils pour lui rappeler de prendre son petit déjeuner avant 10h30 puis je suis partie. Ce n’est pas plus mal si l’égo de Gaëtan est froissé parce que je ne l’ai pas mis dans la confidence. Il va foutre un peu la paix à Jennifer le temps qu’elle s’installe tranquillement parce qu’entre nous, je connais mon mari. Il oubliera ses griefs dès qu’il aura besoin d’argent. En tout cas, on s’en souciera au moment venu. Pour le moment je m’en vais chez eux, pour superviser le service de nettoyage qui commence à mettre à neuf les choses dans la maison aujourd’hui.

Une magnifique villa de six chambres, que ma grande et son mari ont construit sur un lot à dix minutes en voiture du CEG (d’adidogomé, un quartier), avec un jardin comme ceux des films. Je klaxonne et gare après que le gardien m’est ouvert. On s’échange les salutations, j’entre dans le séjour et m’écrie face aux employés du service de nettoyage qui ont ôté les jolis rideaux que j’avais choisi avec Jennifer.

-mais vous faites quoi ? 

-on est en train de changer les rideaux, me répond un en mina

-idiot ! n’aies-je pas des yeux pour voir ? Sortez rapidement d’ici pfff ! on ne peut plus engager du personnel sérieux dans ce pays !

-et je vois qu’il n’existe plus de politesse dans ce pays, pourquoi on crie dans la maison de mon fils ? demande la femme qui m’horripile le plus dans ce monde. Le docteur Essohana Bemba, qui descend les marches

-c’est aussi la maison de ma fille, je lui rappelle, au cas où elle aurait oublié.

-et chez elle on est autorisé à vociférer sur d’honnêtes gens qui ne font que leur travail ?

-qui leur a donné ce travail ? Ils sont là pour faire le ménage ou toucher aux affaires de la maison ?

-ils font ce que je leur ai demandé

-pardon ? fais-je éberluée. Je fais signe au personnel de nous laisser et ils s’exécutent. Ces rideaux ont été choisis par Jennifer, lui dis-je sur un ton acerbe

-et ils sont inappropriés pour la chaleur du pays, donc je vais les changer

-mais tu as demandé à qui madame ? Hein ? Depuis tu ne cesses de t’ingérer dans la vie de ma fille, je te regardais faire, essayant de te donner du respect, mais visiblement tu ne te respectes pas toi-même. C’est quoi ? On ne peut plus vivre parce qu’on a épousé ton fils ? tu n’as pas ton propre mari à emmerder ? me défoulai-je sur elle

Elle me toise, rappelle le personnel et leur ordonne de poursuivre leur tâche. Je leur interdis aussi de toucher à ses rideaux. Ils nous regardent tour à tour. Aujourd’hui seulement je ne vais pas me laisser faire. Cette sorcière va apprendre à rester à sa place.

-gardien ! s’écrie-t-elle. Ce dernier accoure, mais il est suivi de Madame Ciara, qui est étonnée de nous voir toutes les deux.

-gardien tu peux t’en aller, je m’en charge. qu’est-ce qui se passe ici ? demande-t-elle soucieuse

-il se passe que cette ignorante…

-qui est ignorante ? vieille peau ! lui répondis-je juste après que Madame Ciara l’ait rappelé à l’ordre

-vieille peau ? tu devrais te regarder un peu dans la glace ma chère, dit-elle avec un sourire narquois

-Hana tu n’aides pas !

-qui a dit que je voulais aider ? J’étais de passage hier matin pour m’assurer que la maison était prête pour accueillir Romelio quand j’ai vu ses rideaux du temps antique hyper lourds qui retiennent la chaleur ; j’ai donc ramené des plus légers et c’est ce qui a déclenché l’urticaire de la vieille peau originelle que voici

-ceci est l’évènement de trop, madame Ciara. Elle a demandé à qui avant de faire des changements dans la maison d’autrui ? me déchainai-je

-j’ai demandé à qui ? répète la mégère avec ironie. Tu as demandé à qui avant de remplir le frigo de choses que Romelio ne mange même pas ?

-je le fais pour ma fille ! c’est sa maison

-ainsi que celle de mon fils ! je le fais pour lui

-du calme mesdames, ce n’est qu’un malentendu dans ce cas, intervient madame Ciara

-Ce n’est pas du tout un malentendu madame, elle ne cherche que des occasions pour s’ingérer dans la vie des enfants. Il faut lui parler ! on ne se comporte pas comme ça

-l’ironie c’est quand cette phrase vient d’une femme qui a dit au jardinier de planter aussi des coquelicots parce qu’ils sont jolis. Tu as demandé à qui avant de faire cette proposition dans la maison de mon fils ?

