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Ecrit par lpbk
Dans la précipitation Zoé avait omis de donner son numéro de
téléphone à Djibril. Elle s’en souvint lorsque, adossée à la paroi de
l’ascenseur qu’elle refusait pourtant de frôler d’habitude, elle se remémora
leur tendre baiser. Puis elle se rasséréna, s’il voulait la revoir, il
trouverait bien un moyen. Les mots que Djibril lui avait dit avant qu’elle ne
sort de sa voiture lui décochèrent alors un sourire béat qui ne la quitta
qu’une fois rentrée chez elle.
Zoé inséra tout doucement la clé pour éviter le moindre bruit et
poussa lentement la porte tout en serrant les dents. Elle la referma avec
autant de douceur. Elle s’avança dans le couloir sur la pointe des pieds,
fournissant un effort surhumain pour que ses talons ne touchent pas le sol.
Puis, la lumière s’alluma, l’aveuglant à moitié, elle qui avait passé plus
d’une heure et demie dans la pénombre de l’habitacle. Sa mère était face à
elle, les mains posées sur les hanches recouvertes de son pagne parfaitement
noué. Zoé ne la percevait pas pour le moment mais elle pouvait sentir sa tempe
battre sous son foulard. Elles se tenaient toutes les deux, l’une en face de
l’autre comme dans un bon vieux western. Sa mère dégaina la première.
— Je peux savoir où tu étais passée ?
Elle s’approcha.
— Je…je t’avais prévenue qu’il y avait une soirée avec les
collègues.
— Hmm je sais mais tu aurais pu me prévenir que tu rentrerais tard
Zoé. Ma fille ! Tu sais très bien que je ne suis pas tranquille quand vous
n’êtes pas toutes rentrées. Il y a plein de fous qui traînent dehors.
— Oui pardon maman.
— Ça ira pour ce soir. Vas te coucher maintenant.
Elle s’exécuta sans un mot. À bientôt vingt-six ans, elle se
faisait gronder encore par sa mère comme si elle en avait seize. D’ailleurs
même sa chambre était restée figée depuis son adolescence. Le même papier peint
grisonnant griffonné par ses soins, les mêmes places de concerts, les mêmes
posters d’Usher et de Mariah Carey.
Allongée dans son lit, elle se berça du souvenir des lèvres de
Djibril, de son parfum enivrant, de la douceur de ses mains et de l’inquiétude
que sa mère et s’endormit paisiblement ravie de la soirée qu’elle venait de
passer.
Le lendemain, Djibril lui envoya un mail sur sa boîte personnelle.
Salut Zoé,
J’ai passé une excellente soirée. Comme je te l’ai dit je veux
absolument te revoir et comme t’as filé, je n’ai pas eu le temps de prendre ton
numéro perso. Je te laisse le mien. Texte-moi quand tu veux.
0635289752
Je t’embrasse
Djibril
Elle hésita à lui envoyer un message dans la foulée. Sa petite voix
l’intimait de suivre les conseils foireux des magazines féminins. Le laisser
poireauter pour susciter le désir. Foutaises ! Elle s’empressa de lui répondre.
Salut Djibril,
J’ai passé une excellente soirée également. Voilà t’as mon numéro
maintenant !
Zoé
À peine eut-elle envoyé un message qu’elle en reçut un autre.
Ce week-end rien que toi et moi. Ça te dit si t’es dispo?
Djibril
Zoé avait initialement un plan de prévu avec les filles qu’elle se
fit un plaisir de décaler. Elles comprendraient si elles voyaient ses
fossettes.
Samedi soir, je suis dispo
Parfait ! Je viens te chercher chez toi à 18h30.
Non mais t’es pas obligée, je peux me rendre sur Panam.
Non non t’inquiète, je veux faire les choses bien, je passe te
chercher ! À samedi alors ! Bonne journée
Posée à son bureau, Zoé laissa exulter sa joie. Elle gigotait sur
sa chaise, entreprit quelques pas de danses, ondulait ses bras tout en restant
assise. Elle n’avait qu’une envie, se lever, monter sur la table, casser les
reins tout en chantant « Djibril m’a invitée ».
