Chapitre 14 - Du bout des lèvre
Ecrit par NafissaVonTeese
Précédemment
Fama
avait décidé de rejoindre la capitale, laissant en plan Seydina qui venait de
lui demander de l’épouser. Elle regrettait mais
avait déjà fait son choix.
Quand
elle arriva à Dakar, sa mère lui annonça que la voiture que conduisait Seydina
avait été retrouvée dans le fleuve, et lui, avait disparu sans laisser de
trace.
***
Elle
avait trainé sa valise presque en courant derrière Ali qui daignait remarquer
ses peines à l’exercice. Le jeune homme ne lui
avait adressé la parole que pour lui dire le stricte nécessaire, mais Fama y
trouvait son compte. Elle avait la tête ailleurs et
sentait qu’à la moindre parole désobligeante, elle n’allait plus résister à son
envie de retourner à la gare pour prendre le premier bus en direction de
Saint-Louis. A son inquiétude de ne savoir où
était Seydina, ni comment il allait, se mêlait
une lassitude grandissante, sans doute causée par toute cette effervescence
démesurée qui régnait autour d’elle depuis son arrivée dans la capitale.
Ali
s’était arrêté devant un immeuble de 5 étages dont les balcons de couleur rouge
bordeaux donnaient un peu de charme à la façade entièrement peinte en beige.
-
Dernier étage, studio E2 ; dit
le jeune homme en lui tendant une clé dorée. Rendez-vous dans deux heures pour
un briefing avec toute l’équipe.
-
Deux heures ? demanda-t-elle,
la mine déconfite, après avoir mis la clé dans une des poches de son jean.
-
Oh la pauvre ; fit-il d’une
fausse compassion, j’imagine que le voyage t’a épuisé. Cependant, c’est loin
d’être mon problème. Je te veux dans deux heures
au siège.
-
Oui grand chef, lui cracha-t-elle,
pour se débarrasser de lui au plus vite.
Fama
comprit très vite que les choses allaient être bien différentes de ce qu’elle
s’imaginait. Elle regretta la sympathie des gens
de sa petite ville, le calme qui y régnait
durant toute l’année, mais surtout, elle
regrettait d’être là, au pied d’étroits escaliers qu’elle avait à gravir avec
une valise de plus de 25 kilos.
Elle
avait jeté les habilles qu’elle portait par terre avant d’entrer pieds nus dans
la petite salle de bain. Fama s’arrêta devant le
miroir accroché en dessus du lavabo. Elle fixa à travers la glace le pendentif
de Seydina qui était resté accroché à son cou. Elle
n’avait pas oublié de le lui rendre. Puisqu’elle
devait s’en aller, elle avait ressenti le besoin d’avoir plus que des souvenirs
à emporter avec elle. Ce n’était pour lui qu’un cadeau qu’il portait pour faire
plaisir à sa mère, mais pour elle, c’était une partie de l’homme qu’elle aimait qu’elle
gardait avec elle, près de son cœur.
Fama
avait serré le médaillon du pendentif dans sa main en se demandant où est-ce
que Seydina pouvait bien se trouver à cet instant. Elle savait au plus profond
d’elle qu’il allait bien. Elle l’aurait senti
s’il lui était arrivé quelque chose de grave. Fama ne savait pas comment est-ce
que cela s’expliquait, mais comme Seydina, elle aussi, avait l’impression
qu’ils ne faisaient qu’un.
-
Tu sais que t’es qu’un idiot
Seydina ? dit-elle à haute voix. Grand-mère avait raison, tu es immature. Fallait-il vraiment que tu t’en prennes à cette
magnifique voiture ? Si ton père ne te tue pas, c’est moi qui le ferai.
Elle
sourit en laissant l’eau chaude de la chasse couler sur son corps. Le petit Ali
avec son air suffisant pouvait toujours courir. Il
était hors de question qu’elle se pointe à son briefing. Elle n’avait pas encore signé de contrat donc rien ne l’obligeait
à suivre ses ordres. De plus, c’était avec son
père qu’elle avait affaire, mais non avec lui. Elle
ne s’était jamais laissée faire alors ce n’était pas un ado arrogant et mal
élevé, qui se croyait être le nombril du monde qui allait la ramollir.
Fama
avait veillé à mettre son téléphone en mode avion avant
de se blottir sous la couverture qu’elle emportait partout où elle devait
passer la nuit. Elle s’assoupit plus vite qu’elle ne l’espérait.
