Chapitre 1 et 2

Ecrit par Olys_ Soul

 

 

 

Debout prêt de la fenêtre, je contemplais le cerisier dans le jardin, il était gorgé de fruits. Il faisait si beau. J’étais loin de m’imaginer, à ce moment là, que cette journée allait changer ma perception des choses. Je croyais que mon cœur était à l’abri de tout chambardement.

Sur ma table de nuit mon téléphone sonnait. J’y ai jeté un coup d’œil furtif et mon cœur a failli lâcher. C’était le cabinet Tanis et Associés. J’avais postulé chez eux il y a  deux mois. Leur choix devait nous être communiqué aux autres postulants et à moi depuis plus d’une semaine. Je savais que leur retard ne devait pas être un sujet de grande inquiétude mais lorsque vous vivez en Haïti et que vous avez fait votre droit dans une faculté de l’Université d’Etat d’Haïti les chances de vous faire un nom respectable dans le métier étaient mince.

Le cabinet Tanis et Ass. était l’un des cabinets les plus réputé de la ville de Port- au- Prince. Lorsque que mon amie Théa qui travaillait au service des ressources humaines du cabinet m’avait informé qu’il comptait entamer un processus de recrutement, en ce qui me concerne c’était une évidence que je ne devais surtout pas rater cette opportunité.

Alors ce matin là en voyant leur nom s’afficher sur l’écran de mon téléphone j’étais resté un moment tétanisée, perplexe. Tant que je ne n’avais pas encore reçu de refus  j’avais encore le droit d’espérer. Ce coup de file devait m’aviser de l’obtention de mon ticket d’entre dans la cour des grands ou d’un cuisant échec. Mes mains tremblaient mais d’un geste presque inconscient j’ai glissé mon doigt sur l’écran :

_ Allô.

_ Allô. Bonjour, Mlle Millot?

_ Oui oui… c’est bien elle à l’appareil.

_ Ici le cabinet Tanis et Ass. Nous vous contactons pour vous faire savoir que nous souhaiterions donner suite à votre candidature en mars dernier chez nous. Et nous…

L’espace d’un instant je m’étais déconnectée de la réalité. Tout ce que j’avais retenu c’était « donner suite à votre candidature ». Après ce passage la conversation était devenue pour moi si peu intéressante. Mais bonh je recouvrai très vite mes esprits.

_ Allô. Mlle Millot, vous êtes toujours là ?

_ Mais oui, je vous écoute. Vous disiez que le cabinet souhaitait prendre contact avec moi.

_ En effet. Il nous faut à présent fixer un rendez- vous pour un entretien la semaine prochaine afin de régler les derniers détails.

_ Bien sûr.

_ Est-ce que mardi 10hr vous irait.

_ Ce sera parfait.

Il m’aurait dit sur le champ  que ma réponse demeurerait inchangée.

_ Dans ce cas à mardi. Au revoir.

_ Au revoir. Merci à vous d’avoir appelé.

_ Je vous en prie. Bye bye.

Aaaaahhhhh. Dès que mon interlocuteur eu raccroché j’exprimai ma joie en me tortillant dans tous les sens, sautant et hurlant. Ce que ça fait du bien!

_ Georgia !

C’était la voix de ma mère. Elle avait dû entendre mes hurlements. Je couru lui annoncer la bonne nouvelle.

Moi et ma sœur nous vivions encore chez notre mère. Bien que je venais de fêter mes 23 ans le 10 janvier dernier quitter la maison était encore hors de question. C’est que chez nous c’était très mal vu qu’une jeune femme laisse le foyer maternel pour s’installer seule dans la même ville sans être mariée. C’était hors de question.  Ma sœur  aînée contractant mariage dans un mois cette situation enchantait ma mère.

Je l’ai rejointe dans la cuisine, son endroit préféré de la maison. Toujours à mijoter quelque chose de comestible. On dirait presque que le contrat signé avec ses casseroles n’incluait aucun jour de congé ou même de repos.

