Chapitre 13

Ecrit par Auby88


Nadia P. AKLE


Je quitte la salle de bain et me dirige vers l'armoire qui contient mes vêtements.

Sa...pris…ti ! Que vois-je ? Non, ce n'est pas vrai. Je frotte mes yeux puis les ouvre bien grands.

Je ne rêve pas dêê ! Non mais Milena est grave quoi ! Elle a encore osé ! Un énorme trou siège en roi dans l'une de mes magnifiques robes.


Un éclat de rire fuse dans l'air. Je me retourne.

- J'espère que tu aimes le nouveau design de ta robe ! Je la trouvais trop simple à mon goût.


Hé ! Donc ça là aussi, c'est design ? La petite se fout grave de moi ! J'inspire maintes fois pour diminuer ma colère et renoncer à ma grande envie de lui donner une bonne taloche ou une fessée bien dosée. Comme cela me ferait du bien ! Mais ce n'est pas la solution. Je me dois d'être plus maligne qu'elle.


J'affiche donc un large sourire et lui adresse ma réplique en surjouant :


- Oh, ma chérie ! Tu viens de me rendre un grand service. Eh bien, figure-toi que cette robe, je l'ai depuis des années, mais je ne l'ai jamais portée. Tu te demandes pourquoi, n'est-ce pas ? C'est parce que je ne l'ai jamais aimée. Comme toi, je la trouvais horriblement trop simple, trop quelconque... Mais comme on me l'a offerte, j'hésitais à m'en débarrasser. A présent, elle quittera définitivement ma garde-robe. Et c'est grâce à qui ? C'est grâce à la charmante, l'admirable, l'affectueuse…  la si gentille Milena !


- Zut alors ! réplique-t-elle avec une mine déçue.


Rien qu'à voir sa trombine, j'ai expressément envie de rire. Mais je me retiens au maximum.

- Cela mérite un gros bisou, Milena ! poursuis-je.

- Ne t'approche surtout pas de moi, sinon je …

Je ne l'écoute pas. Je me précipite vers elle. Elle se débat, se tortille, se cache le visage mais je réussis quand même à atteindre mon objectif.


- Beurk ! C'est dégueulasse ! s'exclame-t-elle quand je la libère.


Elle frotte sa joue avec grand entrain. Je n'en peux plus de me retenir. Je m'esclaffe à fond.

- Frotte autant que tu veux. Mes lèvres resteront imprimées sur ta peau. Pour la vie.

- Je te déteste.

- Et moi, je t'aime. Chaque jour un peu plus, ma douce !

- Sors d'ici !

Un malheureux nounours, projeté en l'air vient achever son vol dans mon visage.

- Ok, Milena ! Je te laisse souffler un peu, le temps de remplir mon ventre. C'est fou combien j'ai d'appétit aujourd'hui !

Avec ma main, je caresse mon ventre.


- Va au diable !

- Surtout pas de gros mots, Milena !


Elle continue à lancer des objets dans ma direction.

J'avoue que je l'ai un peu trop titillée, mais elle le méritait bien. Au moins, ma belle robe n'est pas abîmée pour rien. Et je dois admettre que je me sens beaucoup mieux. Disons zen quoi ! (Rire)



Près de l'escalier, mon chemin croise celui du maître des lieux.

- Bonjour, monsieur ! commencé-je gaiement.

Pour toute réponse, il bouge la tête et longe le couloir qui mène vers sa chambre. Cet homme semble si strict ! Strict seulement ? Non hein ! Mystérieux aussi. Je garde mes yeux sur lui quelques secondes avant de continuer mon chemin…



- Bonjour Sarah !

Je tire l'une des chaises disposées autour de l'ilôt central de la cuisine, pour y poser mon derrière.

- Aujourd'hui, façon j'ai faim là, je pourrai manger un boeuf entier, tu sais...


J'évite d'ajouter "… ainsi que tes mets étrangers bizarres là".


Sarah me scrute pendant près d'une minute avant de me servir ceci :

- Nadia, tu es sûre que tout va bien ?

- Oui, Sarah.


Elle s'approche de moi et pose sa paume contre mon front.

- Ça veut dire quoi, Sarah ?

- Je m'assure qu'une éventuelle fièvre t'a pas fait perdre le nord.

