Chapitre 1
Ecrit par Sandra Williams
Chapitre 1
GUERRIA 1992, Présidence, 23H08
Un véhicule noir traversa la rue Vermon, située dans le quartier le plus sécurisé de toute la GUERRIA. Il entra dans l’immense demeure du président Raphaël KOMORE et se gara devant la grande porte d’entrée surveillée par deux gardes du corps en uniforme. La portière s’ouvrit et laissa voir un homme d’environ la trentaine en sortie et se diriger vers le seuil de la maison. Les gardes saluèrent poliment l’homme en se mettant au garde à vous. Ils s’exécutèrent et ouvrirent la porte laissant le visiteur nocturne entrer dans l’enceinte.
Il fut accueilli à l’entrée par une jeune, belle et élégante dame dotée d’une fière allure. Elle le guida jusqu’au bureau de son excellence et après l’avoir annoncé, elle prit discrètement congé des messieurs. Le président assis dans son bureau, le nez plongé dans ses documents fit d’un geste de la main le signe de laisser entrer l’homme qui lui rendait une visite nocturne. Il passa le seuil et se dirigea vers l’homme le plus important de la Nation Guerriane de pas sûrs et posés, la tête pleine de questions.
Dolus KOMORE, le frère cadet du président, ministre chargé de la sécurité nationale, était un jeune homme qui avait su faire ses preuves auprès de son frère. C’était devenu un homme affirmé, imposant, sûr, dynamique, travailleur, compétitif et brave. Aux côtés de son grand-frère Raphaël, Dolus en avait beaucoup appris sur la politique et la gestion du pouvoir. Il admirait son frère pour sa bravoure et son humilité malgré la puissance qu’il avait à Guerria. C’était un président aimé de son peuple, un homme patient et attentif.
— Bonjour mon frère ! lança-t-il d’un ton grave et posé.
— Désolé de t’avoir faire venir à cette heure mon frère mais il fallait que nous discutions, répondit Raphaël en se levant de son siège pour aller à la rencontre de son frère. Les deux s’enlacèrent et le Président invita son frère à prendre place pendant que lui, regagnait son siège. Il s’assit posément. Jambes croisées avec élégance, l’homme s’adossa au dossier de son fauteuil, le menton soutenu par le poing de sa main. Il laissait démarquer à son poignet une grosse montre noire au poignet. Ses doigts était orné de grosse bague outre son alliance mariage. Raphaël avait tout d’un homme sage, intègre, loyal et surtout la carrure d’un leader. Son visage était mystérieux, pensif et analytique.
Devant lui se trouvait posé sur le bureau un tas de documents éparpillé qu’il n’avait pas fini de peaufiner. Il se concentra un instant comme s’il cherchait à retrouver ses esprits. Raphaël KOMORE était un homme admirable. Son parcours politique était très impressionnant. Sa victoire aux élections présidentielles était la « volonté unanime » si on pouvait le dire de toute la GUERRIA. Durant ces deux ans de gouvernance, il avait réussi à gérer sans l’ombre d’une menace tout le peuple et à leur garantir la paix.
C’était un homme très méticuleux et très objectif dans ses actions. Cependant, depuis un moment, un détail lui échappait. Certaines rumeurs courraient dans le pays à propos d’une certaine importation d’armes de guerre illégales. C’était là une rumeur que tous sauf Raphaël pouvaient prendre à la légère. Il convia son frère dans sa demeure afin qu’à deux, ils discutent urgemment de la crédibilité de ses rumeurs qui pouvaient cacher un problème plus grave. Si problème, il y avait.
Un homme aussi perspicace que Raphaël ne pouvait s’empêcher d’entrevoir entre ces lignes de grave menace de guerre sur Guerria.
Derrière son bureau, l’homme d’un mètre quatre-vingts, noir, fort copulant et d’âge mûr dans son ensemble polo plus Blue jean fixa son frère sans ajouter un mot.
— Est-ce que tout va bien ? demanda Dolus préoccupé par le silence inquiétant de son frère.
— Je n’irai pas par quatre chemins. Quelle est la situation sécuritaire du pays ? dit-il le front plissé, l’air soudainement suspicieux.
— La situation actuelle du pays dépasse toutes nos attentes. Le peuple te vénère et te fait confiance. Pourquoi te prends-tu la tête avec une simple intuition ? parce que j’ai l’impression que tu prends ses rumeurs trop au sérieux, dit Dolus en croisant ses jambes.
— J’ai de bonnes raisons de croire, Mr le ministre de la sécurité nationale que tout ne va pas aussi bien que tu le prétends, articula Raphaël calmement gardant toujours la même posture et son calme.
— J’ignore quelles sont tes sources mais je n’ai encore noté aucun problème, reprit Dolus.