-Hana…..

-tu me laisses parler Ciara, dit-elle avec agressivité

-Cette parvenue de grand chemin pense à tort que cette maison est d’abord celle de Jennifer donc elle se croit en droit de s’offusquer quand je lui rappelle la réalité. Jennifer n’est pas plus propriétaire que Romelio, d’ailleurs on sait très bien qui détient la force financière dans leur couple. Et tant que mon fils sera propriétaire de cette maison, je ferais autant de suggestions et changements qu’on m’autorise. Sur ce…..

Je fulmine de rage, tandis qu’elle rappelle le personnel et leur indique de reprendre le travail. C’est madame Ciara qui me tire en cuisine pour me calmer

-Hana n’est pas une femme facile Ama, mais tu ne vas rien gagner en te lançant dans les bras de fer avec elle

-madame, je n’en peux plus, dis-je au bord de la crise. Ce n’est pas le mariage que je voulais pour ma fille. Vous en avez vous aussi ? Comment vous sentiriez-vous si on les persécutait comme elle le fait avec ma grande ?

-Je te comprends, mais persécuter c’est un grand mot et…..

-comment peut-on être aussi cruel et se dire femme de pasteur ? Une vraie femme selon le cœur de Dieu aurait pris Jennifer comme fille, surtout que ma chérie se bat malgré son état de santé pour s’en sortir, mais non. Hana ne fait que chercher les poux à mon enfant. Je suis fatiguée 

-Bon, d’abord essayons de respirer un bon coup. Je ne justifie pas les actions d’Hana, mais tu sais Romelio est son premier garçon. En plus on sait qu’elle n’a pas digéré sa décision de ne pas avoir d’enfants

-et puis après madame ? je dis et puis après ? Mon mari ne pouvait pas me faire un enfant pendant des années, mais je suis restée à ses côtés sans savoir certes, mais par amour avant tout. Je ne suis pas allée le crier sur les toits. Je ne l’ai pas trompé pour me chercher un enfant. J’ai protégé mon couple même si je soupirais après un enfant. Pourquoi son fils n’a pas le droit de choisir l’amour comme je l’ai choisi avec mon mari ? Ce sont seulement les femmes qui doivent se sacrifier jusqu’à la fin des temps ? Si les femmes âgées qui sont supposées soutenir les jeunes filles les persécutent comme elle fait avec mon enfant, quand est-ce qu’on pourra avancer en tant que société ?

-OK c’est bon, essaie de te calmer, me répète-t-elle sur un ton doux tandis que je nettoyais avec nervosité mes larmes

Cette vieille m’a gâché la journée !  Je reste malgré tout pour m’assurer qu’elle ne change pas aussi la peinture des murs. Madame Ciara n’était passée que pour déposer des bouteilles de gaz donc elle n’a pas traîné. Heureusement pour la mégère, elle n’a pas osé me provoquer jusqu’à son départ. Ce n’est que vers 15h quand je quittais chez eux que j’ai enfin eu le retour de Jennifer.

-tu étais où ? je t’ai écrit depuis la matinée

-tu oublies le décalage ma tante. En plus je me suis levée tard parce qu’hier je préparais mes supports pour la formation que je donne à mon remplaçant. C’est quoi cette affaire de rideau ?

Je lui narre l’histoire que j’avais résumé dans le message

-Romelio lui avait donné la permission tata

-QUOI ? Depuis quand ?

-je ne sais plus, il me l’a mentionné j’imagine

-et tu ne pouvais pas me le mentionner ?! D’ailleurs pourquoi tu lui permets ça dans ta maison Jennifer ? C’est ton chez toi ou chez elle ? Ouvre les yeux ! elle est entrain de prendre le coude parce que tu lui as donné la main.

-ma tante, dit-elle après avoir bâillé, ce sont juste des rideaux, on s’en fout

-comment ça on s’en fout ? on les a choisis ensemble je te rappelle

-OK on les mettra dans une chambre d’amis

-Jennifer, je n’aime pas ta nonchalance. En plus elle m’a insulté et toi avec

-tu peux me faire une note vocale avec les détails ? je vais la transférer à Romelio

-D’accord je fais ça tout à l’heure

-merci, je te laisse, je vais chez rencontrer quelqu’un qui est intéressé par ma voiture

-tu ne travailles pas aujourd’hui alors ?

