chapitre 15 : Montez!
Ecrit par leilaji
Chapitre 15
****Mike****
C’est une vraie corvée pour moi mais il faut que je rende visite à ma grand-mère.
Je n’ai pas réussi à fermer l’œil de toute la nuit. Je regarde d’un œil morne le matelas posé par terre. Je ne me rappelle plus de la dernière fois que j’ai pu m’allonger sur un lit, fermer les yeux et dormir. Je me lève de la chaise en plastique posée devant la fenêtre de la chambre. Toute la nuit, j’ai observé à loisir la pleine lune. A force de la regarder, un bref moment j’ai eu l’impression qu’elle me murmurait des secrets à l’oreille. Je deviens fou à tourner en rond dans ma propre vie comme un lion en cage. Il faut que j’aille prendre une douche pour effacer les traces de fatigue de mon visage avant de voir Eugénie. Sinon, elle va encore vouloir me garder plus longtemps que nécessaire. Encore qu’en ce moment, elle m’évite.
Le soleil se lève à peine. Le studio que j’occupe est situé sur une légère colline qui surplombe mon quartier. Cela me permet de profiter de la vue. J’aime les matins brumeux de Libreville qui s’accordent parfaitement avec mon humeur. Je défais mon jean et me rends à la douche. Après avoir laissé l’eau couler sur mon corps pour réveiller mes muscles endoloris par ma longue station assise, je referme le robinet. Je ne sais pas encore pourquoi mais j’ai la sensation que la journée va être longue. Et mes intuitions ne me trompent jamais. Mon instinct est infaillible.
Ce qui est drôle c’est que tous mes problèmes ont commencé à cause de cet instinct infaillible.
****Une heure plus tard****
Ma grand-mère git sur le sol carrelé de sa douche. A la vue de ce spectacle, mon cœur manque un battement. Je m’approche d’elle et la soulève. Je prends son pouls. J’ai reçu une formation pour dominer mes pulsions en tout instant. Je reste maître de la situation alors que la personne qui compte le plus pour moi git au sol. Dieu merci son pouls bat régulièrement. Je tapote légèrement sa joue pour la réveiller. Elle finit par réagir et ouvre les yeux. Mon soulagement est aussi intense que ma colère. Si je n’étais pas passé, elle serait restée là des heures sans secours.
—Oh mon bébé tu es là ? murmure-t-elle
—Que s’est-il passé ?
Sous le coup de la douleur, elle ferme un instant les yeux.
—Ca fait deux jours que je me sens fatiguée. Je n’ai pas pu me laver, j’avais des vertiges à chaque fois que je me levais. Et ce matin, j’ai voulu me forcer… J’ai glissé et voilà le résultat.
— Tu aurais pu m’appeler.
— Je sais que tu n’aimes pas être dérangé.
— Tu sais que toi tu ne me déranges jamais.
Elle porte un pagne usé par le temps bordé de rouge. Je la soulève. Ce n’est plus la femme fluette qui m’a élevé mais une dame de forte corpulence. Son poids ne me pose aucun problème. Le temps passe tellement vite et les gens qu’on aime, petit à petit nous quittent, inexorablement. Je le constate à ses traits qui se sont empâtés, ses cheveux qui malgré la violine blanchissent.
Quel genre d’homme pense t-elle avoir élevé si elle a peur de me déranger ? J’aime ma solitude, c’est vrai. Mais je l’aime encore plus parce qu’elle m’a pratiquement sauvé la vie. Sans elle, je ne sais pas ce que j’aurai fait de ma vie.
Je sors de la douche et la pose sur le lit. Puis je me rends dans la cuisine qui m’a vu grandir. J’y prends une chaise et la pose à la douche puis je reviens la chercher malgré ses protestations. Eugénie a toujours été très coquette. C’est un trait de caractère qui s’est affirmé avec l’âge. Jamais au grand jamais elle ne quitte la maison sans son maquillage, ses cheveux teints, ses robes en pagne africain cousues sur mesure. Alors passer deux jours sans se laver a dû être une véritable torture pour elle.
