90 : L’ennemi oh petit à petit s’est dévoilé, Part 2
Ecrit par Gioia
***Bijou EKOUE***
Fabien ne m’a pas cru.
J’ai eu mal dans ma chair, mais je n’ai rien dit. Mais que maman Constance me
traite de menteuse et les jours suivants, m’injurie en plus, je n’ai pas
supporté. Je suis partie à la première occasion sans prévenir. Je n’ai pas de
maison, mais au moins j’ai des économies de mes ventes donc j’ai pris une
chambre d’abord quelque part pour dormir. À la première heure le lendemain,
j’ai appelé Jeanne pour savoir si je peux venir à la maison.
À la base, je ne voulais
pas que maman soit au courant de ma présence à Lomé, mais ce n’est plus d’actualité.
Je n’ai pas assez de moyens pour louer une chambre. Or il me faut un logement
pour aussi reprendre mon commerce. Jeanne m’informe qu’elle dort chez sa
patronne à la demande de cette dernière depuis deux jours parce qu’elle a eu
beaucoup de travail. Mais que je peux aller à la maison parce qu’Imo est
toujours là. L’autre n’a pas de téléphone pour que je l’avertisse donc je suis
les instructions de Jeanne pour me rendre seule chez elles.
Je dois cogner au portail
et sonner plusieurs fois avant qu’on ne m’ouvre. Les yeux de maman
s’arrondissent quand elle me voit. Et les miens aussi face à son ventre ainsi
que ses joues rondes.
– Tu.. tu fais quoi
ici ? Tu viens d’où ?
— Je ne… je ne peux
pas entrer… maman ?
bredouillai-je la gorge serrée par l’émotion
— Mais oui, entre
vite, elle dit et me laisse passer
— Je dis tu sors
d’où ? elle me redemande après avoir
fermé le portail
— De là où j’étais
cachée quand tu m’as renvoyé chez tonton Martin, je lui annonce, le cœur un peu
amer en souvenir de la fois où j’ai essayé de trouver refuge chez elle en vain
— OK l’essentiel
c’est ce que tu es vie. Tes sœurs ne sont pas là hein si ce sont elles que tu
viens voir
— Je sais, ce sont
elles qui m’ont indiqué comment trouver la maison
— Ah…, et la valise
là c’est pour rester combien de temps ?
— Tu me chasses
maman ?
— Non oh, mais mon
mari n’était pas prévenu donc je ne peux pas accueillir les gens comme ça
— Je ne vais pas
rester longtemps, juste le temps de me retrouver
***Modestine EKOUE***
Ça sent l’implication
d’Imogen. Il n’y a que cette petite maudite pour me créer des situations
pareilles. Je suis certes heureuse de voir ma fille mais elle a pris de l’âge.
Et avec l’âge, elle a pris aussi de la maturité. Elle fait vraiment femme. En
tout cas plus que ce qu’elle était il y a quelques années. Or je suis enceinte
jusqu’aux chevilles et incapable de servir Billy au lit depuis mon cinquième
mois de grossesse. Elle ne peut pas s’éterniser ici et risquer de taper dans
l’œil de mon mari. Je refuse. Mais je ne peux pas la jeter dehors non plus donc
je la laisse rester. Billy est actuellement en Afrique du Sud pour voir son
autre femme là ainsi que sa fille. Les deux là j’attends tranquillement d’avoir
mon enfant pour leur faire plier bagage. Elles ont abandonné Billy depuis et
pourtant leurs doigts n’oublient pas son numéro chaque mois quand il faut
demander l’argent. Une vilaine fille plus sa maman tout aussi laide, c’est à se
demander si Billy avait les écailles dans les yeux quand il l’a vu ou c’était
juste sa femme de galère. Bref je vais lui donner une fille, chose qui ne le
réjouit pas mais j’ai déjà promis qu’on essaiera encore pour un deuxième
enfant, vu qu’il tient à son garçon. Et il y a qu’à voir mes quatre pour rester
serein. Je n’ai jamais fait de fille vilaine. Même Bijou malgré ses jambes
musclées on dirait deux cannettes de coca, a un visage très agréable à
regarder.
Elle a fait trois jours.
Je trouve ça suffisant donc je lui ai annoncé le soir du troisième qu’elle doit
s’en aller demain parce que mon mari rentre.
— Ton mari rentre
donc tu jettes ta fille dehors ? Ta propre
fille ?
— Tu n’as pas honte
Jeanne ? Si à vos grands âges de 23 et
21 ans vous vous appelez enfants, Joyau va s’appeler comment ? Je suis la seule femme qui a eu des enfants sur
cette terre et vous vous collez forcé à moi comme ça ? Ou je dois payer quelle taxe pour qu’on me
laisse enfin respirer orrhh ! Vous énervez
— Là où je travaille,
la maman appelle sa fille de trente ans ma petite perle. Sa seconde de 23 ans,
mon petit poussin, et son garçon de 20 ans, très affectueusement son papa.
Aucun ne vit avec elle et pourtant quand on fait les courses, elle prend ci ou
ça toujours en mentionnant les préférences de ses enfants. Vous n’êtes pas tous
les deux humains ? Pourquoi tu
fais comme si quelqu’un t’a déjà demandé à la mer ? Bijou fait quoi de mal ici pour que ton mari ait du mal à l’accepter dans
la maison ?
— Ne te trompes pas,
tu n’as pas hérité de moi ce comportement de mouton suiveur qui t’a fait
arrêter la troisième en plein trimestre. Qu’on appelle perle, pierre ou même
palourde ailleurs, je ne vais pas suivre. Dans la maison d’un mari, la femme
est reine. Va chercher ta maison où tu feras également la loi
— Brouuurrrr, elle
pousse un juron, quel mari même ? Il t’a doté
chez qui on a vu ?
— Je suis chez mon
mari oh Jeanne, je sais que ça te pique petite jalouse mais digère ça et sors
de chez mon mari pour aller chercher le père de ton rejeton, je lui dis et
quitte leur pièce mais le rire tapageur d’Imogen ne tarde pas donc je m’arrête
en chemin pour entendre s’il y’a une suite.
— Je vais te
blesser, Jeanne l’avertit comme quelqu’un qui est au bord des larmes
— Oueh Jeanne, je
comprends jamais comment tu fais tes choses, Imogen continue avec son rire
moqueur. Ton cœur n’accepte pas les choses mais c’est toi tu aimes beaucoup
parler
— Fous-moi la paix
tchrrr. Est-ce que ce que maman fait c’est normal pour qu’on ne parle pas ?
— Voilà tu as parlé
Mode t’a donné maintenant tu veux pleurer krkrkr
C’est le début des
chicanes, des « oh Jeanne je
n’ai pas la force laisse mes jambes » d’Imo qui
continue à rire or je pense qu’on la frappe, « vous aussi arrêtez, Joyau vous regarde » de Bijou
puis « tu es mauvaise Imo » de Jeanne. Puis le calme revient. Je suppose que
les petites bagarres ont pris fin.
