Chapitre 17

Ecrit par leilaji

LOVE SONG

Tome II

(suite de Xander et Leila + Love Song)


GABRIEL


Episode 17


J’ai perdu mon frère. Ma sœur est dans un pays qui m’est étranger avec un mec qui me semble cinglé vu qu’il refuse de révéler son prénom si tant est qu’il en ait un. Mon père ne veut plus me parler parce que j’aime l’ex de mon frère. Lola, l’ex de mon frère que j’aime comme un dingue et pour qui j’ai monté toute une émission, risque de se faire éliminer de cette même émission parce que les  autres concurrents se sont rendus compte bien trop tôt qu’elle avait quelque chose en elle que le public aimait. 

Parce que je ne veux pas la favoriser et que je souhaite que la compétition soit clean, je ne peux même pas lui donner des conseils pour qu’elle puisse tirer son épingle du jeu. Et malgré tous ces problèmes, la vie se charge de remettre sur mon chemin une Sydney revancharde. 


N’est-ce pas un signe que je ferai mieux de me suicider ? Non mais sérieux ! Je ne suis pas déjà assez dans la merde comme ça ? 


— Tu sais quoi Sydney ? je lui demande en essayant de ne pas avoir l’air trop exaspérée, au final je n’en ai rien à foutre. Fais ce que tu veux. 


Elle accuse le coup. Au pli qui contracte le coin de ses lèvres, je la sens furieuse. 


— Tu bluffes parce que tu penses que je n’en serai pas capable. 

— Je suis fatigué de tes conneries… Sors tranquillement de chez moi sinon je vais te faire du mal. 

— Tu me menaces ? 

— Non. Si tu sors, ce que je te conseille de faire, ce ne sera pas une menace. C’est si tu restes que ça va poser problème. Ecoute, je vais aller me servir un verre pour passer une soirée au calme. Si je reviens et que tu es toujours là, tu vas passer cette nuit la tête dans mes toilettes pendant que je tire la chasse d’eau, à te demander pourquoi tu as mis les pieds chez moi. 


Je lui fais mon plus beau sourire. Elle adorait mon sourire. Mais ça, c’était avant. 


— Publie ce que tu veux sur mon père. C’est un grand garçon, il saura se défendre et crois moi quand il s’y met, on le sent passer. Alors je te conseille d’économiser l’argent que tu utilises habituellement pour te saouler à mort parce que je te jure que tu vas te ruiner en frais d’avocat. 


Je lui tourne le dos et me dirige vers la cuisine non sans avoir ajouté :


— Et surtout n’oublie pas mes clefs. 

— Connard ! 

— Ouais c’est ça. Bonne nuit Syd. 


*

**


Les prestations des autres candidats nominés à l’élimination ont été tout à fait extraordinaires. J’ai particulièrement apprécié une interprétation d’un tube de Yemi Alade : Na gode. Cette chanson a mis les chrétiens de la salle en transe et ils ont dansé dans le public. « Même dans le succès, ne pas oublier de remercie Dieu ». C’est un message universel, la chanteuse n’aura pas de mal à défendre le choix de ce titre. Peut-être à cause de la peur d’être éliminée, en plein milieu de sa prestation, la voix de la candidate s’est mise à trembler comme si l’émotion était trop forte à gérer. Contre toute attente, Lola s’est levée de son siège de candidate et s’est rapprochée de la chanteuse pour danser afin de l’encourager. Normalement, il est interdit à tout candidat d’intervenir dans la prestation d’un autre sans son consentement. Les deux mains au niveau de son buste, elle bougeait le dos de façon rythmique d’avant en arrière comme une vraie nigériane. Cette intervention a redonné de l’entrain à la candidate qui a terminé sa chanson sous les acclamations. La compétition a repris de plus belle. Certains candidats ont utilisé les danseurs mis à leur disposition tandis que d’autres ont fait du pur live, avec un orchestre en fond. Le spectacle est là, j’en suis très heureux. 


C’est au tour de Lola et je ne sais pas du tout ce qu’elle a prévu. Comme à chaque fois qu’elle passe, la scène est tout d’abord plongée dans le noir. J’écoute attentivement la première note et reconnais immédiatement la guitare qu’on pince : Formation de Beyonce. 


