Chapitre 1

Ecrit par Mady Remanda

 

                                             

                                                                                              

                                                                                         30 NOVEMBRE

 

                                               LIZ

 

Il était 19 heures, mais les rues de Dakar grouillaient encore de monde.

Déambulant dans le marché de Sandaga avec ma cousine Patou, je ne me lassais pas d’être émerveillée par les bruits et les lumières qui éclairaient les rues.

Je n’étais à Dakar que depuis quatre jours, mais déjà la ville de Youssou Ndour m’avait séduite.

Qui l’aurait cru ? Moi Liz Eliane Banas, à Dakar au Sénégal, pour un mariage à noël !

Le destin avait beau être ironique, c’était sans doute trop à mon goût.

Je ne boudais pas mon plaisir malgré tous les griefs que j’avais formulé contre ce pays et ses habitants durant ces dix dernières années.

J’avais appréhendé ce voyage, j’avais même failli décliner l’offre, mais l’occasion était trop belle pour la manquer.

Ce marché propulserait ma boîte au-devant de la scène continentale. Ça aussi, je ne l’aurais jamais espéré !

Dieu, et dire que plus jeune je rêvais d’enseigner la sociologie à l’Université Omar Bongo.

Ma vie n’avait pas du tout pris cette trajectoire. Eh non !

Même si mes études de sociologie m’aidaient beaucoup dans mon travail aujourd’hui, j’étais bien loin de ce que j’avais prévu.

Aujourd’hui j’exerçais le passionnant métier de Wedding Planner. Cela avait commencé tout à fait par hasard neuf ans plus tôt.

J’étais alors en maîtrise de sociologie à Montpellier en France mais surtout, je venais de rompre avec Malik, et cette rupture avait bouleversé toute mon existence.

Malik…

Sans que je ne puisse l’empêcher, les souvenirs affluèrent en vrac dans ma mémoire.

Ceci était sans doute inévitable.

Depuis que j’avais accepté ce marché, je vivais dans la peur que le fantôme de mon histoire avec Malik ne gâche tout.

Malik Abdul Tall.

Le seul homme que j’ai aimé de la façon la plus absolue qui soit, dont la rupture a menacé de me détruire, avant que ce travail ne vienne me sauver du gouffre  dans lequel m’avait plongée le chagrin.

Cela me faisait quelque peu drôle de me retrouver au Sénégal, ce pays que j’avais si souvent détesté en pensée, le rendant responsable de mon malheur.

Quand ma cousine Patou m’avait appelée au mois de mars dernier pour me demander si je pouvais organiser un mariage à Dakar le 23 décembre, ma première réponse avait été instinctive : c’était Non.

Je n’avais même pas voulu y réfléchir.

Moi ? A Dakar ? Dans ce pays maudit ? Jamais !

Dakar m’avait enlevé l’homme que j’aimais.

Malik devait sûrement vivre quelque part dans les beaux quartiers de Dakar, d’après ce que je savais, il était devenu un brillant ingénieur agronome, avait repris l’entreprise de son père et lui avait donné grâce à son savoir-faire une dimension plus grande encore.

Il avait fini par épouser Aïssatou Niang et ils avaient certainement des enfants aujourd’hui.

Sans le vouloir, je sentis poindre en moi une indicible souffrance.

Non !

Je n’allais plus me laisser aller à souffrir pour Malik.

Il y’avait bien longtemps que j’avais surmonté ça.

Non, Malik c’était du passé !

Je ne l’aimais plus, il ne me méritait pas, il ne méritait pas que je souffre pour lui et heureusement que je n’avais pas gâché ma vie pour lui.

-      Liz, il se fait tard on va rentrer, tu as encore des choses à voir ici ?

La voix de Patou interrompit mes douloureuses pensées, je m’efforçai de reprendre mes esprits.

-      Je crois qu’on va en rester là pour aujourd’hui. Je vais rentrer à l’hôtel faire le point, je te dirais demain si on doit revenir par ici… Répondis-je l’air de rien

Patou se dirigea donc vers le parking où elle avait garé sa voiture :

-      Ok Madame ! Vraiment ça m’apprendra à insister, j’aurais dû m’en tenir à ta décision initiale, je ne serai pas en train de te servir de chauffeur, courant dans tous les coins de Dakar en ce moment…

J’eus un petit rire.

-      Non, au contraire, tu as bien fait. Il y a plein de choses ici que je ne retrouve pas à Libreville, et je sens que l’expérience sera inoubliable.