-si, je fais juste une sortie rapide vu que c’était la seule plage horaire qui convenait au potentiel acheteur

-oh courage ma chérie, les va-et-vient là vont bientôt finir et surtout prends bien soin de toi

-amen, à toute, bisous

Je raccroche sur ce et commence la note vocale avant même de démarrer. Trente minutes plus tard, je la lui ai transférée. Oui trente minutes et j’ai d’abord sauté des parties. Quelqu’un doit arrêter cette femme, et il fallait tous les détails importants.

 

***Elikem Akueson***

 

Océane est comment dire, étrange, différente. La communication est presque inexistante entre nous depuis qu’elle m’a annoncé son intention de se faire inséminer. On s’échange des civilités, mais je ne sais pas ce qui se passe dans sa vie ; ce qui est une première honnêtement et ça m’inquiète. Pas parce que je veux fouiner, mais elle se comporte étrangement comme je l’ai dit plus tôt. Je suppose qu’elle ne s’est pas encore fait inséminer ou que plutôt l’opération n’a pas fonctionné parce que son physique est le même, et on a célébré 28 ans récemment donc presque un an déjà que Toni lui a brisé le cœur. C’est long comme délai pour laisser nos rapports ainsi, mais j’ai peur ; j’ai finalement compris qu’elle n’aime pas entendre ce que je pense de sa vie ou ses choix. Je ne veux pas la questionner pour me faire accuser d’être une fouineuse. Bon l’accusation ne me dérange pas, mais plutôt le fait de dire quelque chose qui envenimera davantage nos rapports.

 

Pour le moment je me rends à Saint John, pour voir Romelio. Je sais, j’avais dit que je ne m’y rendrais plus ce qui est toujours le cas, je ne mettrai pas pied chez eux. Je vais lui remettre des cadeaux pour mes parents que oui j’aurai pu envoyer par la poste, mais bon je veux aussi lui dire au revoir. Je l’avais certes encouragé pour postuler, mais en réalité je n’avais aucune garantie qu’on le prenne. Primo chez les Laré Aw, tout est obtenu par mérite. Deuxio, papa Eli ne s’épanche jamais sur les affaires administratives de l’hôpital avec moi. C’est par maman que j’ai eu le tuyau et informé Elio. Tertio, le gestionnaire de l’hôpital n’a aucun poids dans le recrutement du personnel. En plus l’hôpital est connu pour être excessivement rigoureux en matière de sélection. Je me suis donc dit que si Romelio arrivait à se dégoter ce poste, ce serait un gros boost de confiance pour lui. Dommage il ne l’a pas eu, et depuis l’annonce c’est la première fois qu’on va en parler de vive voix.

J’ai passé la nuit à mon hôtel et le lendemain je l’ai retrouvé à son lieu de travail. Le gars rayonnait plus que le soleil au-dessus de nos têtes.

-c’est la joie de me voir ou….

-j’apprécie ta ponctualité, allez monte

-monter ? Il est 13h non, tu ne reprends pas le travail ?

-j’ai pris ma journée

-oh OK, j’espère que ce n’était pas juste pour moi hein, fallait pas te déranger, dis-je gênée après avoir attaché ma ceinture

-laisse est-ce qu’il y’a ça entre nous ? Alors les nouvelles sont bonnes ?

-C’est à moi de te demander, on ne s’est pas parlé depuis que tu as eu la réponse de l’hôpital. Je suis désolée que tu ne l’aies pas eu

-ne sois pas désolée Oh ! Je ne voulais honnêtement pas de cette pression pour un début. Le poste de coordinateur me convient bien mieux ; j’aurais le temps de faire mes preuves, d’apprendre et si l’occasion se représente, de me relancer

-comment sont-ils arrivés à ce poste d'abord ?

-moi-même je me demande Daktari, dit-il ce qui me fait rouler des yeux. Le gars jure qu’il va maitriser le swahili à la fin de l’année avant d’aller rendre visite aux filles à Nairobi. Je suspecte que c’est la dame avec qui j’ai fait la troisième entrevue Skype qui a fait cette proposition, parce qu’elle s’est beaucoup attardée sur ce que j’avais eu comme expérience à Montréal avant de venir ici.

