CHAPITRE 1 : ETAT DES LIEUX
Ecrit par delali
Combien de fois Kenji regarde-t-il sa montre déjà ? Deux, quatre, six fois ? Il ne peut se le dire, une chose est sûre, c’est bien la énième fois. Il est 18 heures 01 minutes sur l’une des plages environnantes de l’aéroport international Cardinal Bernardin Ganti de Cotonou. Kenji, lorsqu’il ne regarde pas sa montre, jette un regard assez inquiet autour de lui. Sa clientèle se fait de plus en plus rare depuis quelques jours. Ce n’est pas bon pour ses affaires. Il pousse un soupir et se demande, pendant combien de temps continuera-t-il encore de mener cette activité de fortune ? Il est tout simplement épuisé de cette stagnation qui commence à s’installer petit à petit dans sa vie. Il a de tout temps positivé, mais là, il croit qu’il est en train de craquer.
L’arrivée de Malik, bien qu’attendue, le délivre, ne serait-ce qu’un court instant de ces questionnements sans réponses. Malik, comme à son habitude ce jour-là, termine sa journée de travail sur la même plage. Il se dirige indubitablement vers son ami de toujours Kenji.
Salut frangin ! lance Kenji
Salut boss ! Et ta journée ?
Pas très fameuse hein !
Ah bon ? C’est bizarre, d’habitude tu fais un bon chiffre d’affaires.
Bof ! Pour un début de weekend end des vacances 2017, c’est bien sec. A peine j’ai eu 500 f de recette aujourd’hui !
Eh ben, ça va te faire 650f ! Vends-moi une noix de coco, j’ai soif.
Avec plaisir Malik. On dirait que ça a marché pour toi aujourd’hui ?
Il y a de quoi mon frère ! J’ai accompagné deux belles touristes aujourd’hui faire le tour de la ville, alors t’imagines ? J’ai eu droit aux belles femmes et aux pognons.
Non sans blagues ? Et tu ne les as pas emmenées ici gouter à mes noix de cocos fraiches ? T’es pas gentil mec.
Non t’inquiète, c’est prévu pour demain. C’est deux belles nanas qui sont rentrées du Gabon-là, elles veulent découvrir notre belle ville Cotonou.
Vraiment les femmes ! Elles ont toujours des idées pour dépenser de l’argent.
Ah, du moment que moi ça rend mon business florissant, je suis preneur !
Oui, je sais ! Je sais que c’est juste le temps de mettre la main sur ta riche touriste qui fera briller ton étoile.
C’est ça même !
Toi, tu es incorrigible.
Laisse man, la vie est une guerre, et à la guerre, tous les coups sont permis. Bon, tu fais quoi maintenant ?
On rentre mon gars, demain est un autre jour.
C’est parti !
Kenji est un jeune homme de 27 ans qui vend des noix de coco bien fraîche aux abords de la plage. Malik quant à lui, de la même tranche d’âge, est l’homme à tout faire. Il ne refuse aucune occasion de se faire de l’argent. Les deux jeunes hommes s’affairent donc à ranger le chariot de noix de coco près des hommes qui assurent la sécurité des lieux. Malik, cependant devance son ami pour enfourcher sa moto, de marque « Dream ». S’impatientant de ne pas voir Kenji venir vers lui, il lui lance :
Mais dépêche un peu, sinon je t’abandonne ici hein.
Kenji accourt donc vers lui. Et en grimpant sur l’engin, il dit à son ami :
C’est à cause de ta vielle bécane que tu nous rabats les oreilles comme ça ?
C’est ça, vieille bécane ! Mais c’est ce qui te sauve la vie actuellement. Tu es prêt ?
C’est bon, on peut y aller.
Ils empruntent donc le chemin qui mène à Abomey-Calavi, commune voisine de celle de Cotonou, pour se rendre à la maison, sous la conduite vigilante de Malik.
