Chapitre 1 - #10

Ecrit par BlackChocolate

Je me dirigeai vers la case où je m’étais rendue la veille pour joindre mon père. Le jour, on y voyait plus clair que la nuit. Il y avait encore çà et là quelques affaires appartenant au défunt. Je n’avais pas envie de les toucher, et je ne voulais pas non plus passer une minute de plus dans cette case. Je décidai donc d’aller faire les cent pas.


Lorsque je sortis..., l’air frais du matin me fit plus de bien que la chaleur moite qui régnait dans la case de Fofana. Quelques rebelles me dévisageaient et d’autres crachaient sur mon passage, comme pour me signifier qu’ils n’étaient pas d’accord avec le choix de Madjou. Mais que pouvaient-ils bien y faire ? La loi du plus fort était la meilleure. Je n’étais certainement pas la plus forte, mais j’avais les faveurs de celui qui l’était. Lorsque je passai devant la case de l’assassin de ma mère, aucun bruit n’en sortait. D’habitude, chaque fois que Madjou entrait dans sa case avec une femme, on pouvait entendre des cris et des halètements jusqu’à l’autre bout de la ville. Mais là, c’était un peu trop silencieux. Je craignis même le pire pendant quelques secondes. La femme qui lui avait été envoyée pouvait bien avoir profité d’un moment de faiblesse pour lui arracher la vie au cas où elle ne couchait pas avec lui de son propre gré. Je décidai de vérifier ce qui se passait. Après tout, il ne risquait pas de me faire du mal pour si peu. A l’intérieur, il n’y avait personne. Apparemment Madjou était vite allé en besogne cette fois. Je poursuivis donc ma petite promenade matinale en pensant à mon père qui viendrait me libérer bientôt. Mais pendant que je marchais, je vis Madjou parler avec un homme blanc au détour d’une case.

C’était un Monsieur court et rondouillet dont la silhouette me fit penser à tonton Richard. Il portait une culotte lui arrivant à peine aux genoux, une chemise qui paraissait d’une plus grande taille que la sienne et un chapeau de paille. Les deux hommes parlaient à voix basse. J’avais beau être à quelques mètres d’eux, je ne pouvais les entendre. Je décidai donc de me rapprocher en espérant pouvoir écouter des bribes de la conversation, mais avant même d’avoir fait quelques pas, une branche craqua sous mes pieds. Madjou et son interlocuteur se retournèrent brusquement. On pouvait lire la peur et la surprise sur leurs visages, et c’était tout à fait compréhensible car en cette période de guerre, personne ne savait d’où pouvait venir le danger. Le blanc passa quelques secondes à me scruter de la tête aux pieds, comme s’il me connaissait. Pour lui, tous les africains devaient se ressembler, me dis-je. Madjou me demanda ce que je faisais là.

- Madjou : Tu me suis maintenant ? Je t’ai nommé Lieutenant, pas mon ombre.

Je lui expliquai alors que je me baladais juste, et que je n’avais aucune idée de l’endroit où il pouvait être. L’autre ne lui laissa pas le temps de répondre et nous interrompit :

- Le blanc : J’allais partir de toute façon. Réfléchissez bien à mon offre, on en reparlera très bientôt.

- Madjou : D’accord Mr Barnabé, répondit –il en faisant un grand sourire.

A l’opposé de l’endroit où étaient les deux hommes, se trouvait une voiture qui portait l’insigne d’une Organisation internationale. Le blanc mit le véhicule en marche, me fit un signe d’au revoir de la main et disparut très vite en laissant derrière lui un énorme amas de poussière.

Depuis ma dernière conversation avec mon père et l’apparition de Mr Barnabé, plusieurs jours s'étaient écoulés. L'espoir de revoir ma famille s'amenuisait peu à peu. Il fallait se rendre à l'évidence et me résigner à ma nouvelle vie d'enfant soldat. Mon nouveau poste avait ses avantages, car les autres étaient à mon service même si cela leur déplaisait énormément. J'étais perdu dans mes réflexions lorsque je sentis un léger tumulte. Je sortis pour voir ce qui se passait et là, j'aperçus deux 4x4 peints aux couleurs d’une Organisation Internationale d’où sortirent plusieurs militaires. Ils étaient environ 4 par voiture et étaient probablement là pour assurer la protection d'une personnalité, car ils étaient trop peu pour prétendre vouloir combattre Madjou et son « armée ». Néanmoins, les rebelles se tinrent tous sur leur garde au cas où l'ennemi aurait l'intention d'essayer quoi que ce soit. Un homme sortit de l’une des voitures. C’était un blanc, et il portait un chapeau de paille, ce qui me mit tout de suite la puce à l’oreille. C’était Mr Barnabé, l’homme qui discutait avec Madjou quelques jours auparavant. Il se dirigea vers la case de ce dernier, laissant derrière lui les hommes chargés de sa sécurité.

Après une trentaine de minutes, les deux hommes réapparurent. Le blanc tourna la tête dans ma direction et nos regards se croisèrent. Il me lança un sourire que je ne lui rendis pas, puis chuchota quelque chose dans les oreilles de Madjou en m’indexant du doigt. Celui-ci ria à gorge déployé avant de me demander de me rapprocher d’eux par un signe de la main. En avançant, j’avais à nouveau peur. Cet homme blanc avait beau être du bon côté, il y avait depuis quelques mois plusieurs rumeurs qui circulaient concernant certains militaires qui abusaient des enfants.

