95.1 : Le bonus du précédent

Ecrit par Gioia

***Mally LARE AW***

Snam n’est pas revenue. Non seulement Dara n’a pas réussi à lui faire avouer l’adresse du lieu où elle résidait, mais en plus elle est retournée à Nairobi. Elle ne répond à aucun de mes messages. Ne parlons pas de mes appels. Et je me sens en danger, pas le genre que j’aime. J’ai l’impression que plus les jours passent, plus son cœur s’endurcit et je la perds. Je suis bien placé pour la connaître. Si catégorique et dure. Elle est lente à prendre une décision mais quand elle le fait, c’est rare qu’elle revienne dessus. Et je suis cloué ici comme un idiot, parce que stage oblige. J’ai encore sa valise à l’appartement et en l’ouvrant, j’ai compris que sa colère dépasserait certainement ce à quoi je m’attendais. Elle l’a rempli en grande partie d’effets pour moi. À manger par ici, à boire par là, bref rien que des trucs qu’on trouve à Nairobi et dont je raffole. Et plus elle s’implique, plus sa colère est grande quand on la déçoit. Ce n’était inconnu pour personne qu’elle nourrissait des sentiments pour moi. Je ne sais concrètement quand son regard sur moi a changé mais le mien sur elle, c’est en première qu’il est devenu tout autre. L’ironie c’est que c’était pendant un combat bien stupide. On nous connaissait pour nos prises de bec légendaires à l’école. Et nous réglions toujours nos comptes au club de boxe, dans une ambiance bonne enfant. Snam c’est celle qui me passait son cahier quand je dessinais durant les cours d’histoire. Celle qui ramenait toujours deux bouteilles d’eau à l’école prétextant qu’elle est un dromadaire alors que la seconde était pour moi. Celle qui faisait toujours genre de ne pas s’intéresser à mes anniversaires et dans mon dos paniquait chez ma sœur pour savoir ce qu’elle pouvait m’offrir. C’est celle qui s’est un jour ramenée dans sa tenue de boxe et soudain mes yeux se sont retrouvés glués à sa poitrine au lieu de me battre correctement. La poitrine en question n’avait pas changé. Elle a toujours arboré ce petit bonnet A qui est aujourd’hui un B. Mais mon regard s’y est tellement accroché que j’en ai perdu le match. Le lendemain j’ai vu rouge quand elle a accepté de prêter son cahier d’histoire à un autre après moi. Les autres auraient conclu qu’ils s’intéressaient à la fille et devraient peut-être lui faire la cour. Je ne fais pas partie de cette catégorie. J’ai décidé de combattre ce que je ressentais, sachant que nos chemins allaient se séparer de toute façon. En apparence, nos familles semblent pareilles, vu que nous vivons modestement au pays mais on a toujours su que nos niveaux de vie n’étaient pas similaires. J’allais poursuivre mes études aux États-Unis et Snam serait probablement en France. Et les relations à distance, ce n’est pas du tout mon kiff. En plus je voulais faire mes expériences. J’ai des penchants dont je n’ai pas honte. J’aime le goût du risque, ça n’a jamais changé et probablement restera ainsi. Et, quelle que soit la façon dont je tournais la chose, je voyais mal Snam accepter de me laisser la sauter en public. C’est une fille éduquée à la normale; elle ne s’intéressait même pas aux histoires de cul que ma sœur lisait durant son adolescence. Alors, prendre le risque de la choquer et qu’elle aille me dénoncer à ses parents, non merci. Je n’ai pas de mon vivant, envie d’expliquer à ma mère le pourquoi j’ai demandé à ma copine de porter un plug anal et de se rendre au boulot avec. C’est pour cette raison que j’ai préféré me contenter de mon genre, c’est-à-dire, les dévergondées. Entre nous on ne se choque pas vraiment. On sait ce qu’on veut, et ce pour quoi on est là.

Seulement, les sentiments n’ont pas suivi mes envies. Les sentiments pour Snam ont refusé de disparaître et égoïstement, je n’essayais plus vraiment de les réfréner en sa présence. Je me faufilais dans son lit sciemment, pour que ce lien entre nous ne se rompe jamais. Je l’aimais par des attouchements légers, longs câlins et avec ma chaleur. Je l’aimais avec tout ce qui ne m’obligeait pas à me confesser et plus je le faisais, plus elle me laissait. Je suis incapable de dire comment on a fait pour ne pas se sauter dessus, en dépit de toutes les fois où je collais ma trique dure comme une brique sur elle.

