Chapitre 13

Ecrit par Chrime Kouemo

  • -  Alors, comment s’est passé ton entretien ce matin ? Demanda Seba en déposant le menu sur la table et faisant signe au serveur qu’ils étaient prêts pour passer commande.

  • -  Plutôt bien je pense, répondit prudemment Rachel. Les deux chargés de recrutement qui m’ont fait passer l’entretien ont un peu tiqué sur le fait que ce soit ma troisième boîte en à peine 4 ans de vie active.

    Rachel se trouvait avec Seba dans un restaurant à Bercy village. Depuis un mois et demi qu’ils sortaient ensemble, ils déjeunaient ensemble au moins une fois par semaine, en général les mardis.

  • -  Il ne faut pas t’en faire pour ça. Tu as des raisons valables pour chacun de tes changements d’entreprise, je ne crois pas que cela puisse passer pour de l’instabilité.

  • -  J’espère, soupira-t-elle. Je t’avoue que je ne m’étais pas imaginée chercher encore du travail après un an à peine dans ma boîte actuelle. Il y a vraiment une super ambiance, mais il ne m’est pas possible d’attendre tranquillement que l’entreprise soit liquidée judiciairement pour toucher les indemnités de licenciement économique et de chômage comme certains de mes collègues.

  • -  Entièrement d’accord avec toi. Comme je le dis souvent, nous les Africains sommes au front en Europe. Certaines de nos familles sont tellement en détresse qu’il est inconcevable d’attendre tranquillement les bras croisés que les choses passent.

    Rachel hocha la tête en silence. Pour sa part elle était le principal, sinon le seul soutien de sa mère endettée jusqu’au cou suite à des investissements qui avaient mal tourné. Sans la pension qu’elle lui envoyait tous les mois, sa mère serait incapable de tenir le mois avec sa pension de retraite.

    Seba saisit sa main par-dessus la table et la pressa gentiment en signe de réconfort.

  • -  Franchement, ne te stresse pas pour ça. Si j’en crois les recherches que j’ai faites, il y a beaucoup d’offres dans ton domaine et je suis sûr que tu trouveras du travail dans à peine un mois. Et puis, je suis là pour te soutenir.

  • -  Oh! C’est gentil fit Rachel ne sachant quoi dire d’autre.

  • -  Non, c’est normal.

    Leurs regards s’accrochèrent et la jeune femme sentit une boule se former au creux de son ventre. Elle ne pouvait s’empêcher d’être touchée par sa gentillesse et sa prévenance. Depuis qu’ils se fréquentaient, il lui donnait sans cesse l’impression qu’elle était précieuse; elle se sentait choyée, soutenue. Il l’avait aidée à mettre à jour son CV, à répéter pour son entretien d’embauche. Il la rassurait quand elle manquait de confiance en elle un peu comme en ce moment, après cet entretien où elle avait dû justifier dans les détails toutes les raisons pour lesquelles elle avait changé d’emploi. Malgré elle, elle ne put s’empêcher de faire la comparaison avec Alexandre.

    Lorsqu’elle avait été remerciée de son précédent emploi, en raison du refus de son changement de statut par la direction du travail, elle avait été complètement effondrée. Elle était allée retrouver Alexandre. Il l’avait certes consolée sur le moment, mais alors qu’elle cherchait les moyens de faire recours, c’était à peine s’il s’était intéressé à l’avancement du dossier. Seule, elle avait cherché un avocat spécialisé dans le droit du travail. Seule encore, elle était allée rencontrer l’avocat pour discuter avec lui de la façon de présenter sa demande de réétude de son dossier par la préfecture.

    Sur le moment, elle s’était dit que c’était parce qu’il était préoccupé par sa demande de mobilité au pays mais, avec le recul, elle se rendait compte de l’égocentrisme de son attitude.

Seba entrelaça ses doigts aux siens et elle revint à l’instant présent, sentant un frisson remonter de sa main vers le long de son bras. Toutefois, elle ne voulut pas s’interroger plus en profondeur sur les sensations qu’elle ressentait avec lui. Tout ce qu’elle savait c’était qu’elle était bien avec lui, qu’il était extrêmement attentionné et... point barre. Elle ne voulait pas non plus savoir ce qu’il ressentait réellement pour elle, c’était un terrain un peu dangereux à son goût. Elle n’avait aucune idée de l’endroit où les mènerait cette histoire, et ce n’était pas plus mal ainsi.