-le temps que tu avais fait chez Équiterre? Il est où le lien ?

-Je tenais le calendrier d’activités du conseil d’administration là-bas, et c’est un peu ce que demande le poste qu’on m’a proposé aussi. Bien sûr, d’autres fonctions se rajoutent, notamment assurer la liaison entre le conseil et le staff de l’hôpital, les mettre régulièrement à jour sur les activités des différents départements, ainsi de suite. Elle m’a quand même mentionné que le poste en lui-même est nouveau donc j’ai un peu carte blanche au début pour structurer mes tâches comme je le souhaite tant que les objectifs sont atteints.

-Oui avant je pense c’est papa qui en plus d’être le gestionnaire, assurait aussi ce rôle de coordinateur auprès du conseil, mais comme son remplaçant n’est pas un Laré Aw, ils voudront limiter l’implication du nouveau gestionnaire au sein du conseil.

-tu te rappelles comment je pestais contre le monde entier quand je travaillais chez Équiterre ?

-la saga du panier bio et ses prix, rigolai-je

-courgette n’était pas courgette ma sœur ; que verte d’Italie han ou Gold combien déjà

-Gold rush et Black beauty, dis-je hilare en souvenir de ses soirées. Romelio pouvait mourir ; chaque soir il m’envoyait un message de prier pour lui parce qu’il n’a pas fait une maitrise en santé publique pour se bagarrer avec les coopératives sur prix de courgette

-quand je te dis que tu es une bitch, regarde comment tu ris jusqu’aux larmes, dit-il avec humour

-fous le camp, répliquai-je en riant de plus belle. Il y a des jours où tu étais si dépitée que ta cravate pendouillait à ton cou et la chemise n’en parlons pas

-dégage, j’étais toujours beau, réplique-t-il amusé

-En tout cas tu as persévéré et voilà où cette expérience t’a conduit aujourd’hui, comme on dit, rien ne se perd rien ne se crée.

-won’t he do it, Hallelu!!! (Une façon de dire que Dieu est fidèle dans ses récompenses)

-c’est bon hein; faut pas commencer ta folie là ici

Il gare devant un bâtiment inconnu, et me dit de descendre. Je le suis, il ouvre son coffre qui est rempli de cartons

-allez, travaille comme tu aimes te moquer des gens, dit-il en faisant sortir un carton après l’autre

-en fait c’est pour ça que tu m’as demandé hier l’heure à laquelle je comptais passer et tu avais ce sourire radieux

-un autre B qui ne dort pas chez toi et que j’aime, brain, répond-il sans honte

-genre j’ai pris l’avion pour venir décharger voiture quoi

-oh ça c’est rien pour une femme multitâches comme toi

Je pousse un juron, amusée par sa flatterie de bas étage et commence à l’aider. Le bâtiment en question abritait une association pour personnes démunies. Nous sommes ensuite passés à un autre abri pour victimes de violence conjugale où il a déposé le reste des cartons qui se trouvait sur la banquette arrière. Pour me récompenser de mon travail, ses mots, il m’a payé un KFC.

-faut prendre ça pour le moment hein, le déménagement a vidé mes poches, mais je t’inviterai au resto quand tu rentreras à Lomé

-si le déménagement a vidé tes poches pourquoi tu n’as pas vendu une partie des affaires que tu avais donné ? la majorité était en bon état

-ces gens ont plus de besoin que moi, en plus j’ai un emploi qui m’attend

-si tu as un besoin d’ici le départ tu peux me dire hein, tu sais

-tu sais que j’allais courir pleurer chez toi, je ne connais pas la honte, rigole-t-il pourtant je compte sur les doigts le nombre de fois où il m’a demandé de l’aide financière. En même temps, rien ne m’étonne sur ce gars ; plus débrouillard tu meurs

Nous restons finalement devant ce lac où nous avons partagé le KFC, portières ouvertes à profiter de la brise et bavarder jusqu’à 17h. Il me dépose à mon hôtel, après un câlin et la promesse de nous revoir bientôt.

Je n’avais pris que trois jours, réservant la grande partie de mes congés pour mon voyage au pays en décembre. C’est Océane qui m’ouvre quand j’introduisais la clé dans la porte. Elle s’efface pour me laisser entrer tandis que je la remercie. Je craque quand elle se dirigeait sans un mot vers sa chambre.

-tu vas bien Annie ?