Malik LAWANI est béninois d’origine, mais il est né et a grandi en Côte d’Ivoire. Il y a fait tout son cursus scolaire jusqu’à la classe de terminal. Après l’obtention de son baccalauréat, il se retrouve, comme des milliers d’autres victimes, face à la crise politique qui sévissait dans ce pays.
Décidés à ce que leur fils évolue dans ses études, ses parents le conduisent à Cotonou au Bénin, afin qu’il s’inscrive à l’université. Les quatre années qui ont suivi son arrivée dans son pays d’origine, Malik a réussi à valider avec brio toutes ses années académiques, ce qui lui a value de bénéficier de la bourse estudiantine durant tout son parcours.
C’est donc avec cet argent que Malik s’est offert son engin, à deux roues. Cet engin lui sert de moyen de déplacement en toutes circonstances, comme rentrer tous les soirs du travail en compagnie de son ami et frère Kenji. Arrivés au niveau du terminus de la clôture de l’université d’Abomey-Calavi, Malik ralenti et marque un arrêt.
Merci mon ami ! dit Kenji en descendant.
De rien mon gars, on se coince demain.
Ok, je t’écris tout à l’heure.
Sans faute, je suis connecté !
Malik redémarre sans plus perdre une seule seconde, parce qu’habitant au niveau de la mairie de Calavi. Il lui reste encore du chemin à parcourir. Kenji traverse donc l’autoroute qui le sépare du campus universitaire, puis engage sa marche le long de la clôture. Il habite avec sa famille le village universitaire nommé « Zogbadjè ».
Il presse les pas, le crépuscule commence à pointer son nez. En quinze petites minutes, Kenji a fini de longer la clôture et bifurque sur sa droite. Il emprunte un sentier sinueux et sent l’air ambiant se rafraîchir de plus en plus. Il se passe les mains sur les avants bras en un geste de réchauffement. Il est même surpris à la limite, il n’est pas de nature frileuse, alors pourquoi ce ressentir tout d’un coup ?
Très vite, il se refait une contenance tout en continuant son chemin. Après cinq pâtés de maison, Kenji aperçoit enfin la demeure familiale. Le visage du quartier ne lui est que trop familier, sauf un évènement isolé qui retient tout de suite son attention. Un petit attroupement devant leur concession familiale. Mais que peut-il bien se passer ?
Rapidement, Kenji reconnait ses oncles, les frères de son père dans le brouhaha. Pris d’une crainte subite, il les rejoint à la hâte. Dès qu’ils le voient, ils affichent des mines défaites.
Oncle, qu’est ce qui se passe ? demande Kenji
Viens avec moi mon garçon, dit Fabien, le grand frère de son père en lui passant un bras au-dessus de l’épaule pour l’entrainer.
Kenji le suit en jetant un regard anxieux autour de lui. Son oncle l’entraine à l’intérieur de la concession, où il remarque aussi des visages qui lui sont étrangers. Ils atteignent un banc posé devant la porte de son oncle, et ce dernier l’incite à s’asseoir.
Mais qu’est ce qui se passe ? redemande Kenji en s’asseyant.
Son oncle s’assoit aussi à ses côtés et se met à parler :
Kenji, c’est ton papa…
Papa ?
Oui, mon garçon. Ton père …
Kenji détourne automatiquement son regard et le dirige vers le sol. Il devine déjà ce que l’on s’apprête à lui annoncer. Sur le champ, il n’entend plus ce qu’on lui dit, il est automatiquement transporté dans le temps par ses souvenirs. Il pense à son père, Clément DEMEDEROS. Il se rappelle encore comme si cela était hier son enfance, la joie de son père de l’avoir lui Kenji. Mécanicien de son état, son père Clément a immigré dès son jeune âge en Guinée Equatorial en quête de l’eldorado.