Le serveur arriva quelques instants plus tard avec leurs commandes. Ils mangeaient tranquillement quand Rachel sentit le regard insistant d’une jeune femme située sur la gauche, à quelques tables d’eux. Elle essaya de l’ignorer dans un premier temps et continua à deviser tranquillement avec Seba. Au bout de quelques minutes, elle jeta de nouveau un regard dans la direction et surprit une nouvelle fois le regard de la femme. Celle-ci n’essaya même pas de détourner le regard ou au moins de faire semblant. Elle continua de la fixer d’un regard que Rachel trouva plein d’animosité. Peut-être qu’elle l’avait déjà rencontrée? Mais elle eut beau fouiller sa mémoire, son visage ne lui revenait pas à l’esprit. Puis, elle se dit que ce n’était peut-être pas elle que cette fille dévisageait.

Seba, tu ne connaitrais pas par hasard la fille qui est assise dans le coin à droite, près de la grande plante verte? Demanda-t-elle à son compagnon.

Elle se disait que le regard de la jeune femme ne lui était peut-être pas destiné. Seba tourna légèrement la tête vers la direction qu’elle lui avait indiquée. L’instant d’après, elle vit une expression de contrariété mêlé d’embarras se peindre sur son visage.
Bof! C’est une ancienne connaissance avec qui j’ai eu une petite brouille dit-il un peu brusquement.

Il fit un signe de la main en guise de salut que la femme ignora royalement. La brouille ne devait pas être aussi petite qu’il le décrivait.
Ah! Elle me fusille ou plutôt, nous fusille du regard depuis qu’elle nous a repérés.
Ce n’est pas grave! fit-il en haussant négligemment les épaules.

Rachel devina que ça devait être une de ses anciennes ngas, étant donné qu’il était évasif sur le sujet. Elle n’insista pas. De toutes les façons, elle n’avait pas vraiment envie de savoir. Ils achevèrent leur repas sans plus prêter attention à la jeune femme. L’addition réglée, ils se dirigeaient vers la sortie quand Rachel, jetant un coup d’œil vers la table près de la plante, s’aperçut que la jeune femme se levait de sa table, ne les quittant pas des yeux. Ça commençait vraiment à l’intriguer, mais il pouvait s’agir d’une coïncidence. Elle saisit la main que Seba lui tendait et entrelaça ses doigts aux siens. Ils marchèrent en silence vers la station de métro quand elle entendit une voix derrière elle :

Donc, c’est avec cette pimbêche que tu me trompais pendant mes vacances en Martinique ?

Rachel se figea et s’arrêta net de marcher. Seba et elle se retournèrent d’un même mouvement, leurs mains toujours jointes.

  • -  Pardon? fit Seba d’un ton de rage contenue.

  • -  Tu as très bien entendu ce que j’ai dit, poursuivit la jeune femme d’un ton hargneux. Tu es venu me raconter des bobards chez moi comme quoi les choses ne marchaient pas si bien que cela entre nous, alors que tu te tapais ta pimbêche entre temps.

  • -  Je ne te permets pas d’insulter ma copine! J’ai été clair avec toi.

    Rachel observa la scène se dérouler devant ses yeux comme dans un film. Elle n’arrivait pas croire à ce qu’elle voyait et entendait. La fille dont elle ne connaissait pas le nom avait l’air vachement remonté contre Seba. Elle était un peu plus grande qu’elle et portait des magnifiques dreadlocks qu’elle avait relevés en chignon. Ainsi, Seba aurait entretenu une relation avec elle et cette fille en même temps. Combien de temps cela avait-il duré? Elle fut surprise de sentir l’aiguillon de la jalousie la transpercer. Elle essaya de retirer sa main de son emprise mais impossible; il la tenait fermement.

    • -  Ouais, tu as été vachement clair! Mon œil, oui! Je n’aurais jamais imaginé ça de ta part, continua hargneusement la dredlocksée.

    • -  Ecoute Maya, reprit le jeune homme d’un air suprêmement agacé. Tu crois ce que tu veux, mais cela n’a aucune importance pour moi.

      Et sans attendre la réponse de la dénommée Maya, il resserra sa prise et la pilota vers les escaliers du métro. Rachel ne put s’empêcher de se retourner. Elle la vit les bras croisés sur sa poitrine généreuse qui leur jetait un regard mauvais.

      Arrivés sur le quai du métro, la jeune femme dégagea sa main d’un coup sec et demanda :

    • -  Tu peux m’expliquer ce qui vient de se passer?

    • -  Rien de particulier. C’est une ex, je ne pensais pas qu’elle nous taperait tout ce scandale, répondit-il. Tu viens? Le métro ne va pas tarder à arriver.

    • -  Et tu n’as rien à dire concernant le fait que tu sois sorti avec moi sans rompre avec elle?