Je la pose sur la chaise tout doucement. Ca ne me pose pas de problème de l’aider à sa laver. Je connais son corps, ses cicatrices. Je ne compte pas le nombre de fois que je me suis blottie dans ses bras pour soulager ma peine quand j’étais petit.
Mais elle ne veut pas. Parce que je suis un homme ? Je lui ai laissé son pagne pourtant. Je lui explique que je n’ai pas l’intention de la dénuder mais juste de l’aider à se laver. Je pourrai me retourner pour lui laisser de l’intimité mais il est hors de question que je parte sans qu’elle ne se soit lavée. Elle refuse tout bonnement.
— Tu me connais mieux que quiconque. Et tu sais que je ne fais que ce que je veux. Négocier ne fait pas partie de mon vocabulaire. Alors tu veux la manière forte ou la manière douce ?
Elle me fixe longuement puis capitule. On se connait parfaitement tous les deux. Je tourne doucement le robinet d’eau et commence à la mouiller.
— Attention à mes cheveux hein !
Elle ne perd jamais le nord très longtemps. Une fois l’opération terminée, je lui tends une serviette et me retourne pour qu’elle puisse s’essuyer tranquillement. Cinq minutes plus tard, je la ramène dans la chambre puis me rends à la cuisine pour lui préparer quelque chose à manger.
En fouillant le congélateur, je trouve plein de Tupperware remplis de plats tout fait. Je suis bien content qu’elle soit si prévoyante. Je ne suis pas ce qu’on peut appeler un cordon bleu. La seule chose que je sais faire c’est réchauffer des plats au micro onde ou ouvrir des boites de conserves. Je ne vois pas Eugénie, manger du cassoulet ABC (marque de cassoulet). Je choisis une boite au hasard et la place au micro onde pour la mettre à température ambiante. Quand je termine, je lui apporte le tout sur un plateau. Elle s’est confortablement installée sur son lit et elle a tiré les draps sur elle.
— Tiens, mange. Dis-je en lui posant le plateau sur le lit.
— Mtchrrrr. Ce sont les plats pour toi et tu me les réchauffes encore. Qu’est-ce que tu vas emmener chez toi ?
— Les boites me vont très bien.
— Hum.
Je m’assois à ses côtés et la regarde manger avec appétit.
— Chez moi c’est petit. Si tu veux je peux revenir ici.
— Pour que je vois encore défiler chaque soir une fille différente ? Non, merci.
— T’auras qu’à fermer les yeux.
Elle pose sa fourchette.
— Tu crois que tu ne mérites pas d’être aimé parce que tu es différent mais tu te trompes. Laisse une femme s’occ…
— Arrête.
— Tu auras beau te retrancher dans le plus obscur de tous les trous, un jour une femme verra au-delà de l’armure que tu portes. Elle verra à travers la noirceur de ta vie, l’étincelle qui résiste dans ton cœur. Et elle transformera cette étincelle en brasier… Et tu auras beau résister de toutes tes forces, tu t’enflammeras. Oui mon chéri, tu bruleras d’amour pour elle. Parce que c’est ainsi que ça se passe dans cette famille. Ca s’est passé ainsi pour ton grand-père, pour ton père et ce sera la même chose pour toi…
Je me lève d’un bond prêt à lui ordonner de se taire. Comment peut-elle me souhaiter un destin aussi ignoble que celui de mon lâche de père ? Je suis en colère contre elle et pour ne pas qu’on se dispute je préfère m’en aller.
— Soit je reviens, soit je te cherche une dame pour rester avec toi. Donne-moi ta réponse ce soir.
— Mike, attends.
Je l’embrasse et pars malgré ses mains qui tentent de me retenir.
*
**
****Lorelei****
Quand je pense que j’ai dû rentrer chez moi en passant par la fenêtre de la chambre de Raphael pour que les parents ne se doutent de rien ! Non mais quelle soirée ! C’est peut-être le début de tout pour moi. Je dois garder la tête froide, ne pas oublier mon objectif : sortir ma famille d’ici.
Gabriel est adorable quand il veut. Vraiment. J’espère seulement qu’il saura me laisser du temps comme il l’a promis.