— Joyau oh, quand
quelqu’un n’est pas enfant il est quoi ?
— Imogen, tu es
terrible, Bijou répond
— Euh il est grand,
ou adulte ou parent ? dit Joyau
— Oueh Mode non, tu
es quelqu’un. Madame Belle a les enfants, Mode a les parents
— Et puis c’est ce
qui te fait rire au point de tousser ? Bijou lui
demande
— Il ne faut pas la
regarder, son cerveau ne fonctionne plus correctement
— Vois le bon côté,
de pipi à parent, tu as avancé un peu, Imogen répond encore en riant et je
pense qu’on lui a lancé quelque chose
Je m’en vais. Elles n’ont
rien de bon à dire comme d’habitude. J’aurais pu me débarrasser d’elles si
Billy avait été coopératif quand Imogen me prenait la tête dès le début. Non
elle m’a pris la tête. J’ai déjà prévenu ma fille dans le ventre qu’elle n’a
pas intérêt à lui ressembler. J’ai renvoyé cinq fois Imogen dans cette maison
mais jamais elle n’a quitté. J’ai changé la serrure de sa porte, elle a cassé.
Je ne lui ai jamais remis la clé du portail mais elle grimpait dans l’arbre
devant la maison pour faire le mur et atterrir dans la cour. J’ai donc fait
couper l’arbre mais tous les soirs, elle trouvait un moyen d’entrer et de faire
entrer aussi Joyau. Je me suis fatiguée et le temps de retrouver la motivation
pour reprendre, je suis tombée enceinte. Et Billy m’a dit de les laisser parce
qu’au moins elles me tiennent compagnie quand il est en déplacement. En tout
cas, je m’assure de bien fermer ma porte que je sorte ou j’entre. Avec leur
jalousie qui ne cesse de monter contre moi, je ne serais pas étonnée qu’elles
pensent à me voler.
Le lendemain je me lève
tardivement. Un ventre de sept mois n’est pas facile à porter à mon âge et dire
que je vais devoir recommencer. Ça a intérêt à être un garçon. Et j’attends les
nombreux cadeaux que Billy m’a promis de ce voyage. Au lieu de profiter de ma
grasse matinée pour s’en aller, Bijou était encore à la maison. Pourtant ses
sœurs étaient déjà sorties pour aller écarter les jambes contre un peu de pain
au lieu de travailler comme les filles de leur âge.
— Donc Imogen et
Jeanne t’ont donné la méthode pour me fatiguer hein ?
— J’attendais juste
ton réveil pour te dire au revoir
— Anh… OK, bon bonne
route alors
Elle m’observe un moment,
attendant probablement l’argent mais c’est mal me connaître. Je la suis avec
l’intention de verrouiller le portail derrière elle, mais on sonne dès qu’elle
a la main sur le portail. Elle ouvre, et je vois le dos de Billy en premier.
Des valises à terre. On dirait qu’il parle avec le chauffeur d’un taxi. Or je
ne l’attendais pas aujourd’hui. La voiture démarre enfin, il se retourne avec
un sourire radieux mais ce dernier disparaît. Il paraît comme gelé sur place et
à côté j’entends un rire hystérique de Bijou dont j’avais complètement oublié
la présence.
— Attends, je vois
bien ? Tonton Bill tu es donc en vie ?
— Tonton ? Tu dis quoi Bijou ? Tu connais mon mari ? dis-je le
cœur cognant fort dans ma poitrine
Ses yeux descendent sur
mon ventre et la rancœur avec laquelle elle fixe Bill avant de se jeter sur lui
qui voulait se tourner pour fuir. Il tombe à la renverse et elle se met à le
rouer de coups. L’étrangler tout en l’insultant en larmes. Et moi je suis
tétanisée sur place. Mes oreilles entendent leurs échanges. Elle l’accuse de
plusieurs choses, il la supplie de laisser son cou. J’entends même des passants
s’en mêler et essayer de les séparer mais Bijou se déchaîne comme jamais je ne
l’ai vu le faire de sa vie. J’entends tout mais je n’arrive pas à bouger. J’ai
l’impression d’être ailleurs et ici à la fois. Il arrive à s’arracher de son
emprise grâce à l’aide des passants qui ont réussi à restreindre Bijou.
— Emmenez-moi cette
voleuse sauvageonne loin de moi ! il crie tout
en se nettoyant la bouche ensanglantée avec la manche de sa chemise
— C’est moi le voleur
ou toi qui m’as volé alors que tu avais promis de m’aider ? Laissez-moi le…
— Les jeunes allez
me la jeter ailleurs et revenez prendre quelque chose, il ordonne aux garçons
qui ont agrippé les bras de Bijou
— Maman ! c’est lui le gardien qui m’a touché ! elle me hurle pendant qu’on la tire au loin
***Billy ATTIPOE***
Dire que je suis rentré
plus tôt parce que Mode me manquait. Ma femme Églantine a tout fait pour m’en
dissuader avec l’argument que je n’ai rien à faire à Lomé de toute façon. Même
Thérèse s’en est mêlée. Mais j’ai insisté et voici ce dans quoi je tombe ? L’intuition féminine est à respecter. Mon visage
est en feu à cause des griffures de cette enfoirée notoire. Ne parlons pas de
mon corps qu’elle a roué de coups. Mais l’heure n’est pas à ça. Je dois ramener
le cerveau de Mode à l’endroit au plus vite. Dès que nous avons mis pied chez
nous j’ai commencé à me défouler sur elle.
— Donc c’est comme
ça que tu m’as menti Modestine ? Tu as une
grande fille comme ça ? Une voleuse
de surcroît ?
-…..
— Une petite gâtée
que j’ai voulu aider dans le temps et elle a essayé de me créer les problèmes
avec mon patron ? C’est ça ta
fille ? Modestine c’est à toi que je
parle !
— Une gâtée tu dis ?
— Réponds-moi
d’abord concernant le mensonge ! Comment tu as
une grande fille comme ça à tes 35 ans que tu dis avoir ?
— …
— Tu ne veux pas
répondre hein, OK prends tes affaires tu dégages de chez moi, je la menace pour
la forme, espérant qu’elle se jette à mes pieds et demande pardon. Elle ne l’a
pas fait de cette manière mais quand même elle s’est excusée et expliquée.