Même
si elle avait pris les précautions nécessaires avec son téléphone, elle fut quand-même réveillée au bout de quelques
minutes, par des voix d’hommes qui portaient un accent qu’elle ne reconnut pas.
« Foutu coin » dit-elle en se
recroquevillant. Les murs épais des vieilles
maisons de sa ville lui manquèrent aussitôt. Elle maudît les architectes de la
capitale qui permettaient la construction d’immeubles avec des murs aussi fins
que du papier blanc. C’était de leur faute si les gens passaient leur temps à écouter
ce qui se passe chez leurs voisins ; et là, à
cause d’eux, elle n’arrivait pas à dormir tranquillement.
Le
calme était retombé dans la pièce, mais quand elle ferma à nouveau les yeux,
Fama sentit sa couverture glisser. Quand elle
l’agrippa pour la tirer vers elle, elle remarqua une légère résistance. Avec
les rideaux tirés, la chambre était plongée dans la pénombre, mais elle parvint à remarquer quelque chose en
mouvement. Elle avait crié dans de toutes ses
forces avant de se plaquer contrer la tête du lit.
-
Qui est là ?
-
C’est moi.
Même
si elle crut reconnaitre la voix, elle ne se
sentit pas rassurée. Quand la lumière de la
lampe du plafond éclaira toute la chambre, ses
doutes se confirmèrent.
-
Seydina ! Qu’est-ce que tu fais
là ?
-
Je suis venu te chercher.
-
T’es sérieux là ? Et où est-ce que
tu étais ? Ils sont entrain de retourner tout Saint-Louis pour te
retrouver.
Seydina
avait préféré ne pas répondre. Il l’avait pris
par les bras pour le tirer hors du lit. Mais elle insista.
-
Qu’est-ce qui se passe ? Et
comment est-ce que tu as fait pour me retrouver ?
-
Je répondrai à toutes tes questions,
mais pour l’instant, il faut qu’on quitte cet endroit au plus vite.
-
Pourquoi ? demanda-t-elle en quittant
le lit pour lui faire face.
Il
avait l’air tourmenté et donnait
l’impression de chercher les mots justes pour convaincre Fama de le suivre sans
trop en dire. Elle, même si elle se sentit soulagée de le savoir sain et sauf, ravala tous ses sentiments.
Elle était bien décidée à recevoir une réponse pour chacune de ses questions,
celles qu’elle venait de prononcer, mais aussi celles qu’elle gardait secret,
attendant de lui dire d’abord oui, qu’elle voulait aussi l’épouser.
Ils
sursautèrent tous les deux en entendant deux coups secs donnés à la porte d’entrée
du studio.
-
On doit partir à cause de ça ;
fit Seydina. S’il te plait Fama, Il faut vraiment qu’on y aille.
D’autres
coups encore plus violents se firent entendre. Cela commença à agacer Fama qui
se dirigea vers la porte, mais Seydina lui barra la route en se postant devant
elle.
-
C’est cet imbécile de Ali, le fils
de mon nouveau boss. Je vais lui faire comprendre une bonne fois pour toutes
que je n’en ai rien à foutre ni de lui, ni de ses scooters à la con.
-
Je ne pense pas que ça soit
lui ; lui dit-elle d’un air convaincu.
« Fama, ouvre tout de suite cette porte ou je
la défonce ! ». Chaque mot de
cette phrase mettait l’accent sur la colère de celle qui l’a prononcé.
-
Isabella ! dit Fama, surprise. Qu’est-ce qu’elle fout ici ?
-
Il vaudrait mieux que tu ne le
saches pas. Je t’en supplie Fama, je t’expliquerai
tout plus tard, fais-moi juste confiance.
La
peur faisait briller les yeux gris de Seydina. Fama
ne comprit pas pourquoi le fait de savoir sa propre mère de l’autre côté de la
porte, le mettait dans cet état. Les coups continuaient à raisonner à travers
tout l’appartement.
-
Tu vois qu’elle est cinglée ta
mère ! Comment est-ce que tu voudrais qu’on
sorte d’ici sans qu’elle ne me saute dessus comme la folle furieuse
qu’elle est ?
Seydina
avait juste attrapé ses mains, avant que toute la pièce ne se retrouve plongée
dans le noir. Les chocs des mains de Isabella sur la porte s’étouffèrent petit
à petit, pour laisser place à un son qui rappela à Fama celui d’un écoulement
d’eau.