Une infime partie de la scène s’éclaire. Lola est assise par terre, ses jambes et son dos reposant, je crois sur des danseuses.  Comme tout autour d’elle la scène est plongée dans le noir, je ne peux l’affirmer avec assurance. On entend Lola chanter l’intro : 


What happened at the last Show? Bitch, I am back by popular demand. (Que s’est-il passé au dernier show? S…, à la demande de tous je suis de retour)


Y'all haters corny with that competition mess 

My viewers, catch my fly, and my cocky fresh (…)

Earned all his money but they never take the country out me (…)


Son message est directement destiné à ses détracteurs dans l’émission car souvent les autres se sont mis en groupe contre elle. Elle a même adapté les paroles à son cas. Good job ! C’est peut-être de l’huile sur le feu mais pour moi, c’est du tout bénéf’ car ce type de clash fait jaser sur les réseaux sociaux. Même si je sais que pour elle ce n’est pas évident de subir à tout moment des coups de pression. De toute manière, Lola ne se révèle entièrement que lorsqu’il y a compétition. 

Elle porte un genre de maillot noir qui expose ses magnifiques jambes de gazelle au public. Evidemment, ses talons hauts noirs en cuir ciré achèvent de me rendre fou de son look. Lorsque le chorus débute, quatre autres danseuses sont à leur tour éclairées par les spots. Elles reprennent la même chorégraphie que Lola. Contrairement à Lola, elles portent des combinaisons noires entièrement couvrantes, ce qui fait que Lola est le centre de l’attention parce qu’elle révèle plus de peau. Je serre les poings car je remarque que la danseuse à sa droite est légèrement en retard sur le tempo. Mais ça n’enlève rien au show.


I see it, I want it (…) /I dream it, I work hard/I grind ‘til I own it/ I twirl all my haters

(…) Sometimes I go off, I go off/ I go hard, I go hard/ Get what’s mine, take what’s mine


Dix autres danseuses sont à leur tour illuminées. La seule chose que je me demande c’est quand a-t-elle pensé à toute cette mise en scène ? 

Pendant qu’elle chante qu’elle est une star parce qu’elle « déchire », elle fait des manies sur scène, prend la pause en étant extrêmement provocante sans jamais quitter le rythme. Les autres danseuses continuent la chorégraphie tout en la montrant du doigt pour bien signifier que c’est elle la vraie star.  De sa main droite, elle simule un miroir, se touche les cheveux en dansant, faisant mine de se faire belle, d’enlever de la poussière sur ses épaules !


I’m a star, I’m a star/Cause I slay, slay/I slay, hey, I slay, okay (je suis une star, je déchire!)


Puis elle s’arrête et s’adresse aux autres danseuses, comme si la récréation avait assez duré.


Okay, okay, ladies, now let’s get in formation, cause I slay/Okay ladies, now let’s get in formation, cause I slay. Prove to me you got some coordination/Slay trick, or you get eliminated


Ensemble, elles reprennent la chorégraphie à la perfection puis regarde la partie gauche du public dans laquelle était dissimulée cinq danseuses qui reprennent aussi la même chorégraphie. Un temps de pause et elles regardent la partie droite du public où d’autres danseuses se lèvent et reprennent le même manège. C’est de la pure folie, jusqu’à ce que la chanson prenne fin. L’ovation qui s’en suit est largement méritée. Cette fille a la scène dans le sang. Tandis que les danseuses quittent la scène, Lola respire à plein poumon comme si elle venait de courir le marathon. Ce qui est tout à fait normal car elle a chanté et dansé en même temps, tout en étant juchée sur des talons hauts. 


Le temps que chaque candidat défende son choix de titre en étant interrogé par les juges, le public présent ainsi que les téléspectateurs pourront voter autant de fois qu’ils le souhaitent pour chaque candidat. Chaque vote coute 200 francs CFA. Il est aussi possible de voter depuis internet en likant et partageant directement les photos des différents candidats sur les comptes Facebook, Instagram et Twitter de l’émission : en gros nous sommes partout.  C’est au tour de Lola de défendre son choix. 


