chapitre 1
Ecrit par Meritamon
New-York, Manhattan, 1999.
De toute sa vie, le
premier choix crucial qui fut imposé à Serena Hann fut celui-ci:
«Veux-tu rester avec Papa ou plutôt avec Maman?».
Elle avait 8 ans. Elle se souvenait de la scène aussi fraîche qu’une peinture à l’aquarelle.
Son père
avait posé un genou à terre pour être à sa hauteur, au risque de salir son
complet fait sur mesure. Ils se trouvaient à leur endroit préféré dans Central
Park au beau milieu de Manhattan, un soir d’été, alors qu’il avait terminé son
travail à Wallstreet et l’avait rejoint avec sa Nanny, Mrs Robinson.
Ses parents se
séparaient. La petite fille l’avait deviné à travers les silences lourds, la
tension palpable, les cris et les pleurs de sa mère, les disputes et les vases
fracassés sur le plancher de leur luxueux appartement dans le quartier chic d’Upper
East Side dans Manhattan. Même si elle ignorait quel mot exact mettre sur ce
sentiment, elle avait compris que ses parents ne s’aimaient plus.
Puis, un jour
qu’elle rentrait de l’école, Serena avait trouvé l’appartement sens dessus
dessous alors que sa mère faisait ses valises. Maria Cruz, sa mère, avait rencontré
quelqu’un, un autre homme et allait emménager avec lui. Serena entendit ses
parents se disputer de nouveau. Maria, sa mère qui traitait son père de
psychopathe, de mégalomane. Et son père qui répliquait plus durement.
- Tu n’es qu’une salope! Allez, va retrouver ton amant et dégages de ma
maison!
- Tu es l’être le plus ignoble que j’aie connu Malick!
- Un être ignoble qui t’a sortie du trou à rat du Bronx dans lequel tu vivais. Toutes tes robes de couturiers, ces bijoux, cette vie de rêve que je t’ai offerte, ton éducation de Lady, tout ça je l’ai payé! Moi, l’être ignoble que tu méprises tant. Et toi de te jeter dans les bras d’un pauvre instituteur… comment tu peux te rabaisser aussi bas.
- Il m’aime lui! Alors que toi tu ne m’as jamais considérée que comme un
accessoire dans ta vie, un trophée, s'était écrié Maria, scandalisée.
- Si ça peut te rassurer, je ne te considère plus comme tel. En fait, je
ne te considère même plus. Tu n’es rien pour moi Maria! Avait hurlé Malick Hann.
Mrs Robinson, la
nounou, avait accouru, catastrophée, puis elle avait plaqué ses mains sur les
oreilles de l’enfant pour lui épargner la violence de ces propos d’adultes qui
ne s’aimaient plus.
- Come with me Honey, Let’s
get you an ice cream, ok? , lui dit la femme afro-américaine en
ramassant les clés de sa voiture, au beau milieu des objets qui volaient lancés
par Maria Cruz à Malick Hann.
- Mrs Robinson, la police viendra sonner encore aujourd’hui? avait
demandé craintivement la petite fille, en se rappelant la dernière dispute du
couple qui avait tourné au vinaigre. Les voisins excédés par le bruit avaient
contacté le 911 et les flics s’étaient amenés pour arrêter le tapage.
- J’espère que non. Ça devrait cesser bientôt, avait soupiré la nounou,
découragée par le couple qui s’entredéchirait sans se soucier que cela puisse avoir
un impact sur l’enfant qu’elle avait vu grandir et qu’elle chérissait plus que
tout.
Mrs Robinson avait
fait le tour du bloc d’appartements pour calmer ses nerfs, ensuite avait pris
la direction de Harlem où elle vivait seule dans
un petit appartement. La femme y
emmenait parfois la fillette qu’elle gardait lorsque la tempête éclatait dans
le luxueux penthouse de Manhattan. La petite adorait jouer avec le chat, manger
un gros plat de spaghetti et de la crème glacée en dessert. La nanny en
profitait aussi pour lui refaire ses nattes devant une émission pour enfants
qui passait à la télé. C’était leur moment privilégié à elles, loin du tumultes, des disputes et des cris.