Elle était en nuisette, les deux nattes qu’elle s’était faites avec ses cheveux  grisâtres la veille se tordait un peu, on aurait dit une fillette. Une bonne odeur de café  humectait dans la pièce, son incontournable élixir du matin. À côté du moka, sur l’un des trois autres foyers du four marinait des oignions, du piment doux et de l’hareng-saur[1], elle battait des œufs pour le petit déjeuné.

J’avançai vers elle en dansant, je ne saurais identifier de quel rythme il s’agissait :

_ Maman, Maman.

_ Que se passe t-il enfin ? Je t’ai entendu crier dans ta chambre.

_ Tu te souviens du cabinet dans lequel j’avais postulé il y a deux mois ?

_ Oui. Tunier et Ass.

_ Tanis maman voyons.

_ Ah tifi[2].Tu comprends très bien ce que je veux dire.

_ Toujours est-il que je viens de les avoir au téléphone.

_ Et ?

Un sourire à peine perceptible se dessinait sur son petit visage ovale.

_ …

Voulant la faire mariner je la regardais sans mot dire. La voyant sur le point d’exploser

_ J’ai été prise chez eux. Je dois passer à leur bureau la semaine prochaine pour une dernière entrevue.

Elle hurla à son tour, me serra dans ses bras. Et avec un grand sourire rempli de fierté, elle me demanda.

_ Cela signifie que ma fille est désormais une avocate attitrée ?

_ Comme tu le sais j’aurai une période d’approbation de 3 mois mais une fois passé ce cap oui ce sera officiel.

De son mètre cinquante sept elle me serra encore dans ses bras, ils me contenaient à peine mais je ne connais point de bras qui produisent chez moi un tel sentiment de sécurité. Elle me caressa le visage et retourna à ses besognes.

Je l’aidai à mettre la table pour le petit- déjeuner. Lorsqu’elle eu terminé avec les œufs elle déposa le plat sur la table.

_ Pour nous trois mamans, hurlai-je

_ Aaah. Ca ne règlera rien non.

Elle sourit et me dis que ma sœur était déjà à la fac. Elle était sortie de bonne heure. J’avais oublié qu’elle avait un rendez-vous de travail aujourd’hui.

Je passai le reste de la matinée à rêvasser. Qu’elle serait mes tenues pour la première semaine ? Devrais-je me permettre les robes dans les premières semaines ou attendre que la période de probation soit arrivée à échéance ? Que de grandes questions.

Il était déjà une heure de l’après midi. J’avais rendez-vous avec ma sœur et si je n’arrivais pas à destination dans trente minutes j’allais être  en retard.

   

 

 

 Il y a avait sous le pont, du carrefour de l’aéroport un vieux M., munie  d’une  paire de  « Tchatcha[3]». À les voir elles devaient sûrement avoir été confection par ses soins. Fait d’un morceau de bois grossièrement taillé comme manche et d’une petite canette de lait usagée en guise de calebasse  avec de petits cailloux à l’intérieur à défaut de graines. Il  était entouré d’une foule d’admirateur,  pas des plus flatteurs mais il ne s’y intéressait pas, il se concentrait sur sa performance. Avec ses instruments en main il donnait une prestation comme si sa vie en dépendait. Quoique ce fût tout comme, le vieil homme se produisait dans l’espoir d’attirer la sympathie des passants qui le lui témoigneraient en lui jetant quelques pièces. Il était accompagné d’un petit garçon qui, physiquement était mieux pourvu que lui, il n’avait pour seule tâche outre celui de guide celui de percepteur. Il percevait quoi me diriez vous.  Dans son répertoire «  Men avèg la men avèg la lagon bagay nan men l’[4]». Enfant on apercevait beaucoup comme lui dans les rues de Port- au- Prince, mais depuis quelques années ils se faisaient assez rares. Cela n’enlevait en rien à leur succès ni à l’attrait qu’ils provoquaient chez les gens de la capital. Une chose que je ne parvenais à comprendre. Je devais retrouver ma sœur dans un restaurant sur la route de Nazon.