- Rassure-toi, je vais très bien.


Je lui réponds en fixant un coin de la table.

- Ok, tu n'es pas malade, mais tu ne te comportes pas normalement.


Je vois bien où elle veut en venir, mais je joue à l'idiote qui ne comprend rien. C'est bien amusant de jouer à la sotte devant une personne aussi curieuse.


- C'est à dire ?

- Cela fait deux jours que tu te réveilles avec ce beau sourire aux lèvres.


Le rire est là derrière mes lèvres, prêt à s'échapper. Mais je parviens à le contrer en gardant mon air sérieux.


- Et alors ? Depuis quand la bonne humeur est une mauvaise chose ?

-  Dans d'autres contextes, c'est bien. Mais dans ton cas, ça ne devrait pas être possible !


 Je lève un sourcil. Vers moi, elle pointe la louche dans sa main pour ensuite ajouter :

- En tout cas, pas avec la diablesse aussi proche de toi. Toutes les nounous précédentes avaient la mine froissée à chaque fois que je les voyais !

- Ah vraiment !


Elle tire une chaise et s'assoit en face de moi.

- Allez, raconte-moi tout.

- Te raconter quoi même ?

- Ne me prends surtout pas pour une idiote !

- Je t'assure que je ne sais pas ce que tu veux !

- Qu'est-ce qui s'est passé entre la diablesse et toi ?

- Rien qui mériterait qu'on s'épanche dessus dès le matin !


Madame Kongossa tente par tous les moyens de me faire parler. En vain.

- Nadia, si tu veux que je te serve quelque chose ce matin, il faudra que tu l'ouvres.

- Ah bon !

- Oui, ma cocotte.


Je me lève aussitôt et prends à la va-vite quelques petits fours disposés dans un plateau posé sur la table. Ils me zyeutaient depuis, me disaient " Nadia, viens nous manger" et moi je les regardais avec grande envie. Sarah tente de m'empêcher de quitter la pièce avec mon butin, mais je réussis à la semer. Tandis que je m'éloigne, je l'entends crier plusieurs fois : "Nadia, reviens ici." A gorge déployée, je ris.



* *

*


Nadia P. AKLE


Aujourd'hui, cela fait deux semaines que je suis ici. Deux semaines que j'ai passées à supporter les frasques de Milena : punaises sur mon lit, de l'eau en plein visage pendant mon sommeil,  peinture dans mes affaires, colle dans mes cheveux…

Du reste, je préfère ne pas parler. Parce que rien que d'y repenser, je suis en rogne, quoi !

A chaque fois, je me suis efforcée de garder mon sang-froid, de lui sourire alors que je n'avais qu'une seule envie : lui donner des fessées pour lui passer l'envie de recommencer. A chaque fois, j'ai maintenu ce sourire ainsi qu'un silence total devant la curieuse Sarah.

Pourquoi ? Je voulais que Milena change. Alors, je m'étais décidée à ne dire rien de négatif sur elle devant son entourage.


Je passe une main dans mes cheveux pour s'assurer qu'ils sont intacts et decends avec précaution. Prudence et encore prudence sur ce champ de bataille où l'adversaire semble haïr le mot "trêve" (Sourire)...



Plusieurs heures viennent de s'écouler, mais rien ne s'est passé. Hmmm ! Bizarre ! Elle est là en face de moi, en train de peigner sa poupée Barbie.

 

- Dis-donc Milena, aujourd'hui c'est férié ?

Elle lève les yeux vers moi.

- Si tu fais allusion à mes belles farces, sache que tout travailleur a besoin de de se reposer.

- Ah bon !

- Oui. Je te permets de souffler pour 24 heures avant de reprendre nos hostilités. Ainsi, je pourrai mettre en place de meilleurs plans. Et crois-moi, tu t'en iras très bientôt. C'est sûr !

- Je te propose autre chose.

- Je ne suis pas intéressée !

- Même pas un peu curieuse !

- Non !

- Je te propose qu'on…

Elle ferme ses oreilles, ce qui ne m'empêche pas de continuer :

- … qu'on joue à un jeu qui déterminera si je reste ici ou si je dois partir. Et ce sera à toi de choisir le jeu.