J’ai glissé quelques
billets aux petits jeunes qui sont revenus sans tarder et le soir même je me
suis appliquée à détourner l’esprit de Mode de cette histoire. Heureusement,
une de mes valises ne contenait que des cadeaux pour elle. En réalité, des
effets que Thérèse a achetés à sa mère et je subtilisais en douce. Églantine
est assez gâtée par notre fille, elle n’a pas besoin de plus. Les cadeaux, la
meilleure parade pour endormir le cerveau d’une femme. Et la seconde valise
contenait en partie des effets pour notre bébé. Mon cœur n’est redescendu que
lorsqu’elle s’est couchée à mes côtés et avant moi. Une preuve de confiance. Le
lendemain je n’étais quand même pas tranquille. Craignant que Bijou revienne
faire son tapage, je lui ai proposé qu’on fasse un petit voyage.
— Mais tu viens à
peine de rentrer
— Ce n’est pas
grave. En réalité, j’étais rentré plus tôt pour t’emmener justement à Accra. Ça
va nous faire du bien et j’ai des affaires à régler là-bas
— OK et je dois
préparer des affaires pour combien de temps ?
— Une semaine ça te
plait ?
— Oui ça me va, elle
dit avec un petit sourire enchanteur
Second degré d’apaisement
pour mon cœur. Toutefois je ne perds pas de temps. Le lendemain nous étions en
route. Elle n’avait même pas de passeport mais j’ai magouillé à la douane pour
qu’on nous laisse passer. Des pays limitrophes et on nous fatigue pour rien
quand on veut voyager. Bref, après trois heures et quelques minutes de route,
nous voilà à Accra. Un petit stop au Shoprite d’Osu pour récupérer mon ami à
qui j’ai confié la recherche de logement. En quelques minutes, nous voilà
devant la petite villa à Osu où nous allons nous cacher pour ses six jours. 1700 GH₵ pour le logement, un peu plus de 150 000 CFA et il me faudra dépenser environ cent
mille pour nous nourrir et déplacer un peu d’ici le retour. C’est environ 60 %
de ce que ma fille m’a donné mais ce n’est pas le moment de chipoter. Je tiens
à ce bébé que Modestine porte. Les enfants viennent avec leurs chances et je
sais que celui-ci m’en apportera beaucoup. En plus elle va me faire aussi un
garçon et puis j’aime ma vie avec Mode. Bijou n’était qu’une erreur. Or de
question que ça me suive jusqu’ici.
Six jours de paix
infinie. Mode et moi avons joué aux amoureux de vingt ans dans la ville d’Accra
qui est encore plus chère que dans mes souvenirs. Finalement j’ai dépensé tout
ce que Thérèse m’avait laissé, mais ce n’est pas un problème. Nous quittons tôt
le septième jour parce que je veux faire un stop à Keta pour récupérer le loyer
de mes locataires là-bas. Et quand on voyage avec une femme enceinte, il faut
faire plusieurs pauses pipi.
***Modestine EKOUE***
Huit jours à supporter
son odeur, son toucher, sa vue, sa personne tout en jouant la comédie, parce
que je n’arrivais pas à y croire. Je ne voulais pas l’accepter. Huit jours à
endurer et il se permet de me faire des avances alors que le stop c’était pour
que je me soulage. Sur un sentier perdu, cet animal me murmurait à l’oreille
qu’on peut en profiter rapidement pour un petit coup non. J’ai rapproché ma
bouche de son oreille et l’ai mordu si fort que j’ai senti le goût du sang dans
ma bouche quand il m’a repoussé avec force tout en criant. La douleur de la
chute était violente mais mon corps comme porté par une force étrange a
localisé une pierre que j’ai saisie à deux mains. Et sans perdre une seconde,
j’ai frappé sa tête. Il est tombé, et je l’ai encore frappé. Et encore. Et une
autre fois. Puis encore. Au point de revenir en moi et voir son œil gauche
totalement boursoufflé. Je recule vivement par peur, regarde autour de moi, me
lève fébrilement malgré le tournis, nettoie le sang sur mon pagne que je jette
quelque part puis monte dans la voiture. Je conduis, merci à lui qui avait
insisté disant que c’est nécessaire. Je conduis nerveusement et avec crainte,
priant Dieu qu’il ait pitié et me laisse arriver à bon port. Passer la douane
avec la voiture serait impossible. J’ai bien vu qu’ils surveillaient les
papiers de la voiture donc je me suis garée à une distance que je jugeais
facile à faire à la marche. Je récupère les papiers de la voiture, le porte-monnaie
de Bill que je lui avais pris, mon sac, change en CFA les cedis que Bill avait
pris comme loyer chez les gens dans ce village puis je m’avance vers la
frontière douanière avec la prière dans mon cœur.
Des billets et beaucoup
de mots plus tard, on me laisse entrer à Lomé. Je ne perds pas une seconde.
Direction le CHU pour me faire enlever la malédiction qui est en moi. Il est
hors de question que j’emmène dans ce monde, l’enfant du violeur de ma fille.
Je n’ai pas vécu si longtemps pour me ramasser des malédictions supplémentaires
dans ma vieillesse. On me dit qu’aucun gynécologue n’est disponible à 21 heures.
Je n’ai pas de temps à perdre donc je continue vers une clinique vers Tokoin.
Là-bas je paie une consultation faramineuse pour que le gynécologue me dise
qu’on ne peut pas avorter une grossesse de sept mois. Je tape un scandale chez
la réceptionniste pour qu’on me rembourse mais ça ne va pas loin. La douleur provoquée
par la bousculade de Bill n’est toujours pas passée, donc elle m’empêche d’être
efficace. J’allais sortir avec la promesse de revenir demain pour en découdre
avec eux, quand une autre réceptionniste a prononcé un nom familier. Aristide
Lavigne et c’est un blanc qui se lève.
— Toi ? dis-je en lui faisant face. C’est décidément la
semaine des rencontres
Il me fixe un peu confus
et je lui donne mon nom. Son visage passe à l’étonnement avant de reprendre un
air plutôt léger.
— Eh bien, je ne
m’attendais pas à te revoir Mode. Tu as bien changé
— C’est à moi de te
dire ça. Tu m’as fui sans me…
— Mr Lavigne,
j’ai dit que le gynécologue vous attendait, lui dit sèchement la petite
insolente de réceptionniste
— Bon bah bonne
soirée Mode, le gars me dit et se dirige vers le bureau du gynécologue
Il a menti. Aucune soirée
ne sera bonne. Je vais l’attendre de pied ferme dehors. Il ne va pas m’échapper
aujourd’hui. Presque une heure plus tard et nombreuses visites de moustiques
plus tard, il sort enfin. Va savoir ce qu’un homme fait avec un gynéco pendant
une longue heure.
— J’ai besoin de te
parler, j’attaque directement quand il semble encore surpris de me voir
— Euh, OK, quel est
ton numéro ?
— Non maintenant, ça
ne prendra pas plus de dix minutes
— Euh…, viens dans
ce cas, dit-il et j’emboite son pas. Nous montons à bord d’une Altima. L’âge
lui a donné de l’élégance, surtout avec ses cheveux gris sur les tempes et ses
yeux noisette. Imogen ne pouvait pas prendre ça.
