Chapitre 1: La ville Porte-bonheur

Ecrit par Mady Remanda

    

Assise sur l’inconfortable siège d’un Vol « La Nationale » en direction de Port-Gentil, j’essayais en vain de me détendre.

Nous venions de décoller mais le vol ne serait pas long, dans trente minutes je serai à Port-Gentil et peut-être qu’alors je pourrais me débarrasser de cette horrible migraine qui me vrillait les tempes.

Poussant un large soupir, je fermai les yeux, essayant de juguler la douleur que je ressentais.

J’avais intérêt à me détendre, ce weekend à Port-Gentil serait sans doute le dernier plaisir que je pourrais m’offrir dans cette vie.

Cette vie, ma vie…s’achèverait dans quelques jours… Non je n’allais pas mourir, la mort était certainement un sort plus enviable que ce qui m’attendait…

Je n’arrivais pas à croire que le moment était enfin arrivé…

Je fermai les yeux, essayant de repousser ces sombres pensée, ce n’était pas le moment. Ces trois jours constituaient les derniers jours de ma vie en tant qu’Elina Afane, bientôt, je ne serai plus que…

Bref !

Il fallait que je m’amuse à fond, que je m’autorise tout ce que je m’étais refusée toutes ces années au nom de mes sacro-saints principes, vivant sur une chose aussi incertaine que l’espérance que les choses tournent en notre faveur…

En notre faveur, c’est-à-dire celle de mes petits frères et moi.

A vingt-huit ans, j’étais l’aînée des quatre enfants de ma mère. Mes deux petites sœurs Mabel et Sybel étaient des jumelles âgées de vingt ans et notre petit frère Terence avait quinze ans.

Mabel et Sybel étaient étudiantes en Afrique du Sud, tandis que Terence était dans un internat huppé du Nord de la France. Tout cela, à mes frais. Mes frères et moi sommes orphelins depuis si longtemps que je ne saurais me rappeler du visage de notre mère, quant à nos pères respectifs…je ne saurais vous dire qui ils sont, ni même s’ils vivent…c’est dire que notre mère était une femme si…mystérieuse disons-le ainsi.

Depuis la mort de notre mère douze ans auparavant, j’avais pris mes petits frères sous mes ailes et m’étais occupé d’eux, jusqu’à ce jour, et j’avais bien l’intention de le faire encore longtemps, tant qu’ils n’auraient pas pris chacun leur envol.

Et on peut dire que j’en ai les moyens…

Mes comptes en banque sont garnis, je possède deux voitures luxueuses, je suis propriétaire de trois appartements haut standing en location, de deux villas mitoyennes à usage d’habitation. La première villa est celle réservée à mes frères et moi, et l’autre est pour notre grand-mère qui vit encore. Une dame de ménage et une dame de compagnie vivent avec elle sur place car avec ses soixante-douze ans, elle a perdu en autonomie.

Notre villa à nous est plus un lieu de seconde résidence, où nous nous retrouvons en vacances.

Jusqu’à il y a trois semaines, j’étais employée dans une compagnie d’Assurances à Lille. J’y avais été embauchée trois ans auparavant, à la fin de mes études.

Chaque année donc nous nous retrouvions en vacances au Gabon au mois d’Août, avant que mes sœurs ne repartent pour l’Afrique du Sud et Terence et moi pour la France.

C’étaient alors des moments de pur bonheur avec Mam’Eyang notre grand-mère.

En réalité pour des orphelins, nous n’étions pas vraiment à plaindre…non pas que notre mère eut été riche mais…

-      Madame ?

Une voix me tira de mes pensées, j’ouvris les yeux, l’hôtesse me présentait un plateau de boissons.

-      Désirez-vous boire quelque chose ?