J’ai toujours évité de la questionner sur sa vie sentimentale parce que c’était plus facile de me convaincre qu’elle m’attendait. Je m’étais même fait un plan, soit finir une fois mon bachelor complété, et un emploi sécurisé, aller la chercher pour qu’elle soit mienne. On verrait quoi faire de mes penchants dans la foulée. Mais là, j’ai peur qu’à force d’avoir joué au plus fin, je risque de perdre gros. J’aurais peut-être dû la demander directement en mariage? Mais on se marie sans travail? J’ai certes un héritage mais mon père ne m’a pas laissé son dur labeur pour que je nourrisse une femme avec. Bref on ne nous a pas éduqués comme ça; je voulais bien faire les choses, un peu comme ce frère qui a fait venir des joueurs de violon devant la «vie en rose» au centre commercial de Park Royal où je suis passé me chercher un déjeuner pour ma pause. Les demandes de mariage en public ne sont pas vraiment mon dada, je n’ai jamais pensé à en faire une d’ailleurs mais bon ce n’est pas mon moment. Je m’arrête un peu en bon africain pour encourager mon autre frère black qui s’apprête à sauter le pas.

Les joueurs de violons se mettent à interpréter un air connu lorsqu’une fille sort de la boutique. Le frère ploie le genou et moi je reconnais la fille, celle que je me faisais il y a quelques jours. Celle qui disait avoir un mec ou je me trompe? Le mec en question sort également de la vie en rose, et je ne le sens pas pour mon compatriote black. Très vite, les choses s’enveniment. Les tons montent, le frère black allait se lancer dans la bagarre avec la fille mais je me suis rapidement interposé. La masse de muscles qu’il était fut si difficile à contrôler qu’il a réussi à bousculer la fille dans la foulée. Et bien sûr comme les gens s’affolent vite ici, j’entendais déjà certains crier qu’on appelle la sécurité.

– Espèce de chienne! C’est comme ça que tu es chez ta famille à Vancouver Elsie? Il lui hurle dessus en français, déchainant l’étonnement des passants

– Mec ça suffit! Si la sécurité débarque pour toi ici, ça ne va pas le faire. Une fille toute menue contre ta masse musculaire, les conclusions seront vite tirées!

– Qu’ils viennent, je n’en ai rien à cirer! Elsie revient ici m’expliquer ce que je t’ai fait pour que tu m’humilies de la sorte! Il tonne alors que la meuf s’éloignait avec le mec qu’elle m’avait présenté quelques jours plus tôt

Mon frère black finit par lâcher prise, et ce n’est que là que j’arrive à le convaincre qu’on se déplace. On se rend dehors et il finit par s’écrouler en larmes. Je comprends difficilement ce qu’il dit mais il s’accroche à moi comme un nourrisson à sa mère, or il ne me reste que dix minutes pour retourner bosser. Par compassion et comme on est tous les deux francophones, je lui laisse mon numéro pour qu’il m’appelle au besoin, puis je retourne à la marche à ma boîte qui n’est pas loin du mall.

On m’avait appelé en désordre durant le travail et vu que j’étais avec mon boss, je n’ai pas osé répondre. J’espérais que ça soit ma sœur ou encore mieux, Snam, mais c’était un numéro inconnu. En plus de dix SMS, le frère m’avait aussi bourré la boîte vocale. J’ai donc rappelé pensant que peut-être quelque chose lui était arrivé. Et par quelque chose, je parle de démêlés avec la police mais non, le gars appelait uniquement pour pleurer son sort et insulter la meuf.

Il semblait bien bourré et m’a indiqué qu’il était au Squarerigger Pub, donc je m’y suis rendu avant de rentrer. Il était bien plus que bourré et dans ses délires, il a parlé mina donc je l’ai ramené chez moi, déplié mon lit futon, et déposé sur lui une couverture avant d’aller me coucher. Le lendemain, j’étais sur pieds avant lui. Je préparais du café quand il a fini par ouvrir les yeux. Ça lui a pris du temps pour retrouver ses esprits et bon je lui ai un peu rappelé ce qui s’était passé tout en lui servant un bon café noir pour l’aider à dessouler.  

– Merci mec, dis-moi combien tu voudrais pour la nuit

– Voudrais comment?