« Fama », entendait-elle répéter
Seydina. Elle sentait ses mains cramponnées aux
siennes, mais elle n’arrivait pas à le voir.
-
Ouvre les yeux, fit-il d’une voix rassurante.
Tout va bien.
Elle
se sentit aussitôt bête, elle qui pensait qu’elle était dans le noir alors
qu’elle avait juste clos les yeux. Ce qu’elle
vit n’atteignit pas sa compréhension. Il y avait des dizaines et des dizaines
de grands arbres autour d’eux.
-
C’est un rêve. Qu’est-ce qu’on fait
dans cette foret Seydina ?
-
Il faut que je te dise quelque chose
Fama. Mais avant, promets-moi que tu m’écouteras
jusqu’au bout et aussi invraisemblable que cela puisse paraître, tu me croiras
sur parole.
-
Qu’est-ce que tu racontes ? C’est juste un rêve, je vais bientôt me réveiller.
-
Ce n’est pas un rêve Fama;
dit-il en haussant le ton avant de prendre une grande respiration pour se
calmer.
-
C’est quoi alors tout ça ? Un
cauchemar ?
Les
jeux de mots de Fama lui arrachaient toujours un petit sourire, mais il sentit
qu’elle avait plus besoin de comprendre ce qui se passait, que d’autres choses.
Elle n’attendit pas d’explication. Rêve ou pas, Fama
décida de quitter cet endroit. Elle avait tourné
autour d’elle, cherchant désespérément un chemin tracé entre les arbres. N’en trouvant aucun, elle
se dirigea vers l’écoulement d’eau qui continuait à se faire entendre. Elle
avait toujours entendu dire que là où il y avait de l’eau, il y’avait
certainement des personnes qui trainaient dans le coin. Elle devait être dans un parc non loin d’une route
fréquentée car elle savait que dans toutes les
capitales du monde, toutes les routes, petites ou grandes, étaient constamment empruntées.
Fama
marcha aussi vite qu’elle pouvait, ignorant les appels incessants de Seydina.
Comme
elle s’y attendait, elle vit un homme au bord d’une rivière. Fama se précipita aussitôt droit vers lui.
-
Ce n’est pas une bonne idée, dit
Seydina en se postant devant elle.
-
Trêve de bavardage, fit-elle d’un ton sévère ; maintenant tu
m’écoutes. Je suis à court de patience, je suis
fatiguée et j’ai faim alors que j’y retrouve ta folle de mère ou pas, je rentre
dans ce foutu appartement me boucher les oreilles et dormir comme un loir.
« Qui est là ? » demanda l’homme
en se retournant.
En
voyant son visage, Fama manqua de peu de pousser un cri.
-
Mais on dirait que c’est toi
Seydina. Tu as un frère jumeau ?
-
C’est ce que je voulais te dire. Tu n’es pas dans un rêve et si tu vas lui parler, tu
vas seulement l’effrayer.
-
Qu’est-ce que tout cela veut
dire ? Où est-ce qu’on est ? Et c’est
qui cet homme ?
-
Il s’appelle Annan. Et nous ne
sommes pas à Dakar mais dans la ville de Kumasi au Ghana.
Seydina
avait marqué une pause avant d’ajouter : « en 1674 ».
-
Tu es aussi cinglé que ta mère
Seydina. Faites-vous interner et foutez moi la paix.
-
Tu veux savoir pourquoi ma mère te
déteste ?
-
Ah, tu es au courant alors ?
-
Tu m’as laissée mourir dans le
passé. Tu savais qu’en partant avec le bataillon des Ashantis, je n’allais pas
revenir, et pourtant tu m’as laissée partir.
-
D’accord, dit-elle en le regardant dans
les yeux. Tu sais que tu es encore plus taré que Isabella ?
-
Tout était pourtant écrit dans le
bouquin que tu m’as refilé. Alors tu es certainement au courant.
-
Ce vieux truc poussiéreux que
j’ai trouvé par pur hasard dans un taudis ? Seydina, Il n’y avait rien écrit
dessus. Et j’en ai assez de tes bêtises. Je veux rentrer chez moi.
-
D’accord, je te ramène si tu y tiens
autant. Mais sache que tu as une chance de
changer le passé pour que nous puissions être ensemble sans que ma mère ne cherche
à te rayer de ma vie. Tu as le choix. Soit tu
retrouves ton petit appart et tes scooters de livraison, soit tu me fais
confiance et on essaie de trouver ensemble un moyen de tout remettre dans le
bon ordre. C’est à toi de voir.