L'idée m'est sortie de la tête comme cela, à l'instant même. Ses mains abandonnent progressivement ses oreilles et ses yeux convergent vers moi.

- Vraiment ?


L'assurance dans sa voix et le sourire malicieux aux coins de ses lèvres est un chouïa effrayant. Je croise les doigts dans l'espoir que dame chance sera de mon côté.


- Oui, Milena. Si tu gagnes, je quitte ta maison. En revanche, si je gagne…

- Je ne perdrai pas, c'est sûr.

- Si je gagne, tu me laisseras rester ici et tu ne me feras plus aucune farce. Ça marche ?

- Un instant ! Je me concerte avec Lola.


Lola, c'est ainsi qu'elle appelle sa Barbie. Ah les enfants !

- Eh bien, Lola m'a conseillé d'accepter ta proposition.

- Marché conclu donc ?


En parlant, je lui tends une main qui reste pendue en l'air. Et elle aurait continué à l'être si je ne l'avais pas finalement rangée près de mon corps. (Sourire)


- T'as déjà choisi le jeu ?

- Oui.

J'écarquille les yeux attendant qu'elle me renseigne.

- Eh bien, je mettrai une chose dans l'une de mes mains et tu devras m'indiquer la bonne main. Mais je doute que tu puisses y arriver !

- Hmm !

- Attends, je t'attache d'abord les yeux pour que tu ne triches pas.


Je la laisse faire. Elle serre si fort que j'ai l'impression de voir des milliers d'étoiles dans l'obscurité profonde dans laquelle elle vient de me plonger.

J'attends quelques secondes dans le noir avant d'entendre :


- Ça y est. Détache le foulard et dis-moi quelle main n'est pas vide.


Quoi choisir ? Dilemme !

J'observe ses deux poings fermés pour voir lequel semble plus gros que l'autre ou qui se ferme moins que l'autre. Je regarde fatigué. Rien. Je vois pas différence ohh !


- On ne va quand même pas y passer toute la vie. Agis comme une adulte et décide-toi vite ! Et puis ce n'est qu'un jeu !


Pour elle, ce n'est qu'un jeu. Mais pas pour moi. Et mon cœur, actuellement, bat à tout rompre...


- Je choisis la main droite, finis-je par dire sans réfléchir davantage.

- Zut alors ! Quelle poisse !

Elle ouvre sa main droite et j'y vois une minuscule perle, tellement minime qu'elle est presque invisible. Ah ça, Milena est bien rusée dêê !


- Alors Milena, on ne félicite pas la gagnante ?

- Laisse-moi tranquille !

- J'ai gagné donc tu dois tenir ta promesse. C'est compris ?

Elle me répond par un moui.

- Je ne t'entends pas, Milena.

- Oui ! C'est bon ! Maintenant ferme-là ! s'écrie-t-elle.


Sur son lit, elle va s'étendre et me fait dos. Je comprime ma bouche pour ne pas éclater de rire.



**********


Des heures plus tard


Eliad MONTEIRO

Mon téléphone portable peine à se décrocher de mon oreille, tant je reste choqué par ce que je viens d'apprendre. Un bip sonore retentit dans la pièce. C'est un message contenant une photographie. Une photographie de femme.


Vite, je pose ma main sur le combiné fixe près de moi, passe un bref appel puis me lève. Contre la bibliothèque murale, je vais m'adosser attendant qu'elle se pointe devant moi. Mes verres optiques quittent mes yeux pour se loger à la commissure de mes lèvres. Je mâchonne l'une des branches, l'air toujours perplexe...



- Bonjour, monsieur ! La gouvernante m'a dit que vous vouliez me voir.


Mes yeux vont de la jeune femme debout devant moi à celle présente sur la photographie. Et vice-versa.  

Celle qui me fait face est de teint clair. Tandis que celle sur l'image est de teint noir. Certes, de plus en plus, les femmes se blanchissent la peau.

Mais dans le cas présent, cet argument ne saurait être valide. Elles n'ont pas la même morphologie du visage : pour l'une ronde ; pour l'autre ovale... Elles ne se ressemblent PAS. Définitivement PAS. C'est certain, je me suis trompé.

 

- Qui êtes-vous ? demandé-je, lunettes en main.