– Je veux dire en argent, un billet de cinquante c’est bon?

– Bof laisse ça, l’essentiel c’est que tu sois sur tes pieds.

– Tu dois me trouver ridicule hein, me faire ridiculiser comme ça, rigole-t-il de dépit

– Mais non, ça peut arriver à n’importe qui

– Je ne me voyais pas, moi Joshua finir ainsi. J’ai aimé cette fille, probablement la seule que j’ai aimée de ma vie. Je ne suis même pas de votre ville là. J’ai quitté Omaha pour venir ici parce qu’elle m’a dit que son frère allait mal. Elle m’a demandé ce que je foutais quand j’ai voulu ployer le genou mec, continue-t-il à se confier d’une voix misérable. En plus elle a osé me dire que je l’embarrassais et qu’elle ne m’a jamais confirmé qu’on était en couple. Quelle meuf ne se dit pas en couple mais accepte que tu lui gères un billet pour que vous alliez dans ton pays? Quelle meuf t’écoute et te donne son attention pour après dire que vous n’êtes pas en couple?

– Bon, ne prends pas mal ce que je vais dire, mais tu étais sûr de votre couple? Parce qu’une meuf qui te dit ça ne t’a pas vraiment pris au sérieux

– J’ignore quand elle a changé comme ça, parce qu’elle tranquille, sympa, un peu réservée et ne voulait certes pas se lancer dans une relation sérieuse mais la sournoiserie dont elle a fait preuve hier m’a choqué

– Et elle a changé d’avis après ça?

– Changé d’avis sur quoi?

– Bah la relation. Tu viens de dire qu’elle ne voulait pas se lancer dans une relation sérieuse, peut-être c’est ce qui l’a effrayé quand elle t’a vu faire la demande. Tu as discuté avec elle ou ses amies pour savoir si elle aime ce genre de choses?

– C’est quoi tout ce protocole? On doit maintenant partir en enquête pour savoir si on aime ou pas? Quand on aime la finalité, ce n’est pas de se marier? S’énerve-t-il

– Excuse, je n’essayais pas de te vexer. Sois prêt dans une vingtaine de minutes, je pars travailler, dis-je avec une impression familière. Si je me fie à ce que cette Elsie m’avait expliqué lorsqu’on s’est connu sur l’application, son mec et elle ont longtemps rêvé d’ajouter un troisième partenaire dans leurs ébats. Un noir, de préférence. Ils ont longtemps cherché mais c’est difficile de l’avouer de go aux gens, donc j’étais un peu comme le mec servi sur plateau d’argent sur eux quand ils sont tombés sur mon profil. Vu que ce Joshua est plus foncé et de surcroît musclé plus musclé que moi, mon petit doigt me dit que la Elsie en question l’a approché en éclaireur pour elle et son mec. Et peut-être les choses ne se sont pas déroulées comme elle voulait. Le gars s’est peut-être emballé, bref ce n’est plus mon problème.

***Joshua SANI***

Je n’ai même pas loué d’hôtel en venant ici. Je pensais dormir chez le frère de Elsie mais me voilà obligé de me débrouiller. Je murmure des remerciements au mec qui m’a porté secours hier et marche comme une âme esseulée sans but dans les rues froides de Vancouver. Il neige déjà ici, ce qui n’est pas le cas dans ma ville lorsque je la quittais. Je pensais franchement pouvoir me réchauffer les boules dans la chatte d’Elsie. Où est-ce que j’ai fauté? Les filles sont connues pour leurs chichis, donc oui j’ai insisté dans la drague bien qu’elle m’ait repoussé. Après tout on a couché ensemble même si ce n’est que deux fois et elle a exigé que ça soit dans un hôtel. J’ai pensé qu’il fallait lui montrer ma détermination d’où la demande en mariage. Bref une grosse chienne. Maman avait raison. Hadeya n’est certes pas jolie, mais je la vois mal me jouer ce jeu. Parlant de maman, je m’arrête dans un café pour la rappeler. Hier elle a essayé mais je n’avais pas la tête à l’écouter. Je me commande un croissant et une vanille française avant de m’asseoir et la contacter. Elle ne semble pas bien du tout quand elle me répond.

– Qu’est-ce qui se passe maman?

– Tu as deux semaines pour me transférer 80 % de ton héritage sinon je vais voir les LARE AW et ils sauront que leur fille a failli mourir par ta faute

– Je… de quoi tu parles enfin?

