Au revoir Paris.
Ecrit par Louise Pascale
Chapitre 6…
Je n’étais jamais allée en Afrique et Farida ne connaissait que le Mali. Certaines amies à ma mère parlaient souvent du Maroc, de la Tunisie, de l’Afrique du Sud. L’une d’entre elles avait même trouvé l’amour sur les côtes du cap-verdiennes.
Ces derniers jours, je les avais passés à courir entre la banque et l’agence immobilière.
J’avais décidé de mettre mon appartement en location meublée. L’agent qui s’en occupait m’avait fait comprendre que je trouverais rapidement quelqu’un car il était bien situé et meublé avec sobriété. Ça m’avait tout drôle de voir son équipe rentrer dans mon intimité pour prendre des photographies. Je savais que je devrais me débarrasser de certaines choses bien trop personnelles. Je devais trouver un endroit où les stocker sans éveiller l’attention de ma mère ou d’une de mes sœurs. J’avais donc décidé de ranger les vêtements qui ne me serviraient à rien en Afrique dans ma chambre d’adolescente chez ma mère. Il y avait des pulls et des manteaux. Des bottes, des gants, des écharpes. Des sacs, des bijoux et d’autres choses. Je les rangeais dans des sacs de voyage et j’allais les déposer à des heures durant lesquelles je la savais absente. J’avais demandé à Solene, la femme de ménage de ne pas lui dire un seul mot concernant mes aller-retour à la maison. Etant donné que depuis que j’étais allée à l’université, j’avais verrouillé la porte de ma chambre à clé, elle ne se serait pas posé de questions.
Mon gestionnaire de compte quant à lui était resté bouche-bée lorsque je lui avais annoncé que dans les mois à venir, j’effectuerais d’importants retraits. Il m’avait posé tout une série de questions et pour ne pas paraitre suspecte, je lui avais dit que j’allais en voyage pour longtemps.
Les formalités pour l’obtention de nos visas avaient pris quatre jours. Nous nous étions rendues au 41 rue de la Bienfaisance à Paris pour récupérer nos passeports. Farida semblait avoir été droguée. Elle n’arrêtait pas de crier qu’elle était heureuse. Elle riait pour un rien. C’était bien la fille que j’avais connu. Je lui avais fait croire que ma réponse avait été négative, elle avait affiché une mine déconfite. Notre vol était prévu pour le 23, dans moins de quarante-huit heures.
Dans le taxi qui nous ramenait à la maison, je lisais ce livre de voyage que j’avais acheté quelques jours plus tôt quand le téléphone de Farida sonna.
C’était un numéro inconnu qui portait en son début « 00223 ». Un numéro malien. Elle écarquilla ses yeux maquillés de khôl en me regardant. J’entendais presque son cœur battre.
Moi : Décroche.
Farida : Non mais t’es malade ou quoi ? Qu’est-ce que je vais leur dire ?
Moi : Le meilleur moyen de les inquiéter c’est de ne pas décrocher.
Je lui arrachais le téléphone des mains et je décrochais avant de le lui coller à l’oreille.
Farida : Allô.
L’interlocuteur au téléphone : …
Farida : Oui, je vais bien. Merci et toi ?
L’interlocuteur au téléphone : …
Farida : La famille aussi j’espère.
L’interlocuteur au téléphone : …
Farida : Oui, il me l’a dit. Normalement je devais quitter demain mais là, comme il y a beaucoup de voyageurs en cette période, j’ai été mise sur un autre vol. Je t’appellerai avant de quitter.
Elle devait être en train de parler à son père. Je me replongeais dans mon livre. Ce que je lisais du Gabon me plaisait bien. Je sentais qu’on allait s’y plaire.
L’interlocuteur au téléphone : …
Farida : Merci. Salue tout le monde.
Elle raccrocha et me donna un coup à l’épaule.
Farida : C’était Adoum ! Le connard, il a même pris mon numéro. Apparemment il est déjà à Bamako. Il m’attend.
Moi : Ça lui fera une belle jambe de ne pas te voir arriver. Imagine un peu sa tête. Je ne le connais pas mais je suis certaine que ce serait très drôle.