C’est sur cette terre que Clément a fondé sa famille. Après son union avec son épouse, ils n’ont eu que des filles, cinq belles filles qu’il a toujours adorées, ceci étant, il désirait ardemment un fils. C’est la raison pour laquelle la naissance de son fils unique l’a plus que réjouis. Kenji peut affirmer qu’il l’a largement ressenti depuis sa tendre enfance. Lorsqu’il a atteint l’âge d’aller à l’école, son père malgré qu’il l’ait inscrit à une école bilingue, l’entrainait toujours avec lui à son garage de mécanicien. Il était devenu l’apprenti attitré de son père, bien que celui-ci en avait déjà beaucoup. Presque tous les clients de son père l’appréciaient parce qu’il était déjà très intelligent et ils ne manquaient pas de lui témoigner leurs affections en lui offrant des présents et autres. Il se rappelle encore comment les services de mécanicien de son père étaient fortement appréciés.
C’est grâce à ce métier que son père s’est bâti la fortune qui lui a permis entre temps de subvenir aux besoins de sa famille, et de se construire une maison pour ses vieux jours dans son pays d’origine le Bénin. Fils unique de son père, Kenji était traité comme un petit prince, mais un petit prince qui ne devait faillir à aucun devoir, car sur ce plan, son père se montrait très sévère. Kenji était tenu de réussir à tous ses examens scolaires. Lorsqu’il a réussi haut les mains à son baccalauréat, la discussion qu’il avait eue avec son père sur le sujet lui est encore revenue à l’esprit.
Tu es un grand garçon maintenant mon fils, lui disait-il en vernaculaire adja. Dis-moi, tu préfères continuer ici à Malabo ou tu préfères rentrer à Cotonou au pays ?
Papa, moi je veux rester ici, je ne connais pas le système de ton pays-là, alors que moi je veux faire l’électronique.
Mon pays ? C’est n’est pas chez toi aussi ? Vous les enfants d’aujourd’hui même.
Papa pardon, moi je veux rester ici.
Kenji admet qu’il avait dit cela, juste pour rester auprès de ses amis, tout compte fait, son père a fini par céder à ses caprices. Malgré le fait que les cours universitaires coûtaient deux fois plus chères qu’à Cotonou parce que c’était toujours une université bilingue, son père s’est saigné pour payer ses études. Il n’a pas souvenir qu’il a eu à le faire pour ses grandes sœurs. Lorsque celles-ci optaient pour des études trop coûteuses, il ne faisait que les expédier au Bénin, afin qu’elles aient accès à d’autres options moins coûteuses. Ce qui fait qu’elles ont connus le pays natal avant lui et sont déjà pour la plupart d’entre elles mariées au Bénin. Lui seul Kenji avait eu le privilège de continuer ses études dans le domaine de son choix à Malabo. Son père n’a lésiné sur aucun moyen pour mettre toutes les chances de son côté.
Après ses études, Kenji n’a eu besoin de personne pour se rendre compte que les forces de son père s’amenuisaient. Petit à petit, son garage perdait de son affluence et de sa réputation. Kenji n’y a donc posé aucune résistance lorsque son père lui a fait part de son désir de rentrer de façon définitive dans son pays. C’est ainsi que lui, son père et sa mère sont rentrés de la Guinée Equatorial pour s’installer au Bénin dans la maison qu’avait fait construire son père quelques années plus tôt.
Dans cette grande concession, Clément son père avait prévu des appartements qu’il mettait déjà en bail. Ces contrats de bail étaient gérés par son frère Fabien, qui lui en tenait des comptes, parfois arabes, par la suite. Lorsque Kenji et ses parents sont rentrés, ils ont juste constaté que Fabien était installé dans l’un des appartements. Clément, un homme de nature calme, n’y a fait aucune moue ou remarque. Kenji avait à ce moment 24 ans, il se sentait un peu dépaysé, surtout que son français était un peu imbibé de mot espagnol. Il décida donc de faire un bain linguistique.
Pour cela, vu que la maison de son père n’était pas très loin de l’Université d’Abomey-Calavi, il y allait passer des journées entières afin de prendre le pli. C’est à ce moment qu’il a croisé Malik qui s’est proposé pour lui donner des cours de perfectionnement. C’est ainsi que Malik est devenu son ami inconditionnel. Lui aussi venait de terminer ses études sur le campus en économie.