À leur retour
quelques heures plus tard, l’appartement ressemblait à un champ de bataille
déserté. Maria avait réussi à emporter quelques affaires. Malick était prostré dans
l’immense living-room, en face de la cheminée, une bouteille de son meilleur
whisky dans les mains, dans laquelle il buvait à même le goulot. Le
quadragénaire, imposant du fait de sa stature, se parlait tout seul en se répétant :
- Elle va me le payer… je jure qu’elle va me le payer!
Il ne remarqua pas
la présence de sa fille.
- Papa? Ça va…?
- Serena…
Malick, mécontent
d’avoir été vu dans un moment de faiblesse, s’essuya les yeux du revers de la
main et dit de sa voix éraillée par l’alcool.
- Qu’est-ce qu’elle fait là? Elle n’est pas encore au lit? Je vous paie
pourquoi Mrs Robinson?
- Désolée Monsieur Hann. La petite va monter se coucher. Dit précipitamment la nounou, gênée par le reproche de son patron,
«Elle veut vous souhaiter une bonne nuit».
Puis Mrs Robinson
avait pleuré de chagrin en ramenant la petite fille au lit. Elle avait
murmuré en caressant le front de Serena :
« poor kid, poor little girl…”
Une fois, sa mère
partie, la question de la garde de l’enfant s’était imposée d’elle-même et une
bataille juridique prit place, plus cruelle et plus sanglante que les lancers
d’objets que la petite fille était habituée.
- Je répète la question Serena, ma chérie, est-ce que tu veux rester avec
papa ou tu préfères partir avec ta maman?
La petite fille ne
sachant quoi répondre hésita. Elle aimait son père. Elle aimait aussi sa mère.
Lui poser cette question revenait à lui demander d’arracher une moitié de son cœur,
de jeter cette moitié et de vivre le restant de sa vie avec un trou béant. Le
choix était impossible.
- Je peux aussi rester avec maman une partie du temps? C’est possible
n’est-ce pas? Osa-t-elle avancer en se demandant si son père sera contrarié.
- J’ai bien peur que non ma puce. Maman est partie fonder une autre
famille, tu comprends? Et je ne pense pas qu’elle puisse subvenir correctement
à tes besoins comme moi je le ferais. C’est très important que tu dises au juge
demain que tu veux rester avec papa.
Des larmes de désarroi naissaient dans les grands beaux yeux de
l’enfant.
- Ça veut dire que maman ne m’aime plus?
L’oncle Charles
Ogbufo, le meilleur ami de son père qui l’accompagnait vit la détresse de la petite
fille indécise qui se tordait les doigts et se sentit obligé d’intervenir.
- Est-ce qu’elle est vraiment obligée de répondre à cette question, Malick?
Elle n’a que 7 ans après tout…
- Serena est intelligente. Ce n’est pas n’importe quel enfant,
s’enorgueillit Malick Hann en caressant la joue de sa fille.
Il investissait
dans son éducation, travaillait de façon acharnée comme Trader sur les marchés
financiers afin qu’elle soit dans la meilleure école privée de Manhattan,
qu’elle reçoive les meilleurs cours particuliers afin qu’elle puisse être
choisie dans les universités d’élite de la Ivy League comme Harvard, Yale,
Princeton. Tout était planifié pour que Serena Hann ait une carrière
prestigieuse tout comme son père, voire mieux.
Charles,
embarrassé, avait regardé Serena avec compassion.
- Quand même, je trouve que tu en imposes beaucoup à cette enfant.
- Je n’ai pas le choix si je veux avoir sa garde exclusive. Il faut
qu’elle se prépare à répondre à cette question quand le juge aux affaires
familiales la lui posera demain.
- À mon avis, tu devrais lui laisser le libre choix. Tu ne peux pas sortir
sa mère de sa vie, malgré tout le chagrin et la colère que tu peux avoir Malick!
- C’est ma fille. Si sa mère voulait vraiment l’avoir, elle aurait dû
réfléchir à deux fois avant de partir. C’est elle qui nous quittée je te
rappelle!