J’étais tentée de lui dire non, puis je pensai qu’elle pourrait peut-être m’aider :

-      J’aurais bien besoin d’un comprimé contre les maux de tête et verre d’eau si vous en avez…

-      Bien sûr…Voilà pour l’eau… Dit-elle en déposant devant moi une petite bouteille d’eau minérale

Puis me souriant elle ajouta :

-      Je vous apporte du paracétamol tout de suite…

-      Merci…

L’hôtesse avait réussi à me détourner de mes pensées à temps. Je ne devais pas gâcher ce weekend, il était mon dernier virage, mon dernier souvenir de la vie, la vraie vie…

Moins de cinq minutes plus tard, l’hôtesse me rapporta une tablette de comprimés de paracétamol. J’en pris deux en la remerciant. J’avalai d’un coup les deux comprimés, puis m’adossai à nouveau espérant me détendre un peu.

Peu à peu, je sentis la migraine s’estomper en même temps que je sombrai dans un léger sommeil.

-      Mesdames et messieurs dans quelques instants nous allons atterrir à l’Aéroport de Port-Gentil… Lança le commandant de bord

Je sortis de ma torpeur.

Ma migraine n’était plus qu’un mauvais souvenir. D’une minute à l’autre, je foulerai le sol de Port-Gentil…

Port-Gentil…

L’évocation du nom de cette ville, encore appelée « La ville des génies » suffit à faire remonter les souvenirs de ma tendre enfance.

A cette époque-là, insouciante et heureuse, je vivais chez la grande sœur de ma mère, Tante Léa…

Tante Léa était celle qui avait réussi des trois enfants de Mam’Eyang. Elle était l’aînée, ensuite venait mon oncle Zéphirin, malheureusement décédé il y a plusieurs années de cela, d’une cirrhose du foie. Ma mère, Adèle était la petite dernière, le chouchou de son aînée… Quand elle m’avait eue à dix-huit ans, sa sœur n’avait pas hésité à prendre le bébé pour lui permettre de reprendre ses études et de se trouver une voie dans la vie…

C’était à en rire ! Comme si Adèle Eyumane se souciait de trouver son chemin dans cette vie.

La même tante Léa avait recueilli les trois enfants de l’oncle Zéphirin à son décès, car ce dernier n’était qu’un pauvre aide mécanicien et sa femme vendait du piment au marché.

Tante Léa, « la riche » comme on l’appelait dans la famille avait elle-même trois enfants, avec ceux de l’oncle Zéphirin et moi, nous étions au total sept enfants à remplir sa grande villa du quartier Sogara à Port-Gentil.

Je ne saurais vous dire d’où provenait la richesse de ma tante, je sais juste qu’à l’époque où je vivais avec elle, elle était propriétaire de plusieurs commerces dans la ville.

Elle m’avait gardée de l’âge de dix mois, à l’âge de neuf ans.

Un jour, ma mère était venue me chercher, Tante Léa m’avait expliqué que maman venait d’avoir des jumelles et qu’elle avait besoin d’aide, et qu’en tant qu’aînée, je devais la rejoindre à Libreville.

Ce jour-là quand maman était venue me chercher, je m’en souviens encore, c’est à peine si les deux sœurs s’étaient adressé la parole. L’échange avait été bref, et maman m’avait emmenée avec elle.

Malheureusement, je n’avais plus jamais revu  Tante Léa, ni aucun de mes cousins.

La vie auprès de ma mère n’était pas rose…elle m’avait interdit de prononcer le nom de ma tante, ni celui de mes cousins.

« A partir de maintenant, considère que tu ne les as jamais connus, ils n’ont jamais fait partie de ta famille, oublies jusqu’à leur existence tu m’entends ? » M’avait-elle crié un jour que je me lamentais et demandais à aller voir Tante Léa et les autres.

Au début mes cousines Jessica et Urielle les filles de Tante Léa, Anaïs la fille de l’oncle Zéphirin me manquait plus que tout. Nous avions toutes entre six et onze ans et nous nous amusions tant. Mes cousins aussi Yorick le fils et Tante Léa et Calvin et Gregory ceux de l’oncle Zéphirin…

En somme, c’était l’euphorie, la joie totale, nous ne vivions qu’avec Tante Léa et Kadiatou la nounou, nous étions si heureux, Tante Léa ne faisait aucune différence entre nous.