Le lendemain, après les cours, je suis partie au studio où il m’a remis des documents à signer. Pour lui, il était primordial que j’arrête mon boulot de nuit pour me consacrer à ma carrière. Moi j’y ai vu un gros risque. C’est ce job qui nourrit ma famille. Je n’avais pas encore lu la partie salaire du contrat de travail. Il me proposait la somme que je gagnais au VIP. Exactement la même.
—Comme ça, tu ne vas pas interpréter ça comme une manière de …
— Arrête, s’il faut que tu reviennes là dessus à chaque fois, on ne va pas s’en sortir Valentine.
Il m’a regardé et a souri en m’avouant qu’il aimait que je sois la seule à l’appeler par son nom de famille. Une fois le contrat dans ma main, j’ai pris un stylo pour signer. Aussitôt il m’a arrêtée dans mon élan pour me conseiller d’une voix très paternaliste que j’ai détestée.
— Leçon numéro 1. Dans le monde du show biz, on ne signe jamais sans lire, sans prendre l’avis d’un conseil juridique… Jamais.
Alors me voici aujourd’hui, en train d’attendre patiemment dans la salle d’accueil du cabinet de Madame Khan. C’est la seule femme d’affaires que je connais alors peut-être saura-t-elle m’indiquer quoi faire.
Le temps passe très lentement ici. Je ne me sens pas à ma place, vraiment pas. Autour de moi, il y a deux hommes d’âge mûr en costume qui ressemblent à des directeurs d’entreprises. L’assistante préposée à l’accueil est venue me proposer un thé ou un café. J’ai poliment décliné l’offre. Pas la peine de faire semblant de boire des choses qui me dépassent. Moi j’aime le lait. Point barre.
****Mike****
Contrairement à ce que j’avais imaginé, Khan me reçoit dans les locaux du cabinet de sa femme. Elle est très froide, professionnelle à l’extrême tandis que lui est plus souriant. Apparemment, je ne lui plais pas beaucoup. Dommage, c’est une très belle femme. J’observe ses traits. Elle doit être ouest-africaine mais elle a aussi quelque chose de foncièrement gabonais. Elle sent le métissage.
Khan reste debout près de la baie vitrée qui offre une vue imprenable sur le bord de mer tandis qu’elle trône sur un fauteuil en cuir imposant. Je suppose que c’est l’effet recherché. Donner l’impression au client qui entre qu’il est reçu en audience.
Khan, les mains enfoncées dans ses poches se détache de la vue pour regarder sa femme. Elle referme le dossier posé devant elle pour croiser ses doigts au-dessus de la table.
— Prenez place, propose –t-il pour rompre le silence.
—Non merci, dis-je en restant debout.
— Je vous ai appelé pour une raison bien précise. Je souhaiterais vous engager pour la protection de ma famille. Monsieur Kombila qui est actuellement en charge de notre sécurité part bientôt à la retraite. Il m’a proposé les services d’une autre personne mais …
— Je n’aime pas la personne qu’il propose, complète sa femme d’un ton ferme.
— Je sais que vous êtes diplômé de la prestigieuse école militaire de Saint Cyr, que vous n’avez quasiment aucune attache ici et que vous êtes disponible.
Un job ? Suis-je prêt à travailler ? Sait-il pourquoi j’ai dû abandonner ma carrière dans l’armée ? Il doit le savoir. Personne n’aime autant enquêter sur autrui que les personnes riches. Il le sait et il veut tout de même m’engager. Mais sa femme n’est pas ravie, elle en le cache pas.
— Vous avez une semaine pour nous donner votre réponse.
— Pourquoi avez-vous besoin que l’on protège votre famille.
Ils se regardent et hésitent à me répondre.
— Cela fait … plusieurs fois qu’on propose un poste à ma femme. Le genre de poste que l’on ne refuse pas sous peine de se retrouver du mauvais côté de la barrière.
—Et elle a refusé ?
—Nous sommes au Gabon, quand la proposition vient de très hautes autorités, ça ne se refuse pas.
— Et j’ai refusé. Complète madame Khan.
— Je préfère prendre mes précautions, continue son mari. Le Gabon est une terre d’accueil pour les étrangers du monde entier. J’aime ce pays plus que le mien. Quasiment toutes les familles gabonaises ont un membre étranger parmi les leurs. Mais malheureusement pour nous, notre couple attire l’attention et la jalousie. Les gens savent juste qu’il y a un indien et une togolaise qui mènent la danse dans leur secteur d’activité. Ils oublient que je suis gabonais de cœur et que ma femme est aussi d’ici.