      Elle regretta les mots une fois sortis de sa bouche, mais c’était plus fort qu’elle. Finalement, elle avait besoin de savoir. Savoir qu’il n’était pas de la même trempe qu’Alexandre, incapable de s’en tenir à une seule relation en même temps. La réponse ne se fit pas attendre.

    • -  Mais c’est complètement faux ! S’écria t’il. Je n’étais plus avec elle quand nous avons commencé à nous voir.

    • -  Quand est-ce que vous vous êtes séparés? Insista-t-elle.

    • -  Au début du mois de juin. Mais quelle importance? Ça faisait un plus un bon moment que je pensais à tout arrêter avec elle.

    • -  Donc quasiment au même moment où nous avons débuté notre relation, compléta t’elle sans tenir compte de sa remarque.

      Il détourna le regard d’elle et elle sentit qu’il ne lui disait pas toute la vérité. Elle sentit son cœur s’alourdir dans sa poitrine. Pendant de longues minutes, il ne dit rien.

    • -  Si tu veux tout savoir, avoua t’il finalement, je me suis séparée d’elle le samedi où nous devions aller au restaurant pour la première fois et que j’ai eu mon problème de téléphone.

    • -  Et je suppose que ton « problème » de téléphone avait tout à voir avec elle.

    • -  Oui, elle l’a balancé par la fenêtre de son appartement.

      Elle comprit alors avec quel aplomb il lui avait menti ce jour-là. Ça lui faisait mal, très mal même d’autant plus qu’elle commençait à lui faire confiance.

    • -  Pourquoi ne m’avoir pas dit la vérité? Questionna-t-elle à nouveau. Pourquoi avoir inventé cette histoire de téléphone cassé? J’aurais pu comprendre.

    • -  Je craignais que tu le réagisses comme tu le fais actuellement, soupira t’il.

      Il avança vers elle, prit ses mains dans les siennes.
      Est-ce que tu me crois au moins? lui demanda t’il doucement cherchant son regard.

      Rachel détourna les yeux et son regard se perdit dans la foule de personnes qui sortaient précipitamment du métro. Les usagers des transport publics parisiens donnaient toujours l’impression d’avoir le feu aux fesses. Elle ne savait plus quoi penser. Son explication lui semblait vraie mais une petite voix au fond d’elle lui demanda de se méfier. Cela lui rappela de façon désagréable les mensonges et la tromperie d’Alexandre même si elle devait reconnaître que les faits étaient loin d’être les mêmes. Etant donné la fureur et les dires de la dénommée Maya, il était évident qu’il avait rompu. Cependant, rien ne lui prouvait qu’il n’avait pas continué à la voir après l’épisode du téléphone cassé.

      Je vais essayer de te croire, répondit-elle en haussant les épaules.Ok, conclut-il simplement.

      Une rame de métro arrivait à quai. Ils y entrèrent en silence. Durant le court trajet jusqu’à la station Bercy où elle devait descendre pour prendre sa correspondance, aucun d’eux ne pipa mot. La rame s’arrêta. Elle leva les yeux vers lui.

    Je t’appelle ce soir, dit-il en se penchant pour déposer un bref baiser sur ses lèvres.
    Elle lui fit un signe de la main en guise d’au revoir et sortit du wagon. Elle sentait son regard peser dans son dos, mais ne se retourna pas.

    ♣♣♣

    Rachel s’affala épuisée dans son canapé la télé commande de la tv en main. Elle ne pouvait même pas prendre pour prétexte la fatigue de son après-midi de travail. Avec les vacances estivales de la fin juillet, elle avait moins de problèmes à gérer au chantier et sa boîte mail n’était plus au bord de l’explosion. Elle avait été distraite pendant tout le reste de la journée une fois qu’elle avait repris le boulot après sa pause déjeuner avec Seba. Elle ne savait toujours pas quoi penser de l’intervention de cette Maya. Elle devait avoir des sentiments pour lui pour être encore si remontée contre lui.

    Elle ne savait pas non plus si elle croyait à ses explications. Il avait l’air sincère mais certains gars étaient forts pour jouer la comédie. Elle se rappela ce tableau que sa mère avait accroché sur un mur dans leur salon qui disait : « Les hommes sont comme des agneaux lorsqu’ils vous désirent, et comme des chameaux lorsqu’ils vous ont eus » Ce qui la titillait par-dessus tout était qu’elle ne saurait même pas quoi lui dire quand il lui téléphonerait tout à l’heure. Voulait-elle qu’ils reprennent leur relation comme si de rien n’était? Devraient-ils en reparler?

