Chapitre 16
Ecrit par Chrime Kouemo
- Franchement, merci Gabrielle pour le prêt. Je te le rembourserai dès que possible, dit Rachel en pressant la main de son amie par-dessus la table.
Elles se retrouvaient chez Gabrielle pour une petite soirée entre filles. Ariane et Marina ne devraient plus tarder à arriver.
- Ne t’en fais pas pour ça. Tu me rembourseras quand tu pourras. Tu as finalement pu discuter
avec ton frère? Questionna t’elle en retour.
- Non! Ce cher monsieur n’a toujours pas daigné me contacter. J’ai envoyé l’argent à ma mère en lui disant que c’était la dernière fois que je participais à une quelconque opération pour mon frère. C’est bon, j’ai donné. S’il ne peut pas ou ne veut pas se débrouiller autrement qu’en rêvant de sortir du Cameroun, c’est son problème.
- Je te comprends. C’est là où tu te rends compte que nous Africains avons une charge mentale supplémentaire.
- C’est clair. Et le pire dans tout ça je pense, est que les gens qui te sollicitent n’imaginent même pas que tu peux avoir des problèmes de ton côté. Personne en dehors de mes parents et de mes sœurs ne me demande comment se passe ma vie, comment je gère etc... Pour mes cousins et autres, tout va forcément bien puisque je suis ici et que je travaille.
Gabrielle hocha la tête en signe d’approbation.
- Aufait,commentsepassetarecherched’emploi?
- Assez bien, même si j’ai peur d’avoir foiré mon entretien de ce jeudi dernier, fit Rachel en grimaçant.
- Comment ça ? Interrogea son amie.
- Je ne sais pas trop... J’ai l’impression de ne pas avoir assez démontré mon intérêt pour la boîte.
Je me suis contentée d’énoncer des généralités.
- Tu es peut-être trop dure avec toi même, la rassura Gabrielle.
Rachel haussa négligemment les épaules, peu convaincue.
La sonnerie de la porte d’entrée retentit. Ariane et Marina étaient arrivées. Il était temps pour elle de chasser toutes ces pensées moroses et de profiter de ce moment avec ses meilleures amies.
- Assez parlé de moi, conclut Marina en se levant pour se resservir une tasse de thé. Moi, je veux savoir ce qui se passe entre Rachel et Seba. C’est quoi cette histoire avec Alexandre?
- Oh les filles, on est vraiment obligé d’en parler ce soir? Supplia Rachel qui n’avait aucune envie de discuter de la débâcle de sa vie amoureuse, surtout après avoir revu Seba la veille.
- Et pourquoi pas? Contra Marina. Tu penses peut-être que je n’ai pas remarqué ton regard triste et les coups d’œil furtifs que tu lances à ton téléphone? Est-ce que tu as revu Seba?
- Pas vraiment...
Trois têtes se tournèrent vers elles.
- Je l’ai revu hier, mais c’était juste pour lui remettre une veste qu’il avait oubliée chez moi.
- C’est lui qui t’a contactée ? demanda Ariane
- Oui.
- C’est bon signe alors! C’était juste un prétexte pour lui pour te revoir, affirma Gabrielle
- Non réfuta Rachel en secouant la tête. Il était extrêmement poli et distant. J’ai voulu reparler de cette histoire avec Alex mais au vu de la froideur dans son regard, j’ai changé d’avis. Je crois que c’est définitivement mort entre nous.
- Non, ne dis pas ça, fit Ariane. Ousmane m’a dit qu’il n’était pas bien lui aussi. Il est blessé dans son orgueil et il croit que tu t’es joué de lui en attendant de remettre le couvert avec l’autre connard.
Rachel continua de secouer la tête.
- Tu dis ça parce que tu n’as pas vu sa tête quand il me parlait hier. Lui qui est toujours si
chaleureux et souriant, il était comme un glaçon.
- C’est normal. Il faut lui laisser encore un peu de temps. Je suis sûre qu’il reviendra vers toi d’ici
peu. Je te rappelle que ça fait plus de deux ans que ce gars est mordu de toi, dit Gabrielle.