— Alors ? fait-il avec un sourcil arqué
— Tu es père,
j’annonce brutalement. Il faut m’excuser, j’ai eu une rude journée
— Oui de trois
enfants, merci de me le rappeler
— Rajoute un
quatrième. Une en réalité. J’ai eu une fille vingt ans plus tôt
— Attends, tu
rigoles ? il fait estomaqué
— Quand tu me vois,
est-ce que tu lis sur ma face une quelconque envie de blaguer ?
— Et c’est vingt ans
que tu attends pour me le dire ? Vingt putain
d’années ? Qu’est-ce que tu veux que je
fasse après vingt ans ?
— Oh tu ne me cries
pas dessus hein, je lui hurle en retour. Si tu voulais savoir, il ne fallait
pas disparaître du jour au lendemain !
— Comment tu tombes
enceinte quand on s’est toujours protégé ?
— Ne me saoule pas
Aristide. C’est moi qui portais le préservatif ou toi ?
— BREF ! Tu me prends au dépourvu là Mode. Primo tu
savais à l’époque que j’avais une fiancée en France. En plus j’étais en couple
avec Eugénie, ton amie !
— TOI aussi BREF ! Je te parle d’un enfant et tu me racontes des
histoires à dormir debout. Tu ne savais pas toi qu’Eugénie était mon
amie quand tu te glissais avec joie entre mes cuisses et ne jurait que par
mon toto ?
— C’est bon pas
besoin d’être vulgaire, maugrée-t-il
— Donne vite ton
numéro et viens voir ta fille !
— Je vais faire un
test ADN
— Aucun problème,
donne juste ton numéro, et prends le mien. On sera prêt quand tu veux
Il me le donne avec
beaucoup de réticence mais le fait quand même. Je l’appelle sur place et exige
qu’il décroche pour m’assurer qu’il n’a pas menti. Et profitant d’une petite
inattention de sa part, je dérobe ses lunettes avant de descendre. C’est dans
le taxi même que je lui envoie en photo l’étui puis sors les lunettes pour les
prendre aussi en photo. Je ne connais rien sur les marques mais Ari je le
connais très bien ainsi que ses goûts grâce à Eugénie. C’est sûr que ses
lunettes Randolph ne sont pas simples. Et il me répond en insultes, me
confirmant mes suspicions.
Eugénie pour la petite
histoire, c’était sa copine. Jadis nous étions quatre filles partageant une
chambre et au début de sa relation avec Ari, Eugénie la jouait très discrète.
Toutefois personne n’a manqué les grands sourires et les nombreuses sorties
qu’elle faisait au chaque trois mois, soit la période où Ari était à Lomé. J’ai
joué la carte de l’amie délaissée qui se plaint que sa meilleure amie l’oublie
maintenant qu’elle a un gars et sans difficulté elle a commencé à se livrer. Étant
de nature bavarde elle livrait tout.
Leurs projets, les
cadeaux, les goûts de son gars jusqu’aux choses qu’Ari lui a appris dans la
chambre. À l’inverse, j’embellissais les faits que je vivais dans mon semblant
de relation à l’époque, histoire de lui faire croire qu’on se partageait des
choses entre copines. J’étais là quand elle est tombée enceinte de Seb.
D’ailleurs c’est moi qui lui ai montré comment dérouler le préservatif sur la
verge avec la bouche et en profiter pour subtilement faire une petite entaille tout
en prétextant une bonne pipe. C’est une variante de cette technique que j’ai
utilisée pour prendre la grossesse d’Imogen, parce que le type était formel. Il
ne comptait pas avoir d’enfants avec une autre que sa vilaine fiancée. Mais
nous mousser, ça ne le gênait pas. Je n’ai même pas eu de difficulté à l’avoir.
En pleine grossesse avec Seb, je l’ai approché indirectement et quatre
tentatives il nous payait un hôtel pour une heure. Bref ça n’a même pas duré
entre nous. Trois mois plus tard, j’apprenais d’Eugénie qu’il était parti pour
régler ses problèmes de couple et n’a pas donné de date fixe pour son retour.
Eugénie a pris sa route avec un Seb de deux ans dans les bras et j’ai pris la
mienne avec ma grossesse que j’ai publiquement attribuée à un militaire dans le
fin fond de Kara. Maintenant que j’y pense, peut-être qu’Eugénie m’a menti ? Peut-être qu’elle avait découvert le pot aux
roses ? Sinon qu’est-ce qu’il fait à
Lomé ?
De retour chez moi, je ne
perds pas une minute pour bien me laver, enlever l’odeur de Bill que je sens
encore sur moi et faire le recensement des biens dans cette maison. Mon cerveau
ne veut pas se reposer, autant le mettre à profit. À vu d’œil j’estime que je
peux récupérer un million et quelques trois cent mille si je vends quelques
effets ici. Hors de question que je m’éternise pour qu’on vienne me prendre.
Pendant que je range les affaires à vendre dans un coin, une idée me vient. Je
saute sur mon téléphone à la recherche du numéro d’une ancienne cochambreuse
qui connaît également Eugénie. Si Ari veut jouer à chat, je vais lui montrer
qu’une souris ne se fatigue pas. Le retrouver ne sera pas un problème. Et je
vais le séduire. Oui, pourquoi pas. Je suis encore fraîche. Jadis, il reniait
tous ses parents quand je montais sur lui. Ça, je sais encore très bien le
faire même si le souvenir de moi sur Bill me donne le dégoût. Mais avant ça, je
vais me débarrasser de ce déchet en moi. C’est la priorité.
Le lendemain, je suis
dehors à la recherche d’un établissement sanitaire qui veuille bien me
décharger de ce fardeau que j’ai en mon sein. On me ballote comme une sans
famille partout où je vais. J’en ai marre d’entendre les refus sous prétexte
que ma santé ci, ça. Les gens mettent au monde des mort-nés mais leur santé ne
fait pas défaut. C’est moi ma santé qui les dérange, au lieu de juste demander
un cachet plus grand. Brusquement les Togolais connaissent la loi de A à Z pfff ! J’allais abandonner pour cette journée quand je
tombe enfin sur une petite clinique à Klikamé. Enfin on me fixe un rendez-vous.
Deux jours plus tard, à 8 heures, je paie 80.000 pour la procédure. J’ai
bien expliqué à la dame que je ne voulais pas les choses de pilule, mais elle a
insisté que même pour la procédure chirurgicale, il me faut prendre une pilule
et attendre trois heures que mon cervix soit détendu. J’ai fait semblant de le
prendre. On connaît les choses des pilules. Tu prends et tu meurs après là,
jamais. Elle m’a fait attendre trois heures et donné encore de l’ibuprofène. Je
l’ai pris, connaissant celui-là au moins. Encore une heure de patience. Je n’en
pouvais plus à la fin. Tout ça pour curetage que mes amies faisaient tout le
temps dans notre jeunesse ? Les choses
ont changé oh.