Ma question semble la déconcerter. Elle fait semblant, c'est sûr.

- Je suis Nadia, la nounou de …

- Cessez de mentir ! tonné-je en me rapprochant, brandissant le téléphone devant elle.


- Vous voyez cette femme sur la photographie, c'est elle que j'attendais il y a deux semaines. C'est elle qui était censée occuper une place de nounou dans ma maison. Mais j'étais si pressé, que quand vous m'avez donné votre prénom similaire au sien, j'ai tout de suite cru que c'était elle. Avouez que vous l'avez compris, mais vous vous êtes tue !

- Vous ne m'avez même pas laissée parler ce jour-là ! Je …

- Cela ne justifie rien, mademoiselle. Vous avez eu deux semaines pour le faire. Deux bonnes semaines.

- Je m'excuse, monsieur.

- C'est facile à dire ! Vous pensiez que je n'allais jamais découvrir que vous usurpez une place qui n'est pas la vôtre ? Vous me croyiez si idiot, c'est ça ?

- Ce n'est pas cela, monsieur. Je tenais beaucoup à ce travail. Vous savez combien il est difficile de trouver un emploi ici !

- Vous perdez votre temps avec moi, jeune femme, si vous pensez pouvoir m'amadouer au moyen d'un chantage affectif.

- Ce n'est pas le cas, je vous assure. J'essaie juste de vous expliquer pourquoi j'ai agi de la sorte, pourquoi j'ai ... profité de la situation.


Elle continue de parler, mais je ne prête plus attention à ses paroles.

- Montez faire vos valises et quittez ma maison. Sur le champ ! achèvé-je en remettant mes lunettes sur mes yeux.

- Mais monsieur …

- C'est mon dernier mot !


Je la laisse et je vais m'asseoir dans le canapé.


- Donnez-moi une seconde chance, monsieur. Je vous en prie. Je ne suis pas une mauvaise personne.

- C'est vous qui le dites. Pour moi, vous êtes une parfaite inconnue.

- Je m'appelle Nadia AKLE. Je …

- Tout ça n'a plus d'importance à présent.

- Il n'est jamais tard pour bien faire les choses.

- Il vaut mieux les faire à temps ! C'est beaucoup plus simple ainsi.

- D'accord, je l'admets... Ecoutez, monsieur, je n'ai jamais été nounou auparavant mais …  j'aime les enfants. Et je vous assure qu'entre votre fille et moi, il y a une relation spéciale.

- Vous n'êtes pas indispensable pour elle. Des nounous, il y en a plein. Et puis vous venez de reconnaître que vous n'avez aucune expérience en la matière.

- Certes, mais …

 

Son entêtement commence à me fatiguer.


- Ecoutez Nadine…

- Moi, c'est Nadia.

- Peu importe ! J'ai assez parlé. Ça me suffit. J'ai eu une journée bien chargée au boulot et j'ai, par conséquent, besoin de me reposer pour avoir assez d'énergie demain. Alors, n'insistez plus ! Après tout, je suis le propriétaire de cette maison et mes ordres ne devraient pas être discutés !

- Je …

- Je vous ai assez supporté, Nadège !

- Moi, c'est Nadia.

- C'est pareil. Je suis resté "courtois" depuis. Mais si dans la seconde qui suit, vous placez encore un mot, je serai désobligeant !

- Je …


Je me lève avec empressement et l'empoigne par le bras.

- Je ne peux pas partir, monsieur. Non, je …


Je n'en peux plus de l'entendre.


- Je ne veux pas partir. Pas maintenant que Mile …


J'ouvre la porte et la jette dehors avant qu'elle finisse sa phrase. A double tour, je ferme la porte.



********


Nadia P. AKLE


J'avale de grandes gorgées d'air, dans l'espoir de me calmer. Mais c'est inutile. Je sens les larmes qui me montent aux yeux. Elles ne doivent pas sortir. Jamais. Je rechigne, j'inspire, je déglutis… En vain...

Je regarde ces gouttes d'eau salée ruisseler sur mon visage. Impuissante, je suis. Comme devant monsieur…, comme devant le corps sans vie de Carine…Comme devant…(Silence)


Il y a tant de "Comme devant" qui jalonnent mon douloureux passé que je m'efforce d'oublier, sans vraiment y parvenir. Car chaque fois que je me sens "impuissante", tout ça revient me hanter.