- Oui, mais j’ai tout gâché. Je l’ai repoussé après le mariage d’Ariane l’année dernière, je me suis remise avec Alexandre au Cameroun, et quand enfin nous commençons à vivre quelque chose de sérieux, il me surprend dans une position compromettante avec mon ex. Et dire qu’il a fallu que je revois Alex pour me rendre compte de la profondeur des sentiments que j’avais pour
Seba...
La jeune femme s’interrompit. Elle sentait les larmes affluer et n’avait pas envie de se remettre à pleurer comme une madeleine devant ses amies. Celles-ci s’en aperçurent, et s’approchèrent instantanément d’elle pour l’entourer de leurs bras.
- Si tu veux, je peux essayer de lui parler, c’est mon ami; il m’écoutera peut-être, proposa
Gabrielle.
- Non, refusa tout de suite Rachel. Je vais laisser les choses suivre leurs cours. J’ai déjà été
suffisamment pathétique en le harcelant de messages et de coups de fils comme je l’ai fait.
- Ok, firent ses amies en choeur.
Gabrielle, experte en communication et en télécommunications comme elle aimait à le dire, changea habilement le sujet en leur racontant les péripéties de son nouveau job dans l’évènementiel.
♣♣♣
Le téléphone de Rachel vibra sur sa table de travail. C’était un numéro inconnu à son répertoire. Elle se leva et sortit du bureau de chantier.
- Allô,fit-elle en décrochant son téléphone, après s’être éloignée du bureau.
- Oui, Bonjour Mademoiselle Nanhou. Je suis David Robert, le responsable de ressources humaines de la société COTEC. Vous avez passé un entretien dans nos locaux il y a deux semaines.
- Oui, bonjour Monsieur Robert, répondit Rachel en s’efforçant de maîtriser le tremblement de sa voix.
- Je vous appelle pour vous informer que votre candidature a été retenue. Nous allons vous faire une proposition par mail.
- Merci Monsieur pour la confiance portée à ma candidature. C’est une très bonne nouvelle, déclara la jeune femme sa poitrine s’alléger d’un poids immense.
- Nous sommes ravis nous aussi. Nous vous demandons de nous répondre par retour de mail à la proposition. Nous conviendrons ensuite d’une date pour la signature du contrat.
- Très bien Monsieur. Je vous réponds dans la journée.
- Merci.A bientôt Mademoiselle Nanhou.
Quand Rachel coupa la communication, elle eut envie de pousser un cri à la manière des femmes Béti lors des mariages ou des grands évènements, mais elle se retint. C’était le meilleur moyen de passer pour une folle sur son chantier.
Elle avait trouvé un nouvel emploi, et qui plus est dans l’entreprise qui lui plaisait le plus parmi celles dans lesquelles elle avait postulé. Même si elle n’avait pas réellement douté de sa capacité à retrouver un travail, le marché de l’emploi dans son domaine étant au beau fixe, elle avait cependant craint de devoir de se contenter d’un pis-aller du fait de sa situation financière. Et dire qu’elle avait été convaincue d’avoir foiré son entretien... Elle fit une prière pour remercier Dieu pour cette bonne fortune.
Il fallait qu’elle appelle ses parents ce soir pour leur annoncer la bonne nouvelle. Ils s’étaient fait beaucoup de soucis pour elle. Irrémédiablement, ses pensées voguèrent vers Seba. C’était lui qui l’avait fait répéter pour son premier entretien à COTEC, qui avait relu son CV mis à jour. Il ne lui avait pas fait signe depuis la dernière fois qu’ils s’étaient revus. Elle avait espéré en vain qu’il la rappelle. Leur brève entrevue n’avait fait que raviver sa douleur. Devait-elle lui envoyer un message pour le remercier de son aide? Ou l’appeler? Elle décida finalement que non. Il avait mis un point final à leur relation, et il allait falloir qu’elle l’accepte.
Elle ouvrit l’application WhatsApp sur son téléphone et envoya un message sur le groupe de discussion qu’elle partageait avec les filles. Gabrielle lui répondit presqu’aussitôt qu’il fallait fêter ça comme il se devait avec tout un tas d’émoticônes joyeux qui mirent du baume au cœur de Rachel. Oui, elle allait célébrer cette petite victoire. Tout n’était peut-être pas au beau fixe dans sa vie, mais ce n’était pas une raison pour ne pas apprécier les autres aspects qui lui apportaient satisfaction.
