Chapitre 1

Ecrit par Lilly Rose AGNOURET

1-

 

~~~ Abraham ~~~

   

- Chef, puis-je te poser une question ? me demande Stéphanie alors que nous sommes seuls tous les deux dans un ascenseur qui nous mène au cinquième étage d’un immeuble où nous avons un rendez-vous très important.

Je m’adosse à la paroi de cet ascenseur, la regarde dans les yeux et lui réponds :

- Que puis-je pour toi ?

Elle semble réfléchir deux secondes avant de me dire :

- Euh ! J’aimerais que tu me dises... Euh, je veux dire...

- ça ne t’arrive pas souvent d’être à court de mots, Stéphanie, dis-je comme pour l’encourager.

Là, elle me demande d’un trait :

- Étais-je agressive au lit avec toi ? Je veux dire, est-ce que je t’ai parfois semblée excessive.

Je la regarde avec plus d’intensité et lui demande :

- Stéphanie, de quoi, sommes-nous en train de parler ?

Elle me répond, semble-t-il embarrassée :

- Disons que je ne sais plus quoi penser en ce moment. Je suis un peu embêtée.

- Qu’est-ce qui ne va pas ? Lui fais-je.

Elle me répond sur un ton dépité :

- Mon petit ami a demandé des conseils à sa mère en disant que je suis, disons, trop excessive au lit. Il se demande s’il tiendra la distance avec moi.

Sur le moment, j’ai envie d’éclater de rire, mais je me retiens, car je peux sentir que la situation la tracasse vraiment. Je prends donc le temps de lui répondre :

- Stéphanie, tout va bien chez toi. Tu n’as pas de problème.

Elle semble rassurée. Elle me dit alors :

- ça fait une semaine que je suis rentrée du Cameroun. Et depuis, je m’invente des excuses pour ne pas me retrouver toute seule avec lui. Je me suis replongée dans le travail comme si plus rien n’existait.

Je lui dis alors :

- Tu seras toujours la meilleure dans ce que tu fais au niveau du travail. Cela, personne ne pourra te l’enlever. Si j’ai un conseil à te donner, c’est de parler à ton homme. Nous courrons tous vers nos mères quand nous avons un problème. Mais de là, à parler de sa vie sexuelle, c’est un peu limite.

- C’est exactement ce que je me suis dit. Je n’ai pas encore rencontré cette dame et déjà, elle a de quoi se faire une mauvaise idée à mon sujet.

- Hum ! Tu dois drôlement l’impressionner pour qu’il en arrive à demander conseil à sa mère. Il a sûrement compris qu’il tient une perle entre ses mains et n’a pas envie de te perdre. C’est plutôt bon signe. Tu devrais faire en sorte qu’il se sente en confiance. Si tu prends les rênes pour ce qui est de votre intimité, laisse-lui la marge qu’il faut pour le reste. Il ressentira moins de pression et n’ira pas parler de votre vie intime à sa mère. Tu comprends ce que je veux dire ?

- Oui, je vois. Je suis trop bossy, à ce qu’il m’a dit.

Je souris et réponds :

- Fais ressortir ce qu’il y a de plus doux en toi et laisse la casquette de boss lady pour le bureau.

- Hum ! Merci pour le conseil, patron.

- De rien ! C’était gratuit ! Lui dis-je en souriant.

 

Quand nous arrivons devant le bureau où nous sommes attendus, nous retrouvons Greg et Eunice Rémanda. Cette dernière nous dit :

- Bonjour Abraham. Bonjour Stéphanie. Vous arrivez juste à temps. Monsieur le Ministre va nous recevoir.

Nous n’avons effectivement pas le temps de répondre que déjà, une porte matelassée s’ouvre. Une dame d’un âge respectable nous invite à entrer. Nous passons la porte. Il nous ait demandé de sortir nos téléphones et de les éteindre. Nous nous exécutons. Là, nous sommes introduits dans un bureau, vaste, richement aménagés.

- Veuillez prendre place, Monsieur le Ministre ne va pas tarder.

Nous nous asseyons, puis l’attente peut commencer. Cela fait déjà une semaine que nous jouons à ce jeu. En plus des audits que nous avons subis et qui n’ont rien relevé de fallacieux, nous voilà convoqués chaque jour, soit dans un ministre, soit dans une autre administration. Tout cela, pour recevoir des messages de sollicitations ou d’intimidation. Cela dépend de l'interlocuteur face à nous. Vendredi dernier, nous étions face à un député, qui nous faisait savoir que l’un de ses fils vient de valider son Master II en Ressources Humaines. C’était à nous de comprendre qu’il fallait l’embaucher. Entre temps, nous avions perdu une matinée de travail.

