90 : L’ennemi oh petit à petit s’est dévoilé, Part 2

Ecrit par Gioia

 

***Bijou EKOUE***

Fabien ne m’a pas cru. J’ai eu mal dans ma chair, mais je n’ai rien dit. Mais que maman Constance me traite de menteuse et les jours suivants, m’injurie en plus, je n’ai pas supporté. Je suis partie à la première occasion sans prévenir. Je n’ai pas de maison, mais au moins j’ai des économies de mes ventes donc j’ai pris une chambre d’abord quelque part pour dormir. À la première heure le lendemain, j’ai appelé Jeanne pour savoir si je peux venir à la maison.

À la base, je ne voulais pas que maman soit au courant de ma présence à Lomé, mais ce n’est plus d’actualité. Je n’ai pas assez de moyens pour louer une chambre. Or il me faut un logement pour aussi reprendre mon commerce. Jeanne m’informe qu’elle dort chez sa patronne à la demande de cette dernière depuis deux jours parce qu’elle a eu beaucoup de travail. Mais que je peux aller à la maison parce qu’Imo est toujours là. L’autre n’a pas de téléphone pour que je l’avertisse donc je suis les instructions de Jeanne pour me rendre seule chez elles.

Je dois cogner au portail et sonner plusieurs fois avant qu’on ne m’ouvre. Les yeux de maman s’arrondissent quand elle me voit. Et les miens aussi face à son ventre ainsi que ses joues rondes.

– Tu.. tu fais quoi ici? Tu viens d’où?

— Je ne… je ne peux pas entrer… maman? bredouillai-je la gorge serrée par l’émotion

— Mais oui, entre vite, elle dit et me laisse passer

— Je dis tu sors d’où? elle me redemande après avoir fermé le portail

— De là où j’étais cachée quand tu m’as renvoyé chez tonton Martin, je lui annonce, le cœur un peu amer en souvenir de la fois où j’ai essayé de trouver refuge chez elle en vain

— OK l’essentiel c’est ce que tu es vie. Tes sœurs ne sont pas là hein si ce sont elles que tu viens voir

— Je sais, ce sont elles qui m’ont indiqué comment trouver la maison

— Ah…, et la valise là c’est pour rester combien de temps?

— Tu me chasses maman?

— Non oh, mais mon mari n’était pas prévenu donc je ne peux pas accueillir les gens comme ça

— Je ne vais pas rester longtemps, juste le temps de me retrouver

***Modestine EKOUE***

Ça sent l’implication d’Imogen. Il n’y a que cette petite maudite pour me créer des situations pareilles. Je suis certes heureuse de voir ma fille mais elle a pris de l’âge. Et avec l’âge, elle a pris aussi de la maturité. Elle fait vraiment femme. En tout cas plus que ce qu’elle était il y a quelques années. Or je suis enceinte jusqu’aux chevilles et incapable de servir Billy au lit depuis mon cinquième mois de grossesse. Elle ne peut pas s’éterniser ici et risquer de taper dans l’œil de mon mari. Je refuse. Mais je ne peux pas la jeter dehors non plus donc je la laisse rester. Billy est actuellement en Afrique du Sud pour voir son autre femme là ainsi que sa fille. Les deux là j’attends tranquillement d’avoir mon enfant pour leur faire plier bagage. Elles ont abandonné Billy depuis et pourtant leurs doigts n’oublient pas son numéro chaque mois quand il faut demander l’argent. Une vilaine fille plus sa maman tout aussi laide, c’est à se demander si Billy avait les écailles dans les yeux quand il l’a vu ou c’était juste sa femme de galère. Bref je vais lui donner une fille, chose qui ne le réjouit pas mais j’ai déjà promis qu’on essaiera encore pour un deuxième enfant, vu qu’il tient à son garçon. Et il y a qu’à voir mes quatre pour rester serein. Je n’ai jamais fait de fille vilaine. Même Bijou malgré ses jambes musclées on dirait deux cannettes de coca, a un visage très agréable à regarder.

Elle a fait trois jours. Je trouve ça suffisant donc je lui ai annoncé le soir du troisième qu’elle doit s’en aller demain parce que mon mari rentre.

— Ton mari rentre donc tu jettes ta fille dehors? Ta propre fille?

— Tu n’as pas honte Jeanne? Si à vos grands âges de 23 et 21 ans vous vous appelez enfants, Joyau va s’appeler comment? Je suis la seule femme qui a eu des enfants sur cette terre et vous vous collez forcé à moi comme ça? Ou je dois payer quelle taxe pour qu’on me laisse enfin respirer orrhh! Vous énervez

— Là où je travaille, la maman appelle sa fille de trente ans ma petite perle. Sa seconde de 23 ans, mon petit poussin, et son garçon de 20 ans, très affectueusement son papa. Aucun ne vit avec elle et pourtant quand on fait les courses, elle prend ci ou ça toujours en mentionnant les préférences de ses enfants. Vous n’êtes pas tous les deux humains? Pourquoi tu fais comme si quelqu’un t’a déjà demandé à la mer? Bijou fait quoi de mal ici pour que ton mari ait du mal à l’accepter dans la maison?

— Ne te trompes pas, tu n’as pas hérité de moi ce comportement de mouton suiveur qui t’a fait arrêter la troisième en plein trimestre. Qu’on appelle perle, pierre ou même palourde ailleurs, je ne vais pas suivre. Dans la maison d’un mari, la femme est reine. Va chercher ta maison où tu feras également la loi

— Brouuurrrr, elle pousse un juron, quel mari même? Il t’a doté chez qui on a vu?

— Je suis chez mon mari oh Jeanne, je sais que ça te pique petite jalouse mais digère ça et sors de chez mon mari pour aller chercher le père de ton rejeton, je lui dis et quitte leur pièce mais le rire tapageur d’Imogen ne tarde pas donc je m’arrête en chemin pour entendre s’il y’a une suite.

— Je vais te blesser, Jeanne l’avertit comme quelqu’un qui est au bord des larmes

— Oueh Jeanne, je comprends jamais comment tu fais tes choses, Imogen continue avec son rire moqueur. Ton cœur n’accepte pas les choses mais c’est toi tu aimes beaucoup parler

— Fous-moi la paix tchrrr. Est-ce que ce que maman fait c’est normal pour qu’on ne parle pas?

— Voilà tu as parlé Mode t’a donné maintenant tu veux pleurer krkrkr

C’est le début des chicanes, des «oh Jeanne je n’ai pas la force laisse mes jambes» d’Imo qui continue à rire or je pense qu’on la frappe, «vous aussi arrêtez, Joyau vous regarde» de Bijou puis «tu es mauvaise Imo» de Jeanne. Puis le calme revient. Je suppose que les petites bagarres ont pris fin.