Enfin on me prépare pour
cette foutue opération. Je ne devais pas avoir trop mal, c’est ce qu’elle
m’avait dit avant de commencer en tout cas. Mais dire que je n’ai rien senti
quand elle m’insérait leur outil bizarre là, c’est mentir. Rien comparable à un
accouchement quand même donc j’ai serré mes dents durant toute l’opération.
Elle a insisté que j’attende encore trois heures avant de m’en aller mais
c’était mal me connaître. Hors de question que je perde toute la journée ici.
Je vais directement prendre du para contre les crampes que je ressentais dans
le taxi et je me couche.
***Imogen EKOUE***
Les jours où on n’a pas
de travail, je m’ennuie trop à l’atelier. Les gars parlent seulement de toto ou
bien comment ils vont dépenser l’argent quand on aura un bon contrat. J’ai
toto, je vais parler de ça pourquoi ? Je dépense
seulement l’argent pour manger ou Joyau. Sinon la dernière fois j’ai prêté un
peu à Bijou pour qu’elle loue quelque chose. En tout cas tout ça ne suffit pas
pour avoir une conversation avec les gens. Donc je suis rentrée à la maison
même s’il était 14 heures. J’ouvre le portail et dès que je suis proche de
la porte de Mode, ce sont les cris que j’entends. Affaire de toto là, c’est bon
comme ça et puis elle refuse de prendre la retraite malgré le ventre ?
En tout cas, j’ai les
choses à faire. Erxemple : laver les assiettes d’hier avant que Jeanne
rentre m’insulter. Je frotte et oh Mode continue seulement à crier. Son affaire
de toto d’aujourd’hui, on dirait le tonton ne fait pas ça doucement. Je
continue à frotter le bas de la marmite avec le savon couvert de cendre avant
de me rappeler que mais la voiture du tonton n’est pas ici. Yooo donc Mode fait
avec qui ? Je me lève, regarde sa porte
pendant plusieurs minutes. Bon ça ne me regarde pas. Je vais me laver et à la
sortie, Mode crie encore. Comme ça là c’est déjà bon. Elle a trop fait
aujourd’hui. Je tape donc la porte.
— Aiiiidezzz-moiiii,
elle crie
— Mode c’est Imo.
Viens ouvrir ! je dis en bougeant la portière
mais elle ne fait que crier
La folle a encore fermé
sa porte or, elle était seule à la maison. Je cours chercher mon marteau et
sans difficulté je fais sauter la serrure comme je l’avais avec notre porte
quand elle avait changé les verrous. Elle se traîne au sol. Son pagne est taché
de beaucoup de sang qui me fait peur. J’essaie de l’aider à se lever mais ça ne
marche pas donc je file chercher de l’aide. Mode nous a laissés dans la
voiture. Elle a quitté quand le taxi filait pour nous emmener à l’hôpital. Le
médecin qui a constaté le décès a dit qu’ils peuvent faire des examens pour
déterminer les causes du décès.
Dire ça à Jeanne c’était
bizarre. Comme d’habitude, elle a beaucoup pleuré. Joyau pas du tout. Moi non
plus mais c’est parce que je ne comprends pas. Mode était quand même bien quand
je partais ce matin, je l’ai même vu. J’ai pensé à ce qu’elle avait dit à
Jeanne et j’ai bien ri puis elle a poussé un juron avant de me rappeler qu’il
faut quitter sa maison. Notre querelle habituelle quoi. C’est quelle maladie
qui a tué comme ça. C’est Jeanne qui a prévenu Bijou par téléphone. Elle
n’avait pas de mots il paraît. Trop bizarre.
***George
SANI***
Mine de rien, le temps s’est
rapidement écoulé depuis que j’ai reçu le fameux avis d’assignation. Bien que
la HSBC ne fut pas coopérative, j’ai réussi à régler le dû de l’avocat de ma
poche ainsi qu’avec l’aide du loyer que perçoit maman grâce à la maison que
papa lui avait construite. C’est ma seconde rencontre officielle avec l’avocat
et le sujet à l’ordre du jour, c’est ma réponse. Pour ma part, elle est déjà
claire, hors de question de laisser ses vautours me dépouiller. Je ne vois même
pas pourquoi l’avocat tient à me rencontrer pour écrire quelque chose de si
simple, mais bon me voilà, accompagné de maman.
– J’ai pris
connaissance du dossier, y compris les réclamations du demandeur, et j’aimerais
entendre votre version concernant le livret d’épargne que votre père détenait à
la HSBC
– Vous avez appris
son existence comment ? je réponds
étonné
– Je suppose que vous
n’avez pas lu l’avis qu’on vous avait remis ?
– Si, mais je n’ai
rien compris
– Ah. Il est mentionné
qu’on vous accuse de dissimulation d’un bien…
– Mensonge ! l’interrompt maman avec fougue
– Laisse qu’il
finisse de nous expliquer, je lui réponds calmement en dépit de l’agitation qui
se passe dans mon cerveau à l’heure actuelle
– soit le livret d’épargne
que Mr Martin SANI avait ouvert à la HSBC, ainsi que d’usage de manœuvre frauduleuse
dans le but de spolier les autres héritiers. De ce fait, l’héritière Mireille
SANI réclame une restitution des sommes prélevées sur le compte en question
– Je peux mettre la
main sur le cœur et vous dire que jamais je n’ai volé Mr l’avocat. Cette femme
non contente d’avoir tué mon père veut aujourd’hui reporter sa vengeance sur
nous parce que le défunt voulait se séparer d’elle. C’est en réalité ça son
problème. Et je vous rassure que de son vivant, mon père m’avait lui-même
dressé une procuration pour ce compte, vu que sa condition physique ne lui
permettait pas de se déplacer pour accomplir certaines opérations
– OK, et avez-vous
une copie de cette procuration ?
– Je vous l’enverrai
par courriel dès que je rentre
– Bien. Et combien
avez-vous retiré du compte en question ?
– Euh, disons entre
8000 et 12 000 euros, je ne suis pas
sûr. Pourquoi ?
