Chapitre 11 : Suspectes coïncidences.
Ecrit par Max Axel Bounda
Chapitre 11 : Suspectes coïncidences.
Quand je quittais le pavillon, il
était onze heures. Le ciel était beau en ce deuxième jour de la semaine.
J’avançais la tête dans les nuages au milieu des pavillons aux murs délabrés du
campus de l’Université Publique du Gabon.
Je ne pouvais pas m’empêcher de
remarquer combien ce campus était en piteux état. On ne croirait pas être dans
une citée étudiante. La plupart des pavillons de notre campus possédaient leur
propre décharge à l’arrière du bâtiment. Alors qu’il y avait
des bacs à ordure partout sur le campus. Ces derniers n’étaient utilisés que
par les passants.
Devant le pavillon C, j’aperçus une
étudiante verser des eaux ménagères depuis la fenêtre de sa chambre au 3e étage. Chacun faisait comme il pouvait pour
trouver son compte. Car à bien y regarder, beaucoup disait que ce n’était pas
de la faute des étudiants s’ils étaient obligés de vivre dans ces conditions. Si les canalisations du
campus n’étaient pas bouchées, et que leur réfection se faisait comme prévu,
personne ne verserait des eaux usées par la fenêtre de sa chambre. Pourquoi
s’en priver, si cela évitait de parcourir trois étages pour vider une simple
bassine d’eau ?
Ailleurs, les caniveaux, ces nids à moustiques étaient aussi bouchés. Par la quantité de bouteilles, de sachets,
et toutes sortes d’ordures qu’on pouvait y mettre.
C’était ça la vie au campus.
*
Plongé dans mes pensées, je me rendis
compte que je venais d’arriver au rectorat. Mon cœur se serra. Je ne savais pas
si ce que je m’apprêtais à faire était la meilleure chose, mais je ne pouvais
plus reculer.
Je trouvai une file de personnes
assises face à l’entrée du bureau recteur. Certains assis, d’autres debout.
Attendant sans doute qu’on daigne bien les recevoir. Je me rappelai soudain
qu’au rectorat, régnait toujours une ambiance d’administration frustrée. Comme
si ceux qui y travaillaient n’aimaient pas leur
boulot.
Franchissant le seuil de la porte, je
repensai à Jessica qui m’avait déconseillé d’en parler aux autorités universitaires, mais
je n’avais pas d’autres choix. Il fallait que j’en
finisse. Je ne voulais pas attendre son entretien avec son patron pour agir.
Les procédures judiciaires étaient souvent compliquées au Gabon et les
magistrats prenaient un peu goût à grever ces derniers temps.
Ma petite amie était presque
avocate. Normal qu’elle croie fermement en la justice. Moi j’étais politologue et je ne
partageais pas forcément son coup de foudre pour la loi. Et cela n’était pas près
d’arriver.
Prenant mon courage à deux mains, je
me rapprochai de la secrétaire. Une dame plus très jeune avait le nez plongé
dans son téléphone. Me voyant entrer, elle me fit le mauvais œil, comme pour me
décourager de poursuivre mon chemin. Je fronçai les sourcils et serrai les
poings.
Ça
commence bien.
Pardon,
j’ai un trop gros problème sur les bras.
Je n’avais jamais compris pourquoi des
gens payés pour faire un travail pouvaient faire montre d’autant de
désinvolture. Mais étaient-ils obligés de le montrer ouvertement à ceux qui
avaient le malheur de s’aventurer dans leurs bureaux ?
— Bonjour, madame, lui dis-je.
Son mauvais œil n’avait pas eu raison de moi. Elle n’était pas de taille à me
faire rebrousser chemin.
— Oui, jeune homme, que
voulez-vous ? me demande-t-elle froidement et sans même me regarder.
Et
on se demande pourquoi ce pays n’avance pas.
Les fonctionnaires, toujours à
essayer de se défiler de leur tâche. Pourtant,
payée aux frais du contribuable, cette dame semblait n’avoir aucune once de conscience
professionnelle.