-      Ah oui Dakar est une grande ville ma chère !

Patou.

Ma cousine Patricia Onanga, vivait à Dakar depuis bientôt quinze ans.

Elle y était arrivée pour ses études, s’y était plu et avait fini par s’y installer et y travailler.

A trente-cinq ans, elle était gestionnaire dans une Banque de la place, célibataire et mère d’une petite Marion.

Nous embarquâmes à bord de son véhicule et elle mit le Cap sur mon Hôtel situé sur la route de la Corniche, l’Hôtel Lagon 2.

-      Je te laisse en bas, je dois filer récupérer la petite chez Maria.

-      Il n’y a aucun problème ma chérie, je demanderai au vigile de m’aider avec les paquets.

Patou avait laissé sa fille chez une amie pour pouvoir m’aider dans mes courses.

Belinda, la future mariée était l’une des meilleures amies de Patou.

Elles s’étaient connues quinze ans plus tôt quand ma cousine était arrivée au Sénégal, elles avaient passé ces quinze années à vivre comme des sœurs. Aujourd’hui, Belinda allait épouser Seck Gueye, son fiancé d’origine sénégalaise, et Patou était aux premières loges de l’évènement, pour le rendre inoubliable, elles avaient pensé au « Rêve de Liz » mon entreprise d’organisation de mariage.

-      D’accord donc demain on ira sillonner dans la zone de Liberté 5 c’est ça ?

-      C’est toi le guide ma chère, mais j’avoue que je suis sous le charme de Sandaga et j’aimerais bien y revenir…Lui dis-je en riant

-      Tortionnaire !

Et nous éclatâmes de rire.

Cinq minutes plus tard, je disais au revoir à Patou les bras chargés de paquets.

 

Dès que le vigile posté à l’entrée de l’hôtel me vit, il vint à ma rencontre pour m’aider :

-      Bonsoir madame !

-      Bonsoir.

-      C’est la chambre 228 c’est cela ?

-      Exact !

Il prit tous les paquets ne me laissant que mon sac à main et me précéda dans le bâtiment.

Je récupérai mes clés à l’accueil et suivie du vigile me dirigeai vers les ascenseurs.

Arrivé à ma porte, le vigile  déposa les paquets à même le sol, je le remerciai chaleureusement puis il s’en alla.

J’entrai dans la chambre et y transportai les paquets.

Ah quelle journée ! Pensai-je

La meilleure depuis mon arrivée !

Le premier jour, étant arrivée fatiguée, je m’étais reposée tout l’après-midi et le soir. Le lendemain, j’avais rencontré la mariée qui était venue à mon hôtel avec Patou.

Je connaissais Belinda depuis longtemps, Patou nous avait présentées l’une à l’autre quelques années auparavant alors que nous étions toutes en vacances à Libreville.

Ces derniers mois, nous avions beaucoup échangé toutes les trois au sujet du mariage.

Patou avait créé un groupe sur  WhatsApp avec la mariée, la Wedding Planner que j’étais, les demoiselles d’honneur, les amies de la mariée et d’autres femmes qui avaient un rôle à jouer dans l’organisation de l’évènement.

J’aurais dû faire le déplacement plus tôt dans l’année à Dakar, mais je n’en avais pas eu le courage. Et de toutes les façons, grâce Patou et aux autres j’avais réussi à régler bon  nombre de détails à distance, et à contacter tous les meilleurs prestataires de la place. Je m’étais donné trois semaines pour tout coordonner sur place, et j’étais là.

Le troisième jour, Patou m’avait accompagnée au domicile des futurs mariés, je devais y rencontrer Belinda mais cette fois son fiancé Seck serait là aussi.

Seck était un bel homme.

Grand de taille, environ un mètre quatre-vingt-quinze, les traits fins, les épaules larges. Il me fit penser à Malik, mais une fois de plus, je m’étais efforcée de refouler ces souvenirs dérangeants.

Malik n’avait plus sa place dans ma vie, pas même dans mes pensées.

La rencontre avec les futurs mariés avait été édifiante.

Dans mon métier, j’allais au-delà d’organiser l’évènement même du mariage, je préparais aussi le couple à gérer le stress qu’engendrait l’organisation d’un tel évènement.

C’est en ce que me servait ma formation en psychologie/sociologie.

Je leur donnais des astuces pour ne pas se laisser submerger par le stress et laisser les incompréhensions et les désaccords miner l’harmonie autour de leur mariage, notamment avec les familles à gérer, on sait tous comment cela se passe en Afrique !