17h45 — Djibril arrivait dans moins d’une heure et madame traînait
encore dans son vieux jogging. Zoé n’avait jamais décelé en elle des talents de
make up artist contrairement à Elsa et Marie, elle ne savait rien faire de ses
dix doigts. Elle tentait en vain de reproduire les looks canons de certains
tutos beauté. Un smokey eye qui lui donnait un air de panda, un strobing qui
lui permettait de postuler dans un cirque pour le poste d’un clown. La seule
chose qu’elle maîtrisait en maquillage c’était son fameux trait d’eye liner, sa
marque de fabrique, un trait parfait depuis dix ans. Elle se contenta donc de
ce dernier et d’un rouge sur les lèvres. Elle porta une petite robe noire et
chaussa une paire d’escarpins léopard.
Djibril l’appela. Il était en bas et trépignait d’impatience. Elle
embarqua à bord de la Citroën et lui déposa un baiser sur la joue.
— Je te préviens, j’ai la permission de vingt-trois heures
— Ok Cendrillon ne perdons pas de temps alors.
Ils descendirent les marches d’un petit escalier et s’enfoncèrent
dans une ruelle minuscule qui débouchait sur une porte d’entrée rouge vif. Le
chemin était si étroit que seules deux filles menues purent y fumer leur clope.
Le minuscule bar était gardé par un vigile qui reconnut immédiatement Djibril.
Après quelques salutations, le vigile poussa de son bras massif la porte
d’entrée. Zoé eut la sensation de plonger dans l’ambiance d’un bar clandestin.
Quelques personnes se balançaient au rythme du pianiste qui entonnait des notes
de jazz sur la scène. Une lumière tamisée rendait imperceptibles les âmes
qui s’abreuvaient dans le fond du bar. Des collègues, des amoureux et des amis
squattaient les canapés et les fauteuils de velours disposés contre le mur. Il
ne manquait plus que plumes, boas et chapeaux fedora pour retourner presque
cent ans en arrière.
Djibril, habitué des lieux, fit le tour du bar, serra des mains
comme un politicien en campagne et présenta Zoé. Un serveur les installa à une
table, en bon gentleman, Djibril tira la chaise de Zoé. Autour d’un verre, ils
se racontèrent leur semaine. La jeune femme fut contrariée qu’ils discutent de
l’avancement de Talk. En dehors du bureau, elle ne voulait pas parler boulot et
encore moins lors d’un rencard avec Djibril. Aussi, elle coupa court sur Talk
et s’interrogea sur sa vie et ce qu’il avait fait avant. Djibril évoquait un
accident de vélo enfant quand ils furent interrompus par l’intervention d’un
homme élégamment habillé qui se tenait sur la scène. Le dandy qui s’appelait
Kurst fit quelques plaisanteries et annonça le programme de la soirée.
Plusieurs humoristes allaient se succéder sur la scène dans les deux prochaines
heures. Zoé apprécia l’originalité de ce premier rendez-vous, elle qui n’avait
eu le droit qu’au classique mcdo, kebab, ciné plus jeune ou restau ciné plus
vieille. Elle se cala dans sa chaise, à part sur écran, elle n’avait jamais eu
l’occasion d’assister à un stand up café.
Une dizaine d’humoristes s’enchaînèrent, certains plus drôles que
d’autres. Zoé avait tant ri aux larmes qu’elle en était complètement
déshydratée à la fin de la soirée. Djibril lui avoua qu’il l’avait conviée pour
être sûre qu’ils aient à peu près le même humour. Ses éclats de rire avaient
alors chassé ses doutes. Ce rendez-vous avait été naturel et sans fioritures. Zoé
avait ri à gorge déployée, avait englouti son cheeseburger sans se soucier de
ce qu’il en dirait.
Le pianiste qui jouait des classiques de jazz fit suite aux
humoristes. Zoé contempla sa dextérité et sa passion pour la musique qu’on
ressentait à chacune de ses notes. Elle balaya du regard le bar pour voir si
elle était la seule à s’émerveiller du talent du pianiste. Peu de personnes
avaient mis leur conversation en sourdine pour prêter l’oreille à la
performance du musicien. Puis ses yeux s’attardèrent sur les côtés de la scène,
derrière le rideau, un homme se tenait là, remuant sa tête sur la musique.
Malgré la faible lueur, elle semblait reconnaître cette silhouette et les
quelques traits qu’elle parvenait à distinguer. Elle crut reconnaître Bledji.
Depuis l’Écosse, six ans plus tôt, elle ne l’avait pas revu.
— T’as vu un fantôme ou quoi ? lui demanda Djibril, à présent
revenu, qui s’était absenté aux toilettes.
— Euh… non, j’ai cru voir quelqu’un que je connaissais.