— Bonsoir Lola ! 

— Bonsoir. 

— Dis donc, tu as été impressionnante ce soir ! 

— Merci. 

— Pourquoi avoir dansé pour une adversaire tout à l’heure ? Vous serez peut-être éliminée et elle passera… Etait-ce une bonne stratégie ? 

— Quand on dit merci à Dieu pour ce qu’on a, il n’y a plus de compétition, plus d’ennemies. Et j’adore sa manière de chanter avec son cœur. C’est normal que l’émotion monte. Je l’ai vu travailler très dur cette prestation, elle méritait de terminer sa chanson.  

— Ok. Pourquoi Formation de Beyonce ? 

— Les images de l’émission parlent d’elles-mêmes.  Je reçois tout le temps des piques des autres candidates et je ne réagis pas parce que pour moi, le combat, la compétition c’est sur scène. Je travaille dur mes chorégraphies et mes chansons et le public s’en rend tout de suite compte. Ici il n’y a pas de trucage ou de piston, c’est le public qui décide ! Voilà pourquoi i slay. I slay, I slay


Le jury rigole. Elle fait un geste vers le public et qui aussitôt réagit. Je ne peux m’empêcher de sourire. C’est du Lola tout craché ça. 


Quand le décompte du public tombe, Lola est la première à être sauvée de l’élimination. Et pendant que le jury adresse les félicitations d’usage, la caméra passe sur le visage de ceux qui n’avaient pas eu à subir cet espèce de seconde chance. Ils n’ont pas l’air très heureux pour elle. Je suppose que les choses vont encore se corser pour elle.  Mais elle n’en a cure. Elle danse et le public applaudit. 


Lola fait danser mon cœur. Elle a cette force de caractère, que très peu de gens ont sur terre. Et c’est pour ça que je l’aime. 


*

**


Il est vingt heures et je suis dans un coin de Libreville où je n’ai jamais mis les pieds auparavant. Les caniveaux semblent être inconnus des habitants d’ici. J’arrête un gamin qui passe avec une bouteille de bière.  Il est vingt heures. Qu’est-ce qu’il fait dehors seul avec une bouteille d’alcool à pareille heure? 


— Bonsoir petit ça va ? 

— Oui le grand. 

— Tu fais quoi dehors à cette heure ? 

— On m’a envoyé acheter la Regab* (bière gabonaise).


Il semble pressé de partir et ne voit pas ce qu’il y a de mal à parler à un inconnu dans le noir. Je regarde autour de nous pour voir d’où il vient. Il y a un bar désert pas loin de nous qui diffuse un peu de Patience Dabany. Je ne comprends pas qu’on puisse envoyer un garçon d’environ dix ans, acheter de l’alcool dans un bar miteux en pleine nuit. Le coin est à peine éclairé. Le lampadaire illumine la route du coté droit mais là où nous sommes, il n’y a que de l’ombre. Les maisons aux alentours, ont été construites sans que le terrain n’ait été déblayé au préalable. Par conséquent, elles sont mal alignées et certaines surplombent d’autres. C’est un véritable fouillis, étouffés par de hautes herbes et des ruisseaux d’eau sale qui sortent d’on ne sait où. 


— Dis moi tu sais où habite Lola ?  

— Ah celle qui passe à la télé ? La star ? 

— Oui, la star, j’acquiesce en me retenant de sourire. 


J’ai permis au candidat de rentrer chez eux pour un week-end de repos après avoir appris que le père de Lola avait fait une rechute. Je ne pouvais pas accorder à elle seule cette sortie, alors j’ai laissé tous les candidats rentrer chez eux. Ceux qui venaient d’ailleurs ont été logés à mes frais à l’hôtel et font surement un peu de tourisme. Pour deux jours, ce sont des frais supplémentaires mais j’y consens pour le bien être de Lola. Le problème c’est que l’envie de la voir était bien trop grande. La voir à l’écran ne me suffisait plus.  Je suis con de trainer comme une âme en peine dans son quartier mais apparemment j’ai mis mon cerveau au placard. 