C’était assez ironique que je me retrouve à conseiller des couples quand on connaissait le désastre de ma vie amoureuse et l’échec cuisant de mon unique relation sérieuse.

Malik…

Etait-ce le fait d’être dans son pays qui me ramenait ainsi à penser à lui de façon aussi systématique?

Serrant les dents comme si ce simple geste pouvait à lui seul conjurer ces importuns souvenirs, je regagnai la salle d’eau pour y prendre un bain.

Une demi-heure plus tard, j’avais revêtu sur mon minuscule pyjama rose en dessous du peignoir en coton blanc l’hôtel.

Allongée sur mon lit, je sirotais un verre de bissap bien frais tout en relisant mes notes pour faire le point de ce que j’avais déjà pu régler.

Mais mon esprit était définitivement détourné de mon travail.

Non, je n’y arriverai pas, je ne parviendrais pas à refouler les souvenirs.

Venir à Dakar pour un mariage était déjà en soi une trop grande coïncidence, mais en plus à la veille des fêtes de Noël, il était inévitable que je me mette à penser à Malik.

Autant le faire et en finir, sinon je risquais de passer mon séjour à serrer la mâchoire.

Malik Abdul Tall.

C’était à l’occasion du réveillon de noël douze ans plus tôt.

J’étais étudiante à Montpellier.

Cette année-là, l’association des gabonais de la ville avait organisé un arbre de noël.

Pendant deux mois, nous nous étions inscrits sur les listes pour y participer. Il s’agissait de tirer au sort un ami inconnu et de lui offrir un cadeau.

Ce soir-là, c’était le grand soir.

Je résidais à Montpellier depuis deux ans déjà, mais c’était la première fois que j’assistais aux évènements organisés par l’association. Généralement je restais en marge.

Toutefois, je m’étais liée d’amitié avec Max Axel Bounda, le chargé des affaires socio-culturelles de l’association avec qui je partageais certains cours à la faculté.

C’est lui qui m’avait convaincue d’y participer.

-      Tu verras Liz, ce sera génial. Cela nous permet aussi de ne pas trop ressentir la solitude et le poids de l’exil en ces temps de fête que nous passons loin de la famille restée au pays.

J’avais accepté sans trop d’hésitations.

Cette année, mon frère allait passer les fêtes dans la famille de sa fiancée dans l’Isère, ma sœur avait pu se rendre au pays. Je risquais donc de me retrouver seule dans les étouffants neuf mètres carrés de ma chambre de cité universitaire.

Je m’étais inscrite sur les listes et avais tiré le numéro 16, la seule indication qu’on m’avait donnée, était qu’il s’agissait d’un garçon.

J’avais acheté un lecteur MP3 comme cadeau.

J’étais arrivée à la salle des fêtes à 19heures, j’étais parmi les premiers arrivants car c’était bien connu que les gabonais étaient nés avant l’invention de la montre.

J’avais opté pour une tenue simple mais assez classe, aux couleurs de noël.

Un chemisier tunique blanc sur un pantalon rouge et un grand sautoir de fausses pierres vertes assorti aux pendants d’oreille et au bracelet de mêmes tons. Des escarpins dorés et un sac rouge compétaient ma tenue.

Pour la coiffure, mes longues tresses rasta étaient retenues en queue de cheval sur ma nuque.

J’étais simple et belle sans extravagance.

A mon arrivée, je trouvai la plupart des membres du bureau de l’association qui s’activaient sur les derniers détails, je les saluai en cherchant Max Axel du regard.

Il était dans un coin, discutant avec le Dj, je le rejoignis donc.

Dès qu’il me vit, sa bouche se fendit en un sourire ravi :

-      Eh Liz ! Content de te voir.

-      Bonsoir Max Axel !

Nous nous fîmes des bises en guise de salut et il m’expliqua que cela n’allait pas tarder à commencer.

-      Je peux aider à faire quoi que ce soit ?

-      Non voyons, vas t’asseoir tranquillement, on va procéder à l’échange de cadeaux, puis au dîner et ensuite la fiesta !

-      Ok… Répondis-je en souriant

Max Axel était un noceur !

Il aimait les fêtes, l’alcool et les filles, mais il ne fallait pas s’y fier, c’était aussi un garçon très intelligent.

Du genre qui pouvait se soûler à la vodka la veille d’un examen et l’obtenir avec mention très bien.

C’était un garçon populaire connu de toute la communauté gabonaise et même des autres communautés africaines de la ville. Il avait des amis de toutes origines confondues. C’est le genre de personne qui avait le contact facile avec les gens et cela lui ouvrait bien des portes.