– Tu m’as bien entendu et je suis sérieuse

– Tu es complètement tombée sur la tête ma parole! Explosai-je sans tenir compte du public

– Ce sont les biens de mon mari alors tu t’exécutes et que ça saute!

– Comment peux-tu me faire ça? C’est toi qui m’as couvert et…

– Je t’ai dit d’aller voler? Il est temps de payer, et compte sur moi pour expliquer dans les moindres détails

– Mireille? C’est bien à Mireille SANI que je parle? Demandai-je en détachant mon téléphone pour vérifier le numéro puis je remets l’appareil contre ma joue

– Tu as deux semaines, me rappelle-t-elle avant de raccrocher

 

***Imogen EKOUE***

Il a fallu qu’on reste à la maison bien que Mode soit morte parce que quelqu’un devait donner au locataire la clé, vu que tonton Bill n’est toujours pas de retour. Peut-être il est reparti en vacances, c’est ça que j’ai pensé. En tout cas, notre vie allait changer maintenant. Comme madame Belle et son mari sont en voyage, Jeanne aussi n’a plus de travail pour le moment. C’est ce qu’elle nous a dit en tout cas. Bijou a proposé qu’on vienne habiter avec elle dans la pièce qu’elle a louée à Anfame. Nous avons déjà envoyé une partie de nos affaires là-bas, on n’avait pas grand-chose ici de toute façon. Ce qu’il nous rester à faire c’est de faire le ménage dans les affaires de Mode, chose que nous avons commencée hier. Mais Jeanne ne fait que pleurer donc ça n’avance pas beaucoup. Moi je ne sais toujours pas quoi penser de la façon dont les choses se sont passées.

– Jeanne il faut répondre à ce téléphone, je lui dis quand l’appareil se remet à sonner. Depuis qu’on est entré dans la chambre hier et Jeanne l’a chargé, il sonne souvent

– Je ne pourrais pas expliquer si on me demande Imo, elle pleure encore

Je secoue la tête et lui prends donc le portable pour répondre à sa place.

– C’est qui?

– Hey on dit bonjour d’abord, elle me crie derrière

– Tu n’as pas dit que tu ne pouvais pas parler? je lui retourne

– Allô, euh…, je me suis peut-être trompé de numéro. Est-ce que c’est bien la ligne de Modestine EKOUE?

– C’est pas la tromperie frère, c’est pour elle mais elle a quitté

– Il faut bien parler à la pers…

– Jeanne si tu mets encore ta bouche dans mon oreille je te jette le portable pour que tu parles toi-même, je l’avertis sérieusement

– Oh d’accord, avez-vous une idée de la date à laquelle elle reviendra? le frère me demande

– C’est la mort qui l’a emmené patron, on revient pas de là-bas

– ….

– Jeanne on dirait il a coupé hein, je dis en regardant le téléphone parce que le frère ne parlait plus depuis là

– Franchement toi tu me déçois trop quoi! se fâche-t-elle. On t’a dit qu’on annonce brutalement ce genre de nouvelles? Tu ne sais même pas s’il était au volant. Et s’il fait un accident maintenant? On aura encore un autre mort sur les bras

– Pardon frère, faut pas faire d’accident oh, je ne savais pas que tu conduisais, je retourne rapidement dire

– Est-ce que j’ai dit qu’il conduisait forcément?

– Ce que tu as dit tout à l’heure tu as déjà oublié? mama

– Si! conjonction qui traduit une supposition! Les fois où tu te décidais à aller en classe, tu faisais quoi? rien sinon dessiner, pfff

– Arrête de me mélanger petit matin comme….

– Vous avez dit qu’elle… qu’elle est morte? j’entends faiblement du frère donc je remets le portable contre mon oreille

– Oui

– Mais…, je l’ai vu il y a quelques jours, et elle semblait bien se porter

– Anh, toi-même tu sais que la mort ne donne pas l’avertissement à quelqu’un avant de passer

– En plus on ne tutoie pas les inconnus

– Jeanne si tu envoies encore ta bouche près de moi…, je commençais à l’avertir mais le frère me coupe en chemin

– Mes condoléances

– Merci

– Elle me doit…

– Frère toi aussi hein, on va trouver l’argent où….