Kenji et lui partaient donc ensemble à la quête d’emploi dans la ville de Cotonou. Ils guettaient les moindres offres à travers les réseaux sociaux et autres, mais jusqu’à cet instant toujours rien. A part des stages de trois mois ou six mois qui ne se soldaient jamais sur rien de concluant. Malgré tout, Kenji remarquait toujours que son père faisait tout pour qu’il ne manque de rien, jusqu’au moment où il ne l’a plus pu.
Juste un an après leur arrivée, son père s’est vu frappé d’une paralysie inexpliquée par tous les médecins qu’ils ont eu à rencontrer. Au fil du temps, toutes leurs économies sont passées dans les soins, sans vraiment que son père ne recouvre la santé. Il lui advenait par moment de retrouver un peu de mobilité, mais cela ne dure jamais bien longtemps.
Kenji a vu ainsi tant la santé que l’environnement de son père se détériorer devant son impuissance. Son oncle Fabien s’est érigé en maître et chef des biens immobiliers de son père, sans lui rendre de compte cette fois ci. A chaque fois que Kenji a voulu élever la voix pour réclamer les droits de son père, sa mère le suppliait toujours en ces termes :
Mon fils, pardon, tu es le seul que j’ai. Ne leur donne pas aussi l’occasion de te faire du mal, je pleure déjà ton père et ça me suffit déjà.
Mais maman, on ne restera pas les bras croisés devant toute cette injustice. Sa famille abuse de papa.
Du calme mon fils, tu sais que si jamais il arrive quelque chose à ton père, ils profiteront de ça pour nous expulser même de notre propre maison. Laisse le bon Dieu s’en charger, lui il ne déçoit jamais.
Ce point de ses souvenirs lui fait constater qu’il n’a pas vu sa mère à son arrivée. Il revient tout de suite à la réalité et coupe presque la parole à son oncle en lui demandant :
Où est ma mère ?
Mais… Je t’annonce une telle nouvelle, et tout ce que tu trouves à dire, c’est demander d’après ta mère ? Tu es normal ?
Mon oncle, je suis plus que normal, ne venez pas me dire ici que vous êtes surpris par cette nouvelle. Ce que je veux savoir, c’est pourquoi je n’ai pas été prévenu ?
Mon garçon, il est parti dans son sommeil. Alors nous avons jugé bon de ne pas te perturber dans ton travail.
Hum…, soupire-t-il. Où se trouve ma mère ?
Elle est la veuve de ton père mon fils, elle doit suivre les cérémonies de veuvage en coutume chez nous.
Un bruit de nouvelles personnes entrant dans la concession attire leur attention, ils lèvent la tête et aperçoivent une des sœurs de Kenji, elle se dirige tout droit vers la porte de l’appartement de son père.
C’est pas vrai, où est mon père ? Je veux le voir, dit-elle au bord des larmes.
Calme-toi ma fille. Il n’est plus ici…
Kenji entendant cela affiche un visage surpris devant cette affirmation.
Hein ? s’exclame-t-il.
Son oncle Fabien toujours assis auprès de lui, voyant son air ahuri lui répond :
On a déjà emporté son corps à la morgue…
Cela s’est passé, il y a des heures alors, pourquoi vous m’avez caché cela ?
Du calme ! Du calme ! Votre grande sœur vous expliquera. Il est temps de prendre les choses en main à présent. Un garçon dont le père n’est plus de ce monde, est un homme à présent. On peut aller le voir quand vous voulez.
Son oncle se met debout, et l’invite à faire de même. Kenji imite son oncle et tous se dirigent vers l’intérieur de la maison, afin de prendre les décisions qui s’imposent.
***
Au même moment, Cotonou
Marianne est exténuée. Mais au moins elle est rassurée, 18 heures 30 minutes n’est plus très loin, elle pourra bientôt sortir de ce bureau et rentrer chez elle. Leur supérieur hiérarchique est un harceleur qui tire sur presque tout ce qui bouge et lui pompe l’air à la limite. Il est le responsable des ressources humaines de la banque dans laquelle elle travaille.