-je ne sais pas, dit-elle après un moment

-Tu as….envie d’en parler peut-être ? je ferais l’effort de ne pas donner mon avis

-depuis quand tu ne donnes pas ton avis toi ? je ne t’ai pas connu hypocrite

-mon but n’est pas de te froisser, mais il semble que je le fais tout le temps, dis-je un peu dépitée

-j’ai nettoyé la piscine gonflable en ton absence, tu veux nager ?

Je hoche la tête, elle me dit de la rejoindre dehors, ce que je fais après m’être changé en maillot de bain. Elle avait même démarré le barbecue si je me fie à la fumée qui s’échappait de là. Je la rejoins dans l’eau et prends le verre qu’elle me tend

-sans alcool, me confirme-t-elle avant que je demande

-merci, umm tu cuisinais quoi ?

-rien de fameux ; juste des saucisses, j’avais envie de hot dog. Tu vas bien toi ?

-oui….enfin un peu, je m’inquiète pour toi

-pourquoi ? tu devrais te réjouir, on m’a ramené sur terre comme les gens aiment dire, tu avais raison sur toute la ligne

-je…., je n’avais pas dit ça dans ce sens à l'époque, dis-je gênée

-bof le résultat est le même.

-comment tu te sens ?

-Je n’ai pas d’enfants, pas de mec, bien que la trentaine approche.

-il reste encore deux ans c’est assez long pour trouver les deux, ne désespère pas

-t’inquiètes je ne cherche même plus. Autant faire grandir mon établissement au pays et accumuler mon argent ici, en plus de quelques voyages ici et là.

-super, dis-je ravie. En plus il parait que c’est quand on ne cherche pas qu’on trouve

-Lol tu parles comme les coachs de vie maintenant ?

-je ne sais même pas où je l’ai entendu. Sinon si j’ai pu me trouver quelqu’un avec mon caractère non coopératif ce n’est pas toi qui chômeras

-si tu le dis, en tout cas je ne cherche pas. On pourrait se faire un voyage bientôt non ? j’ai envie d’aller aux philippines

-oui…..après décembre ? je dois aller à Nairobi et umm, Libreville, murmurai-je vers la fin

-oh tu vas déjà rencontrer la belle famille ? c’est bien

-non non, je vais plutôt voir Ray, il y vit maintenant

-ah ça depuis quand ?

Elle semblait réellement intéressée contrairement au passé donc je lui ai raconté n’omettant aucun détail.

-eh bien tout ça se passait et tu ne m’en parlais jamais ? c’est quoi ton problème madame ? dit-elle après un coup léger sur ma tête

-bah tu ne m’as jamais réellement questionné, ou les fois où j’ai parlé de lui, tu écoutais et passais à un autre sujet, j’ai conclu que tu ne l’aimais pas ou ma vie sentimentale ne t’intéressait pas

-mais non, s’offusque-t-elle. C’est toi qui restais vague lorsque je te questionnais dans le passé donc j’ai conclu avec le temps que je te saoulais. En plus tu ne voulais pas de moi comme meilleure amie

-c’est pas du tout ça, m’offusquai-je à mon tour. Je refusais même le titre de meilleur ami à Romelio. Tu sais bien comment les gens étaient au lycée avec les « pourquoi tu as parlé à x quand tu es ma bestie » en plus pour les raisons les plus connes au monde. Mais tu es la seule fille que j’ai invité à la maison, qui connaît ma famille, et à qui j’ai prêté des effets personnels. Il te fallait absolument le titre pour comprendre ton importance dans ma vie ? En plus je restais vague les fois où tu m’emmerdais avec les gossip ennuyants et me demandait mon avis sur des gens que je ne connais pas

-lol fous le camp j’avais les gossip les plus intéressants

-c’est ça, dis-je amusée

-en plus tu es curieuse de nature donc c’est quoi l’affaire de ne pas aimer mes gossip

-il faut ramener des gossip juteux dans ce cas au lieu des avariés sur je sais même pas qui là

-dit la fille qui n’a pas regardé la télé depuis dix ans pourtant on en a une grande au salon ; on peut d’abord te parler de qui ou quoi si ce n’est le travail.

-c'est la faute des études tu sais bien que ça me bouffe le cerveau, en plus comme j’avais échoué …..