Rachel, Gabrielle et Ariane se retrouvèrent le soir dans un pub de Bercy Village. Marina n’avait pu venir car retenue à son travail pour un rapport qu’elle devait rendre le soir même.
- Tu vois donc que tu t’inquiétais pour rien, dit Gabrielle en jouant avec la paille de son verre de
mojito.
- Oui peut-être. fit Rachel tout sourire. Mais à voir la tête du type qui m’a fait passer l’entretien, je n’étais absolument pas sûre de moi; il était totalement hermétique, ne laissait filtrer aucune émotion sur son visage.
Elle sirota son cocktail, puis reprit :
- Je suis tellement soulagée. Mes autres collègues attendent patiemment que la liquidation judiciaire soit prononcée pour obtenir leur plan de licenciement, ce que je peux comprendre au vu de leur ancienneté pour quelques-uns. Mais pour moi, ce n’était juste pas possible, cela revient à environ trois mois sans salaire.
- Quand est-ce que tu poseras ta démission? Demanda Ariane.
- D’ici la semaine prochaine. Je signe mon contrat la semaine après le 15 août, quand les responsables seront revenus de vacances.
- Ah,à propos du long week-end du 15 août, vous avez prévu quelque chose ? Demanda Ariane.
- Moi non, répondit Gabrielle. On a un gros évènement à organiser pour la rentrée et j’ai pas mal de boulot.
- Moi non plus je n’avais rien de prévu, compléta Rachel
- C’est cool. Ousmane organise avec ses anciens potes de Cergy un barbecue géant à la base de loisirs. Ce serait sympa que vous veniez, continua Ariane.
A l’évocation de la bande des anciens potes de Cergy d’Ousmane, Rachel se renfrogna. Seba en faisait partie et serait certainement là. Ce n’était pas une bonne idée; même si elle mourrait d’envie de le revoir, elle craignait par-dessus tout qu’il la traite avec froideur comme la dernière fois à la station de métro.
- Je ne pense pas que je viendrais, fit-elle d’un filet de voix à Ariane.
Son amie, qui avait tout de suite compris la raison de son refus, reprit d’une voix douce en lui pressant la main par-dessus la table :
- Oh Rachel ! Je sais ce que tu traverses mais ça ne doit pas t’empêcher de vivre. Et tu ne pourras pas continuer à l’éviter, tu sais qu’il est l’un des meilleurs amis d’Ousmane.
- Oui je sais, mais peut-être que pour cette fois, je peux éviter. Non? J’ai juste besoin de me remettre de cette histoire avant de le revoir.
- C’est peut-être justement l’occasion de repasser à l’offensive, renchérit Gabrielle en reposant son verre vide sur la table.
Les deux jeunes femmes tournèrent la tête vers elle.
- A ce que je sache, reprit-elle d’un air coquin, Ousmane est l’un des premiers de sa bande de potes à s’être marié. Les autres sont donc potentiellement libres; tu pourrais faire des rencontres intéressantes. Tu pourrais même en profiter pour le rendre jaloux.
Rachel secoua la tête en signe de dénégation, s’apprêtant à parler.
- Et avant que tu ne dises quoique ce soit, poursuivit-elle, je t’interdis de te morfondre comme tu l’as fait pour l’autre connard. Si Seba est assez borné pour ne pas passer sur cette histoire, c’est qu’au fond, il ne te méritait pas.
Rachel ne dit rien pendant quelques instants. Ses amies avaient raison. Elle n’allait pas passer cent sept ans à essayer de lui expliquer une nouvelle fois comment et pourquoi il l’avait retrouvée dans les bras de son ex, alors qu’il ne voulait rien savoir depuis le départ.
- D’accord, je viendrai répondit elle finalement à Ariane après une minute de réflexion
Puis se tournant vers Gabrielle :
- Mais, il ne sera nullement question de le rendre jaloux ou autre. Je te préviens déjà.
- Oooh, mais ce n’était qu’une suggestion? Hein, fit-elle d’un air faussement penaud.
Le clin d’œil que son amie lui adressa ensuite lui confirma que celle-ci n’avait aucunement l’intention de tenir sa parole