    Elle en était là dans ses interrogations quand son portable sonna. Le numéro qui s’affichait à l’écran était inconnu à son répertoire. En général, elle ne décrochait pas aux appels des numéros inconnus. Elle préférait écouter le message après s’il y’en avait un. Ses amis qui savaient cela lui envoyaient en général un texto pour la prévenir qu’ils l’appelleraient d’un numéro qu’elle ne connaissait pas. Cette habitude pour le moins bizarre (elle le reconnaissait) était un vestige de sa timidité d’antan. A l’époque, elle avait toujours besoin de savoir qui l’appelait pour se préparer mentalement à la conversation qui suivrait. Le premier appel bascula sur messagerie. Deux minutes plus tard, le même numéro rappelait. Elle hésita encore quelques secondes, puis décrocha le téléphone :

    • -  Allô?

    • -  Allô Rachel? Fit une voix qu’elle aurait reconnue entre mille. Je suis content que tu aies décroché.

    • -  Alexandre? Demanda t’elle d’une voix incrédule alors qu’elle était sûre à 100% de ne pas se tromper.

    • -  Oui c’est moi. Comment vas-tu?

    • -  Bien et toi? Lui retourna t’elle automatiquement.

    • -  Ça va... Je suis arrivé à Paris depuis hier soir.

    • -  Ah!

      Un blanc s’installa dans la conversation.

    • -  Rachel, tu es encore là?

    • -  Oui, oui.

    • -  Ecoute, je suis là pour un séminaire d’une semaine et j’aimerais te revoir si c’est possible.

    • -  Pourquoi faire? Interrogea t’elle d’un ton qu’elle trouva elle-même agressif.

    • -  Euh... Pour m’excuser de vive voix premièrement, et puis te parler aussi.

    • -  Ecoute, je ne suis pas sûre que cela serve à quelque chose. A mon sens tout a été dit et pour les non-dits, les actes ont parlé à leur place.

    • -  Rachel, s’il te plait, supplia t’il. Je sais très bien qu’après tout ce que j’ai fait, je ne mérite même pas que tu m’adresses la parole mais je te le demande quand même. Juste un rendez-vous et après, je te laisserai tranquille si tu le souhaites.

    La jeune femme réfléchit un instant. Cette conversation ressemblait étrangement à celle qu’elle avait eue avec lui au Maeva lors de son séjour au Cameroun. Elle avait accepté de lui reparler, puis de lui pardonner, et résultat des courses il lui avait fait encore plus mal que la première fois qu’il l’avait trompée. Etait-elle masochiste pour laisser cette situation se reproduire? Non. Et puis cette fois-ci, elle était vraiment passée à autre chose puisqu’elle sortait avec Seba même si elle ne pensait ou ne voulait pas ressentir pour lui les sentiments qu’elle avait eus un jour pour Alex. Toutefois, une part d’elle était curieuse de savoir ce qu’il allait bien pouvoir lui sortir comme explications pour justifier son acte ignoble.

    Tu es toujours là? Demanda la voix de son ex à l’autre bout du fil.
    Oui. Euh... Je suis uniquement disponible ce jeudi, lui indiqua t’elle.
    A quelle heure pourrais-je passer te prendre à ton chantier?
    Non, ce n’est pas la peine. Je te retrouverai directement au lieu du rendez-vous.

    Elle n’avait aucune envie qu’il croit que les choses allaient se passer comme une lettre à la poste. Avec du recul, elle se rendait compte qu’elle était trop facilement retombée dans ses filets en décembre dernier. Il était venu la prendre chez elle comme si c’était un rendez-vous galant dès le départ. Il avait été beaucoup trop confiant sur sa capacité à la récupérer. Cette fois-ci, elle l’écouterait déballer ses minables explications et puis, elle s’en irait sans se retourner.

    • -  Ok. Comme tu voudras, acquiesça t’il finalement. Je t’enverrai un message pour te proposer un lieu de rendez-vous

    • -  Ça marche. On se dit à jeudi?

    • -  Hum...A jeudi

      Et elle raccrocha sans rien ajouter de plus.

      ♣♣♣

      Quand Seba rentra dans son appartement, il était plus de 21h. Quelle sale journée! Pensa t’il en se glissant sous le jet d’eau froide de sa douche. Dès l’instant où il avait aperçu Maya dans le restaurant, tout était allé de travers. Sa première erreur avait été de l’ignorer et la seconde, monumentale, avait été de mentir à Rachel que c’était une vague connaissance. Mais comment aurait-il pu s’imaginer une seule seconde que cette tarée allait les suivre jusqu'à leur sortie du restaurant pour le harponner comme elle l’avait fait? Il aurait dû mieux gérer ça!