— Dolus, il se pourrait que des armes de guerre soient illégalement importées dans notre pays ? nos frontières ressemblent beaucoup plus à une passoire qu’à ce qu’elles devraient être, s’écria Raphaël.
— Ce ne sont que des histoires. Ne fais pas attention à ces hommes qui jouent les intéressants avec leur micro et leur bout de papier, répondit Dolus.
— Si on leur donne l’opportunité de jouer les intéressants avec leur bout de papier comme tu le dis, ils en profiteront. Cette histoire devait être prise au sérieux, mon frère. Et j’ai comme l’impression que tu ne fais rien pour pallier à ça, s’écria Raphaël en colère.
— Ne te méprends pas Raphaël ! Je vais dès cet instant mettre des hommes sur le coup, se défendit le ministre de la sécurité.
— Nos frontières sont violées chaque jour. Des gens en profitent pour importer des armes dans le pays. En trois jours, quatre de nos citoyens ont été tué et tu penses qu’il s’agit d’une quelconque intuition. Je commence vraiment à m’impatienter et si tu ne fais rien pour résoudre ce problème, je me verrai dans l’obligation de prendre des décisions drastiques, gronda le président sans détour.
— Je vais convoquer dès demain à la première heure une réunion avec nos forces armées. Je demanderai d’ouvrir une enquête le plus tôt, confia Dolus.
— Je me fiche de ce que tu vas faire. Ce que j’attends de toi, c’est que cette histoire soit prise en compte et résolue le plus tôt possible. Guerria est menacée. J’attends de toi des résultats. Sinon tu seras destitué de ton poste, menaça-t-il.
Pendant ce lapse de temps, la porte du bureau s’ouvrit et fit apparaître derrière elle, la charmante Alma, l’épouse du Président Raphaël. Son apparition dans la pièce fit régner un silence plat et une douce sensation d’apaisement. La première dame de toute la Guerria était une femme grâcieuse, charmante, unificatrice et charismatique. Malgré les intempéries de l’âge, il était difficile de noter une seule apparition de ride sur son visage toujours souriant et joyeux. Elle était sublimement vêtue d’une longue robe faite de pagne Wax, fleurie et ample qui cachait honorablement ses belles courbes.
Alma s’avança vers les deux hommes. Son parfum emplit la pièce et convia les deux gentlemen à un retour au calme. Elle se dirigea vers son beau-frère puis lui fit une bise de bienvenue sur les deux joues.
— Il est très stressé ces temps-ci. Je doute que n’es pas subi aussi sa frustration, dit-elle d’une voix sûre et grâcieuse.
— Je n’y ai pas échappé, on dirait ! fit-il en afficha un sourire
— On vous entend depuis le salon, mon amour. Est-ce que tout va bien ? demanda-t-elle en direction de son époux.
— Je suis très préoccupé par ce qui se passe dans l’ombre. Tu peux penser que je suis fou mais je sens des jours noirs venir, reprit-il en passant la paume de ses mains sur son visage pour témoigner de son anxiété.
— Tu n’es pas un fou, mon amour. Tu as l’âme d’un leader et un leader sent toujours quand un danger menace sa troupe, dit-elle en s’approchant de son homme. Ton dîner va refroidir. Faîtes-moi le plaisir de reporter cette conversation à plus tard. Autour d’un bon plat vous aurez les idées plus claires, reprit-elle en tendant sa main vers son mari pour inviter se dernier à accepter sa proposition.
Raphaël comme tout mal dominant pouvait résister à tout, sauf au charme de sa magnifique épouse. Plus serein, il glissa sa main entre celle de son épouse sous le regard de son frère et se leva de son fauteuil. Dolus suivit ses pas. Ensemble, ils sortirent de la pièce. Alma fit signe de la tête à l’une des servantes dans le salon de dresser la table. Elle leur servit de la téquila nationale beaucoup plus connu sous le nom de ‘’Sodabi’’ à Guerria. Les deux hommes se partagèrent une gorgée avant de rejoindre la salle à manger. La table était délicieusement bien garnie. Ils prient place et se fit servir. Alma s’occupa en bonne femme africaine de chacun d’entre eux avant de vaquer à une autre de ses occupations.
— Je vais coucher Andrade. Bon appétit Messieurs, dit-elle gentiment avant de les quitter.
La conversation reprit de plus belle après avoir rempli leur ventre. Cette fois-ci, le ton n’était pas monté et chacun des deux hommes se parlaient décemment dans le grand salon, se partageant une bouteille de ‘’Sodabi’’.
— Je tenais à m’excuser pour m’être laissé emporter tout à l’heure comme ça ! s’excusa le président.
— T’en fais pas Raphaël ! Je comprends ton angoisse. Tu t’inquiètes pour ton peuple, fit-il l’air pas dubitatif.
— Ce n’est pas une simple intuition. Je le sens effectivement, insista Raphaël.