Je bougeai la tête devant ce énième
constat.
Aucun
amour pour son travail.
Peut-être était-il temps de gérer
les administrations publiques comme des entreprises privées. Et mettre dans la
tête de tous ces fonctionnaires que travailler pour l’état n’était pas un
privilège. Qu’ils étaient là pour servir les usagers si on voulait bien d’eux. Et non pour se
prendre des dieux déchus de l’Olympe ! Rien ne sert d’avoir un salaire si, comme cette dame, on
est incapable d’accueillir ses usagers avec minimum de sourire.
Qu’elle
essaie de faire ses bottes avec moi et on verra !
Je me
tins ferme devant le bureau sur lequel des piles de dossiers étaient posées
sans un semblant de rangement. Je me demandai alors si la dame les avait lus un
seul jour de sa vie.
— Bonjour madame, comment
allez-vous ? J’aimerais prendre un rendez-vous avec le recteur. Comment ça
se passe, s’il vous plait ?
— C’est pour quoi ? Elle me fixait de ses yeux noirs derrières une paire de
lunettes. Le recteur est occupé, ajoute-t-elle en replongeant le nez dans son
téléphone portable.
— En fait, madame, j’ai des informations
sur l’étudiante qu’on a retrouvée morte hier. Et j’aimerais en faire part au
recteur. C’est très important. C’est même urgent !
— C’est tout ? En tout cas, elle est morte. Elle est morte hein. Dieu a donné.
Dieu a repris. Le recteur est occupé. Il faut repasser. Elle posa son téléphone
sur la table. Un furtif coup d’œil pour me rendre compte qu’elle jouait à un
jeu mobile. Candy Crush. Rien de plus, pour m’énerver.
— Madame,
je veux juste prendre un rendez-vous. C’est très important. Si le recteur est
occupé maintenant, est ce qu’il ne peut pas me recevoir demain ou ce
soir ?
Je
viens de fuir une voix dans ma chambre, ce n’est pas elle qui va m’empêcher de
rencontrer le recteur.
— J’ai dit que le recteur est occupé.
— Le recteur est occupé aujourd’hui
seulement, ou jusqu’à la fin de sa vie ? réplique-je
à la secrétaire, hors de moi.
Elle
est morte, elle est morte.
Si
c’était sa fille qui avait été tuée et déposée sur le campus, aurait-elle dit
la même chose ?
Regardez-moi
quelqu’un comme ça.
— Tchips, dit-elle en me
dévisageant. Si c’est pour une réclamation, rapprochez-vous du chef de votre
département, me répondit-elle à nouveau.
Oh, mais elle est sourde ou quoi ?
Elle reprit son téléphone portable
et continua à pianoter les touches du clavier de son téléphone.
— Madame, je viens de vous dire
que j’ai des informations sur la mort de cette étudiante hier, articulais je
lentement afin qu’elle comprenne bien. Pouvez-vous me programmer un rendez-vous
avec le recteur afin que je puisse l’en informer ? S’il vous plaît. C’est simple et pourtant, rendis-je en la regardant
fixement.
Sûr de moi, je ne comptais pas bouger
de là avant d’avoir obtenu ce que je voulais. Elle ne savait même pas au bord
de quel scandale se trouvait l’université. Et s’il éclatait, elle n’aurait
peut-être même plus de travail.
Au
lieu de prendre sa retraite.
Je
ne sais même pas ce qu’elle fait encore là !
— Jeune homme, ce n’est pas
vous qui allez m’apprendre mon travail. Je le fais depuis plus de vingt ans.
Impolis vas !
Mais
je rêve ou quoi ?
Elle m’insulte en plus !
— Madame, si vous faisiez
correctement votre travail, au lieu de jouer la rabat-joie, je serais déjà
parti d’ici depuis longtemps. Il y a des milliers d’étudiants à l’UPG prêts à
prendre votre place. Et pour la moitié de votre salaire en plus. Donc,
n’embêtez pas les gens. Programmez-moi mon rendez-vous que je m’en aille d’ici.