Le jeune garçon pointe du doigt un toit dissimulé dans de la broussaille. Comment je fais pour aller là-bas sans passer par les terrasses des maisons mitoyennes ? Un grillon grésille au loin. J’ai l’impression qu’il se fout de ma gueule en chantant que je n’ai rien à faire dans son quartier. 


— Merci mais comment je fais pour y aller ? 

— Je vais t’accompagner.

— Non, il faut rentrer chez toi. Il fait nuit. 

— J’habite juste à coté tonton. 


Je fronce les sourcils. J’ai l’impression d’être vieux quand il m’appelle tonton. Cependant, je suis tellement soulagé que je pourrai le serrer dans mes bras pour le remercier. Heureusement que je porte des baskets de ville ! Parce que je ne sais pas si du vrai cuir peut survivre à l’eau dans laquelle je marche. On passe devant les voisins en traversant leur terrasse sans qu’ils ne soient choqués par notre présence. Certains nous saluent même poliment. On n’a pas l’impression de déranger, on ne sent pas qu’on gêne. Ce n’est pas dans la maison de mon père que serait salué aussi poliment si on n’y est pas invité. 


Lorsqu’on arrive chez elle, je vois qu’il y a un évier qui a été bricolé non loin de la terrasse dont el sol est joliment décoré de carreau cassé. Une vieille marmite toute cabossée attend d’être lavée. Lola est assise de dos et je la reconnais immédiatement car elle porte toujours ses longues extensions blondes. Je me rends compte que je ne l’ai jamais vu chez elle comme ça contrairement à Mickael. Elle lève la main et la repose. Un bruit sourd et régulier accompagne le mouvement. Elle pile. Le jeune homme qui m’a conduit jusqu’ici file chez lui sans que je n’aie le temps de lui dire merci.  

 

— Lola ? 


Elle ne m’entend pas. Soudain une silhouette apparait à ses cotés. Une silhouette que je reconnais malgré l’ombre. Je recule d’un pas, puis d’un autre et me retrouve dans l’impossibilité de m’en aller. Il faut que je voie ce qui va se passer. Qu’est-ce qu’il fait là ? Non moi qu’est-ce que je fais là ? J’ai tout misé sur cette émission et si on me voit fricoter avec une candidate, tout va partir en vrille. Elle va être traitée de tous les noms et moi je vais perdre toute crédibilité. 


— Tchouo Lola depuis que tu piles tes feuilles là ? Moi je vais rentrer chez moi hein, dit-il en jetant un coup d’œil à sa montre. 

— Mon père aime que les feuilles soient bien pilées et maman n’a plus la force de bien le faire. Demain je leur emmène à manger à l’hôpital. Alors soit tu attends tranquillement soit tu rentres chez toi ! Je ne t’ai pas appelé.

— Pourquoi tu es méchante comme ça, Lola de mon cœur.  Moi je veux manger ta bouffe !


Il lui fait son sourire de tombeur et elle éclate de rire. Je recule d’un autre pas et me retrouve plongé dans l’ombre. Il s’assoit à ses cotés, tellement à l’aise alors que c’est surement la première fois qu’il vient la voir. Lola continue de piler tranquillement pendant qu’ils bavardent. 


— Je dis hein, ça va cuir à quelle heure si tu continues de piler comme ça ? C’est comme ça que vous partez en mariage les filles fangs? 

— Pffff ! Comme si vous les gabonais vous savez épouser les femmes ! Surtout vous les ndjele-ndjele. 

— Qu’est-ce qui te dit que je ne suis pas là pour ça ! J’ai peut-être une bague…


Elle s’arrête de piler et le regarde intensément. Je serre les poings. Elle reprend les coups de mortier plus bel.


— Toi et moi ça pourrait être chouette tu sais. Je suis assez clean comme mec. Je ne fume pas, je bois de temps à autre et surtout je suis là. Je ne joue pas au con avec un cœur qu’on me confie. 

— T’es qu’un beau parleur… 

— Tu veux que je te le prouve ? 


S’en suit le plus long silence de ma vie entière. 