En tant qu’assistante numéro 1 du responsable, ce dernier lui mène tellement la vie dure au travail, qu’elle n’a souvent qu’une seule envie, démissionner. Mais pour l’instant, elle ne peut pas se permettre ce luxe, même si elle ne manque de rien. A 25 ans, Marianne BONOU a la chance d’avoir ses parents toujours disponibles pour elle, sans compter aussi son fiancé Samir qui se pli en quatre pour lui faire plaisir. Mais cela n’empêche que Marianne préfère travailler pour être indépendante.
Elle pousse un long et bruyant soupir devant son ordinateur en face duquel elle est assise.
Mais qu’est ce qui ne va pas ma chérie ? lui demande Stella sa collègue de bureau et aussi amie.
Stella FANOU est l’assistante numéro 2 du responsable des ressources humaines, par conséquent, elles partagent le même bureau.
Vraiment, je suis fatiguée de ton boss là !
Il veut quoi encore ?
Je ne sais même pas ! Je lui ai déjà dit non plusieurs fois. Maintenant pour me pourrir la vie, il me demande ce rapport en urgence, alors que le dossier sera demandé par le haut boss que dans plusieurs semaines.
Quoi ? Il est encore revenu à la charge aujourd’hui ?
Est-ce que ce vicieux se fatigue ma sœur ?
Rires ! En tout cas parle doucement, il peut t’entendre.
Même si, je l’emmerde, il n’a aucune preuve contre moi pour me renvoyer.
Mais ma chérie, moi je ne te comprends pas, c’est un coup seulement il veut non ? Donne-lui ça pour avoir la paix !
eeeh Stella, toi aussi ! Je suis fiancée, on ne fait pas des choses pareilles, c’est contre nature.
Toi avec ton affaire d’éthique là, la chose, il n’y a pas compteur dessus. Un soir seulement et puis tu es en paix. Toi-même tu sais qu’il n’y a pas travail dans le pays oh, donc si tu as trouvé un, faut tout faire pour garder ça.
Hum !!! Je suis prête à tout, sauf ça là, un type dégueulasse comme ça là. Et puis si jamais tu fais une seule fois, ne pense pas que c’est terminé hein, ça devient une routine. Tu deviens en même temps leur objet de plaisir quand ils en ont envie.
Pendant leur conversation, le téléphone de Marianne vibre. Elle regarde sur l’écran et voit un message WhatsApp. Elle le consulte, il est de Mélina, sa cousine qui vit à La Línea. Tout de suite, elle se met à sourire. Stella voyant sa mine subitement radieuse, l’interroge :
C’est notre chéri Samir ?
Non, ce n’est pas lui. C’est ma cousine Mélina.
Ok, la go espagnole ?
Elle-même en personne !
Hum ! Votre affaire-là, quand ça va pourrir, on va sentir.
Lol.
Marianne est aussitôt déconcentrée de son travail et se met à discuter avec sa cousine via le réseau social, si bien qu’elle n’entend plus ce que lui raconte son amie Stella. Voyant que Marianne ne lui prête plus attention, Stella se lève et sort du bureau.
Le bruit de la porte tire Marianne de sa rêverie. Toutefois, elle continue sa discussion. Elle adore toujours bavarder avec sa cousine. Celle-ci a toujours de quoi intéresser son interlocuteur.
Marianne ressent la porte de leur bureau se rouvrir, mais elle se dit sans aucun doute que cela devait être Stella qui refait son apparition. Elle ne relève donc pas sa tête de son téléphone, lorsqu’elle entend :
Mademoiselle BONOU !
Marianne sursaute en entendant son nom. Elle lève aussitôt la tête, son supérieur hiérarchique se tient là devant elle, le regard très sévère. Il continue :
Vous êtes à votre téléphone portable aux heures de travail ?