Nous avons décidé de nous déplacer en groupe à chaque fois que nous sommes convoqués. Cela évite de subir seul les pressions que peuvent exercer sur nous, des personnes ayant autorité.

Il nous faut attendre une demi-heure avant que Monsieur le Ministre se présente devant nous. Quand il arrive, il est surpris de se retrouver face à quatre personnes. Il nous salue cordialement avant de demander à sa secrétaire de nous servir du thé ou du café. Une fois fait, il fait appelle à un chargé d’études. Ce dernier arrive, nous salue poliment et s’asseoir dans un fauteuil face à moi. La réunion peut alors commencer.

C’est sans détour que le chargé d’études nous sort un document qu’il a imprimé en deux exemplaires. Il m’en tend un et donne l’autre à Eunice. Il commence son speech en disant :

- Nous vous avons conviés ce matin pour parler du financement de ce projet dont le but est à terme est de faire taire une certaine tension sociale. Le taux de chômage dans la localité de M est très élevé. Il n’y a pas de solution imminente, car le sol de la localité n’est pas très riche. Aussi, avons-nous décidé d’y construire un plateau sportif pour occuper les jeunes et leur éviter des dérives. Le plateau sportif en question comprend un terrain de football, un terrain de basket-ball et une piscine olympique. Le tout sera financé par les soins de votre entreprise. Vous aurez compris qu’il s’agit là, d’une action citoyenne.

Je passe en revue le document fourni. Quand je lis les chiffres notés dessus, je commence à avoir les yeux qui tournent comme dans les dessins animés. Je tends le document à Greg, puis garde ostensiblement mon calme face à ce que je considère comme une mascarade.

- Puis-je intervenir ? dit Greg.

- Oui, bien sûr. Nous sommes dans un pays libre, n’est-ce pas? Fait le chargé d’études alors que le ministre me pointe du regard.

- Nous sommes une entreprise, en ce sens que nous faisons du business et avons des actionnaires auxquels nous versons des dividendes et rendons compte à la fin de chaque exercice. Nous n’avons pas vocation à remplacer l’action du gouvernement et des collectivités locales. Aussi, je ne comprends pas pourquoi nous devrions financer ce projet à 100%.

Nous discutons encore et encore face aux arguments que nous sort le chargé d’études qui veut nous faire comprendre que l’on doit aider nos frères gabonais à s’en sortir.

- Le sport peut être considéré comme une planche de salut. Ce projet est une formidable occasion pour votre entreprise de prouver que c’est une entreprise citoyenne qui prend en compte le besoin des populations.

Un dialogue de sourds s’installe alors entre Stéphanie et ce chargé d’études. Bientôt, le ministre intervient et dit à son chargé d’études:

- Benjamin, peux-tu dire à ces gens que nous avons lu et entendu le montant du dernier contrat que leur entreprise a décroché ? La somme que cette entreprise doit mettre sur la table pour réaliser ce plateau sportif, n’est même pas le dixième du montant de ce contrat. Alors, pourquoi discuter ?

Une heure plus tard, Stéphanie, Eunice et Greg sont toujours en discussion avec le chargé d’études alors que monsieur le ministre a toujours les yeux fixés sur moi.

Quand le ministre en a assez de nous entendre, il tape dans ses mains puis nous dit :

- La séance est levée. J’ai rendez-vous à la Présidence. Nous nous revoyons la semaine prochaine, même lieu, même heure.

Il se lève. Nous en faisons autant. En me serrant la main, pour me dire au revoir, Monsieur le Ministre me dit :

- Votre mère a vraiment des couilles. Si elle n’en avait pas, il y a longtemps que vous seriez par terre.

   

Il tourne les talons et nous abandonne là comme si on lui avait fait perdre beaucoup trop de temps.

Dans l’ascenseur, nous sommes escortés par le chargé d’études qui garde le silence jusqu’à ce que nous arrivions dans le hall. Et à, à peine sommes-nous sortis de l’ascenseur, qu’une horde de journalistes s’abat sur nous, micros au poing, et caméras sur l’épaule. On peut alors entendre des questions fuser.

“Monsieur Abraham Onanga, d’où vous est venu l’idée de ce plateau sportif que votre entreprise a décidé d’offrir à la localité de M?

“Monsieur Grégory Onomory, pensez-vous réellement que le sport est un vecteur d’intégration ?

Les questions fusent à un débit impressionnant. La surprise est telle que nous n’avons pas le temps de réfléchir. Je garde la bouche fermée. Eunice prend la situation en main en répondant qu’une conférence de presse sera donnée plus tard, à ce propos. Le chargé d’études du ministre, fait une déclaration hautement politique, saluant le patriotisme de notre entreprise. Il dit à la presse, le bonheur que la nouvelle de la construction de ce plateau sportif a suscité dans le cœur des jeunes de M. Les journalistes persistent avec des questions auxquelles ils ne reçoivent que les réponses de la part du chargé d’étude.