— Joyau oh, quand quelqu’un n’est pas enfant il est quoi?

— Imogen, tu es terrible, Bijou répond

— Euh il est grand, ou adulte ou parent? dit Joyau

— Oueh Mode non, tu es quelqu’un. Madame Belle a les enfants, Mode a les parents

— Et puis c’est ce qui te fait rire au point de tousser? Bijou lui demande

— Il ne faut pas la regarder, son cerveau ne fonctionne plus correctement

— Vois le bon côté, de pipi à parent, tu as avancé un peu, Imogen répond encore en riant et je pense qu’on lui a lancé quelque chose

Je m’en vais. Elles n’ont rien de bon à dire comme d’habitude. J’aurais pu me débarrasser d’elles si Billy avait été coopératif quand Imogen me prenait la tête dès le début. Non elle m’a pris la tête. J’ai déjà prévenu ma fille dans le ventre qu’elle n’a pas intérêt à lui ressembler. J’ai renvoyé cinq fois Imogen dans cette maison mais jamais elle n’a quitté. J’ai changé la serrure de sa porte, elle a cassé. Je ne lui ai jamais remis la clé du portail mais elle grimpait dans l’arbre devant la maison pour faire le mur et atterrir dans la cour. J’ai donc fait couper l’arbre mais tous les soirs, elle trouvait un moyen d’entrer et de faire entrer aussi Joyau. Je me suis fatiguée et le temps de retrouver la motivation pour reprendre, je suis tombée enceinte. Et Billy m’a dit de les laisser parce qu’au moins elles me tiennent compagnie quand il est en déplacement. En tout cas, je m’assure de bien fermer ma porte que je sorte ou j’entre. Avec leur jalousie qui ne cesse de monter contre moi, je ne serais pas étonnée qu’elles pensent à me voler.

Le lendemain je me lève tardivement. Un ventre de sept mois n’est pas facile à porter à mon âge et dire que je vais devoir recommencer. Ça a intérêt à être un garçon. Et j’attends les nombreux cadeaux que Billy m’a promis de ce voyage. Au lieu de profiter de ma grasse matinée pour s’en aller, Bijou était encore à la maison. Pourtant ses sœurs étaient déjà sorties pour aller écarter les jambes contre un peu de pain au lieu de travailler comme les filles de leur âge.

— Donc Imogen et Jeanne t’ont donné la méthode pour me fatiguer hein?

— J’attendais juste ton réveil pour te dire au revoir

— Anh… OK, bon bonne route alors

Elle m’observe un moment, attendant probablement l’argent mais c’est mal me connaître. Je la suis avec l’intention de verrouiller le portail derrière elle, mais on sonne dès qu’elle a la main sur le portail. Elle ouvre, et je vois le dos de Billy en premier. Des valises à terre. On dirait qu’il parle avec le chauffeur d’un taxi. Or je ne l’attendais pas aujourd’hui. La voiture démarre enfin, il se retourne avec un sourire radieux mais ce dernier disparaît. Il paraît comme gelé sur place et à côté j’entends un rire hystérique de Bijou dont j’avais complètement oublié la présence.

— Attends, je vois bien? Tonton Bill tu es donc en vie?

— Tonton? Tu dis quoi Bijou? Tu connais mon mari? dis-je le cœur cognant fort dans ma poitrine

Ses yeux descendent sur mon ventre et la rancœur avec laquelle elle fixe Bill avant de se jeter sur lui qui voulait se tourner pour fuir. Il tombe à la renverse et elle se met à le rouer de coups. L’étrangler tout en l’insultant en larmes. Et moi je suis tétanisée sur place. Mes oreilles entendent leurs échanges. Elle l’accuse de plusieurs choses, il la supplie de laisser son cou. J’entends même des passants s’en mêler et essayer de les séparer mais Bijou se déchaîne comme jamais je ne l’ai vu le faire de sa vie. J’entends tout mais je n’arrive pas à bouger. J’ai l’impression d’être ailleurs et ici à la fois. Il arrive à s’arracher de son emprise grâce à l’aide des passants qui ont réussi à restreindre Bijou.

— Emmenez-moi cette voleuse sauvageonne loin de moi! il crie tout en se nettoyant la bouche ensanglantée avec la manche de sa chemise

— C’est moi le voleur ou toi qui m’as volé alors que tu avais promis de m’aider? Laissez-moi le…

— Les jeunes allez me la jeter ailleurs et revenez prendre quelque chose, il ordonne aux garçons qui ont agrippé les bras de Bijou

— Maman! c’est lui le gardien qui m’a touché! elle me hurle pendant qu’on la tire au loin

***Billy ATTIPOE***

Dire que je suis rentré plus tôt parce que Mode me manquait. Ma femme Églantine a tout fait pour m’en dissuader avec l’argument que je n’ai rien à faire à Lomé de toute façon. Même Thérèse s’en est mêlée. Mais j’ai insisté et voici ce dans quoi je tombe? L’intuition féminine est à respecter. Mon visage est en feu à cause des griffures de cette enfoirée notoire. Ne parlons pas de mon corps qu’elle a roué de coups. Mais l’heure n’est pas à ça. Je dois ramener le cerveau de Mode à l’endroit au plus vite. Dès que nous avons mis pied chez nous j’ai commencé à me défouler sur elle.

— Donc c’est comme ça que tu m’as menti Modestine? Tu as une grande fille comme ça? Une voleuse de surcroît?

-…..

— Une petite gâtée que j’ai voulu aider dans le temps et elle a essayé de me créer les problèmes avec mon patron? C’est ça ta fille? Modestine c’est à toi que je parle!

— Une gâtée tu dis?

— Réponds-moi d’abord concernant le mensonge! Comment tu as une grande fille comme ça à tes 35 ans que tu dis avoir?

— …

— Tu ne veux pas répondre hein, OK prends tes affaires tu dégages de chez moi, je la menace pour la forme, espérant qu’elle se jette à mes pieds et demande pardon. Elle ne l’a pas fait de cette manière mais quand même elle s’est excusée et expliquée.