- Maria t’a quitté toi, mais elle n’a pas abandonné sa fille.
Puis voyant que
Serena les observait de ses grands yeux interrogateurs, en écoutant malgré elle
leurs propos, Charles proposa :
- Serena, ma puce, veux-tu manger un hot-dog?
- Oui, oncle Charles.
Malick s’était
interposé :
- Elle n’a pas le droit de manger du fast-food.
- Ce n’est qu’un hot-dog, tous les enfants adorent les hot-dogs, avait
minimisé Charles. Allez, laisse faire Malick, pour une fois...
Son oncle Charles,
que Serena adorait lui avait alors donné un billet afin qu’elle retrouve sa
Nanny Robinson et s’achète une gâterie. Charles devait discuter avec Malick et
le ramener à la raison. Il comprenait le chagrin de son ami, qu’il fût blessé
dans son orgueil d’homme. Cependant, il n’avait pas le droit de s’approprier
complètement de l’enfant en écartant sa mère.
- Et si demain, la petite disait qu’elle préférait vivre avec sa mère,
as-tu pensé au moins à cette éventualité?
Malick avait souri,
de son sourire carnassier, le même qu’il arborait quand il était sur le point
de conclure une affaire juteuse sur les marchés boursiers de Wallstreet.
L’homme, star montante du monde de la finance à New York, qui avait travaillé
pour la multinationale Goldman and Sachs, avait bâti sa réputation sur
le flair qu’il avait quand il était question de prendre des décisions
d’affaires, sur sa pugnacité, son efficacité à toute épreuve. Il n’abandonnait
jamais et était redouté aussi bien par ses ennemis que par ses collaborateurs.
- J’y ai pensé, figure-toi. J’ai engagé les meilleurs avocats de New York sur
la cause. Ils feront une bouchée de mon ex-femme, tu verras. Par contre, si
jamais Serena disait devant le juge vouloir rester avec Maria, alors dans ce
cas je serais dans l’obligation de quitter les États-Unis avec ma fille.
Charles Ogbufo dut
s’asseoir sur un banc du parc tant il était estomaqué par le plan fantasque de
son ami.
- C’est illégal, tu le sais. C'est comme si tu l'enlevais. Tu ne pourras plus revenir aux États-Unis, et
ta carrière, y as-tu pensé?
Un autre sourire de
Malick Hann qui confirma qu’il avait tout prévu.
- Oui, en effet. J’ai été approché par une banque d’investissement des
Émirats Arabes Unis, qui est en plein essor et qui voudrait diversifier son portefeuille
d’actifs en Afrique. Le conseil d’administration a pensé à moi pour diriger ce
projet. Tout a été prévu pour que ma fille vienne avec moi. Bien entendu, cette
information est confidentielle.
- Tu es fou, Malick, admit Charles Ogbufo. Ton plan est diabolique.
- Pas fou, seulement prévoyant. Tu verras, j’aurai le dernier mot sur
Maria. Elle va regretter de m’avoir ainsi quitté.
C’est le chagrin et
la colère qui parlaient, non la raison, déplora alors Charles. Tout n’était
qu’une question d’égo et d’orgueil.
La victime
collatérale d’un couple qui se sépare est bien entendu l’enfant qui est balloté
entre les deux parents.
Charles aperçut au
loin la petite Serena, qui faisait des grands signes aux deux hommes et
courrait dans leur direction. Son cœur alors se serra de chagrin à la vue de
l’enfant.
Son cœur se serra encore
plus lorsqu’il pensa à Maria Cruz, cette mannequin qui venait de la République
Dominicaine, ancienne serveuse dans un restaurant dont Malick Hann était tombé
amoureux des années plus tôt et avait épousée en grande fanfare.