– Non non, je ne parlais pas d’argent. Elle a euh… mes lunettes de soleil Randolph, et j’y tiens assez

– OK, on va chercher pour toi

– Je ne veux pas paraître insensible mais si ça peut être fait rapidement je vous serais reconnaissant. Je dois voyager dans une semaine

– Je vais dire à Jeanne on va faire pour toi, no worry

– Depuis quand tu parles anglais?

– Jeanne ta maman!

– On insulte les morts?

– J’ai dit ta maman! Viens encore bavarder dans mon oreille tchrr. Bon frère c’est tout ou bien?

– Euh oui oui, je pourrais passer récupérer les lunettes une fois que vous les aurez, si vous m’indiquez où vous trouver

– OK on va te rappeler, bye bye, je dis et coupe

Le problème de Jeanne maintenant c’est pourquoi j’ai dit deux bye au lieu d’un. Au lieu de perdre le temps avec elle, je lui passe la commission du frère avant d’oublier. Trouver les lunettes ne fut heureusement pas difficile. En allant travailler demain, j’ai donc dit à Jeanne d’appeler le frère.

– Mais pourquoi moi alors que c’est à toi qu’il a parlé hier?

– Tu n’as pas dit que je ne sais pas bien faire?

– Bref, elle dit et lance l’appel

Au lieu de répondre lui aussi il joue, alors qu’il a dit que ses lunettes sont importantes. Je n’ai pas le temps pour attendre là donc je sors pour aller travailler. Aujourd’hui on a enfin du travail. C’est avec joie que je cours prendre mon cahier quand le patron dit de venir le rejoindre. C’est une dame qui commande un berceau. Et pas un simple non.

– Je ne veux pas ce que tout le monde a, donc faites-moi de jolis motifs sur mon berceau parce qu’on m’a dit que vous êtes fort dedans, elle précise

– Si vous avez une idée, c’est plus facile pour nous de nous situer

– Je vais avoir un garçon donc un peu des astres et quelques soucoupes volantes

– Imo? Tu écris?

– Oui patron, je dis et met beaucoup de point d’interrogation devant soucoupe pour demander à Jeanne ou Joyau ce à quoi ça ressemble


– OK et quelle forme avez-vous en tête?

– Ah je ne sais pas, mais comme je vous ai dit je veux quelque chose de spécial. Voici, elle dit et remet une enveloppe au patron comme avance

Ce dernier me confie le dessin du berceau. La première fois qu’il me fait confiance et ça me surprend parce qu’il y’a des gars plus expérimentés que moi. Il insiste que je dois faire du bon travail parce que la dame c’est la femme du chef du département des grands comptes à CEET, donc elle peut nous ramener beaucoup de clients importants. C’est moi qui ai la charge de fermer l’atelier aujourd’hui donc je reste plus tard que les autres. Mais en partant, j’ai la chance de tomber sur Fabien qui était de passage.

– Frère c’est bien que tu sois là, tu vas me déposer non?

– Tout le monde est ton frère toi, dit-il avec un sourire

– Tu as raison, toi tu n’es plus mon frère, comme ma sœur même a quitté le foyer

– Elle t’a dit quoi sur moi? il me questionne sur un ton un peu étrange. On dirait qu’il s’inquiète

– Il faut me déposer et je te dis

– Toi là, toujours à chercher comment manger sur mon dos, il rit

– C’est la vie comme ça oh, donnant donnant, c’est ce qui est bon, je lui réponds très contente d’avoir gagné un déplacement cadeau à la maison

Je grimpe en arrière de sa moto et nous voilà partis. Nous voilà à la maison, mais Jeanne n’est pas seule. Il y’a un blanc avec elle, et elle pleure.

– Monsieur il faut sortir de la maison, Mode ne nous a pas demandé avant de mourir, donc ne venez pas nous gêner ici, je dis au blanc en le lorgnant comme il faut

– Aïe, qui t’a dit qu’il est là pour l’argent? s’interpose-t-elle

– Donc tu pleurais seulement pour lui montrer que tu es chef dans ça quoi? moi je demande sincèrement et c’est elle qui cogne ma tête

– Doucement les filles, vous êtes quand même en présence d’un étranger. Bonsoir Mr, je me présente, je suis Fabien TOUNTIAN, leur beau-frère, que pouvons-nous pour vous?