Farida : J’imagine même pas ce que mon père dira. Et mes oncles n’en parlons pas. Au fait, tu fais quoi depuis avec ton livre là ?
Elle me l’arracha et lu le titre à haute voix avant de commencer à se tordre de rire.
Farida : T’es sérieuse… « Visiter le Gabon »… Ma pauvre, je te l’ai dit, tout ce que tu lis dans ton livre là, ça nous servira à rien.
Moi : Rend-le moi. Tu sais quelle monnaie ils utilisent les gabonais ?
Farida, toute fière : Le franc CFA. Comme un peu partout dans les pays francophones de l’Afrique et je peux même te dire que la capitale c’est Libreville.
Le chauffeur du taxi nous jetait des coups d’œil à travers son rétroviseur. Nous devions l’agacer à parler autant.
Moi : Rend le moi. Ils disent des tas d’autres choses dans ce livre. Tu verras que c’est moi qui nous sortirais des situations compliquées.
Farida en me tendant le livre : Moi je te le répète, pas besoin de carte pour visiter l’Afrique. Suffit juste d’ouvrir la bouche.
Je me replongeais dans mon livre la mine boudeuse. De nous deux c’était qui l’aventurière?
Jour J – quelques heures…
Azalea…
J’étais passée voir maman et Mellie au travail. Elles étaient très occupées à la préparation de quelques soirées. Mellie avait toujours travaillé avec maman. Je pense que c’est ce qui avait renforcé autant les liens entre elles. Depuis quelques années, maman lui avait laissé un peu plus de liberté quant aux décisions à prendre au sein de l’entreprise. Elle avait alors su l’impressionner en organisant des évènements sans oublier le moindre détail. L’agence d’évènementiel gagnait toujours plus en renommée. Et ma mère en était très fière. Durant les longues soirées, c’est Mellie qui se chargeait de représenter la boite. Maman disait souvent qu’elle était déjà bien trop fripée pour apparaitre sur des photographies. Elle préférait s’allonger dans son grand lit et récupérer les années de sommeil qu’elle avait perdu en travaillant aussi dur.
Ma mère : Merci pour les macarons. Ils sont toujours aussi délicieux.
Mellie : Maman, tu m’en donnes un ?
Ma mère lui tendait la boite de macarons que je lui avais apportés. Ses préférés. Elle piocha un et le fourra dans sa bouche.
Mellie prit le book posé sur le bureau de ma mère et elles commencèrent à le commenter. Je les regardais en essayant d’imprimer leur image dans mon cerveau.
Moi : Je peux prendre une photo de vous ?
Mellie : Tu as des milliers de photo de moi non ?
Moi : allez, ne fais pas ta difficile. Juste une.
Comme si elle s’était entendue, maman s’installa dans son fauteuil et Mellie se plaça derrière elle. Elle passa ses bras autour d’elle. Elles étaient si fusionnelles. Je prenais ma photo et sans aucune transition, elles reprirent leur conversation.
Moi : Je vais y aller.
Ma mère : Déjà ? Qu’est-ce qui t’a emmené ?
Moi, en prenant mon sac : Je passais dans le coin et j’ai juste eu envie de vous dire bonsoir.
Je m’approchais d’elles et je leur dit des bisous avant de me diriger vers la porte. Je me tournais une dernière fois.
Moi : Vous embrasserez Sade pour moi. Je vous aime.
Je suis sortie rapidement du bureau après cette dernière phrase. Si elles m’avaient vu, elles se seraient posées des questions. J’étais toute émue. Je sortais des bureaux de Mazarine. Il était presque 20 heures.
Je décidais de marcher un peu. J’avais déjà la sensation que les rues de Paris me manqueraient. Mais j’étais excitée par l’idée de découvrir un autre univers. Un autre mode de vie. C’était comme si c’était mon premier voyage et pourtant j’en étais bien loin. Il était juste différent des autres. Il avait une saveur particulière. Je n’arrivais pas encore à en percevoir le goût mais je savais qu’il me plairait. Je sautais dans un taxi direction mon appartement.
Farida…
Azalea est arrivée il y a peu. Elle m’a trouvé en train de courir dans l’appartement. A peine elle était entrée que déjà elle avait commencé à se moquer de moi.