J’ai glissé quelques billets aux petits jeunes qui sont revenus sans tarder et le soir même je me suis appliquée à détourner l’esprit de Mode de cette histoire. Heureusement, une de mes valises ne contenait que des cadeaux pour elle. En réalité, des effets que Thérèse a achetés à sa mère et je subtilisais en douce. Églantine est assez gâtée par notre fille, elle n’a pas besoin de plus. Les cadeaux, la meilleure parade pour endormir le cerveau d’une femme. Et la seconde valise contenait en partie des effets pour notre bébé. Mon cœur n’est redescendu que lorsqu’elle s’est couchée à mes côtés et avant moi. Une preuve de confiance. Le lendemain je n’étais quand même pas tranquille. Craignant que Bijou revienne faire son tapage, je lui ai proposé qu’on fasse un petit voyage.

— Mais tu viens à peine de rentrer

— Ce n’est pas grave. En réalité, j’étais rentré plus tôt pour t’emmener justement à Accra. Ça va nous faire du bien et j’ai des affaires à régler là-bas

— OK et je dois préparer des affaires pour combien de temps?

— Une semaine ça te plait?

— Oui ça me va, elle dit avec un petit sourire enchanteur

Second degré d’apaisement pour mon cœur. Toutefois je ne perds pas de temps. Le lendemain nous étions en route. Elle n’avait même pas de passeport mais j’ai magouillé à la douane pour qu’on nous laisse passer. Des pays limitrophes et on nous fatigue pour rien quand on veut voyager. Bref, après trois heures et quelques minutes de route, nous voilà à Accra. Un petit stop au Shoprite d’Osu pour récupérer mon ami à qui j’ai confié la recherche de logement. En quelques minutes, nous voilà devant la petite villa à Osu où nous allons nous cacher pour ses six jours. 1700 GH pour le logement, un peu plus de 150000 CFA et il me faudra dépenser environ cent mille pour nous nourrir et déplacer un peu d’ici le retour. C’est environ 60 % de ce que ma fille m’a donné mais ce n’est pas le moment de chipoter. Je tiens à ce bébé que Modestine porte. Les enfants viennent avec leurs chances et je sais que celui-ci m’en apportera beaucoup. En plus elle va me faire aussi un garçon et puis j’aime ma vie avec Mode. Bijou n’était qu’une erreur. Or de question que ça me suive jusqu’ici.

Six jours de paix infinie. Mode et moi avons joué aux amoureux de vingt ans dans la ville d’Accra qui est encore plus chère que dans mes souvenirs. Finalement j’ai dépensé tout ce que Thérèse m’avait laissé, mais ce n’est pas un problème. Nous quittons tôt le septième jour parce que je veux faire un stop à Keta pour récupérer le loyer de mes locataires là-bas. Et quand on voyage avec une femme enceinte, il faut faire plusieurs pauses pipi.

***Modestine EKOUE***

Huit jours à supporter son odeur, son toucher, sa vue, sa personne tout en jouant la comédie, parce que je n’arrivais pas à y croire. Je ne voulais pas l’accepter. Huit jours à endurer et il se permet de me faire des avances alors que le stop c’était pour que je me soulage. Sur un sentier perdu, cet animal me murmurait à l’oreille qu’on peut en profiter rapidement pour un petit coup non. J’ai rapproché ma bouche de son oreille et l’ai mordu si fort que j’ai senti le goût du sang dans ma bouche quand il m’a repoussé avec force tout en criant. La douleur de la chute était violente mais mon corps comme porté par une force étrange a localisé une pierre que j’ai saisie à deux mains. Et sans perdre une seconde, j’ai frappé sa tête. Il est tombé, et je l’ai encore frappé. Et encore. Et une autre fois. Puis encore. Au point de revenir en moi et voir son œil gauche totalement boursoufflé. Je recule vivement par peur, regarde autour de moi, me lève fébrilement malgré le tournis, nettoie le sang sur mon pagne que je jette quelque part puis monte dans la voiture. Je conduis, merci à lui qui avait insisté disant que c’est nécessaire. Je conduis nerveusement et avec crainte, priant Dieu qu’il ait pitié et me laisse arriver à bon port. Passer la douane avec la voiture serait impossible. J’ai bien vu qu’ils surveillaient les papiers de la voiture donc je me suis garée à une distance que je jugeais facile à faire à la marche. Je récupère les papiers de la voiture, le porte-monnaie de Bill que je lui avais pris, mon sac, change en CFA les cedis que Bill avait pris comme loyer chez les gens dans ce village puis je m’avance vers la frontière douanière avec la prière dans mon cœur.

Des billets et beaucoup de mots plus tard, on me laisse entrer à Lomé. Je ne perds pas une seconde. Direction le CHU pour me faire enlever la malédiction qui est en moi. Il est hors de question que j’emmène dans ce monde, l’enfant du violeur de ma fille. Je n’ai pas vécu si longtemps pour me ramasser des malédictions supplémentaires dans ma vieillesse. On me dit qu’aucun gynécologue n’est disponible à 21 heures. Je n’ai pas de temps à perdre donc je continue vers une clinique vers Tokoin. Là-bas je paie une consultation faramineuse pour que le gynécologue me dise qu’on ne peut pas avorter une grossesse de sept mois. Je tape un scandale chez la réceptionniste pour qu’on me rembourse mais ça ne va pas loin. La douleur provoquée par la bousculade de Bill n’est toujours pas passée, donc elle m’empêche d’être efficace. J’allais sortir avec la promesse de revenir demain pour en découdre avec eux, quand une autre réceptionniste a prononcé un nom familier. Aristide Lavigne et c’est un blanc qui se lève.

— Toi? dis-je en lui faisant face. C’est décidément la semaine des rencontres

Il me fixe un peu confus et je lui donne mon nom. Son visage passe à l’étonnement avant de reprendre un air plutôt léger.

— Eh bien, je ne m’attendais pas à te revoir Mode. Tu as bien changé

— C’est à moi de te dire ça. Tu m’as fui sans me…

— Mr Lavigne, j’ai dit que le gynécologue vous attendait, lui dit sèchement la petite insolente de réceptionniste

— Bon bah bonne soirée Mode, le gars me dit et se dirige vers le bureau du gynécologue

Il a menti. Aucune soirée ne sera bonne. Je vais l’attendre de pied ferme dehors. Il ne va pas m’échapper aujourd’hui. Presque une heure plus tard et nombreuses visites de moustiques plus tard, il sort enfin. Va savoir ce qu’un homme fait avec un gynéco pendant une longue heure.

— J’ai besoin de te parler, j’attaque directement quand il semble encore surpris de me voir

— Euh, OK, quel est ton numéro?

— Non maintenant, ça ne prendra pas plus de dix minutes

— Euh…, viens dans ce cas, dit-il et j’emboite son pas. Nous montons à bord d’une Altima. L’âge lui a donné de l’élégance, surtout avec ses cheveux gris sur les tempes et ses yeux noisette. Imogen ne pouvait pas prendre ça.