— Ah ! toi et tes superstitions. Je suis certain que tu te fais du mouron pour rien. Et même si c’était vrai, nous nous en sortirons comme toujours, reprit Dolus.
— Je ne veux pas que cela prenne des proportions démesurées comme le tout dernier épisode à Gouroumande, s’inquiéta Raphaël préoccupé.
— Tu l’as toi-même dit en son temps. C’était un malheureux malentendu, répondit-il.
— Qui t’as coûté beaucoup. Je sais combien tu en as souffert. Je ne veux pas que cela se répète, dit-il les yeux rivés sur son frère.
— Non ! tu ne sais rien. Tu penses le savoir mais ce n’est pas le cas. Personne ne peut le savoir, ajoute Dolus, les yeux plongés dans son verre comme s’il cherchait le moyen de noyer son amertume dans ce verre presque vide de téquila.
— Tu as raison ! Demain est un autre jour. Alma t’a préparé une chambre. Je pense que tu devrais rester dormir ce soir, lui proposa le président.
— Je ne voudrais surtout pas offenser Alma. J’accepte donc l’invitation, fit Dolus en déposant son verre sur le guéridon du salon fabriqué en bois massif comme nombreux des meubles de toute la maison.
Les deux hommes se levèrent de leur siège, se firent une accolade et se dirigeaient vers les appartements échangeant des rires dans le couloir.
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Le clair de lune de la nuit du 8 Mai 1992 était plus éblouissant qu’à l’accoutumée. La lune brillait de mille feux. Toute la GUERRIA rayonnait sous ses lumières. Le calme glacial de la nuit, adoucissait le sommeil des habitants de la demeure de Raphaël. La petite Andrade se blottit contre son oreiller et se laissa emporter dans un doux sommeil. Alma et Raphaël blottit l’un contre l’autre dormaient à point fermé. Les serviteurs de la maison avaient tous déjà gagné leur chambre. Plus le bruit d’un seul pas ne se faisait entendre.
Tout semblait pour le mieux quand soudain, l’un après l’autre, les gardes du corps firent descendus dans le plus grand silence d’une balle dans la tête. Les assaillants réussirent à prendre le domicile du président d’assaut. Ils s’infiltrèrent en douce dans l’enceinte du domicile. La chambre du couple fut prise pour cible. Alma qui avait entendu un bruit suspect venant du couloir se réveilla. Elle tenta d’allumer la lumière de la pièce mais il était trop tard ; une balle se logea entre ses deux yeux et elle s’écroula sur le sol sans avoir eu le temps de poser un geste supplémentaire. Le bruit réveilla le président qui se précipita pour se lever. Une autre balle sortie de nulle part se logea dans son front puis calma ses ardeurs. Il s’effondrât sur le lit. Le chef des mercenaires se dirigea vers une autre pièce où il exécuta le frère du président, les serviteurs de la maison, le chat et le reste des gardes du corps. L’assaillant était vêtu d’un ensemble noir, des gants noirs portées aux deux mains, chaussées de bottes noires et le visage couvert d’un masque en forme de la tête d’un loup.
Il sortit de sa poche une photo de la petite Andrade qu’il n’avait jusqu’à présent pas encore descendu. Il fit signe de la main à ses hommes de rechercher la petite dans toute la maison. Ils s’exécutèrent. Deux d’entre eux se dirigèrent vers le couloir où se trouvait la chambre de la petite.
La porte de la chambre de la fille du Président s’entrouvrit calmement en faisant de petits crissements. Une silhouette masculine se glissa dans la pièce. Le noir qui régnait dans la chambre offrait une vue brouillée du visage de l’homme qui s’était invité dans la pièce de la petite Andrade. L’ombre dessinait un homme fort, corpulent qui ressemblait aux gardes de la maison ainsi qu’aux assaillants. Il se dirigea vers le lit d’Andrade, d’un pas calme et posé. Ses grosses bottes noires ne faisaient aucun bruit contre les carreaux du sol. L’ombre de l’intrus qui se dessina au sol se pencha sur la petite fille à hauteur de son lit et posa ses deux mains sur la petite fille. Un silence calme s’en suivi.
La nouvelle du massacre de tous les habitants de la maison du président se répandit comme une traînée de poudre dans toute la GUERRIA. Ce fut le début d’une guerre sans merci qui allait durer deux décennies. Le malheur que craignait le défunt Président s’abattit sur tout le pays annonçant des jours noirs et sanglants.