Azalea : Mais tu fais quoi ?
Moi : Ça se voit pas ? Je range mes affaires ! Tu devrais me donner un coup de main tu sais ?!
Azalea : Et pourquoi ? Et puis, comment ça se fait que tes valises ne soient pas encore bouclées ?
Moi : Tu sais, nous les noirs, nous sommes toujours en retard je te promets. Laisse ça comme ça. Aide-moi seulement.
Sans se faire prier, elle se mit à plier les vêtements qui jonchaient le sol. Je sautais partout. Tantôt j’avais l’impression d’avoir oublié mon diplôme à Saint-Denis, tantôt, je ne retrouvais plus le chargeur de mon téléphone.
Moi : Dis, et si ça chauffe sur nous là-bas ?
Azalea, toujours calme : Mais qu’est-ce que tu crois. C’est ça une vrai aventure. Si tout se passe trop bien se serait nul à la fin.
Moi : Ma parole, vous les blancs, vous êtes trop bizarres. Moi je commence à avoir peur.
Elle se lit à rire.
Azalea : N’est-ce pas toi qui disais qu’en Afrique il suffit juste d’avoir une bouche ?
Moi : Ah ma chérie, je parlais seulement. Tu me connais déjà non !
Azalea : Je te connais trop bien même. Mais je ne comprends pas pourquoi tu prends autant de choses.
Moi : Tu es malade ou quoi ? J’ai trop souffert ici pour m’offrir tout ça. Tu veux que je laisse ça à qui ?
Je prenais dans mes mains un gros pull de Pull & Bear et je le serrais fort en me tortillant.
Moi : Tu te rappelles mon histoire d’amour avec ce pull ? 75 euro… près de 50.000 francs CFA. Ahiiii…
Elle me regardait avec des yeux ronds. Quelques mèches s’échappaient du foulard qu’elle avait noué sur sa tête. Elle avait des airs d’Iman. Elle était juste beaucoup plus petite que le mannequin.
Azalea : Ce n’est pas parce qu’il a couté 75 euros qu’il te servira en Afrique.
Moi : Au moins, il sera accroché dans ma penderie.
Elle souleva une paire de bottines avec l’air de me demander si elles aussi seraient de la partie.
Moi : Evidemment. Je vais les porter par temps de pluie.
Le temps semblait s’être arrêté. Je pensais à mon père, à ma famille. Que penseraient-ils de moi ? Je chassais vite ces pensées de mon esprit.
On avait terminé de tout plier. Mes valises avaient du mal à se fermer. Je devais m’asseoir dessus et Azalea forçait pour fermer. Nous avions encore quelques heures devant nous avant de nous rendre à l’aéroport. Nous en avions profité pour passer un dernier coup de propre et nous nous sommes installées à la petite terrasse avec pour seuls vêtements nos sous-vêtements. Il faisait un peu frais. Pour passer le temps, nous nous sommes lancées dans le partage de nos souvenirs les plus fous ici, dans cette ville. C’était un long moment d’échanges et de rires. Azalea alla s’allonger dans le canapé. Pour moi, pas question de me coucher. J’avais trop peur que nous ne nous réveillions pas et que par conséquent, nous manquions ce vol.
Azalea…
Les aéroports sont des endroits étranges. On n’est pas encore parti que déjà, on s’imagine ailleurs.
Assises au terminal 2 E, nous attendions notre avion. Je regardais la foule parcourir les grandes allées de l’aéroport. Certains avaient l’air bien pressé tandis que d’autres, rentraient et sortaient des nombreuses boutiques du duty free. Farida buvait un café dans lequel elle avait versé au moins trois sticks de sucre. Quelques fois, je reprenais ma lecture.
Face à nous, un coupe semblait être en train de régler ses comptes.
La dame : Espèce de gigolo. Je te nourris et c’est comme ça que tu me remercies.
Le monsieur : Ah pardon, passe. Ma mère m’a circoncis pour toi ?
La dame : C’est pour ça que tu devais aller coucher avec ma cousine ? Espèce de parasite. Toi et ta famille de bordelles là, vous allez savoir qui je suis.
…
Splash !
Je levais mes yeux. Il venait de lui donner une gifle.