Fiona avait étudié la médecine à la faculté de médecine.  Elle adorait son travail mais ne pouvait se détacher de son rêve d’enfant, devenir écrivain. Et en tant que petite sœur j’étais son assistante attitrée. Selon elle j’étais faite pour ce boulot. Un devoir qui m’incombe par le droit de sang. Allez comprendre…

_ La seule sœur que tu as. Tu ne saurais refuser.

Son argument de prédilection. Mais que pouvais-je répondre à cela ?

Ma tâche consistait principalement à dactylographier les récits qu’elle avait pour habitude de me raconter, mais aussi de faire le traitement de texte et éventuellement  lui rappeler où est-ce qu’elle s’était arrêtée. Parce qu’elle en commençait une presque à chaque fois. Mais bon c’était ma sœur et j’avais une conscience professionnelle tout de même.

  Dans ma petite robe bleu roi, ma couleur préférée, des ballerines dorées aux pieds et une petite sacoche portant l’harmonie des deux couleurs je me sentais si légère. Dans la camionnette qui devait me déposer devant le restaurant je pris le temps de lire quelques pages de mon roman du moment trente minutes plus tard j’étais arrivée à destination.

_ Merci Chauffeur

C’était un bâtiment assez imposant, d’un rouge délavé  juchées sur la façade du premier étage de grosses lettres indiquaient «COMPLEXE HARVE’S». Les deux pièces du rez-de-chaussée logeaient un salon de beauté et un petit magasin où l’on pouvait trouver des produit électronique en tout genre : Téléphone, carte mémoire, câble USB etc. Un escalier  dans l’entré conduisait à l’étage du dessus où se trouvait le restaurant. Alors que je montais l’escalier je tombai sur un garde assis près d’un énorme casier.

_ Bonsoir Mme.

_ Bonsoir M.

_ Vous allez au restaurant.

Je fis oui de la tête. Il m’indiqua le casier du doigt.

_ Vous devez y déposer votre sac avant de monter.

J’obéi et entrepris de monter les dernières marche de l’escalier. La salle était assez spacieuse mais impossible de l’apprécier tant qu’elle était bondée. Des couples pour la plupart, du reste c’était des étudiants, des hommes d’affaires etc. Je cherchai ma sœur des yeux et au bout d’un moment j’aperçu une main qui semblait me faire signe. C’était ma sœur, elle était assise près de la fenêtre, sans doute en pensant à moi. Je préférais les espaces en plein air mais lorsque je devais me retrouver dans des espaces clos l’air frais que je respirais près de la fenêtre me réconfortait.

On se fit la bise et elle appela la serveuse des mains :

_ Une bière s’il vous plait.

_ Tout de suite Mme.

Je me surpris à l’admirer. Elle était si belle. Elle avait de longs cheveux d’un noir intense, des yeux marron avec de longs cils, le même teint clair et le même visage que notre mère. C’est vrai qu’elles se ressemblaient toutes les deux. Un regard qui en disait long sur son caractère. C’était une femme forte avec de jolies courbes. C’était ma grande sœur. Évidement je tenais à peu de chose près d’elles.

_ Alors et cette journée, me demanda t’elle.

J’esquissai un large sourire.

_ J’ai reçu un appel du cabinet ce matin.

_ Raconte.

_ Non. Devine.

Elle prit une grande respiration.

_ Tu as été prise ?

Elle resta là, figée avec ses grands sourcils noirs écartés attendant que je mette fin à son supplice ce que je fis avec un oui de la tête. Sur le coup elle me saisit les mains puis se leva et m’embrassa.

_ C’est une nouvelle qui se fête. Je t’offre un morceau de gâteau au chocolat.

Tous ceux qui me connaissent savent qu’en matière de douceur ou de plaisir culinaire rien ne vaut du gâteau au chocolat.

Nous passâmes environ deux heures à discutailler de choses et d’autres : mon nouvel emploi, son mariage prochain, de son boulot, des projets que nous avions, des endroits qu’il nous fallait absolument visiter, de l’anniversaire de maman dans deux semaines etc.

  

[1] Hareng salé et séché

[2] Petite fille

[3] Instrument de musique caribéen

[4] Voici l’aveugle, voici l’aveugle, jeté lui quelque chose.

 

Nuit Noire