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GUERRIA 2012, ESPERIA, HÔTEL KOLBORE, DINER DE GALA EN HONNEUR DE RAPHAËL KOMORE
Vingt années s’étaient écroulées après le coup d’état qui avait emporté le Président Raphaël KOMORE. Pendant quinze longue années, GUERRIA avait sombré dans les catacombes de la mort. Le retour au calme n’était vieux que d’à peine cinq ans. Depuis, les autorités en charge du pays essayaient tant bien que mal d’organiser les élections présidentielles et de mettre fin une fois pour toute aux turbulences qui ne cessaient d’agiter le pays. Ils réussirent finalement cette année-là à présenter deux candidats aux élections. Entre l’instabilité politique et économique, la paralysie des secteurs d’activités, le décès prévisible du tourisme puisque Guerria était devenu le pays que nul n’avait le cran de visiter mais que tous voulaient quitter, les choses n’étaient pas faciles.
Ce lot de problème n’empêchait guerre l’organisation d’un hommage mémorial en l’horreur du grand homme qu’était Raphaël. KOLBORE, le plus grand hôtel du moment de toute la Guerria abritait l’évènement.
Il sonnait 21h quand les invités gagnèrent le lieu de l’évènement. KOLBORE brillait sous le feu des projecteurs. Les invités aussi distingués les uns après les autres honoraient la marraine de l’évènement, la charmante Valda ASSOUA de leur présence. Ils s’installèrent dans la salle réservée à l’occasion. Le raffinement et l’élégance dont ils faisaient preuve témoignait de la classe sociale à laquelle ils appartenaient tous. C’était là, un évènement rassemblant les hauts dignitaires de la GUERRIA.
La ville d’ESPERIA était la seule à avoir conservé sa beauté en ces quinze années de guerre. Regroupant les grands investisseurs, les hommes d’affaire, les hommes politiques et les quelques familles bourgeoises de Guerria, elle survit aux intempéries de la guerre. Espéria était la ville intouchable. Les quelques pauvres habitants qui y résidaient par le passé ont été rapatrié vers la banlieue de la même ville. Divisant ainsi Espéria en deux parties. La banlieue était totalement à l’opposé de cette dernière. Elle avait été surnommée Désespéria. On pouvait clairement comprendre qu’Espéria était la face cachée de l’iceberg. Désespéria illustrait le mieux l’état effectif de tout le pays.
Déjà à 22h les festivités avaient commencé. Le vingtième anniversaire de la mort du président et sa famille était au bout de toute les lèvres. Un grand poster de la défunte famille était accroché sur l’un des murs de la salle. Un autre où on ne voyait que Raphaël seul était accroché à l’entrée. Des photographes s’amassaient un peu d’argent en offrant des shoots aux invités. Les journalistes ne se firent pas prier. Ils profitaient de chaque instant pour questionner les hautes personnalités du pays. La fête était mouvementée. Les femmes, épouses de richissimes hommes d’affaires, filles de grandes familles et autres exhibaient leurs fortunes sans aucune vergogne.
Valda, journaliste engagée à succès d’entre-temps, prit la parole pour inviter ses charmants invités à observer le silence. Issue d’une des familles les plus riches de la Guerria, Valda avait très tôt appris à voler de ses propres ailes. Elle eut un succès sans pareil dans sa carrière journalistique. Fidèle amie de l’ex Président, cette femme influente lui témoignait même après sa mort le même respect qu’auparavant. Sept fois remariée, Valda avait eu l’honneur de fréquenter les plus riches hommes de Guerria et en dehors de Guerria. Elle fut même mariée à un Ducqui péri dans un accident d’avion, lui laissant la majorité de sa fortune.
Cette femme était à elle seule une source d’influence intarissable. L’an dernier, elle épousa un jeune homme de moins de vingt ans qu’elle. Alfred ASSOUA, un jeune pilote sud-africain qui a atterri à Guerria et qui s’est marié pour son grand bonheur à la femme la plus difficile à impressionner. Beaucoup racontaient qu’il l’aurait fait recours à la magie noire pour l’attraper dans son filet. D’autres pensent qu’elle avait juste envie de s’amuser. Pour certains encore, il n’était qu’un caprice. En dépit de tout ce qui se racontait, le couple affichait partout leur bonheur.
— Mesdames et Messieurs, Bonsoir ! dit-elle d’une voix douce et élégante dans le micro. Un silence envahit soudain la salle. Et tous les regards se dirigeaient vers leur hôte. Je suis honorée de votre présence à ce dîner que j’organise en honneur de notre cher ami, père, frère, président Raphaël KOMORE et de toute sa famille. Tous mort la nuit du 8 Mai 1992 pendant qu’il était encore en service. Un malheureux épisode qui a causé tant de mal dans nos cœurs et sur toute la nation guerriane. Je vous prierai d’observer une minute de silence en hommage de la famille KOMORE, reprit-elle d’une voix meurtrie.
La salle baigna pendant une minute dans un silence total. Les têtes baissées, tous les invités rendaient hommage à Raphaël et à sa famille en disant une petite prière en chœur à l’endroits des défunts.