Comment pouvait-on étaler sa vie ainsi ?
Et dire que nous avions choisi un vol de nuit pour éviter de tomber sur ce genre d’individus.
La dame, en tenant sa joue : Vous regardez quoi ? Toujours à vous mêler des histoires des autres.
Farida qui n’avait pas manqué une miette de ce spectacle malheureux : Quand on ne veut pas que les gens nous regardent, on règle ses problèmes avec discrétion. Tchuurrr…
La dame fronça juste ses sourcils et croisa ses jambes.
Moi, en me levant : Je vais faire un tour. Je reviens.
Je me levai avec une idée claire en tête. J’allais faire un tour dans la boutique Victoria’s Secret. A chacun de mes voyages, je m’y rendais. J’étais folle de leurs articles.
Je sortais de là avec un joli paquet aux couleurs « so girly » et je retournais à ma place. Nos amoureux n’étaient plus là et c’était mieux ainsi. Farida s’était jetée sur mon paquet et elle était déjà en train de s’imaginer dans les culottes que je lui avais prise.
« Les passagers du vol AF 976 à destination de Libreville sont priés de se rendre à la porte d'embarquement L48. Merci… Will the passengers of flight number AF 976 please go to the loading gate L48. Thanks. »
L’annonce nous tira de nos bavardages inutiles.
Nos trolleys derrière nous, nous avancions lentement à la porte mentionnée. Beaucoup d’autres passagers attendaient déjà. Certains parlaient et je leur trouvais un drôle d’accent. Avec le temps, j’avais fini par m’habituer à celui de Farida. Mais au début, j’avais souvent eu du mal à l’écouter. Les jeunes filles qui étaient devant nous étaient vêtues telles des stars. L’une d’entre elles portaient des extensions couleur grise. C’était très tendance ces derniers temps. Elles avaient toutes des ongles taillés à la Rihanna.
Des agents de l’aéroport avaient commencé à vérifier identités et billet d’avion. La file avançait lentement car beaucoup se trouvait être en dépassement quant au bagage qu’ils devaient prendre avec eux. Mais pourquoi ne les mettaient-ils pas simplement en soute ?
Notre tour arriva et tout alla très vite. Alors que nous marchions vers la porte de notre avion, je réalisais que je laissais tout derrière moi. Et cette idée ne me faisait pas du tout peur.
Farida…
Nous étions installées dans nos sièges. En attente du décollage qui serait imminent. J’étais fatiguée. J’avais les paupières bien lourdes. Contrairement à Azalea, je n’avais pas dormi. Et malgré le café que je venais de prendre, je me sentais de plus en plus exténuée. Quelques voix se faisaient entendre dans l’avion. Azalea, imperturbable continuait à lire son livre de voyage. Pour avoir grandi en Afrique et pour avoir lu ce que ces livres présentaient de mon pays le Mali, j’avais compris qu’il valait mieux arriver et être surprises que se préparer et être quand même surprises. Elle tournait chacune des pages après l’avoir lu avec minutie. Un peu comme si elle aurait à passer un examen sur le sujet. Quelques fois, elle surlignait une phrase. Toute cette préparation me faisait rire.
Deux hôtesses et un steward tirés à quatre épingles se placèrent dans les allées de l’avion pour mettre des images sur les consignes de sécurité que lâchaient les haut-parleurs. C’était le signe que bientôt nous allions prendre le large.
Je sortais mon téléphone de mon sac et j’approchais ma tête de celle de mon compagnon de voyage.
Moi : Allez, on sourit à cette nouvelle aventure.
Elle leva sa tête de son livre et fit un grand sourire qui creusa ses fossettes.
Moi : Super ! A nous le Gabon.
Azalea : A nous le Gabon.
Moi : Au fait miss, on arrive à quelle heure ?
Azalea : Humm si je te disais de lire ce magnifique ouvrage tu aurais râler. Nous un peu plus de six heures de vol. Donc nous y seront à … dix heures et demi environ.
Moi : Heureusement que t’es là ma boussole.
Je la gratifiais d’un gros bisou avant de vérifier que ma ceinture était bien bouclée et de mettre mon cache-yeux. J’adorais dormir durant les vols.
Moi : On se voit à Libreville bébé.