Chapitre 1
Ecrit par anomandaris
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Cinq millions de dollars Melcène. Coupures et pièces incluses. A l’arrière d’un véhicule. Elvis Baden poussa un soupir à la pensée que tout cet argent ne l’appartenait pas. Sur le cadran de l’autoradio du fourgon blindé, onze heures trente brillait de sa lueur rouge sur fond noir.
« Qu’est-ce qu’il y’a ? » Lui demanda Marty, mains sur le volant. Son pantalon baissé au niveau de ses cuisses sans gêne, il essayait de supporter la chaleur ambiante avec sa propre vision de la classe. Le paysage monotone de la route 7 qui reliait Brentville à Freeborn, leur destination, défilait comme dans un film en noir et blanc.
« Rien, lui répondit Elvis en reportant son attention devant lui. Je pensais juste qu’on faisait le métier le plus chiant du monde.
— Et c’est reparti pour un tour », soupira Marty. Il ne pouvait pas le comprendre. Lui était déjà père et époux, il avait une raison d’accepter cette chaîne de la vie. Elvis avait un grand frère trader à la bourse de Brentville et un cadet qui terminait ses études en génie civil à la fac. C’était sa belle-mère qui avait parlé de lui à monsieur Victory pour qu’il lui donne un poste à la banque. Si ça ne dépendait que de sa génitrice, il resterait au chômage jusqu’à ce que son bailleur vienne le mettre à la rue pour loyer impayé, depuis qu’il s’était disputé avec elle à cause de son défunt père. Si seulement on pouvait choisir son ventre de naissance, pensait-il souvent.
Le pire était qu’il était celui des trois garçons de madame Irène Lester à lui ressembler en morphologie. Corps sec, teint noir d’Afro-melcénien, grande taille et yeux enfoncés. La combi noire des gardiens lui allait à ravir depuis qu’il s’était mis à la muscu. Des six membres du fourgon, il était le plus entretenu.
« Ça fait quand même bizarre de commencer ses journées de la même façon, de les terminer de la même façon et de faire à chaque fois qu’on se couche les mêmes rêves d’avenir. Tu trouves pas ?
— Petit, lui dit Marty, si tu continues tu vas me donner envie de faire dévier cette caisse sur le bas-côté, histoire de savoir si un séjour à l’hosto est quelque chose d’assez… excitant dans ta vie de merde.
— Si seulement…
— Hé, là ! Contrôles tes chakras, mon garçon ! Tu vas attirer le mauvais sort sur nous.
— Quel mauvais sort ? Répliqua Elvis avec un soupir. Un avion qui se détourne de sa trajectoire pour venir s’écraser sur nous ? Des martiens qui nous enlèvent avec le fric à bord de leur soucoupe volante ? Ou encore…
— La voleuse aux couilles dorées qui nous dévalise au prochain virage ? »
Un frisson parcourut l’échine d’Elvis tandis que le fourgon empruntait le dernier virage avec le grondement bas de son moteur en arrière fond sur un air pop de Vanessa Carlton sur l’autoradio. Du côté de Marty, le paysage rocailleux était désert. Du côté d’Elvis, s’il y’avait quelqu’un caché derrière les grands arbustes et les rares arbres non fruitiers, c’était qu’il se cachait bien. Elvis ne s’en trouva que plus tendu. Elle pouvait être là, attendant le bon moment avant de faire voler leur véhicule cul par-dessus tête. Il secoua la tête, étonné de sa réflexion incohérente. Les véhicules terrestres, ça volait pas, bon sang !
C’était d’ailleurs une des raisons qui lui donnait envie de la rencontrer. Il ne croyait pas à ces sornettes de rescapés de braquage de fourgon. Une fille, toute seule, même si elle avait la carrure de The Rock, ça ne pouvait pas vous neutraliser une demi-douzaine d’hommes sans qu’aucun d’eux ne puisse la neutraliser. Et si oui, contrairement à ses comparses effrayés - effrayés malgré le fait que la Victory Bank ne faisait pas partie des cibles des quatre braquages des quatre semaines passées -, il était plus curieux qu’effrayé à l’idée de croiser le chemin de cette multimillionnaire en bandana et lunettes de soleil. Le frisson qu’il avait eu à l’idée qu’elle soit là, au tournant, était un frisson d’excitation.