– Ils vous accusent
de détournement Mr, ils vont donc mentionner toutes les opérations réalisées sur
ce compte depuis que vous y avez eu accès
– Mais c’est le
compte de son papa, où est le problème ? intervient
maman
– Le compte de son
père une fois décédé devient un bien qui doit être inscrit dans la succession. Le
fait qu’il ne l’ait pas mentionné au notaire laisse entendre qu’il avait de
priver les autres héritiers
– Donc quelqu’un a
travaillé son argent durant toute sa vie et il ne peut pas choisir à qui le
donner maintenant ? S’il vous
plaît hein, c’est quel nouveau droit ça ? maman
continue comme si elle connaissait quelque chose au droit
– Le droit sur la succession
est en vigueur depuis des années, madame. Une fois qu’il a reconnu ses enfants,
un père ne peut les renier. Bien sûr, il a le droit d’accorder à qui il veut,
les biens qu’il souhaite, mais il devait le mentionner dans un testament, ce
qui n’est pas le cas de Mr
– Martin tu vois
dans quoi tu nous laisses, eh, pourquoi après tant d’années à t’épauler tu nous
fais ça en partant comme ça, se lamente-t-elle
– Finissons d’abord
maman, je la rappelle à la raison. Maitre, j’insiste, je n’ai rien volé. Mon
père avait confiance en moi, raison pour laquelle il m’a octroyé le privilège
de prendre en charge ses affaires. Ce n’est pas ma faute si ses autres fils n’étaient
pas comme moi. Rappelez-vous de le mentionner dans votre plaidoirie
– Avez-vous des
preuves que les fonds retirés ont servi à votre père ? Je donne un exemple, des factures d’hôpital,
médicaments, un séjour, bref vous voyez un peu
– J’ai fait un acompte
pour un logement à Cotonou, mais il est au nom de ma mère, je dis et il plisse légèrement
le visage
– Et rien d’autre en
dehors de ça ?
– Monsieur l’avocat,
vous aussi il faut comprendre mon fils, on est au pays quand même. On règle
beaucoup de choses sans forcément avoir de reçus formels
– Madame c’est bien
parce que je le comprends et veux lui assurer une bonne défense que je l’interroge.
À votre tour, vous devez aussi comprendre que ce dont on accuse votre fils n’est
certes pas un délit passible d’emprisonnement, mais ça reste un délit civil. Et
s’il est reconnu coupable, il se verra privé de sa part sur ce compte contrairement
aux héritiers, mais en plus il devra rembourser ce qu’il a perçu et si le juge
le décide, il peut écoper d’autres sanctions.
– Woyo, Dieu ne
laissera pas que ça arrive là-bas pardon, il ne laisse pas les veuves dans la
souffrance, lui répond maman
– Si vous n’avez que
les preuves citées aujourd’hui, je recommande une médiation entre les deux
parties afin de régler à l’amiable les…
– Jamais ! je m’insurge. Il n’y a aucune amitié entre nous
pour qu’on me parle de médiation
– Tout à fait ! Les États-Unis ne négocient pas avec les terroristes,
maman m’appuie
– OK, dans ce cas,
je vais transmettre au tribunal que vous contestez la demande
– Et dites leur bien
dans la réponse que je suis innocent et que cette femme a tué mon père
– Faites-moi parvenir
vos preuves au plus tôt, Monsieur
– OK, c’est tout ?
– Oui je m’occuperai
du protocole d’instance par la suite, et normalement nous passerons à l’audience.
Si votre présence est requise, je vous en ferai part
Nous échangeons quelques
banalités par la suite avant de prendre congé de lui. Je lui ai transmis sans
tarder ses preuves une fois à la maison. Il était 20 heures dépassé quand
je suis sorti du bureau. Mon but c’était de me diriger directement en chambre,
parce que Yasmine ne faisait que me chauffer avec les photos coquines durant la
journée, mais maman avait une autre idée en tête. Elle me prend la main et dit
qu’on doit parler.
– Après maman, je
suis occupé
– Mais tu viens de
sortir du bureau, comment tu es encore occupé ?
– J’ai quelque chose
à faire dans la chambre, toi-même tu ne regardais pas la télé avec les filles ?
– George on dit que l’affaire
est sérieuse tu me parles de télé tchrr. Écoute-moi, la tête que ton avocat faisait
aujourd’hui j’ai pas aimé. Je ne pense pas que ce monsieur va bien faire le
travail. On dirait il ne nous aime pas
– Chéri ? Yasmine m’appelle de sa voix suave depuis la
chambre. Elle s’est décidée à trouver du travail finalement donc l’amour renaît
entre nous
– George ! tonne maman me ramenant avec elle
– Maintenant s’il ne
nous aime pas, tu veux que ça me fasse quoi ? L’essentiel c’est qu’il aime l’argent donc il fera son travail pour qu’on
gagne. Tu t’inquiètes trop, dis-je avec l’intention de la feinter, mais elle me
rebloque l’ouverture de passage que je visais
– N’ait pas peur de quelqu’un
qui a tué hein. Reste là. Bref j’ai contacté Arthur mon neveu quand tu étais au
bureau. Comme il travaille dans un grand cabinet d’architecture, je lui ai
demandé de l’aide et il nous a donné rendez-vous demain entre dix heures et
midi donc…
– George chéri ? Je dors ou ? Yasmine me
relance
– OK ok maman, j’ai
entendu, je m’empresse de dire et la dépasse. Bien sûr, elle pousse un juron
derrière, mais j’ai déjà oublié dès que j’entre en Yasmine.
Le lendemain, maman en revanche
n’a pas oublié. Moi à la trentaine révolue, je dois aller chez un petit de 26 ans,
pour lui parler de mon problème. Et quel problème en plus.
– Tu vas arrêter de
bavarder dans mes oreilles oui, me gronde maman après ma tirade
– On va aller là-bas
pour qu’un petit connaisse tout de notre vie intime maman, un petit ! Moi à mon âge c’est un gamin qui va me conseiller
quoi
– Continue bien à gonfler
comme le coq, pourtant c’est toi qui me récites tes problèmes d’argent au point
de prêter chez moi
– Les deux prêts là
que j’ai fait et c’est fini ? Je ne vais
plus entendre ?
– Si tu veux
entendre, il faut te taire aussi
Je garde ma bouche zippée
et la mâchoire contractée durant tout le trajet qui nous mène au cabinet MATAO.
26 ans, ça me reste au travers de la gorge. Nous entrons et voilà le réceptionniste
qui demande une pièce d’identité à maman après que cette dernière venait de
donner son nom.
– Pour quoi faire ?
– Nous devons confirmer
les identités des visiteurs s’il vous plaît, nous répond-il
– Et depuis quand on
confirme identité dans Lomé ?
– C’est notre protocole
monsieur
– Mais vous vous
prenez hein. L’état vous a dit qu’ici c’est un bureau administratif ou bien ?
– Eh George du calme
non ! Voilà monsieur, s’il vous
plaît pardonnez mon fils, maman s’empresse de dire et lui remet sa carte d’identité
– Aucun problème, l’abruti
se permet de répondre à maman sans même nous regarder. Quand je construisais,
je suis venu dans ce cabinet et leurs prix m’ont repoussé. Je vois qu’ils se
prennent toujours autant. C’est Germaine SODJI ou SANI ? le con demande à Maman
– SANI ou SODJI, dites
seulement Germaine à mon neveu et il saura
– Bien, asseyez-vous,
je vais informer Mr SODJI, il dit et nous fait signe de la tête vers le
Lobby.