— Alors? fait-il avec un sourcil arqué

— Tu es père, j’annonce brutalement. Il faut m’excuser, j’ai eu une rude journée

— Oui de trois enfants, merci de me le rappeler

— Rajoute un quatrième. Une en réalité. J’ai eu une fille vingt ans plus tôt

— Attends, tu rigoles? il fait estomaqué

— Quand tu me vois, est-ce que tu lis sur ma face une quelconque envie de blaguer?

— Et c’est vingt ans que tu attends pour me le dire? Vingt putain d’années? Qu’est-ce que tu veux que je fasse après vingt ans?

— Oh tu ne me cries pas dessus hein, je lui hurle en retour. Si tu voulais savoir, il ne fallait pas disparaître du jour au lendemain!

— Comment tu tombes enceinte quand on s’est toujours protégé?

— Ne me saoule pas Aristide. C’est moi qui portais le préservatif ou toi?

— BREF! Tu me prends au dépourvu là Mode. Primo tu savais à l’époque que j’avais une fiancée en France. En plus j’étais en couple avec Eugénie, ton amie!

— TOI aussi BREF! Je te parle d’un enfant et tu me racontes des histoires à dormir debout. Tu ne savais pas toi qu’Eugénie était mon amie quand tu te glissais avec joie entre mes cuisses et ne jurait que par mon toto?

— C’est bon pas besoin d’être vulgaire, maugrée-t-il

— Donne vite ton numéro et viens voir ta fille!

— Je vais faire un test ADN

— Aucun problème, donne juste ton numéro, et prends le mien. On sera prêt quand tu veux

Il me le donne avec beaucoup de réticence mais le fait quand même. Je l’appelle sur place et exige qu’il décroche pour m’assurer qu’il n’a pas menti. Et profitant d’une petite inattention de sa part, je dérobe ses lunettes avant de descendre. C’est dans le taxi même que je lui envoie en photo l’étui puis sors les lunettes pour les prendre aussi en photo. Je ne connais rien sur les marques mais Ari je le connais très bien ainsi que ses goûts grâce à Eugénie. C’est sûr que ses lunettes Randolph ne sont pas simples. Et il me répond en insultes, me confirmant mes suspicions.

Eugénie pour la petite histoire, c’était sa copine. Jadis nous étions quatre filles partageant une chambre et au début de sa relation avec Ari, Eugénie la jouait très discrète. Toutefois personne n’a manqué les grands sourires et les nombreuses sorties qu’elle faisait au chaque trois mois, soit la période où Ari était à Lomé. J’ai joué la carte de l’amie délaissée qui se plaint que sa meilleure amie l’oublie maintenant qu’elle a un gars et sans difficulté elle a commencé à se livrer. Étant de nature bavarde elle livrait tout.

Leurs projets, les cadeaux, les goûts de son gars jusqu’aux choses qu’Ari lui a appris dans la chambre. À l’inverse, j’embellissais les faits que je vivais dans mon semblant de relation à l’époque, histoire de lui faire croire qu’on se partageait des choses entre copines. J’étais là quand elle est tombée enceinte de Seb. D’ailleurs c’est moi qui lui ai montré comment dérouler le préservatif sur la verge avec la bouche et en profiter pour subtilement faire une petite entaille tout en prétextant une bonne pipe. C’est une variante de cette technique que j’ai utilisée pour prendre la grossesse d’Imogen, parce que le type était formel. Il ne comptait pas avoir d’enfants avec une autre que sa vilaine fiancée. Mais nous mousser, ça ne le gênait pas. Je n’ai même pas eu de difficulté à l’avoir. En pleine grossesse avec Seb, je l’ai approché indirectement et quatre tentatives il nous payait un hôtel pour une heure. Bref ça n’a même pas duré entre nous. Trois mois plus tard, j’apprenais d’Eugénie qu’il était parti pour régler ses problèmes de couple et n’a pas donné de date fixe pour son retour. Eugénie a pris sa route avec un Seb de deux ans dans les bras et j’ai pris la mienne avec ma grossesse que j’ai publiquement attribuée à un militaire dans le fin fond de Kara. Maintenant que j’y pense, peut-être qu’Eugénie m’a menti? Peut-être qu’elle avait découvert le pot aux roses? Sinon qu’est-ce qu’il fait à Lomé?

De retour chez moi, je ne perds pas une minute pour bien me laver, enlever l’odeur de Bill que je sens encore sur moi et faire le recensement des biens dans cette maison. Mon cerveau ne veut pas se reposer, autant le mettre à profit. À vu d’œil j’estime que je peux récupérer un million et quelques trois cent mille si je vends quelques effets ici. Hors de question que je m’éternise pour qu’on vienne me prendre. Pendant que je range les affaires à vendre dans un coin, une idée me vient. Je saute sur mon téléphone à la recherche du numéro d’une ancienne cochambreuse qui connaît également Eugénie. Si Ari veut jouer à chat, je vais lui montrer qu’une souris ne se fatigue pas. Le retrouver ne sera pas un problème. Et je vais le séduire. Oui, pourquoi pas. Je suis encore fraîche. Jadis, il reniait tous ses parents quand je montais sur lui. Ça, je sais encore très bien le faire même si le souvenir de moi sur Bill me donne le dégoût. Mais avant ça, je vais me débarrasser de ce déchet en moi. C’est la priorité.

Le lendemain, je suis dehors à la recherche d’un établissement sanitaire qui veuille bien me décharger de ce fardeau que j’ai en mon sein. On me ballote comme une sans famille partout où je vais. J’en ai marre d’entendre les refus sous prétexte que ma santé ci, ça. Les gens mettent au monde des mort-nés mais leur santé ne fait pas défaut. C’est moi ma santé qui les dérange, au lieu de juste demander un cachet plus grand. Brusquement les Togolais connaissent la loi de A à Z pfff! J’allais abandonner pour cette journée quand je tombe enfin sur une petite clinique à Klikamé. Enfin on me fixe un rendez-vous. Deux jours plus tard, à 8 heures, je paie 80.000 pour la procédure. J’ai bien expliqué à la dame que je ne voulais pas les choses de pilule, mais elle a insisté que même pour la procédure chirurgicale, il me faut prendre une pilule et attendre trois heures que mon cervix soit détendu. J’ai fait semblant de le prendre. On connaît les choses des pilules. Tu prends et tu meurs après là, jamais. Elle m’a fait attendre trois heures et donné encore de l’ibuprofène. Je l’ai pris, connaissant celui-là au moins. Encore une heure de patience. Je n’en pouvais plus à la fin. Tout ça pour curetage que mes amies faisaient tout le temps dans notre jeunesse? Les choses ont changé oh.