« C’est fait, là je suis cuite. » se dit Marianne au fond d’elle-même. Elle se dit que ce type avait enfin trouvé le moyen de lui créer de vrais ennuies. Il ne se fait pas prier d’ailleurs pour proférer des menaces.
Vous qui clamiez être une employée modèle, c’est donc ce que vous faites ? Je ne donne pas chère de votre peau. Je m’attèlerai à…
Pendant qu’il parlait sans arrêt, le regard de Marianne baisse et tombe à tout hasard sur son téléphone. L’écran de veille de l’appareil affichait l’heure, et il sonnait 18h 31 minutes. « Sauvée par le gong ! » se redit elle en son for intérieur.
Excusez-moi monsieur, mais nous ne sommes plus aux heures de travail.
Pardon ? ...
Il est 18h30 passés monsieur.
Je vous ai confié du travail.
Mais vous-même avez dit ici que les heures supplémentaires ne sont pas à l’ordre du jour monsieur. Avec tout le respect que je vous dois, je continuerai demain.
Suite à ces mots, Marianne s’affaire aussitôt à ranger ses affaires personnelles pour lever le camp. Debout à l’observer, son supérieur fulmine de l’intérieur en se disant : « Je finirai bien par t’avoir un de ces jours. ». Puis, il rebrousse chemin en claquant la porte derrière lui. Marianne pousse un ouf de soulagement. C’est à ce moment que Stella refait son apparition.
Que se passe-t-il ? demande-t-elle.
Où étais-tu ?
Aux toilettes, pourquoi ?
Sortons d’ici, vite. Je te raconterai en chemin.
Les deux collèges lèvent le camp sans plus se faire prier.
***
Pendant ce temps à La Línea
Mélina DOSSOU verrouille son téléphone, Marianne ne répond plus à ses messages. Et voilà qu’elle n’est pas très inspirée pour dessiner aussi. Son Directeur Artistique lui a adressé un brief depuis deux jours déjà, auquel elle n’a pas encore répondu faute d’inspiration. Elle jette un coup d’œil lasse à ses papiers et crayons éparpillés sur son bureau. D’ailleurs, elle a autre chose à faire ce soir, se dit elle pour se changer les idées, un rendez-vous galant ce soir avec un bel homme.
Elle l’a rencontré à l’heure de la pause déjeuner tout à l’heure. Rien que le simple fait de penser à lui, lui met le sourire aux lèvres. Il est beau, grand, à la peau bronzée, et un sourire à tomber raide dingue. Elle n’a pas pu y résister lorsque leurs regards se sont croisés. Le signal était tellement intense entre eux, que Mélina s’est dit :
« Waouh ! Celui-là, il est fait pour moi. ».
Ce beau ténébreux, Marcus il se nomme, s’est invité à sa table à l’heure du déjeuner :
Je peux ? avait-il demandé
Oui, bien sûr, a-t-elle répondu pour le laisser s’asseoir.
Ils ont déjeuné ensemble et se sont échangés les numéros au milieu de causerie et rires amusés. Il n’a pas perdu de temps. Dès qu’elle a repris du service l’après-midi, il l’a invitée à diner le soir même.
« La belle damoiselle voudrait bien partager mon maigre diner ce soir ? » Demandait le message WhatsApp qu’il avait envoyé.
Mélina a dit « oui » et depuis elle pense à cette soirée de rêve. Elle stresse même à la limite.
Après un soupir, elle essaie de mettre un semblant d’ordre sur son bureau, puis elle agrippe son sac à main et sort des locaux. Sa correspondance du métro ne devrait plus tarder, alors il faut qu’elle presse les pas.
Une quinzaine de minutes plus tard, elle est confortablement installée dans le métro, en partance pour son domicile. Tout le long du trajet, Mélina est emportée par ses pensées. Celles-ci la conduisent à sa propre vie, quelques années plus tôt à Cotonou au Bénin… surtout aux circonstances, pour le peu mirobolantes, qui l’y ont conduite. Quand elle y pense, elle se demande encore, comment elle a fait pour être encore vivante…
« on embarque pour notre prochaine sto