— Quand vous dites votre famille. C’est vous et vos enfants ?
Ma question rafraichit sensiblement l’atmosphère de la pièce. Je comprends qu’il n’y a pas d’enfant. Mais ils en désirent un, cela se voit. Je leur demande de plus amples détails pour leur donner une réponse éclairée. Elle s’excuse et nous laisse seul en prétextant un rendez-vous à honorer. Je pense plutôt que la question des enfants l’a échaudée.
****Lorelei****
Au moment où je m’apprête à demander à l’accueil si on m’a annoncée à la patronne, Madame Khan sort de son bureau et tombe sur moi.
— Lorelei ? Que fais-tu là ?
— C’est vous que je viens voir Madame Khan. Juste cinq minutes.
Elle jette un coup d’œil à sa montre. Je sens qu’elle va me répondre qu’elle est très occupée et de repasser prendre rendez-vous…
— Ok. Dit-elle à ma grande surprise. Orphée qui est à l’accueil ?
—Le directeur général de SOGAMATEC et son directeur financier.
—Demande à Claire et Sophie de les recevoir. Elles peuvent traiter leur dossier.
— Oui madame.
L’assistante appelle les collaboratrices et leur donne les instructions reçues, ce qui permet de libérer la salle d’attente. Madame Khan m’y accompagne. On prend place et je lui tends le document en lui expliquant la situation. Elle sourit à la fin du contrat et m’explique qu’il a été rédigé en ma faveur et que je peux le signer sans crainte. Puis on bavarde un peu et elle me taquine concernant Gabriel. J’ai envie de disparaitre… Cinq minutes plus tard. Elle me libère et me donne son numéro personnel pour que je puisse la joindre en cas de difficultés. Je l’enregistre immédiatement dans mon téléphone, la remercie et sort du cabinet. Les choses ne pouvaient pas mieux se passer…
J’attends l’ascenseur.
****Mike****
Je termine l’entretien avec Khan, le remercie pour la confiance accordée et lui promets de lui donner ma réponse dans les plus brefs délais. Je sors du cabinet sans plus rencontrer Madame Khan.
L’ascenseur est déjà parti. Je suis à la bourre. Je prends les escaliers et descends les marches quatre à quatre sans trop savoir pourquoi.
****Lorelei ****
L’ascenseur s’ouvre et je tombe sur un homme qui me regarde étrangement.
—Vous êtes vraiment jolie ! dit-il
—Mtchrrrrrrr. Pardon le vieux, laisse-moi passer.
J’ai horreur des vieux papas qui essaient de draguer les filles qui ont l’âge d’être leur enfant. Mais rien ne pourra gâcher ma bonne humeur. Je continue mon chemin l’esprit complètement ailleurs. Je chantonne même. Brrrr. Il fait froid tout d’un coup, on dirait qu’il va pleuvoir. Ah Libreville et ses changements de temps capricieux.
Je suis sur le bord de la route en attente d’un taxi quand il apparait. Je ne connais toujours pas son nom. Il se dirige droit sur moi. Seigneur, plus ténébreux tu meurs ! Il est tout de noir vêtu et le vent souffle tellement fort que son écharpe grise danse autour de son cou. Le manteau qui doit surement le protéger de la pluie qui s’annonce s’ouvre légèrement à chaque pas. A –t- on idée d’avoir l’air aussi dark (sombre) ! Je ne sais pas ce qui m’arrive. Le trouble de la dernière fois ressurgit, deux fois plus intense… Il me regarde. Je suis complètement tétanisée.
Merde.
Mais comment fait-il pour me faire cet effet dingue à chaque rencontre ?
Il n’est plus qu’à un pas de moi. Il s’arrête et me fait signe de bouger. Je reste sur place. Il se racle la gorge. Je fais un pas à gauche lorsque je remarque enfin la grosse moto qui se trouvait juste derrière moi. Je suppose que c’est la sienne. Il a vraiment une tête à rouler à moto.
— Montez !