-EHHH, nonnn je ne connais personne d’aussi perfectionniste que toi, me coupe-t-elle

-c’est même pas vrai, me défendis-je

-oh que si. Rappelle-toi quand il était au primaire, comment Mally te regardait de travers lorsqu’il devait étudier avec toi

-laisse ce petit nonchalant, il lisait toujours tout et ne comprenait jamais rien, je pouvais mourir, dis-je avec humour et elle éclate de rire

-et la fois où Aurore a laissé son plat après avoir mangé et Macy allait débarrasser la table

-« je vais dire ça à mon papa que tu m’as traité de chienne » imitai-je la voix nasillarde d’Aurore jadis quand je l’ai grondé

-« dis le à ton papa je vous attends tous les deux ici pfff », m’imite-t-elle et rigole par la suite. Non tu m’as tué le jour là. On fait ça ? même mamie te disait d’aller doucement, mais tu chauffais seulement la pauvre petite

-elle m’avait saoulé avec son « Macy veut le faire », parce que Macy c’est une mule du travail, elle dresse table et nettoie derrière Aurore comme elle est une chienne. Et maman qui a commencé à paniquer à son retour que « wo Elikem pourquoi tu es comme ça nianian »

-tu sais quand même qu’elle était….

-ouais je sais, gênée et anxieuse parce que c’était la fille de tata Lou et qu’on pouvait sous-entendre que je l’ai maltraité par jalousie, mais on s’en fout. Fille de tata Lou ce n’est pas une excuse pour se comporter comme une diva. Je l'aurais dit sans sourciller à ses parents.

-en vrai c'est Romelio que tu dois remercier infiniment, parce que s’il n’avait pas amadoué Aurore, je suis sûr qu'elle allait fuguer à Paris le soir même façon ton défoulement l'a touché dans sa chair

-est-ce qu'elle avait besoin de fuguer, j'allais lui payer le taxi pour l'aéroport sans problème

-le pire c'est que je te voyais bien faire et elle pleurer sa vie dans le taxi, dit-elle, me faisant pouffer de rire en souvenir de la vidéo de la petite conne et Macy qu’elle m’a envoyé ce matin. Je n’aurais pas cru jadis si on m’avait dit qu’aujourd’hui nous serions si proches. C’est par moi des fois que notre papounet vient prendre de ses nouvelles, or elle habite avec lui. Tout ça parce que la fille passe tout son temps dehors.

-vous êtes graves dans votre famille, et mamie derrière qui se moquait d’Aurore qu’il faut repartir dans la démocratie parce que chez Elikiki c’est la dictature tandis que ta mère et Romelio essayaient d’apaiser les tensions

-tu sais que Gisèle est…était une grande moqueuse, dis-je un peu nostalgique

-trop, elle me manque, ohhh ne pleure pas

-sorry, dis-je en nettoyant la larme qui perlait au bord de mon cil. c'est incroyable la capacité que cette vieille à de m’émouvoir des années après même de l'autre côté

-c’était une autre maman pour toi, rien d’étonnant

Je renifle pour toute réponse, tandis qu’elle me passe le bras autour de l’épaule

-elle serait fière de toi ; tu fais ton bout de chemin ; tu t’es trouvé quelqu’un qui balance ton côté ultra sérieux, et bientôt le mariage hein. Je serais aux premières loges pour voir ça en tant que représentant de mamie zizèle

-tu viendrais ? je veux dire c’est pas pour maintenant, enfin aucune idée, mais, tu ferais ça malgré Toni ? demandai-je émue

-Toni c’est quel chien ? On était avant lui, on sera après, en plus il faudra quelqu’un pour garder les demeurées de Garcelle et la femme dans leurs sentiers

-Hey encore toi

-lol je blague….ou pas, dit-elle en tirant la langue. Garcelle me semble être le genre qui croit tout connaître en matière de classe donc se permet de l’ouvrir sans permission. La première fois que Toni me l’a présenté, elle a fait une remarque sur ma manucure donc j’aurais une muselière faite sur mesure pour son museau au cas où elle voudrait nous gracier de son opinion sur ton ou ton style.  

Je lui jette l’eau au visage, elle me saute dessus et me noie. Une odeur de saucisse mélangée à un brin de maturité s’envole dans l’air de cette soirée estivale.

 

***Toni Ekim***

 

-ça va ? tu as pris froid ? me demande Leah après mon second éternuement

-hmm oui, quelqu’un doit parler de moi, dis-je tout en retroussant mon nez

-quelqu’un hein ? c’est donc pour ça que tu te faisais absent dernièrement

-oh même pas, j’étais juste pris par le travail. Ça va toi ?  