En allant nous installer,
on tombe sur l’un des fils de mon père. Je pense que c’est Ezra celui-ci. Il
contracte aussi sa mâchoire et fixe droit devant lui comme si nous n’existions
pas. Il vient faire quoi là, c’est plutôt la question que je me pose. Arthur nous
reçoit enfin. Je l’ai déjà vu dans le passé, mais il n’était qu’un ado. Là c’est
un homme et franchement, il match bien avec ce cabinet dans ce haut jaune moutarde
qu’il a en bas de sa veste grise. Criard pour rien.
– C’est quoi cette
histoire de protocole comme si on était à Versailles là ? je l’interroge dès qu’on s’installe
– Yeee George,
quelqu’un a ses règles pour son cabinet et ça te fait mal comme ça, dit maman
– Non, mais il faut
le dire. En plus votre réceptionniste guindé là nous a mal reçus
– Il n’y a pas de
souci ma tante, il dit avec un sourire amusé. En fait un ancien employé a fait
entrer ici des gens qui nous ont volés et depuis les règles ont changé
– Han voilà ! me dit maman comme si ça explique quelque chose
Bref nous commençons…
***Eben Ezer TOUNTIAN***
C’est en colère que maman
m’a dénoncé Maria, enfin Bijou, bref la fille avec qui Fabien vit. D’un côté j’ai
du mal à visualiser mon oncle comme un violeur, mais Axel m’a rapporté qu’un
certain George s’est présenté après l’enterrement de tonton. Et il a confirmé avec
un test ADN à l’appui qu’il est le fils de mon oncle. Maintenant de là à dire
qu’il a abusé d’une fille, alors qu’il m’a pris sous son aile quand je me suis
retrouvé orphelin de père, c’est difficile à comprendre.
Autant que je reprenne la
rédaction de ce rapport que je dois envoyer à Mr WANKE surtout qu’il ne me
reste qu’une heure et douze minutes pour arriver à Porto. Je rentre de Cascais,
où j’étais pour visiter une maison en face de la marina que Mr compte acheter. Il
m’a pris un peu par surprise en me le demandant, mais pour la grande générosité
dont ses gens ont fait preuve à mon égard, je ne pouvais refuser. Je mets le
point final au rapport quand le bus se garait au terminus. Fatigué comme je
suis j’opte plutôt pour un taxi pour rentrer chez moi ou Bruce fait encore
couiner l’enfant des gens. Dès qu’il a trouvé du travail mon frère s’est
appliqué à faire du sale dans ce pays et depuis il ne se calme pas. Toutes les
nationalités y passent. Il rigole qu’à défaut d’avoir l’argent pour visiter tous
les pays, il goûte aux saveurs locales entre leurs cuisses. En résumé c’est un
bon queutard. Pour ma part, je me suis fatigué des coucheries à n’en plus finir
après un moment. Contrairement à Bruce, j’ai une date fixée pour mon retour. Et
aucune envie de m’attacher à quelqu’un qui ne voudra pas par la suite rentrer
dans mon pays donc, je garde mes relations strictement professionnelles ou
amicales.
Comme il fait couiner la
fille n’importe comment, je ne peux appeler Mr WANKE dans le désordre là, donc
j’en profite pour me mettre quelque chose dans le ventre et lire mes messages. Fabien
qui me confirme qu’on a étendu le temps qu’ils doivent faire à Pia pour la
construction d’une nouvelle école, Hilda qui me rappelle de ne pas oublier la
commande Sephora pour son anniversaire, et Axel qui répond à mes messages,
concernant Ezra. Je pensais Josh insupportable, mais Ezra est à un autre niveau
quoiqu’il n’a pas le côté fainéant que Josh croit cacher avec ses grands airs
et muscles. Ezra est juste borné. Excessivement borné à vrai dire. Normalement
lui et Allen devaient partir en France pour l’université, mais il a décidé de se
retirer. Pourquoi ? Parce qu’on
veut voler sa mère donc il reste à Lomé pour la défendre. L’intention est
louable, mais malgré tout ce qu’on lui explique il ne veut rien entendre. Et Axel
me dit que non seulement il ne donne le temps à personne de le contredire
dessus, mais il ne cesse de se promener dans la ville à la recherche d’un
emploi. Bref, les lapins viennent de se calmer. Mr WANKE est en ligne sur Whatsapp
aussi donc j’en profite pour l’appeler maintenant. Le coup de pression monte quand
il demande que je rappelle en vidéo. Il est avec sa femme et j’ai tout d’un
coup l’impression que je vais jouer ma vie lol. Cette femme aime intimider les gens
par son regard, va savoir pourquoi.
En dix à vingt minutes,
je leur explique en profondeur les détails que j’ai énumérés sur le rapport que
je lui ai envoyé pendant que je mangeais. Par détails, je parle de l’aspect du
logement, la distance aux transports, le quartier, les types de rénovations qu’il
faudra faire, et le reste de ce qu’ils devront fournir pour compléter l’achat. Je
leur recommande aussi deux agents immobiliers sur qui j’avais déjà fait des
recherches extensives.
– Et que fera l’agent
immobilier ? Monsieur me questionne
– Négocier avec le
vendeur pour vous au besoin, vous accompagner dans le processus d’achat et
conseiller sur…
– L’accompagnement
ce n’est pas aussi ce que tu fais ? sa femme
intervient
– Et nous ne comptons
pas acheter à crédit, donc la partie de négociation n’est pas si nécessaire
Les attitudes des entrepreneurs
chinois, je pense intérieurement. Ce sont d’eux que j’ai entendu la phrase pas
de crédit dans ma vie. Une maison peut coûter 500 000 euros, et ils l’achèteront cash, sans discuter.
– OK, dans ce cas,
je peux m’occuper du reste
– Envoie-moi tes
honoraires dans la semaine alors et je te prépare le virement
– Pardon ? fais-je encore surpris
– C’est le bénévolat
que tu fais là-bas ? sa femme me
demande sur un ton ennuyé
– Euh non, c’est
que, enfin ce n’est pas nécessaire. Je vous rendais juste un service
– C’est quoi ce
comportement paupérisant ?
– Enfin Raïssa, la
reprend son mari
– Demande-lui plutôt
s’il veut rester pauvre à vie
– Est-ce qu’il t’a
dit qu’il est pauvre ?
– Le compte en
banque peut être garni, mais s’il a une mentalité qui ne sait pas reconnaître
les opportunités qu’on lui donne, qu’est-ce que ça change ? Il est pauvre, elle dit et je souris. J’ai
tellement entendu des remarques acerbes de cette femme que beaucoup sont
devenus des compliments dans mes oreilles
– Je vous enverrai
mes honoraires demain
– Enfin il se
réveille
– Et tu ne te sens
jamais mal en plus, son mari lui reproche avec un sourire
– J’aimerais vous
demander un service si possible, j’ose.