— Vous les étudiant là, quand
vous avez un peu fait l’école, vous ne vous sentez plus ! Impolis comme tout. On verra qui va te faire le rendez-vous là !
Ne comptant pas me laisser insulter
par une fonctionnaire frustrée qui en plus faisait mal son boulot, je lui répondis
aussi discourtoisement que possible. Le ton monta très vite. Ameutées par nos échanges,
plusieurs personnes vinrent s’enquérir de la situation.
Par chance, le chef du département
des sciences de l’environnement, Yitu Mavouroulou allias monsieur Mav., fut parmi
elles. Il m’invita gentiment à discuter dans son bureau, après avoir entendu le
motif de ma requête.
En
voilà quelqu’un qu’on ne paie pas pour rien. Pas comme celle-là !
*
Nous
entrâmes dans son bureau peint en jaune cassé, une pièce suffisamment grande
pour y loger deux armoires, deux bureaux avec deux ordinateurs fixes et une
imprimante multifonction dans un coin de la pièce. Les fenêtres couvertes de
rideaux bleu et blanc donnaient un air coquet à cette pièce très bien éclairée
par les rayons de soleil.
Monsieur Mav était le genre de prof
sympa avec qui les étudiants aimaient discuter. Chaque fois que j’avais eu
l’occasion de le voir, il était toujours entouré d’étudiants. Il semblait très
apprécié par ses apprenants. Côté physique, il était dans la quarantaine, les
cheveux grisonnants, mais bien conservé, il ne faisait pas son âge.
Avec son mètre soixante-quinze, il paraissait plus jeune avec sa paire de lunettes à monture de marques.
Sa garde-robe se composait de vêtements de marque, des vestes et chemises sur
mesure. Il était toujours tiré à quatre
épingles.
Ce jour-là, il portait une chemise
Pierre Cardin, grise à pois blancs. Une cravate bleue au-dessus d’un pantalon
noir. Inutile de dire que ses vêtements étaient finement repassés. Bref c’était
un bel homme. Je ne serais pas surpris que des étudiantes lui couraient après.
Assis confortablement, je lui
racontai une histoire dans laquelle j’avais trouvé un sac bleu devant ma porte,
l’avait fouillé et découvert une lettre comportant des révélations
compromettantes pour l’université. Je m’étais permis de maquiller l’histoire,
car je ne trouvais pas les mots pour lui dire que la fille qui m’avait remis le
sac et celle qui avait été retrouvée morte, n’étaient en fait qu’une seule et
même personne. Je ne tenais pas à passer pour un fou. Pire, pour le suspect
numéro un.
L’homme m’écouta silencieusement en réagissant
gravement à chacune de mes révélations.
— Je
ne savais pas quoi faire. Voilà pourquoi j’ai décidé de passer en parler aux
autorités universitaires. Car j’estime qu’une telle histoire peut gravement
nuire à l’UPG.
— Vous avez bien fait jeune
homme. Il faut éviter que cela ne s’ébruite. Pas étonnant que vous ferez un
excellent politologue. Nous allons veiller à ce que ça ne sache pas. Je loue
encore votre clairvoyance.
— Bien. Mais ne croyez-vous pas
qu’il soit tout aussi important d’enquêter sur l’affaire ? L’étudiante en
question dit qu’elle a été harcelé par des profs et que c’est monnaie courante
ici.
— Vous savez, on dit beaucoup de
choses au sein de ce campus.
Ouais
c’est ça !
— Il n’y a jamais de fumée sans feu
au Gabon, monsieur.
— Je comprends tout à fait. Et vous
avez sans doute raison. Il est temps de tirer tout ceci au clair, me dit
l’homme. Mais avant d’en parler avec le recteur, j’aimerais que vous
m’apportiez les preuves dont vous disposez. Car c’est bien d’accuser, mais
avoir des preuves, c’est encore mieux.
— Certes…
— Et avec tout ce que vous
m’apporterez, je pourrais très vite convaincre le recteur d’ouvrir une enquête.