-oui, je…. Ta vue est belle, dit-elle en se dirigeant vers ma fenêtre

-n’est-ce pas, répliquai-je admiratif devant son boule parfaitement moulé par sa petite robe moutarde

-je… en fait, je venais te voir, pour qu’on s’explique sur la scène de la dernière fois, tu sais

-euh pas vraiment ; tu peux me rafraichir la mémoire ? mentis-je sachant exactement de quoi elle parle. Cette meuf est le genre qui aime les faux semblants. Depuis un an que je la connais, elle danse sur la corde. C’est la quatrième fois que la fille vient chez moi, porte les choses qui attisent le désir humain et commence à te parler de Jésus, comment elle a grandi dans l’église et veut t’inviter à la sienne.

-Je parle du baiser entre ce gars et moi, qui n’était pas un baiser du tout, se dépêche-t-elle de préciser

-OK

-en fait c’est un ami, le genre qui veut plus, sauf qu’il ne me l’a jamais dit. Il m’a donné un coup de main quand j’étais dans le besoin et depuis il me met la pression

-tu veux dire qu’il t’a donné de l’argent ?

-oui, mais je te jure, j’essaie de lui rembourser. Juste qu’il agit comme si je lui devais une relation maintenant, il vient au resto sans prévenir. J’essayais de lui expliquer quand il m’a embrassé et c’est ce que tu as vu

-tu sais quand même qu’il n’a pas le droit de te mettre la pression hein, on est dans un pays de droit. Tu peux porter plainte si…..

-oh non non, je ne veux pas aller jusque-là, il n’est pas méchant, juste…. Je crois qu’il n’a pas d’expérience avec les filles, donc il s’accroche à moi

Regarde aussi une vierge qui parle d’expérience des gens. Y’a des femmes y’a pas leur deux, et étrangement je ne tombe que sur elles Lol. J’acquiesce juste comme réponse.

-j’espère que tu ne m’en veux pas, minaude-t-elle

-du tout, tu es libre de faire ce que tu veux après tout

-oui, mais je fais rien hein je te promets, je ne veux pas que tu penses autre chose, dit-elle tout en se rapprochant de moi. J’étais assis sur le bout de ma table donc elle s’est plantée entre mes jambes avant de déposer sa tête sur mon épaule

Je la serre et ses lèvres commencent à remonter mon menton

-qu’est-ce que tu fais ? murmurai-je à quelques mètres de sa bouche

-je ne peux pas avoir un bisou ?

-tu as fini les choses de la choisie de Jésus ?

-tchip pourquoi tu te moques de moi ?

-moi jamais, je ne veux seulement pas t’emporter comme nous autres on a un ticket sans retour pour l’enfer

La meuf me frappe carrément et se met à me sermonner sur combien de fois elle m’a interdit de prononcer ce genre de phrases. Et c’était parti pour un autre tour de « Jésus t’aime » pourtant la meuf restait entre mes jambes, à caresser mon torse de surcroît. Affaire d’allez faire de toutes les nations des disciples là c’est comme ça qu’on devait le faire ?

 

Le lendemain je tombe sur l’inexpérimenté à la cafeteria durant notre pause, c’est Arthur Sodji, un collègue de travail, que je connais très bien, manque de bol pour la poupée de Jésus.

-le grand Ekim, lance-t-il sur un ton jovial

-pardon le chef c’est toi, on essaie de te suivre seulement dans la boîte

-ta bouche ne cesse de couler gars, rigole-t-il

-est-ce qu’elle peut cesser quand j’ai entendu que ton plan a été retenu parmi une centaine pour notre client danois là ?

-yeee l’exagération ; c’était juste une trentaine d’autres soumissions

-laisse ça mec, tu as mérité les honneurs

-merci Ekim, ça me fait chaud au cœur ; il y a quelques gars qui veulent justement célébrer le week-end qui arrive, si ça te dit de te joindre à nous, j’aimerais bien