Enfin on me prépare pour cette foutue opération. Je ne devais pas avoir trop mal, c’est ce qu’elle m’avait dit avant de commencer en tout cas. Mais dire que je n’ai rien senti quand elle m’insérait leur outil bizarre là, c’est mentir. Rien comparable à un accouchement quand même donc j’ai serré mes dents durant toute l’opération. Elle a insisté que j’attende encore trois heures avant de m’en aller mais c’était mal me connaître. Hors de question que je perde toute la journée ici. Je vais directement prendre du para contre les crampes que je ressentais dans le taxi et je me couche.

***Imogen EKOUE***

Les jours où on n’a pas de travail, je m’ennuie trop à l’atelier. Les gars parlent seulement de toto ou bien comment ils vont dépenser l’argent quand on aura un bon contrat. J’ai toto, je vais parler de ça pourquoi? Je dépense seulement l’argent pour manger ou Joyau. Sinon la dernière fois j’ai prêté un peu à Bijou pour qu’elle loue quelque chose. En tout cas tout ça ne suffit pas pour avoir une conversation avec les gens. Donc je suis rentrée à la maison même s’il était 14 heures. J’ouvre le portail et dès que je suis proche de la porte de Mode, ce sont les cris que j’entends. Affaire de toto là, c’est bon comme ça et puis elle refuse de prendre la retraite malgré le ventre?

En tout cas, j’ai les choses à faire. Erxemple : laver les assiettes d’hier avant que Jeanne rentre m’insulter. Je frotte et oh Mode continue seulement à crier. Son affaire de toto d’aujourd’hui, on dirait le tonton ne fait pas ça doucement. Je continue à frotter le bas de la marmite avec le savon couvert de cendre avant de me rappeler que mais la voiture du tonton n’est pas ici. Yooo donc Mode fait avec qui? Je me lève, regarde sa porte pendant plusieurs minutes. Bon ça ne me regarde pas. Je vais me laver et à la sortie, Mode crie encore. Comme ça là c’est déjà bon. Elle a trop fait aujourd’hui. Je tape donc la porte.

— Aiiiidezzz-moiiii, elle crie

— Mode c’est Imo. Viens ouvrir! je dis en bougeant la portière mais elle ne fait que crier

La folle a encore fermé sa porte or, elle était seule à la maison. Je cours chercher mon marteau et sans difficulté je fais sauter la serrure comme je l’avais avec notre porte quand elle avait changé les verrous. Elle se traîne au sol. Son pagne est taché de beaucoup de sang qui me fait peur. J’essaie de l’aider à se lever mais ça ne marche pas donc je file chercher de l’aide. Mode nous a laissés dans la voiture. Elle a quitté quand le taxi filait pour nous emmener à l’hôpital. Le médecin qui a constaté le décès a dit qu’ils peuvent faire des examens pour déterminer les causes du décès.

Dire ça à Jeanne c’était bizarre. Comme d’habitude, elle a beaucoup pleuré. Joyau pas du tout. Moi non plus mais c’est parce que je ne comprends pas. Mode était quand même bien quand je partais ce matin, je l’ai même vu. J’ai pensé à ce qu’elle avait dit à Jeanne et j’ai bien ri puis elle a poussé un juron avant de me rappeler qu’il faut quitter sa maison. Notre querelle habituelle quoi. C’est quelle maladie qui a tué comme ça. C’est Jeanne qui a prévenu Bijou par téléphone. Elle n’avait pas de mots il paraît. Trop bizarre.

***George SANI***

Mine de rien, le temps s’est rapidement écoulé depuis que j’ai reçu le fameux avis d’assignation. Bien que la HSBC ne fut pas coopérative, j’ai réussi à régler le dû de l’avocat de ma poche ainsi qu’avec l’aide du loyer que perçoit maman grâce à la maison que papa lui avait construite. C’est ma seconde rencontre officielle avec l’avocat et le sujet à l’ordre du jour, c’est ma réponse. Pour ma part, elle est déjà claire, hors de question de laisser ses vautours me dépouiller. Je ne vois même pas pourquoi l’avocat tient à me rencontrer pour écrire quelque chose de si simple, mais bon me voilà, accompagné de maman.

– J’ai pris connaissance du dossier, y compris les réclamations du demandeur, et j’aimerais entendre votre version concernant le livret d’épargne que votre père détenait à la HSBC

– Vous avez appris son existence comment? je réponds étonné

– Je suppose que vous n’avez pas lu l’avis qu’on vous avait remis?

– Si, mais je n’ai rien compris

– Ah. Il est mentionné qu’on vous accuse de dissimulation d’un bien…

– Mensonge! l’interrompt maman avec fougue

– Laisse qu’il finisse de nous expliquer, je lui réponds calmement en dépit de l’agitation qui se passe dans mon cerveau à l’heure actuelle

– soit le livret d’épargne que Mr Martin SANI avait ouvert à la HSBC, ainsi que d’usage de manœuvre frauduleuse dans le but de spolier les autres héritiers. De ce fait, l’héritière Mireille SANI réclame une restitution des sommes prélevées sur le compte en question

– Je peux mettre la main sur le cœur et vous dire que jamais je n’ai volé Mr l’avocat. Cette femme non contente d’avoir tué mon père veut aujourd’hui reporter sa vengeance sur nous parce que le défunt voulait se séparer d’elle. C’est en réalité ça son problème. Et je vous rassure que de son vivant, mon père m’avait lui-même dressé une procuration pour ce compte, vu que sa condition physique ne lui permettait pas de se déplacer pour accomplir certaines opérations

– OK, et avez-vous une copie de cette procuration?

– Je vous l’enverrai par courriel dès que je rentre

– Bien. Et combien avez-vous retiré du compte en question?

– Euh, disons entre 8000 et 12000 euros, je ne suis pas sûr. Pourquoi?