— D’accord, je comprends votre
démarche monsieur. Et je vous en remercie infiniment.
— L’idéal serait que nous les ayons
le plus tôt possible. Car plus on traine dessus, plus on court de risques.
— Tout à fait.
— Dans ce cas, vous pouvez même nous
les apporter tout de suite. Plus vite vous le ferez, mieux ce sera, ajouta-t-il
avant de me demander mon nom ? Monsieur… ?
— Thierry Mounanga.
— D’accord Thierry. Vous vivez
sur le campus. Quel pavillon ?
Sa question me troubla soudain. Pourquoi
voulait-il savoir sur quel pavillon je vivais ? Pourquoi voulait-il que je lui apporte ce sac maintenant ?
Aujourd’hui ou demain, qu’est-ce cela changeait ? Il y’avait bien
des décennies que le phénomène se passait sous leurs yeux. Mais tout le monde
semblait ne pas le voir.
Quand je pensais au fait que même
les hommes y passaient, j’avais des haut-le-cœur. Mon abdomen se froissait. Je
n’arrivais même pas à imaginer la scène. Et celui-là voulait me faire croire
qu’il n’était au courant de rien ! Quelque
chose me sembla alors très louche. Il avait plutôt l’air de vouloir dissimuler
l’histoire que trouver le coupable de ce meurtre.
Apres tout c’était un enseignant et
il avait sans doute à cœur de protéger ses collègues qu’aider une étudiante qui
en plus était déjà morte.
— Quand est-ce que vous pouvez
me les apporter ? Le recteur est en
rendez-vous à l’extérieur dès son retour, je lui en parlerai.
— D’accord. Je passerai toute à
l’heure en début d’après-midi. Car j’ai cours, mentis-je. De toute façon, le
sac bleu se trouvait avec Jessica. Donc le temps que je le récupère, je ne
pouvais le lui remettre que le lendemain. Et encore fallait-il que j’arrive à la
convaincre. C’était un tout autre combat. Et ce n’était pas gagné.
Un
combat à la fois.
Il
faut déjà que j’arrive à me débarrasser de
celui-là.
— Pourquoi ne pouvez-vous pas
le faire maintenant ? Plus vite vous les
apporterez, mieux ce sera. Surtout j’aimerais que cette histoire reste entre
vous et moi. Il faut à tout prix éviter les bruits de couloir pour préserver la
réputation de l’université. Puis je compter sur vous ?
— Oui
monsieur.
Cet homme avait un problème ou c’était moi qui avais sauté un épisode ? S’évertuait-il à affirmer que la réputation de l’université était
plus importante qu’une vie humaine ?
Et en plus, de quelle réputation parlait-il ? Pensait-il
à toutes ces filles qui étaient passées entre les mains d’enseignants voyous ?
A toutes celles qui avaient été abusées pendant toutes ces années ?!
Et
il osait me parler de réputation !
Une fille venait d’être tuée sur le
campus et je ne l’avais même pas entendue mentionner la possibilité de
retrouver son meurtrier qui sans doute était ce Jody.
Pendant
que nous concluions notre entretien, quelqu’un frappa à la porte.
« Entrez ! »
« Yitu, je veux soutenir le plus tôt possib… », Dit une jeune femme en entrant dans le bureau. Elle se tut
immédiatement en me voyant assis dans la pièce. Désolé, je vais attendre que
vous ayez fini, dit-elle en ressortant aussi vite qu’elle était entrée.
Trop tard ma belle, j’ai très bien
saisi que tu as appelé le chef de département par son prénom. C’est suspect
tout ça.
Je
décidai immédiatement de mettre fin à la conversation, mon interlocuteur ne
m’inspirait plus aucune confiance.
— Je
vous apporte le sac toute à l’heure, dis-je en me levant. L’homme face à moi eut
l’air un peu déconcerté. Il était pris au dépourvu. Désorienté, il me répondit
juste qu’il avait confiance en moi et qu’il attendait mon retour.
Je
me levai sans attendre et atteignis la porte du bureau au pas de course.
Cet homme est trop louche !