-ah est-ce qu’on refuse quand un grand te convie

-tu ne vas pas arrêter avec ça hein, rigole-t-il

On se sépare après quelques phrases additionnelles. Arthur c’est ce qu’on appelle l’employé modèle. Si j’ai obtenu mon poste en grande partie, parce que je suis parfaitement bilingue et j’ai une expérience américaine, Arthur c’était le stagiaire qui s’est démarqué des autres, selon les bruits dans la boîte en tout cas. Pour l’avoir supervisé sur un contrat, ses deux points forts sont sa rapidité et sa connaissance des réglementations françaises en matière de construction. Pourtant nous avons des juristes dans la boîte pour justement nous assister avec le côté légal, mais le gars en connaissant presque autant qu’eux. Tu sens que ce n’est pas le genre qui s’est retrouvé dans le domaine pour le salaire, mais parce qu’il est passionné. Et c’est comme ça qu’il est aussi passionné dans les autres domaines de sa vie. Pas mal de monde ici c’est qu’Arthur a un frère qui vit au Canada, qu’il a été adopté et bien sûr que sa copine c’est Leah Note. Sa photo d’ailleurs trône sur son bureau, ainsi qu’une de lui, son frère et une autre qu’il m’a dit être comme une sœur.

 

A ma décharge je n’ai découvert tout ceci qu’il y a un mois. Et je n’ai pas encore déconné. Pour le moment j’observe et c’est ce que j’ai continué à faire durant notre petite virée entre collègues. Comme on était entre couillards, les discussions ont commencé sur le boulot, ensuite le sport et finalement les relations hein, que voulez-vous c’est la vie de l’homme. Un des gars venait d’exposer son souci, la meuf avec qui ça ne va plus fort, lui dit qu’elle est enceinte. Mais il doute de la paternité donc lui a parlé de test et la meuf s’est fâchée au point de tout casser dans leur appartement

-mais tu t’attendais à quoi, c’est un grave manque de respect, intervient Arthur

-un manque de respect ? dit un autre sur un ton surpris. Tu sais ce que font les meufs dehors ? Eh ce ne sont pas des anges hein ; elles sont pires que nous

-mais si tu n’es pas tombé sur des anges demande-toi aussi ce qui t’a conduit là-bas surtout que je te connais mec, lui répond Arthur

-ouais, mais au moins je ne suis pas un chien qui cache ses puces, mais les meufs pouah elles sont fortes. Gars ne lâche pas l’affaire. Si elle veut un sou pour cet enfant qu’elle passe par le système judiciaire et fasse ce foutu test. On souffre trop dans ce pays pour payer cerelac d’enfant d’autrui

-je précise que celui qui te conseille s’est fait plaquer pour la huitième fois cette année, dit Arthur

-huit de perdues huit mille de retrouvées

-regarde-moi ça, et puis tu es fier, lui reproche Arthur. Toni aide moi à raisonner les deux ici

-pourquoi tu penses qu’il ne devrait pas demander le test ? demandai-je curieux

-primo parce que le gars qui demande le test n’était lui-même pas fidèle durant sa relation, ou je mens sur ton compte ?

-ah est-ce que j’ai eu un autre enfant alors ? fait l’intéressé

-deuxio, j’ai énormément intercédé pour que cette fille lui pardonne et le reprenne. C’est tout à fait normal qu’elle se sente trahie que le chien

-mais c’est un ancien palabre, le coupe l’autre qui veut retrouver huit mille filles

-la ferme, toujours prêt à défendre les conneries

-excusez-nous oh cupidon, continue alors

-donc c’est normal même si je ne l’excuse pas, mais je peux comprendre qu’elle n’ait pas toléré que le chien se permette de douter d’elle. On ne le dit pas souvent, mais les femmes aussi ont un grand égo. C’est comme si tu remettais en cause sa fidélité tu vois. L’enfant sortira de toute façon, on est ici, on verra à qui il ressemblera

-en tout cas ne paie jusque-là hein, même pas une tétine, laisse cupidon dans sa défense de l’amour

-pfff continue à le guider dans cette voie hein, lorsqu’il viendra avec ses problèmes je ne veux plus voir vos pieds dans mon cubicule.

-tu sais que parfois l’enfant ressemble à la mère ? rappelais-je

-ses larges oreilles trouveront forcément le moyen de se coller sur l’enfant, il rétorque et se fait insulter

-et si après tout ça il se fait qu’elle l’ait trompé ? Et qu’il avait raison de se poser des questions ?

-naah, fait-il après un moment de réflexion. Je connais cette fille, elle n’est pas du tout comme ça

 

C’est ironique comment il me rappelle un peu mon frère, avec ce côté ultra optimiste en amour qui obstrue son jugement. En tout cas je ne me mêle pas des histoires d’autrui. En plus si la poupée de Jésus veut me bénir avec ses dons naturels qui suis-je pour refuser ? 

D’amour, D’amitié