Elvis se gratta le visage qui avait encore quelques tâches de son acné insistante d’il y’a quelques années, des fourmis imaginaires le parcourant encore après la tension précédente. Ou sous l’effet de la chaleur de l’habitacle.
« Tu vois, fit Marty sans lâcher la route du regard, d’une voix apeurée. Le mauvais sort, mon garçon. Ma maman disait que les premières preuves de sa manifestation étaient des grattements, des fourmillements.
— Je ne savais pas que les hommes de Dieu mentaient, dit Elvis après avoir ricané.
— Sans blagues, se récria Marty. Je ne mens jamais sur ce que me disait ma mère. (Il se signa rapidement) Ne dis plus des choses aussi sombres, Elvis. Quelque soit le motif que tu puisses avoir qui te passe par la tête.
« J’ai quand même l’impression que je suis le seul gardien de fourgon à être curieux de la voir, moi », dit Elvis après quelques minutes de silence, sans que le paysage ne change de morphologie. Marty, petite silhouette suante dans sa combinaison serrée aux aisselles, lui lança un de ses coups d’oeils rapides que seul un chauffeur amateur pouvait se permettre de faire à quatre-vingt kilomètres heures comme vitesse minimale au compteur.
« Tu n’es pas le seul, répondit Marty. Moi aussi, tu sais. Et aussi Dan, John, Timmy et Zack, fit-il en désignant d’un mouvement de tête l’arrière du fourgon noir. Nous aussi on veut la voir. Entre les mains d’un agent de police, au milieu de la moitié des flics de la ville. Ou encore derrière des barreaux. Ou même morte et empaillée, tant qu’on y est. Si elle est capable de faire ne serait-ce que la moitié de ce qu’on dit qu’elle est capable de faire, je ne la considère même pas comme une créature terrestre.
— Nan, sourit Elvis avec une moue fugace au visage. Moi je veux la voir en action avant de juger. On a pas encore pu la filmer. Peut-être que tout ça c’est un gros canular des directeurs de ces banques pour… je sais pas moi. Détourner l’argent des contribuables de telle sorte qu’ils aient un motif de pas les rembourser.
— Ça sonne faux, ton histoire, là, répondit Marty. Ça voudrait dire que la Central Bank se serait mise d’accord pour perdre plus d’argent qu’eux. Ou, si on suit ton raisonnement, en gagner plus, puisqu’ils se sont fait braquer deux fois.
— Ce n’est pas un braquage, le corrigea Elvis. Un braquage, c’est lorsque l’agresseur menace la cible avec une arme à feu. Là, il parait qu’elle les attaque à mains nues. Et qu’elle les maitrise par la seule force de sa pensée. Des conneries.
— Pas par la force de sa pensée, le corrigea à son tour Marty. Et je te le dis, c’est un braquage. Parait qu’elle a des trucs invisibles collés à ses doigts qui vous collent par terre sans que vous puissiez bouger jusqu’à ce qu’elle finisse de vider le fourgon de ses billets blancs. Donc elle a des armes. C’est juste des armes invisibles. Sans doute un truc expérimental volé dans les labos de l’IBI. Ils ont honte de le dire au public de peur de nous alarmer.
— Non mais, fit Elvis. C’est qui le père entre nous ? Il manquerait plus que tu y mettes Tom Cruise et on se croirait dans Mission impossible 5.
— Très drôle. C’est au moins mieux que tes théories du complot à deux balles, là.
— Tu as ton avis sur la question, conclut Elvis, et j’ai le mien.
— Et c’est reparti pour un tour », soupira Marty, qui baissa un peu la vitre blindée de sa portière pour laisser passer un peu d’air frais dans leur trou de métal, le comble de la délinquance pour le père de famille. Elvis reporta son attention devant lui, vers l’horizon qui menait vers Freeborn et la succursale de la Victory Bank là-bas.
Son mode de respiration durant cette matinée couverte allait passer de naturel à machine, et pour un bon bout de temps.