A pas lents, je regagne le deuxième étage. Par deux fois, je manque de tomber. Tant bien que mal, je finis par me retrouver devant la chambre de Milena. J'essuie mon visage, du mieux que je le peux. Tandis que je tourne le poignet de la porte, mes doigts tremblent.


Milena est là, sur son lit, tournant les pages d'un livre. Je passe près d'elle et me dirige vers l'armoire sans dire mot. Je n'ai point envie qu'elle remarque mes yeux rouges. Je sors mon sac de voyage et y insère mes vêtements.


- Qu'est-ce que tu fais, Nadia ?


Je l'entends derrière moi. Je la sens dans mon dos. Je ne réponds pas. Je n'ose pas me retourner. J'ai peur de la regarder en face, de fondre en larmes devant son visage angélique.  

Le monde est parfois tellement injuste. Pourquoi dois-je m'en aller au moment où les choses vont mieux entre Milena et moi ? C'est fou comme je tiens à cette petite. Ça me déchire le coeur de devoir me séparer d'elle.


D'ailleurs, pourquoi dois-je à chaque fois "perdre" ceux qui me sont chers ? D'abord ma mère, ensuite mon professeur de collège, puis Carine et maintenant Milena.


A nouveau, j'entends sa petite voix.

- Nadia, tu fais quoi ?


Je ne dois pas être lâche. Je n'en suis pas une. Je prends une inspiration profonde et me retourne vers elle.

- Je pars, Milena.

- Tu pars ? Pourquoi, puisque tu as gagné le jeu ?

- La raison de mon départ importe peu.

- Tu as pleuré ?

- Non, j'ai un cil dans l'oeil.

- Je vois.

Elle répond en imitant mon accent. Je me surprends à sourire.


- Tu vas beaucoup me manquer, Milena !

Elle me fixe quelques secondes avant de répondre en souriant largement :

- Toi, tu ne vas pas me manquer.

- Vraiment ? Même pas un petit peu ?

- Non ! J'aurai enfin ma chambre pour moi toute seule ! C'est super !

- Ok. Mais ne te réjouis pas trop vite car une autre nounou se pointera très bientôt.

- T'inquiète. Je ne serai pas aussi aimable avec elle, comme je l'ai été avec toi.


J'éclate de rire, en repensant à tout ce qu'elle m'a fait subir.

- Ça suffit, Nadia. Finis de ranger ton sac et va-t'en pour que je puisse enfin respirer !


Sur ce, elle m'abandonne pour aller  sur son lit. Je secoue la tête, la fixe un moment puis continue mon rangement...


Je tire la fermeture éclair du sac et regarde en arrière. Milena s'emploie à démembrer une poupée. Je prends un bout de papier, griffonne des chiffres dessus puis m'approche d'elle.


- Milena, tiens !

- C'est quoi ?

- Mon numéro de téléphone. Tu pourras m'appeler à tout moment.

- Je n'en ai pas besoin.

- Garde-le quand même.


Elle secoue vivement la tête.

- Je le laisse là sur la table.

- Tu as fini de ranger tes affaires ?

- Oui.

- Alors t'attends quoi pour sortir de ma chambre ?

- Je peux te faire un câlin ?

- N'essaie même pas ! Va-t'en !


Je n'insiste pas. Elle le cache, mais je sens que mon départ l'afflige. Je m'empare de mon sac, regarde une dernière fois en direction de Milena et sors de la pièce. Je me sens vide... Je me sens … incomplète loin de Milena.  Car elle fait partie de moi… Car elle est MOI quand j'avais son âge. Et plus encore, je n'ai pas envie de la laisser parce que je ne voudrais surtout pas qu'elle demeure comme MOI ...


Je cogne à plusieurs reprises ma tête contre le mur, en disant tout bas : "Nadia, ressaisis-toi ! Nadia, reprends-toi. Ce n'est pas ta fille. Ce n'est pas à toi qu'incombe son éducation. Tu n'as pas à te sentir mal pour elle !"


J'ai beau me le répéter, je n'arrive pas à libérer ce poids sur mon coeur, sur ma conscience. Je ne peux m'empêcher de penser que j'ai échoué... Comme avec Carine...