Encore aujourd’hui, au fond de mon cœur, c’est elle que je considérais comme ma « maman ».

Même si la mienne m’avait sommé de l’appeler ainsi dès que j’avais franchi les portes de sa luxueuse villa des Charbonnages à l’âge de neuf ans.

-      Je ne t’ai peut-être pas élevée, mais tu sais très bien que je suis ta vraie mère, arrête donc de m’appeler « Tante Adèle » c’est l’autre vieille sorcière que tu dois appeler « Tante Léa » quoique je ne te donnerais plus jamais l’occasion de le faire, moi c’est « Maman » ! Un point c’est tout…

Les années avaient passé, et j’avais appris à vivre avec l’absence de ma tante et de mes cousins.

Je ne les avais jamais revus.

Après toutes ces années, alors que je m’apprêtais entre dans une nouvelle phase de ma vie, celle qui m’entrainerait irrémédiablement vers la mort, qu’on se le dise bien...il n’y avait pas d’autres issue possible, j’avais eu besoin de déterrer mon passé.

Non, je n’avais pas le courage d’aller chercher la villa de la Tante Léa et de me réconcilier avec eux. Après toutes ces années ? Je n’étais pas sûre d’avoir le cran nécessaire pour le faire. Le poids de la culpabilité me pesait trop.

Ma mère était morte depuis bientôt dix ans, j’avais largement eu le temps de retrouver ma tante et mes cousins…je n’en avais rien fait…

Non, mes ambitions pour ce weekend étaient bien plus modestes.

Port-Gentil était le seul endroit au monde où j’avais été vraiment heureuse, et quelque chose au fond de moi, peut-être une simple superstition, me disait que c’était là aussi que je trouverais à nouveau un peu de bonheur.

L’avion avait atterri.

Les uns et les autres se pressaient déjà vers la sortie.

Je n’étais jamais revenue, c’était la première fois que je prenais l’avion pour cette destination. Quand ma mère était venue me chercher près de vingt ans plus tôt, nous avions pris le bateau.

Je sortis du petit avion et traversai comme les autres, la piste d’atterrissage.

Après avoir passé les différents contrôles je débouchai dans le hall de l’aéroport.

J’avais réservé dans un petit hôtel charmant au cœur de la ville, je n’avais rien de prévu, je voulais juste marcher dans la ville, visiter les plages et tous les beaux endroits.

Je sortais de l’aéroport quand quelqu’un me bouscula.

Le choc fut assez rude pour me faire lâcher mon sac fourre-tout, mon unique bagage.

Décontenancée, je m’abaissai pour le ramasser, quand l’homme qui m’avait bousculée en fit autant. Au moment où je refermai ma main sur les coudées de mon sac, la sienne me frôla et un frisson inouï me parcourut de part en part.

-      Excusez-moi madame… Fit une voix rauque et infiniment sensuelle

Je ne parvins pas à répondre. J’étais littéralement scotchée…je levai les yeux et Oh !

Mon regard croisa celui clair-obscur de mon vis-à-vis. Nos yeux s’enchaînèrent, se figèrent dans un même envol parallèle.

Il fut le premier à rompre le charme.

Se redressant sur toute la longueur de son mètre quatre-vingt-dix, il me tendit une main secourable pour m’aider à me relever. Je l’acceptai.

Erreur…

Sa paume était chaude et virile.

Le frisson qui m’avait parcouru s’intensifia, je tremblai de tous mes membres.

Le silence se fit.

Je me mis à le détailler inconsciemment. Il me paraissait immense à moi qui faisait à peine le mètre soixante. Large d’épaules, teint noir caramel en fusion, des cheveux coupés à ras, avec un corsage très marqué, il était mince et vigoureux.

Le Prix de ma Vie