— Mon cœur est pris, finit-elle par répondre en posant son pilon contre le mur. 


Prince penche la tête sur le coté. Comme s’il essayait de deviner si elle dit vrai ou pas. 


— Par qui ? Valentine ? 

— Oui. 

— Il n’est plus des nôtres Lola. Tu devrais tourner la page.  

— Qu’est-ce que tu fais là exactement Prince ? Que veux-tu de moi ? Je suis heureuse de te compter parmi mes amis, heureuse que tu me rendes visite pour me soutenir, mais si c’est pour me donner des conseils…

— Tu veux que je m’en aille ? 

— Il se fait tard. Je crois que c’est mieux que tu partes. 

— Lola. Je ne voulais pas te blesser…

— Je ne suis pas blessée. Tu n’as pas le pouvoir de me blesser ! 


Prince soupire. Il se lève et se débarrasse de la poussière sur son jean. Elle se lève à son tour, disparait dans la maison un bref instant et revient avec un Tupperware emmailloté dans un torchon propre qu’elle lui tend en souriant. Il s’approche d’elle et dépose un baiser sur sa joue. 


— Merci. 

— T’es fâché ? demande-t-elle d’une voix de petite fille.

— Que tu me remettes à ma place ? Non pas du tout. J’adore ça, dit-il de manière ironique. 


Il fait la moue.  


— Bon ça m’a au moins permis d’avoir de la bouffe gratuite. Qu’est-ce que c’est ? 

— De la poule dure en bouillon avec du manioc. Il faut que tu prennes des forces pour quand on va retourner en compétition. Je compte bien t’éliminer à la première occasion. Il y a trop de filles qui vont voter pour toi. 

— Non ! Tu es vraiment sans cœur hein. Alors que moi je fais ta campagne auprès des autres candidates tous les jours. 

— Je me demande même ce que tu fais dans cette compèt’. On dirait que tu viens en ballade. T’as pas envie de gagner ? 

— Suis pas là pour ça.

— Et tu es là pour quoi alors ? Tout le monde est là pour ça. Même ceux qui disent le contraire. 

— Pour toi. Ce n’est pas assez évident comme ça ? Je compte t’avoir à l’usure. 

— N’importe quoi. 

— Bon c’est pas tout mais faut que j’aille dormir. Un beau gosse comme moi ça ne traine pas trop tard le soir. 


Il a vraiment tout pour lui ce petit con.  Quand il se détourne d’elle pour s’en aller, je me dissimule entre les deux murs mitoyens à ma droite. Prince s’en va et je décide d’en faire de même. Je ne sais même pas ce que je suis venu faire ici. 


— Tonton, tu n’es pas encore parti ? 


Putain. Que ma vie s’arrête immédiatement. Que la foudre me … me … foudroie. Je baisse les yeux et vois le petit qui s’apprêtait à faire pipi sur le mur ou plutôt sur mes pieds. Mais d ou il sort? Lola l’a surement entendu. Pas possible qu’elle ne l’a pas entendu. J’ai peut-être le temps de m’en aller avant… 


— Gabie ? 

— Putain de merde, je marmonne en sortant de ma cachette. Je sais. Tu te demandes ce que je fais là. 


Elle croise les bras et tape des pieds. Est-ce normal que la seule chose que je remarque c’est qu’elle ne porte qu’un simple pagne noué à la poitrine. Si je tire dessus par accident qu’est-ce qui va se passer ? 


— Et qu’est-ce que tu fais là ? 

— Il te cherchait, répond le gamin à ma place. 

— Non. Ce n’est pas exactement ça. 

— Tu mens oh le tonton. Il te cherchait Lola.

— Euh Frédéric va faire pipi ailleurs. 


Le gamin me toise longuement. 


— Bon La Lola s’il te dérange tu m’appelles oh. Il y a un chevron que j’ai caché là-bas. Je vais bien lui damer ça (le frapper avec). 


Je hausse les sourcils d’étonnement tandis que Lola éclate de rire face à autant d’aplomb. Après avoir un peu bégayé et un peu avoué la vérité tout en essayant de ne pas avoir l’air trop con, elle m’invite à prendre place dans son salon. 