      Il savait à quel point il était difficile pour Rachel d’accorder sa confiance. Il voyait bien à quel point elle faisait tout pour maintenir leur relation dans un mode décontracté. Elle ne l’appelait pas par des petits noms affectueux comme lui le faisait de façon spontanée. Elle faisait tout pour paraître détachée par rapport à lui. Elle ne proposait jamais qu’ils se voient. Les quelques fois où il avait été obligé de décommander leur rendez-vous, elle n’avait jamais protesté ou boudé comme le faisaient certaines de ses anciennes copines. En bref elle lui donnait l’impression de ne rien attendre de lui, alors que lui s’était retenu à plusieurs reprises de lui avouer qu'il était fou amoureux d’elle, et ce depuis très longtemps.

      Ce n’était qu’aujourd’hui qu’il avait cru déceler un certain intérêt pour lui après l’incident avec Maya. Il aurait été satisfait de cette intervention lui ayant permis de fissurer un peu la carapace que Rachel s’était forgée, s’il n’avait pas eu l’impression que cela avait plutôt jouer en sa défaveur. Il l’avait vue se refermer comme une huitre et il pouvait mettre sa main à couper qu’elle était d’ores et déjà en train de le cataloguer dans le même registre que son ex. Ousmane avait fini par lui confier que ce connard, non content de l’avoir trompé une première fois, s’était marié dans son dos. Il lui aurait proposé de passer la soirée ensemble, mais vu la gêne et l’ambiance tendues qu’il y’avait eues entre eux après le restaurant, il s’était dit qu’il valait peut-être mieux lui laisser un peu de temps, peut être jusqu’au lendemain pour la recontacter. Il espérait même secrètement que ce soit elle qui le recontacte.

    Seulement voilà, son boss lui avait confirmé dans l’après-midi que son voyage mensuel de trois jours à leur filiale de Nantes était finalement maintenu. Il ne pourrait donc pas espérer revoir la jeune femme avant vendredi soir. Ça ne pouvait vraiment pas tomber plus mal.
    Il ne se rappelait pas la dernière fois qu’il s’était senti aussi impuissant face à une femme. C’était la première fois qu’il ne savait sur quel pied danser avec sa copine. Orgueilleux de nature, à chaque fois qu’il avait senti un certain flottement de sa part ou de celle de sa partenaire dans ses précédentes relations, il avait toujours fait ce qu’il fallait pour arrêter les choses au plus tôt. Cependant avec Rachel, il en était autrement. Il avait constamment la sensation de marcher sur des œufs avec elle, mais il restait quand même. Cessant ses pérégrinations mentales, il ferma le robinet de douche, se sécha rapidement et sortit de sa salle de bains. Il prit son téléphone posé sur son lit, composa le numéro de Rachel.

    • -  Ça va ma puce ? Demanda t’il quand elle décrocha au bout de la quatrième sonnerie.

    • -  OuiC ça va et toi?

    • -  Epuisé! Je viens à peine de rentrer du taf. Journée de folie. Certains clients s’imaginent qu’en remplaçant des collègues sur des projets, on est supposé avoir l’historique de A à Z.

    • -  Je vois ce que tu veux dire, fit-elle simplement.

    • -  En plus, mon déplacement à Nantes est confirmé.

    • -  Ah? Et tu y vas pour combien de jours?

    • -  Je rentrerai vendredi.

    • -  Ok.

      Pas d’autres commentaires. Pas un « oh! J’aurais aimé te voir demain » ou un « tu vas me manquer ». Il sentit le découragement l’envahir mais la seconde d’après, son fichu cœur s’empressa de s’exprimer à sa place :

    - Tu vas me manquer tu sais? Je n’ai pas trop apprécié la façon dont on s’est quitté ce midi. Hum...C’était vraiment bizarre je l’avoue.

    - Tu seras chez toi vendredi? Je pourrais passer directement à ma sortie du train.
    - Oui, on fait ça. Tu voudras manger un truc en particulier?

    - J’ai envie de te répondre que le seul fait de te voir me suffira, dit-il d’une voix rendue rauque par le désir...
    - Oh...

    Mais en bon africain ne perdant pas le nord quand il s’agit de bouffe, je dirai que des plantains avec des côtes de porc grillées me feraient plaisir, continua-t-il malicieusement.

    Elle éclata de rire ce qui apaisa un peu la tension de leur début de conversation. Il pouvait au moins dire qu’elle était très réceptive à ses blagues.
    Bien noté monsieur l’Africain.

    Ils échangèrent encore quelques temps sur un ton badin, puis il raccrocha, un vague sourire aux lèvres. Bon! Il la faisait toujours rire, c’était bon signe non?

Entre deux coeurs