– Ils vous accusent de détournement Mr, ils vont donc mentionner toutes les opérations réalisées sur ce compte depuis que vous y avez eu accès

– Mais c’est le compte de son papa, où est le problème? intervient maman

– Le compte de son père une fois décédé devient un bien qui doit être inscrit dans la succession. Le fait qu’il ne l’ait pas mentionné au notaire laisse entendre qu’il avait de priver les autres héritiers

– Donc quelqu’un a travaillé son argent durant toute sa vie et il ne peut pas choisir à qui le donner maintenant? S’il vous plaît hein, c’est quel nouveau droit ça? maman continue comme si elle connaissait quelque chose au droit

– Le droit sur la succession est en vigueur depuis des années, madame. Une fois qu’il a reconnu ses enfants, un père ne peut les renier. Bien sûr, il a le droit d’accorder à qui il veut, les biens qu’il souhaite, mais il devait le mentionner dans un testament, ce qui n’est pas le cas de Mr

– Martin tu vois dans quoi tu nous laisses, eh, pourquoi après tant d’années à t’épauler tu nous fais ça en partant comme ça, se lamente-t-elle

– Finissons d’abord maman, je la rappelle à la raison. Maitre, j’insiste, je n’ai rien volé. Mon père avait confiance en moi, raison pour laquelle il m’a octroyé le privilège de prendre en charge ses affaires. Ce n’est pas ma faute si ses autres fils n’étaient pas comme moi. Rappelez-vous de le mentionner dans votre plaidoirie

– Avez-vous des preuves que les fonds retirés ont servi à votre père? Je donne un exemple, des factures d’hôpital, médicaments, un séjour, bref vous voyez un peu

– J’ai fait un acompte pour un logement à Cotonou, mais il est au nom de ma mère, je dis et il plisse légèrement le visage

– Et rien d’autre en dehors de ça?

– Monsieur l’avocat, vous aussi il faut comprendre mon fils, on est au pays quand même. On règle beaucoup de choses sans forcément avoir de reçus formels

– Madame c’est bien parce que je le comprends et veux lui assurer une bonne défense que je l’interroge. À votre tour, vous devez aussi comprendre que ce dont on accuse votre fils n’est certes pas un délit passible d’emprisonnement, mais ça reste un délit civil. Et s’il est reconnu coupable, il se verra privé de sa part sur ce compte contrairement aux héritiers, mais en plus il devra rembourser ce qu’il a perçu et si le juge le décide, il peut écoper d’autres sanctions.

– Woyo, Dieu ne laissera pas que ça arrive là-bas pardon, il ne laisse pas les veuves dans la souffrance, lui répond maman

– Si vous n’avez que les preuves citées aujourd’hui, je recommande une médiation entre les deux parties afin de régler à l’amiable les…

– Jamais! je m’insurge. Il n’y a aucune amitié entre nous pour qu’on me parle de médiation

– Tout à fait! Les États-Unis ne négocient pas avec les terroristes, maman m’appuie

– OK, dans ce cas, je vais transmettre au tribunal que vous contestez la demande

– Et dites leur bien dans la réponse que je suis innocent et que cette femme a tué mon père

– Faites-moi parvenir vos preuves au plus tôt, Monsieur

– OK, c’est tout?

– Oui je m’occuperai du protocole d’instance par la suite, et normalement nous passerons à l’audience. Si votre présence est requise, je vous en ferai part

Nous échangeons quelques banalités par la suite avant de prendre congé de lui. Je lui ai transmis sans tarder ses preuves une fois à la maison. Il était 20 heures dépassé quand je suis sorti du bureau. Mon but c’était de me diriger directement en chambre, parce que Yasmine ne faisait que me chauffer avec les photos coquines durant la journée, mais maman avait une autre idée en tête. Elle me prend la main et dit qu’on doit parler.

– Après maman, je suis occupé

– Mais tu viens de sortir du bureau, comment tu es encore occupé?

– J’ai quelque chose à faire dans la chambre, toi-même tu ne regardais pas la télé avec les filles?

– George on dit que l’affaire est sérieuse tu me parles de télé tchrr. Écoute-moi, la tête que ton avocat faisait aujourd’hui j’ai pas aimé. Je ne pense pas que ce monsieur va bien faire le travail. On dirait il ne nous aime pas

– Chéri? Yasmine m’appelle de sa voix suave depuis la chambre. Elle s’est décidée à trouver du travail finalement donc l’amour renaît entre nous

– George! tonne maman me ramenant avec elle

– Maintenant s’il ne nous aime pas, tu veux que ça me fasse quoi? L’essentiel c’est qu’il aime l’argent donc il fera son travail pour qu’on gagne. Tu t’inquiètes trop, dis-je avec l’intention de la feinter, mais elle me rebloque l’ouverture de passage que je visais

– N’ait pas peur de quelqu’un qui a tué hein. Reste là. Bref j’ai contacté Arthur mon neveu quand tu étais au bureau. Comme il travaille dans un grand cabinet d’architecture, je lui ai demandé de l’aide et il nous a donné rendez-vous demain entre dix heures et midi donc…

– George chéri? Je dors ou? Yasmine me relance

– OK ok maman, j’ai entendu, je m’empresse de dire et la dépasse. Bien sûr, elle pousse un juron derrière, mais j’ai déjà oublié dès que j’entre en Yasmine.

Le lendemain, maman en revanche n’a pas oublié. Moi à la trentaine révolue, je dois aller chez un petit de 26 ans, pour lui parler de mon problème. Et quel problème en plus.

– Tu vas arrêter de bavarder dans mes oreilles oui, me gronde maman après ma tirade

– On va aller là-bas pour qu’un petit connaisse tout de notre vie intime maman, un petit! Moi à mon âge c’est un gamin qui va me conseiller quoi

– Continue bien à gonfler comme le coq, pourtant c’est toi qui me récites tes problèmes d’argent au point de prêter chez moi

– Les deux prêts là que j’ai fait et c’est fini? Je ne vais plus entendre?

– Si tu veux entendre, il faut te taire aussi

Je garde ma bouche zippée et la mâchoire contractée durant tout le trajet qui nous mène au cabinet MATAO. 26 ans, ça me reste au travers de la gorge. Nous entrons et voilà le réceptionniste qui demande une pièce d’identité à maman après que cette dernière venait de donner son nom.

– Pour quoi faire?

– Nous devons confirmer les identités des visiteurs s’il vous plaît, nous répond-il

– Et depuis quand on confirme identité dans Lomé?

– C’est notre protocole monsieur

– Mais vous vous prenez hein. L’état vous a dit qu’ici c’est un bureau administratif ou bien?

– Eh George du calme non! Voilà monsieur, s’il vous plaît pardonnez mon fils, maman s’empresse de dire et lui remet sa carte d’identité

– Aucun problème, l’abruti se permet de répondre à maman sans même nous regarder. Quand je construisais, je suis venu dans ce cabinet et leurs prix m’ont repoussé. Je vois qu’ils se prennent toujours autant. C’est Germaine SODJI ou SANI? le con demande à Maman

– SANI ou SODJI, dites seulement Germaine à mon neveu et il saura

– Bien, asseyez-vous, je vais informer Mr SODJI, il dit et nous fait signe de la tête vers le Lobby.