Il nous faut pratique trois quart d’heures pour quitter les lieux. Dans ma voiture, je peux enfin souffler. Je n’en reviens pas du traquenard dans lequel nous nous sommes laissé prendre. Quelques instants plus tard, alors que je suis en chemin vers le bureau, mon téléphone sonne. Je passe au kit main libre et entends la voix de monsieur le ministre qui me dit :

- Monsieur Onanga, pour la paix de tous et ma tranquillité d’esprit, financez tranquillement ce projet. Je ne vais quand même pas vous apprendre comment fonctionne le pays, n’est-ce pas ?

- Vous allez devoir me l’apprendre, Monsieur le Ministre. Je vous assure que je ne sais rien du fonctionnement de ce pays.

- Les choses sont simples, pourtant! Vous évitez de contrarier les personnes qui peuvent vous protéger. Dois-vous faire un dessin ?

- Oui, j’ai besoin d’un dessin. Je n’ai rien compris à ce que vous avez dit.

- Monsieur Onanga, on ne vous demande pas de comprendre. On vous demander simplement d’exécuter. Nous attendons votre chèque, la semaine prochaine à la même heure.

Il raccroche, simplement. Je décide de mettre un peu de musique pour me détendre. Je suis en train de chercher une station musicale quand un flash spécial m’apprend que mon entreprise vient de signer un accord d’une valeur de 75 millions de CFA avec une compagnie pharmaceutique chinoise pour la réhabilitation d’un barrage hydroélectrique dans le département de la Komo-Mondah. “Ce projet permettra de fournir en eau potable et en électricité l’ensemble des populations de ce département. L’accord a été paraphé ce matin par le ministre de l’énergie, et monsieur Jeremy Malékou, directeur financier adjoint de cette entreprise. Nous vous en dirons plus dans notre journal de la mi-journée.”

En entendant cela, je suis, comment dire, cassé!

Sitôt que j’arrive dans le parking de l’entreprise, je descends et attends que Greg arrive. Quand il descend de voiture, il a l’air catastrophé. Il vient à moi et me dit:

- Je viens de recevoir un message de la part du petit frère de Jérémy. Il me fait comprendre que Jeremy a été enlevé hier soir à son retour de Johannesburg. Des personnes bien renseignées l’attendaient à son arrivée à son domicile.

- Il vient de signer un accord engageant l’entreprise à hauteur de 75 millions de francs cfa. Je viens de l’entendre à la radio.

- Dieu tout-puissant ! Je convoque une réunion de crise tout de suite ! me fait Greg.

 

En montant les marches vers mon bureau, je reçois un appel de mon ami Dominique Mistoul. Il me demande :

- Abraham, je viens de voir votre conférence de presse à la télévision. Tu avais une de ces têtes ! On dirait que tu assistais à ton propre enterrement. Mais dis-moi, pourquoi prenez-vous l’engagement d’aller construire des terrains de sport dans une localité où il n’y a aucun jeune ? Durant les dernières élections présidentielles, il n’y avait que 48 personnes inscrites dans les bureaux de cette localité. Et ces personnes sont des personnes du troisièmes âge! Je suis encore passé par-là lors de mon dernier road-trip à destination de la Nyanga.

Je me gratte la tête et dis :

- Je ne sais même pas où se trouve cette localité. Et si j’avais choisi un lieu pour faire exécuter un tel projet, je serais allé du côté du PK 12 ou autres. Là au moins, on sait qu’il y a un afflux massif de population, de fait de l’exode rural.

- Dans ce cas, pourquoi avoir passé cet accord ? Je te signale que tout le monde vous a vus à la télévision.

Je lui réponds alors :

- Nous avons été piégés par le ministre. Les journalistes nous attendaient après notre rentre avec ce cher ministre.

- Les gens deviennent fous, ma parole ! J’imagine mieux à quelle pression sont soumis les dirigeants des majors qui opèrent ici dans le secteur parolier.

- Hum! À qui le dis-tu? Bon, je vais présider une réunion de crise. L’un de mon collaborateur a été enlevé hier soir à son domicile. Il a subi des pressions pour signer un accord financier de 75 millions de cfa engageant l’entreprise.

- Oh là là! J’ai des maux de tête, tout d’un coup. Écoute, laisse-moi appelez certaines personnes et je te reviens en fin de journée.

- D’accord. À tout à l’heure ! 

SWEETNESS -Tome 3-