- Madjou : Ma petite, je te présente Mr Barnabé. Il m'a dit qu'il voulait te connaitre. Madjou se remit à rire malgré qu’aucune blague ne fût prononcée.

Le monsieur blanc prit la parole:

- Mr Barnabé : On t'a déjà dit que tu es très belle ma petite amazone? Tu es parfaite, juste comme il faut, ni trop jeune ni trop vieille. Je sens qu'on va bien s'entendre.

Il essaya de me tirer vers lui, mais je repoussai ses mains. Comment Madjou pouvait il me pousser dans les bras d'un homme de cette façon ? Lui qui avait toujours empêché qui que ce soit de me toucher. Apparemment, un chien reste un chien, ce qui se confirma lorsque Madjou hurla :

- Madjou : Tu vas faire tout ce que ce Monsieur te demandera sinon tu verras ce que je te ferai !

Son rire avait disparu et avait laissé place à un regard menaçant. J’aurais dû le laisser mourir, pensai-je, pendant que quelques larmes se mirent à couler de mes yeux. Je fis trainer dans une case par deux sous-fifres de Madjou qui ne faisaient rien pour cacher leur joie. Je n’avais plus la force de me débattre. Mr Barnabé nous suivait de près. Une fois seule dans la case, il se rapprocha de moi et dis :

- Mr Barnabé : Tu es Naïa n'est-ce pas?

Comment pouvait-il avoir cette information alors que Madjou ne m'avait pas appelé par mon prénom à aucun moment en sa présence.

- Moi : Comment savez-vous cela ?

- Mr Barnabé : Je n’ai pas le temps de bavarder. Tout ce que je peux te dire, c'est que tu dois te tenir prête. Je pourrais revenir à n’importe quel moment, et il faut que tu sois prête.

- Moi : Mais prête pour quoi ?

- Mr Barnabé : T’enfuir. Ton père se trouve à quelques kilomètres d’ici. Il voulait partir à ta recherche, mais cette zone est bien trop dangereuse et aucun civile n’est autorisé à y mettre les pieds. Il nous a donc montré une photo de toi, et notre mission consiste à te sortir d’ici. J'ai dû faire croire à ce Madjou que tu me plaisais bien pour pouvoir être seul avec toi. Le salop, il m’a pris 100 000f pour me laisser faire. Tu as la chance que je ne sois pas venu ici avec de mauvaises intentions.

- Moi : Mais je ne suis pas seule ici monsieur. Il y a plusieurs femmes esclaves qui auraient aussi besoin d’aide.

- Mr Barnabé : Je te l’ai dit, ma mission consiste à venir te chercher. Toi et toi seule.

- Moi : Si je pars en sachant que je n’ai rien fait pour sauver ces femmes, je m'en voudrais. S’il vous plait Mr Barnabé, pitié. Elles méritent aussi d’être sauvées.

- Mr Barnabé : Boooon okay! Elles sont au nombre de combien environ? Où sont-elles ?

- Moi : Elles sont environ une cinquantaine. Je me charge de les prévenir

- Mr Barnabé : D'accord. Il est temps pour moi de partir. Je reviens dans un ou deux jours.

- Moi : Merci beaucoup Monsieur Barnabé. Dieu vous bénisse.

Il tourna les talons et s'en alla. Il y avait à nouveau de l’espoir. Désormais, je croyais plus que jamais en mes chances de partir de cet enfer. À la tombée de la nuit, pendant que les soldats étaient couchés pour la plupart, j’allai voir les autres femmes pour les tenir au courant du plan. Tout alla très vite. Le lendemain, la journée parut interminable. Le deuxième jour, le soleil semblait ne pas se décider à se coucher. Quand la nuit tomba, ce fut au tour des miliciens de ne pas vouloir dormir. Mais quelques heures plus tard, on pouvait entendre les chats de la nuit miauler.

Je rejoignais à peine les autres femmes lorsque Mr Barnabé sortit de nulle part. Il était accompagné de quelques hommes. Ils nous firent signe de la main. J'avais peur qu'on se fasse repérer, car après tout il n’y avait pas moins de 50 femmes à déplacer, et c’était beaucoup. Après une vingtaine de minutes, presque tout le monde était hors d’atteinte lorsque soudain, des cris d'alerte furent lancés. Quelqu’un avait dû nous voir. Pourquoi les choses ne pouvaient-elles jamais se passer sans qu’il n’y ait une difficulté à surmonter. Aussitôt, les tirs fusèrent de toutes parts, et les femmes qui n’étaient pas encore montées dans les véhicules se mirent à crier, courant dans tous les sens à la recherche d’un abri. Le gros camion dans lequel j’étais installée s’empressa de démarrer, et quelques minutes après, je m’éloignais de cet endroit où j’avais probablement passé les pires moments de ma vie d’enfant.

Pour moi, la guerre était finie...

Fin du Chapitre I

Ce chapitre rend hommage à toutes les personnes victimes des conséquences de la guerre, aux enfants soldats, et aux femmes violées….

Les Chroniques de Na...