En allant nous installer, on tombe sur l’un des fils de mon père. Je pense que c’est Ezra celui-ci. Il contracte aussi sa mâchoire et fixe droit devant lui comme si nous n’existions pas. Il vient faire quoi là, c’est plutôt la question que je me pose. Arthur nous reçoit enfin. Je l’ai déjà vu dans le passé, mais il n’était qu’un ado. Là c’est un homme et franchement, il match bien avec ce cabinet dans ce haut jaune moutarde qu’il a en bas de sa veste grise. Criard pour rien.

– C’est quoi cette histoire de protocole comme si on était à Versailles là? je l’interroge dès qu’on s’installe

– Yeee George, quelqu’un a ses règles pour son cabinet et ça te fait mal comme ça, dit maman

– Non, mais il faut le dire. En plus votre réceptionniste guindé là nous a mal reçus

– Il n’y a pas de souci ma tante, il dit avec un sourire amusé. En fait un ancien employé a fait entrer ici des gens qui nous ont volés et depuis les règles ont changé

– Han voilà! me dit maman comme si ça explique quelque chose

Bref nous commençons…

***Eben Ezer TOUNTIAN***

C’est en colère que maman m’a dénoncé Maria, enfin Bijou, bref la fille avec qui Fabien vit. D’un côté j’ai du mal à visualiser mon oncle comme un violeur, mais Axel m’a rapporté qu’un certain George s’est présenté après l’enterrement de tonton. Et il a confirmé avec un test ADN à l’appui qu’il est le fils de mon oncle. Maintenant de là à dire qu’il a abusé d’une fille, alors qu’il m’a pris sous son aile quand je me suis retrouvé orphelin de père, c’est difficile à comprendre.

Autant que je reprenne la rédaction de ce rapport que je dois envoyer à Mr WANKE surtout qu’il ne me reste qu’une heure et douze minutes pour arriver à Porto. Je rentre de Cascais, où j’étais pour visiter une maison en face de la marina que Mr compte acheter. Il m’a pris un peu par surprise en me le demandant, mais pour la grande générosité dont ses gens ont fait preuve à mon égard, je ne pouvais refuser. Je mets le point final au rapport quand le bus se garait au terminus. Fatigué comme je suis j’opte plutôt pour un taxi pour rentrer chez moi ou Bruce fait encore couiner l’enfant des gens. Dès qu’il a trouvé du travail mon frère s’est appliqué à faire du sale dans ce pays et depuis il ne se calme pas. Toutes les nationalités y passent. Il rigole qu’à défaut d’avoir l’argent pour visiter tous les pays, il goûte aux saveurs locales entre leurs cuisses. En résumé c’est un bon queutard. Pour ma part, je me suis fatigué des coucheries à n’en plus finir après un moment. Contrairement à Bruce, j’ai une date fixée pour mon retour. Et aucune envie de m’attacher à quelqu’un qui ne voudra pas par la suite rentrer dans mon pays donc, je garde mes relations strictement professionnelles ou amicales.

Comme il fait couiner la fille n’importe comment, je ne peux appeler Mr WANKE dans le désordre là, donc j’en profite pour me mettre quelque chose dans le ventre et lire mes messages. Fabien qui me confirme qu’on a étendu le temps qu’ils doivent faire à Pia pour la construction d’une nouvelle école, Hilda qui me rappelle de ne pas oublier la commande Sephora pour son anniversaire, et Axel qui répond à mes messages, concernant Ezra. Je pensais Josh insupportable, mais Ezra est à un autre niveau quoiqu’il n’a pas le côté fainéant que Josh croit cacher avec ses grands airs et muscles. Ezra est juste borné. Excessivement borné à vrai dire. Normalement lui et Allen devaient partir en France pour l’université, mais il a décidé de se retirer. Pourquoi? Parce qu’on veut voler sa mère donc il reste à Lomé pour la défendre. L’intention est louable, mais malgré tout ce qu’on lui explique il ne veut rien entendre. Et Axel me dit que non seulement il ne donne le temps à personne de le contredire dessus, mais il ne cesse de se promener dans la ville à la recherche d’un emploi. Bref, les lapins viennent de se calmer. Mr WANKE est en ligne sur Whatsapp aussi donc j’en profite pour l’appeler maintenant. Le coup de pression monte quand il demande que je rappelle en vidéo. Il est avec sa femme et j’ai tout d’un coup l’impression que je vais jouer ma vie lol. Cette femme aime intimider les gens par son regard, va savoir pourquoi.

En dix à vingt minutes, je leur explique en profondeur les détails que j’ai énumérés sur le rapport que je lui ai envoyé pendant que je mangeais. Par détails, je parle de l’aspect du logement, la distance aux transports, le quartier, les types de rénovations qu’il faudra faire, et le reste de ce qu’ils devront fournir pour compléter l’achat. Je leur recommande aussi deux agents immobiliers sur qui j’avais déjà fait des recherches extensives.

– Et que fera l’agent immobilier? Monsieur me questionne

– Négocier avec le vendeur pour vous au besoin, vous accompagner dans le processus d’achat et conseiller sur…

– L’accompagnement ce n’est pas aussi ce que tu fais? sa femme intervient

– Et nous ne comptons pas acheter à crédit, donc la partie de négociation n’est pas si nécessaire

Les attitudes des entrepreneurs chinois, je pense intérieurement. Ce sont d’eux que j’ai entendu la phrase pas de crédit dans ma vie. Une maison peut coûter 500000 euros, et ils l’achèteront cash, sans discuter.

– OK, dans ce cas, je peux m’occuper du reste

– Envoie-moi tes honoraires dans la semaine alors et je te prépare le virement

– Pardon? fais-je encore surpris

– C’est le bénévolat que tu fais là-bas? sa femme me demande sur un ton ennuyé

– Euh non, c’est que, enfin ce n’est pas nécessaire. Je vous rendais juste un service

– C’est quoi ce comportement paupérisant?

– Enfin Raïssa, la reprend son mari

– Demande-lui plutôt s’il veut rester pauvre à vie

– Est-ce qu’il t’a dit qu’il est pauvre?

– Le compte en banque peut être garni, mais s’il a une mentalité qui ne sait pas reconnaître les opportunités qu’on lui donne, qu’est-ce que ça change? Il est pauvre, elle dit et je souris. J’ai tellement entendu des remarques acerbes de cette femme que beaucoup sont devenus des compliments dans mes oreilles

– Je vous enverrai mes honoraires demain

– Enfin il se réveille

– Et tu ne te sens jamais mal en plus, son mari lui reproche avec un sourire

– J’aimerais vous demander un service si possible, j’ose.