Malick, était de ce
genre d’hommes hyper contrôlant et possessif qui étouffait sans le vouloir les
personnes qui lui étaient chères. Malgré la vie de luxe, Maria Cruz,
petite-fille de pêcheurs de Cabarete en République dominicaine, fille d’immigrants, n’avait pas pu
s’épanouir dans son ménage. Elle avait été obligée de mettre fin à sa carrière
dans le mannequinat au plus haut sommet de sa beauté et de sa jeunesse, alors
qu’elle était sollicitée par de prestigieuses agences de modeling. Elle était
restée une femme au foyer, s’occupant de sa petite fille Serena.
Quelques semaines
après un procès déchirant, Charles Ogbufo, inquiet, s’était alors senti obligé
de s’enquérir des nouvelles de la mère de Serena. Il rendit visite à Maria Cruz
dans le nouvel appartement dans lequel elle avait aménagé, beaucoup plus petit,
situé dans le Brooklyn émergent. Il trouva la belle dominicaine au milieu d’une
dépression.
- Il l’a amenée…. Il m’a arrachée mon enfant… et toi, tu étais au courant…
Comment oses-tu te présenter devant moi après ce qu’il s’est passé? Lui avait-elle
reprochée en pleurs, son magnifique visage abîmé par l’inquiétude et le
chagrin.
Et Charles Ogbufo, honteux, avait baissé la tête.
- J’ai essayé de le raisonner, Maria. J’ai voulu lui faire changer d’avis,
mais tu connais ton ex-mari, quand il a une idée dans la tête…
Les avocats que
Malick Hann avait engagés avaient été particulièrement féroces. Ils avaient misé
sur les épisodes de dépression que Maria avait traversés dans sa solitude de
femme au foyer, pour dépeindre devant le juge une femme fragile, dépendante
d’antidépresseurs et d’anxiolytiques, à la santé mentale vacillante, qui serait
incapable de subvenir aux besoins de son enfant. Elle avait eu l’air folle
devant tous. Et incompétente lorsqu’il a été évoqué qu’elle avait oublié
d’aller chercher Serena à la sortie à son école, ou qu’elle avait embouti le
parechoc d’une auto devant elle alors que son enfant se trouvait à l’arrière
dans son auto, ses crises de colères. Malick Hann avait pris soin de tout
documenter, de filmer même leurs disputes dans lesquels elle tenait le mauvais
rôle. Maria Cruz était une femme désormais brisée et désillusionnée.
- Je ne veux plus te revoir, avait-dit Maria, en invitant Charles à sortir
de chez elle.
- Je suis de ton côté, je l’ai toujours été, Maria! Plaida ce dernier.
- Pas suffisamment cette fois. Tu n’as rien fait quand il l’a emmenée avec
lui pour l’Afrique parce que tu lui es plus loyal que moi.
- Ne dis pas ça Maria! Au nom de tout ce qui nous a lié et de l’amour que
j’éprouve encore aujourd’hui pour toi.
Car oui, Charles
avait été amoureux de Maria. Quasiment en même temps que Malick Hann. Maria avait
cependant choisi son meilleur ami pour le meilleur et surtout pour le pire.
Qu’il lui avait donc été difficile d’être loyal ces dernières années! À voir
leur bonheur sous ses yeux, leur mariage puis la naissance de la fille du
couple.
- N’évoque pas ce mot devant moi. Je t’interdis de parler d’Amour, quand
tout ce que vous aviez à faire c’était me poignarder dans le dos.
Avant de refermer sa porte, Maria avait transmis une dernière requête à
Charles.
« Si
jamais tu veux te rendre utile Charles, tout ce que je te demande c’est de
veiller sur ma fille Serena. Tu dois veiller à ce que son père ne l’étouffe pas
dans ses aspirations comme il l’a fait pour moi, à ce qu’il ne l’écrase pas. »
Et Charles avait
promis.
******************************************************************************************
Blabla de l'auteure: coucou, voici le commencement de l'histoire de Serena Hann. Ce chapitre assoit le contexte de l'histoire, de la personnalité du père de l'héroine qui aura un impact sur l'émancipation de sa fille. Le prochain chapitre fera un bond de 13 ans plus tard (à peu près), alors que l'héroine est devenue une jeune adulte. voili voilou.
N'hésitez pas à l'ajouter dans votre biblio. bisous! à très vite.