– Euh en fait, j’avais appelé ce matin pour récupérer…

– Ah les lunettes hein, on…

– On ne coupe pas les gens quand ils parlent, Jeanne me coupe pourtant c’est ce qu’elle me défend. Donnez-nous une seconde, monsieur, dit-elle avant de me tirer pour qu’on aille dans la chambre de Mode. Puis elle se met à tourner en rond autour de moi, comme je fais quand je cherche les bonnes ignames à acheter au marché

– Hum, petite taille donc on ne peut pas se baser sur ça. Le nez oui, le teint pas trop puisque tu as refusé de te laver correctement pour le rendre propre, mais oui, je le sens

– Tu sens quoi? J’ai mis alam (la pierre d’alun) avant d’aller travailler aujourd’hui hein, arrête de m’insulter

– Je sens que c’est ton papa là-bas

– HAN? fais-je totalement confuse

– Maman, paix à son âme, m’avait une fois confié que ton papa était un blanc. Et elle m’expliquait que si elle avait réussi à l’épouser nous aurions eu une meilleure vie, mais malheureusement, les blancs n’aiment pas avoir beaucoup d’enfants, raison pour laquelle, elle l’a quitté. Si ce monsieur la connaît, il y’a de fortes chances qu’il soit ton papa. Tu imagines ça Imo? Tu as trop de chance

– Onh onh, fais-je en secouant la tête, ça peut pas être mon papa

– Mais pourquoi?

– Les gens là qui pleurent beaucoup dans la télé comme ça et puis ils prennent fusil pour tirer sur les gens? Non Jeanne, je sais que tu me vois comme Satan mais je peux pas prendre fusil sur…

– Tu vas m’arrêter ta bêtise là hein. Un seul film que tu as vu dans ta vie, en plus film de western et tu crois que c’est la réalité

– J’ai vu deux autres quand je travaillais chez madame Belle. Les gens là quand ils sont fâchés c’est pas bon ow Jeanne, on dirait quelque chose entre dans leur corps pour dire que fais le mal et puis c’est eux ils pleurent après

– Imogen, dans les films, on dit que les Africains sont souvent sorciers. Tu as déjà pratiqué la vraie sorcellerie, en dehors de ton cœur dur comme la pierre?

– C’est quel film qui dit ça?

– Anh, tu vois. Il faut laisser affaire de film là. Si ce monsieur est ton papa, tu dois en profiter pour te faire connaître

– Me faire connaître comment?

– Mais lui parler de toi non, qui sait peut-être il voudra t’emmener avec lui

Jeanne n’a pas vu les deux films dont je parle, c’est pour ça qu’elle ne peut pas comprendre. Ce qui est sûr moi Imogen, je ne peux pas être fille de blanc. Elle prend les lunettes et nous retournons chez les hommes dehors.

– Merci, umm, est-ce que vous l’avez déjà enterré? le monsieur demande

– Non pas encore, mais ça ne saurait tarder. Vous aimeriez venir?

– Euh non non, je n’aurais pas le temps. Je dois m’en aller bientôt. Elle avait deux filles, je pense bien, quand je l’ai rencontré. C’est vous?

– La deuxième c’était moi, la première notre ainée. Celle-ci est notre troisième, Imogen, dit-elle en posant un bras autour de mon épaule. Le visage du frère devient bizarre, comme s’il n’a pas aimé mon nom.

– I… imogen? il répète

– Imo, ça me va si tu n’aimes pas le gen, je lui dis

– Non, il n’y a aucun problème avec le nom, il… il est joli, j’en ai une dans ma famille

– Donc vous connaissiez notre mère?

– C’était une connaissance lointaine, qu’un ami m’a introduite. Nous n’avons pas réellement eu le temps de sympathiser

– Ah…, se pourrait-il que…

– Euh, je vais devoir vous laisser, je suis un peu pressée

– Juste une dernière chose s’il vous plaît. Si votre connaissance est un blanc comme vous, je vous en prie, dites-lui que ma sœur Imogen aimerait le rencontrer

– Jeanne, je ne suis pas morte, ma bouche peut encore…

Bon j’ai fermé la bouche, parce qu’elle me regardait mal comme elle fait quand elle compte frapper notre Joyau. Le frère blanc s’en va et nous expliquons à Fabien ce qui s’est passé avec maman. C’est vrai que depuis le départ de Bijou de sa maison, on ne l’a pas vu.