– On t’écoute
– J’ai un petit
frère de 20 ans qui n’a pas d’expérience professionnelle, mais cherche un
emploi. C’est un vrai bosseur, si vous pouviez lui trouver quelque chose, quelle
que soit la nature, et en échange, je vous facture la moitié de mes honoraires
– Quel est son nom ?
– Ezra SANI
– Encore lui ? dit sa femme
– Vous le connaissez ? je m’étonne
– Il s’est fait remarquer
en me faisant part d’accusations sérieuses suite au décès de son père
– C’est pas vrai,
excusez-le, il est perturbé dernièrement, dis-je en me tapant la face
– Je n’engage pas
les sans expérience chez moi, elle dit
– Je comprends, mais
permettez que j’insiste. S’il veut tant travailler, c’est pour défendre les
intérêts de sa mère. Il semble que mon oncle avait une autre famille et ses
derniers se sont lancés dans une guerre à l’héritage avec ma tante
– Ah ces fameuses guerres
d’héritage, il semble que c’est la coutume depuis la nuit des temps, commente
Mr WANKE
– Donc l’oncle a fait
le mariole, sans penser à protéger sa famille et les termites sortent de terre
pour manger maintenant qu’il n’est plus ?
– On ne parle pas
des morts comme ça, lui rappelle son mari
– Reste dans ton
sentimentalisme. Je veux bien considérer le cas de cet Ezra
– Merci, vous n’allez
pas le regretter
Je m’empresse d’écrire à
Axel pour lui annoncer la nouvelle et il me confirme qu’Ezra est prêt à commencer
n’importe quand, quel que soit le poste. Mme WANKE me répond par message
le lendemain matin qu’il peut passer en soirée, ce que je me presse aussi de lui
dire, tout en le mettant vivement en garde de ne rien faire là-bas pour me honnir.
***Raïssa WANKE***
Onze heures et treize, je
sortais de ma piscine quand on m’a annoncé la venue de cet Ezra SANI. On ne
pourra pas dire qu’il n’est pas sérieux. Un dimanche, il s’est pointé en chemise
cravate avec l’air le plus déterminé que j’ai vu depuis un moment.
– Qu’est-ce que tu
cherches comme poste toi ?
– Je veux juste
gagner de l’argent madame. Quel que soit le poste, je veux beaucoup d’argent
– Et pourquoi ?
– Deux choses. Engager
un détective pour retrouver Jeanne, la fille qui a provoqué la noyade de mon père
puis un bon avocat pour nous défendre contre George et Germaine SODJI
– Qu’est-ce que tu
viens de dire ? me
répétai-je après avoir échappé mon verre à l’évocation de ce nom
– L’argent ! J’en ai besoin pour….
– Germaine SODJI, c’est
quelqu’un que tu côtoies ?
– C’est la femme qui
se dit être la mère du fils de mon père. Ils veulent nous diviser et mettre la
discorde entre nous maintenant que papa n’est plus. Je ne vais pas le permettre
– Est-ce que tu es
bon en maths ?
– Je le serai
– Bien. Je vais te
former en économétrie financière. Demain je t’attends ici à 8 h. Je te
préviens, je déteste les ignares
– Je ne le serai pas
– Et applique-toi à
me trouver où réside Germaine SODJI
– Euh…
– Je déteste qu’on
me questionne quand j’ai formulé une demande
– D’accord, je le
ferai
Je lui donne congé et
pour célébrer cette victoire qui se pointe à l’horizon je descends toute seule
une bouteille de jus de pommes.
***Germaine SODJI/SANI***
On ne peut pas avoir un
enfant aussi têtu que George. Arthur voulait bien nous aider, il a même
recommandé un avocat, mais George "Mr c’est moi le grand frère" a refusé
d’écouter. Voilà qu’on vient de finir l’audience, et son avocat nous répète qu’on
peut encore demander la tenue d’une conférence de règlement à l’amiable.
– C’est celui-là que
tu appelles un avocat George ? Il ne nous
défend même pas, je murmure fâchée alors qu’on se dirige dehors
– Ce n’est que le
début non maman. Il attend de bien voir leur stratégie avant de les clouer sur
place
– C’est la stratégie
qu’il attend et il vient encore parler d’amitié ici tchrrr, en tout cas je t’ai
déjà prévenu. Ne viens pas me demander le prêt pour le payer si on perd, je lui
dis la mine renfrognée face surtout quand mon visage croise celui de l’autre
Mireille là et ses deux garçons qui osent nous regarder comme si nous étions
des moins que rien.
Nous sortons du palais de
justice et voilà une rangée de policiers arrêtés devant. Je demandais s’il y’avait
un accident dans le coin et j’entends qu’on demande qui est Germaine SODJI.
– C’est elle, répond
l’un des fils de Mireille
Mon visage se décompose
quand je vois Raïssa avancer au milieu de ses policiers. Mon cœur cogne si vite
que je n’arrive pas à ouvrir la bouche.
– Well, well, well,
comme on se retrouve hein Bitch, elle me dit avec un sourire narquois.
Passez-lui les menottes
– Geo… rge…, je bégaie
tout en essayant de m’accrocher à mon fils et ce dernier me tient, mais les
policiers le dégagent avec force
Il se redresse pour se
battre, tout en leur criant son indignation et profère des menaces, mais ils me
menottent, devant tous les passants, Mireille, les enfants, mon fils qu’on
malmène. Ils me menottent et tous les regards sont braqués sur moi.
– Espèce de
charognards vendus ! Vous n’avez
pas honte ? Une vieille dame vous la
prenez pour une histoire d’héritage quand celle-ci Mireille SANI a tué son mari ? s’indigne mon fils pendant qu’on me traîne loin
Je n’arrive pas à le croire.
C’est vraiment à moi que ça arrive ? Pourquoi je
me suis levée ce matin au lieu de rester dans mon lit ?
***Raïssa WANKE***
Je laisse des consignes claires au chef de police du commissariat central. Elle reste en garde à vue sans possibilité de libération pour le moment. Je finis une seconde bouteille de jus de pommes pour célébrer la moitié de ma victoire. Je ne peux pas dire que les bons comptes font les bons amis, car je ne considère personne comme mon ami. Toutefois j’aime les bons comptes. Donc j’envoie à Eben les trois mois d’enregistrements de nos caméras de surveillance en lui précisant dans le mail que je ne veux pas de questions. Entre plusieurs insomnies, j’ai eu le temps de revoir ses enregistrements et découvrir quelques détails. Hors de question que j’en parle à cet Ezra. L’existence de ses caméras est un secret que seuls mon mari et moi partageons. Eben en revanche, j’ai confiance qu’il saura agir avec précaution.