– On t’écoute

– J’ai un petit frère de 20 ans qui n’a pas d’expérience professionnelle, mais cherche un emploi. C’est un vrai bosseur, si vous pouviez lui trouver quelque chose, quelle que soit la nature, et en échange, je vous facture la moitié de mes honoraires

– Quel est son nom?

– Ezra SANI

– Encore lui? dit sa femme

– Vous le connaissez? je m’étonne

– Il s’est fait remarquer en me faisant part d’accusations sérieuses suite au décès de son père

– C’est pas vrai, excusez-le, il est perturbé dernièrement, dis-je en me tapant la face

– Je n’engage pas les sans expérience chez moi, elle dit

– Je comprends, mais permettez que j’insiste. S’il veut tant travailler, c’est pour défendre les intérêts de sa mère. Il semble que mon oncle avait une autre famille et ses derniers se sont lancés dans une guerre à l’héritage avec ma tante

– Ah ces fameuses guerres d’héritage, il semble que c’est la coutume depuis la nuit des temps, commente Mr WANKE

– Donc l’oncle a fait le mariole, sans penser à protéger sa famille et les termites sortent de terre pour manger maintenant qu’il n’est plus?

– On ne parle pas des morts comme ça, lui rappelle son mari

– Reste dans ton sentimentalisme. Je veux bien considérer le cas de cet Ezra

– Merci, vous n’allez pas le regretter

Je m’empresse d’écrire à Axel pour lui annoncer la nouvelle et il me confirme qu’Ezra est prêt à commencer n’importe quand, quel que soit le poste. Mme WANKE me répond par message le lendemain matin qu’il peut passer en soirée, ce que je me presse aussi de lui dire, tout en le mettant vivement en garde de ne rien faire là-bas pour me honnir.

***Raïssa WANKE***

Onze heures et treize, je sortais de ma piscine quand on m’a annoncé la venue de cet Ezra SANI. On ne pourra pas dire qu’il n’est pas sérieux. Un dimanche, il s’est pointé en chemise cravate avec l’air le plus déterminé que j’ai vu depuis un moment.

– Qu’est-ce que tu cherches comme poste toi?

– Je veux juste gagner de l’argent madame. Quel que soit le poste, je veux beaucoup d’argent

– Et pourquoi?

– Deux choses. Engager un détective pour retrouver Jeanne, la fille qui a provoqué la noyade de mon père puis un bon avocat pour nous défendre contre George et Germaine SODJI

– Qu’est-ce que tu viens de dire? me répétai-je après avoir échappé mon verre à l’évocation de ce nom

– L’argent! J’en ai besoin pour….

– Germaine SODJI, c’est quelqu’un que tu côtoies?

– C’est la femme qui se dit être la mère du fils de mon père. Ils veulent nous diviser et mettre la discorde entre nous maintenant que papa n’est plus. Je ne vais pas le permettre

– Est-ce que tu es bon en maths?

– Je le serai

– Bien. Je vais te former en économétrie financière. Demain je t’attends ici à 8 h. Je te préviens, je déteste les ignares

– Je ne le serai pas

– Et applique-toi à me trouver où réside Germaine SODJI

– Euh…

– Je déteste qu’on me questionne quand j’ai formulé une demande

– D’accord, je le ferai

Je lui donne congé et pour célébrer cette victoire qui se pointe à l’horizon je descends toute seule une bouteille de jus de pommes.

***Germaine SODJI/SANI***

On ne peut pas avoir un enfant aussi têtu que George. Arthur voulait bien nous aider, il a même recommandé un avocat, mais George "Mr c’est moi le grand frère" a refusé d’écouter. Voilà qu’on vient de finir l’audience, et son avocat nous répète qu’on peut encore demander la tenue d’une conférence de règlement à l’amiable.

– C’est celui-là que tu appelles un avocat George? Il ne nous défend même pas, je murmure fâchée alors qu’on se dirige dehors

– Ce n’est que le début non maman. Il attend de bien voir leur stratégie avant de les clouer sur place

– C’est la stratégie qu’il attend et il vient encore parler d’amitié ici tchrrr, en tout cas je t’ai déjà prévenu. Ne viens pas me demander le prêt pour le payer si on perd, je lui dis la mine renfrognée face surtout quand mon visage croise celui de l’autre Mireille là et ses deux garçons qui osent nous regarder comme si nous étions des moins que rien.

Nous sortons du palais de justice et voilà une rangée de policiers arrêtés devant. Je demandais s’il y’avait un accident dans le coin et j’entends qu’on demande qui est Germaine SODJI.

– C’est elle, répond l’un des fils de Mireille

Mon visage se décompose quand je vois Raïssa avancer au milieu de ses policiers. Mon cœur cogne si vite que je n’arrive pas à ouvrir la bouche.

– Well, well, well, comme on se retrouve hein Bitch, elle me dit avec un sourire narquois. Passez-lui les menottes

– Geo… rge…, je bégaie tout en essayant de m’accrocher à mon fils et ce dernier me tient, mais les policiers le dégagent avec force

Il se redresse pour se battre, tout en leur criant son indignation et profère des menaces, mais ils me menottent, devant tous les passants, Mireille, les enfants, mon fils qu’on malmène. Ils me menottent et tous les regards sont braqués sur moi.

– Espèce de charognards vendus! Vous n’avez pas honte? Une vieille dame vous la prenez pour une histoire d’héritage quand celle-ci Mireille SANI a tué son mari? s’indigne mon fils pendant qu’on me traîne loin

Je n’arrive pas à le croire. C’est vraiment à moi que ça arrive? Pourquoi je me suis levée ce matin au lieu de rester dans mon lit?

***Raïssa WANKE***

Je laisse des consignes claires au chef de police du commissariat central. Elle reste en garde à vue sans possibilité de libération pour le moment. Je finis une seconde bouteille de jus de pommes pour célébrer la moitié de ma victoire. Je ne peux pas dire que les bons comptes font les bons amis, car je ne considère personne comme mon ami. Toutefois j’aime les bons comptes. Donc j’envoie à Eben les trois mois d’enregistrements de nos caméras de surveillance en lui précisant dans le mail que je ne veux pas de questions. Entre plusieurs insomnies, j’ai eu le temps de revoir ses enregistrements et découvrir quelques détails. Hors de question que j’en parle à cet Ezra. L’existence de ses caméras est un secret que seuls mon mari et moi partageons. Eben en revanche, j’ai confiance qu’il saura agir avec précaution.

D’amour, D’amitié