* *

 *


- Donc comme ça, toi Nadia là, tu as mangé mes gâteaux gratuitement seulement ! Et moi qui perdais mon temps à bien m'occuper de ton ventre. Tu m'as bien eue hein !


Cette voix, je la reconnaîtrai même à des milliers de kilomètres. Celle-là, j'aurais bien préféré ne pas la croiser, m'éclipser sans qu'elle me voie. Hélas ! Alors tant pis !


Je lui fais face et m'efforce de lui répondre gentiment en flattant son égo :

- Sarah, je doute que quelqu'un puisse ne pas aimer tes pâtisseries. Elles sont si exquises, si uniques !

Elle me sourit.

- Tu voudrais en garder pour la route ?

- Oui, repliqué-je pour ne pas la contrarier.

Avec empressement, elle rejoint sa cuisine puis revient avec une boîte pleine de petits gâteaux.

- Voilà, tu les mangeras en pensant à moi !

- Merci.

- C'est bien dommage, Nadia. Je ne verrai plus ce beau sourire qui illuminait ma cuisine chaque matin et dont je suis restée bien jalouse.


Je ris pour de vrai. Elle aussi. Sacrée Sarah !




Me voici à présent dans le hall. Monsieur et la gouvernante m'attendent près de la porte.

- Vous êtes prête ?

Je hoche faiblement la tête.

- Tenez cette enveloppe. C'est votre dû.

Je n'ai pas envie de prendre cet argent, même si j'en ai bien besoin.

- Je ne le mérite pas, monsieur. Je …

- Il ne s'agit point de mérite, de gratitude ou de charité. Je le fais juste par obligation. Alors, prenez cette enveloppe.

- Merci, monsieur ! dis-je en récupérant l'enveloppe de ses mains. Au revoir !

Comme à l'accoutumée, il hoche juste la tête. Je fais également mes adieux à la gouvernante et m'apprête à ouvrir la porte quand j'entends :

- Tata Nadia, ne pars pas !


Milena ! Je fais volte-face. Elle accourt et vient se blottir contre moi. Je l'étreins fortement. Je suis tellement émue par cet acte inespéré que je laisse mes larmes couler sans même essayer de les retenir.

- Tata Nadia, ne pars pas !

- Je dois m'en aller, ma toute belle. Mais tu pourras toujours compter sur moi, tu le sais bien.

Elle se décolle de moi et me regarde sans dire mot. Ça me fend le cœur de la voir ainsi. Je me retourne vite vers la porte pour ne plus la regarder.

- Vous pouvez rester !

- Moi ? demandé-je à l'homme en lui faisant face.

- Oui, Vous. Remontez vos bagages avant que je change d'avis. Et surtout, ne me faites pas regretter ce choix.

- Merci, monsieur. Merci du fond du cœur, dis-je gaiement. Je vous assure que je …


Il n'attend pas pour entendre ma promesse. Ses pas s'éloignent déjà en direction du salon souterrain. Il ne m'a pas écoutée, mais ce n'est pas important. Je reste. C'est l'essentiel. Il n'est pas si insensible que ça après tout !


- C'est un miracle, un miracle ! s'écrie Sarah depuis le premier étage.

- Un miracle vraiment ! renchérit la gouvernante. Je vous laisse.

- Merci Milena ! dis-je en m'accroupissant face à elle.

- Ne te réjouis pas si vite ! Tout ce que tu as vu tout à l'heure n'était qu'une mise en scène.

- Une mise en scène ?

Je feins d'être étonnée.

- Oui, tu semblais si triste et tu pleurais aussi. Alors, je me suis dit que tu devais beaucoup tenir à ton emploi. C'est pour cela que j'ai fait ça. Et ça a marché. Je suis bien douée, moi !

- T'es bien rusée, toi ! En tout cas, merci pour ton aide. Cependant, ce qui m'attristait le plus, c'était de devoir me séparer de toi.

- Épargne-moi tout cela, s'il te plaît !

- Ok. Mais tu es quand même consciente que si je reste, notre accord de ce matin reste valable ?

- Ça, je l'avais oublié. Zut alors !


J'éclate de rire devant sa frimousse.






ÂMES SOLITAIRES