– Waow, vous en avez vécu des choses hein. Et quel est le plan désormais? il nous demande

– Moi j’ai décidé de reprendre l’école, comme ma patronne n’est pas là, je me suis dit, autant en profiter pour m’inscrire aux cours du soir, et le matin je vais aider Bijou à vendre le pure water, lui explique Jeanne

– C’est ce qu’elle fait maintenant?

– Oui, elle a dit que ça rapporte plus

– OK et toi Imo?

– Quand tu me vois là, est-ce qu’on peut penser que mon papa est blanc?

– Hein? fait-il perdu

– Est-ce que c’est ce qu’il t’a demandé?

– Mais tu m’as fait peur avec l’histoire là. Jeanne dit que le monsieur de tout à l’heure, c’est lui mon papa et on dirait qu’il mentait quand il a parlé de son ami. En tout cas, il n’arrivait pas à nous regarder dans les yeux

– Vous l’aviez déjà rencontré?

– Non, mais maman m’a dit que le père d’Imogen était un blanc et très beau

– Mode hein, il y’a quelle beauté sur le monsieur là?

– Toi aussi, elle l’a connu il y a 21 ans. Les gens vieillissent non, jeanne me rappelle

– Bon c’est vrai que tu ne ressembles pas aux métisses que je connais, dit Fabien

– Parce que tu connais des métisses hein? Dans quel cadre? C’est pour ça que Bijou t’a quitté? l’agresse Jeanne et Fabien sourit

– Je les connais par le travail et non, Bijou ne m’a pas quitté. On a eu une incompréhension

– Hum! Ma sœur n’a pas les incompréhensions avec les gens. Ce n’est pas Imogen

– Jeanne laisse-un peu mon nom, je ne te dois rien

– Revenons à nos moutons. Je vous propose de venir vivre chez moi, comme je dois me déplacer à l’intérieur du pays pour le travail dernièrement, la maison est souvent vide et je n’aime pas trop

– Mais on devait aller…

Jeanne a rapidement couvert ma bouche et lui répond par l’affirmative qu’on sera prêtes en fin de semaine, soit dans trois jours. Fabien attend que Joyau sorte de la douche pour le saluer avant de partir. Le soir je faisais le croquis du berceau après que Joyau m’a montré sur le téléphone de sa maman, ce qu’est une soucoupe. Sa maman en question était bien contente et pliait le reste de nos affaires. On ne penserait pas que c’était la même personne qui était triste ce matin.

– Il faut dessiner un joli berceau bien moderne hein

– Au lieu de parler de berceau faut m’expliquer pourquoi tu as dit à Fabien qu’on part chez lui

– On dit que les gens peu bavards sont très observateurs mais tu es décidément l’exception. Si Bijou a quitté la maison, c’est sûrement parce que Fabien l’a énervé, et s’il vient ici c’est parce qu’il cherche un moyen pour la ramener indirectement à elle. Donc nous allons nous installer là-bas, pour pousser Bijou à rencontrer Fabien

– Mais s’ils veulent se rencontrer, ils n’ont qu’à s’appeler non?

– En plus tu ne connais décidément rien aux relations toi. Les gens ne se reparlent pas facilement comme ça, surtout quand la faute est grave. Ils se dansent autour, chacun cherchant une ouverture, parce que les gens craignent d’être repoussés. Fabien c’est un bon gars. Si Bijou a pu rester avec lui tout ce temps et n’a jamais eu rien de mal à dire sur lui, moi je ne vois pas pourquoi on ne doit pas les aider un peu. Tout le monde mérite sa part de bonheur, Bijou en premier

– On sent que tu es prêt à recommencer l’école avec le lourd français que tu parles là, je dis et elle rit

– Rince bien tes oreilles, parce que je vais parler mieux que ça, et un jour je serais une grande gérante d’un grand hôtel. C’est là même que tu verras ma sape

– Ah bon, maman? demande Joyau

– Oui oh mon Joyau. Je vais travailler très fort et lorsque tu auras ton CEPD, on fera une jolie fête, en plus je te réserve un très beau cadeau, donc travaille très bien

– Imo tu as entendu ça, toi aussi tu dois bien travailler hein, dit-il avec ses dents sautées qu’il affiche. Il ne faut pas beaucoup pour rendre les enfants heureux. Et Jeanne aussi on dirait. En tout cas, c’est bien de les voir comme ça, on dirait qu’on s’en sort bien.

D’amour, D’amitié