De fait, sans être issu d’un milieu vraiment riche, il n’avait pas à se plaindre car en plus de la bourse de l’Etat gabonais qui ne suffisait à pas à faire vivre décemment un étudiant, Max Axel travaillait comme caissier à Ikea. Un petit boulot qu’il avait obtenu grâce à ses amis sénégalais et qui lui permettait de vivre agréablement.

Je me dirigeai vers les places aménagées pour accueillir les invités et m’assis légèrement à l’écart.

Une demi-heure plus tard, la salle était presque comble.

La grande majorité des étudiants gabonais de la ville, et des petites villes environnantes était là.

Les filles rivalisaient de beauté et les garçons d’élégance.

J’avais redouté de me sentir mal à l’aise comme toujours au milieu de toute cette effervescence, mais au final c’était plutôt une bonne ambiance.

Assise à ma place, je me plaisais à observer les gens qui passaient et repassaient sous mes yeux.

Je souriais en voyant une fille surveiller de loin son petit ami, une autre « mater » sans vergogne un garçon qui lui plaisait, une autre toiser la nouvelle petite amie de son ex.

Il y’avait de tout, et c’est cela qui était beau.

Je me félicitai de ne pas avoir d’ex dans cette ville ou plutôt pas d’ex du tout.

Oui, j’avais vingt ans et j’étais pour ainsi dire pucelle.

Pas au sens technique du terme, mais je ne l’avais fait que deux fois par curiosité et avec des garçons qui n’étaient pas à proprement dit mes petits amis.

Je n’avais jamais été amoureuse et à cette époque je m’en enorgueillissais.

L’amour, c’était pour les filles de petite nature.

Moi, j’étais une fille intelligente et indépendante et  je n’avais pas besoin d’un homme pour exister.

-      Hé Liz !

La voix de Max Axel me sortit de mes pensées à ce moment-là, il arrivait tout droit vers moi d’un pas pressé, suivi de près pas un autre jeune homme.

-      Excuse-moi miss, j’ai besoin de toi, je suis hyper débordé, j’ai invité un pote et il n’est pas gabonais il ne connaît personne, peux-tu lui tenir compagnie ?

Prise de court je ne répondis pas tout de suite.

Mais de toute façon, Max Axel était l’un de mes seuls amis en ville, je ne pouvais pas lui refuser ce service d’autant qu’il ne me demandait pas de boire le fleuve Ngounié tout de même!

-      Euh oui oui bien sûr !

-      Ok merci ma belle, tu es un ange !

Comme il disait cela, le jeune homme derrière lui s’avança et Max Axel procéda aux présentations.

-      Liz, je te présente Malik Tall, un ami sénégalais. Malik est seul pour Noël, je l’ai convaincu de s’inscrire au jeu de l’ami inconnu et il a accepté.

Le dénommé Malik me tendit une longe main fine et racée.

Malik n’était pas aussi noir de peau que l’étaient souvent les gens de son pays. Il avait un magnifique teint caramel, il était très grand, il devait avoisiner le mètre quatre –vingt-dix-huit,  et ses yeux… Deux lacs sombres dont l’intensité donnait l’impression de vous aspirer littéralement.

Je lui tendis la main en retour alors que Max Axel poursuivait :

-      Malik, voici Liz, une amie…

-      Enchanté. Dit simplement Malik qui avait pris ma main dans la sienne.

Son léger accent typique de son pays résonna à mes oreilles comme une douce mélodie.

Il me faisait un drôle d’effet.

-      Enchantée Malik. Vas-y prends place ! l’invitai-je donc

-      Merci…Dit-il simplement

Sa voix était…sexy.

Soudain je me sentis quelque peu intimidée, je me rassurai en me disant que je n’avais jamais été très à l’aise avec les garçons.

-      Bon les amis, je file ! Liz s’il te plaît tu t’occupes bien de Malik, il ne doit pas se sentir étranger, et toi Malik veille sur elle, qu’aucun garçon ne l’importune !

Et sans attendre nos réponses, Max Axel, tourna les talons et se perdit dans la foule.

La cérémonie d’échange de cadeaux allait commencer.

Malik avait pris place à côté de moi. Et je m’étais sentie tout de suite moins seule.

-      Alors tu es en cours avec Max ? Demanda-t-il comme pour établir la conversation

-      Oui, certains cours. Moi je fais sociologie.

UN NOEL A DAKAR