Je commence par me déchausser à la porte mais elle me dit d’entrer comme ça. J’avance. Une seule ampoule branlante. Les fauteuils sont défoncés. Il n’y a pas de plafond. Elle pose un verre qui ressemble plus à un gobelet en plastique qu’à du verre devant moi et le remplit d’eau.


— Tu ne bois pas ? Tu as peur que ce soit sale ? 

— Non, je m’exclame un peu trop brusquement à mon gout. 

— Tu es mal à l’aise n’est-ce pas ? 

— Pourquoi tu dis ça ? 

— Tu oses à peine bouger, on dirait que tu as peur que tes yeux tombent sur un rat…

— Arrête ça Lola. 

— Admet le et j’arrête. 

— Je n’admets rien du tout. 

— Ok. 


Je finis par me pencher et prendre le verre d’eau que je bois entièrement. 


— J’ai le droit d’être mal à l’aise. C’est la première fois que je viens chez toi et je suis inquiet pour ta situation. Tu ne m’attendais pas et j’ai juste l’air d’un désespéré qui te suis comme un chien. C’est ça qui me met mal à l’aise pas autre chose. 


Elle semble hésiter à me croire. 


— Viens là Lola!

— Hum. 

— Viens là, je ne vais pas le répéter. 

— Hum !

— Toi tu ne me connais pas vraiment hein, je lui dis avec un petit sourire en coin.


Elle me résiste. A la base, ce n’est pas une attitude que j’apprécie vraiment chez une femme mais avec elle, c’est différent. Je suppose que tout sera toujours différent dès qu’il s’agira d’elle. 


— Viens là s’il te plait Lola. S’il te plait.

— Tu avais intérêt à dire s’il te plait. Je ne suis pas ta machin chose sur qui tu criais et qui t’obéissait au doigt et à l’œil. 

— C’est loin tout ça. Elle est venue me menacer la dernière fois. Mais bon, je l’ai zappée. 

— Arrête c’est vrai ? 

— Oui. Elle me promettait l’enfer sur terre et au final, il ne s’est rien passé. Mais ne t’occupes pas d’elle.  


Je rigole doucement et tapote la place libre à coté de moi. Contre toute attente, elle ne s’assoit pas à mes cotés. Elle se pose à califourchon sur mes cuisses et pose la tête sur mon épaule. Je la serre très fort dans mes bras. Trop fort. Je voudrais ne plus jamais la lâcher. 


— Je suis heureuse que tu sois venu me voir. Chez moi. Tu ne l’avais jamais fait. 

— Je sais. J’en suis désolé. 

— Ca m’a toujours donné l’impression que la vraie Lola ne t’intéressait pas plus que ça.  Que tu n’aimais que la Lola sur scène…

— Je t’aime Lola. 

— Je sais. 


Elle ne parle plus et me donne l’impression de s’être assoupie. Je caresse doucement sa tête et cherche une position plus confortable. Le bois du fauteuil me rentre dans le dos. Mais je préfère ça plutôt que de ne plus l’avoir assise sur moi. 


— Et ton père ? 

— J’essaie de ne pas m’inquiéter parce que ça n’aidera en rien. Mais j’ai une frousse de dingue Gabie. Je ne veux pas le perdre. 

— Je suis là tu sais. Dis-moi, je verrai quoi faire. 

— Ca ira. J’ai un peu de côté. 

— Ok. 

— Ton cœur bat super vite. 

— Je sais. C’est toi qui me fais ça. 


Elle se mord la lèvre et penche légèrement la tête vers moi. Je dépose un léger baiser sur sa bouche, avant de sentir le désir m’envahir et de mêler ma langue à la sienne. Je la sens sourire sous mes lèvres. Elle bouge légèrement les hanches et me met dans l’embarras en me faisant gémir légèrement. 


— Merde Lola, on est chez tes parents, arrête ça. 

— Ok. Ok, dit-elle en levant les mains en signe de reddition. 

— Je dois rejoindre la route en marchant, je te signale. Et il y a un petit fou qui m’attend avec une barre de fer  non loin de chez toi. 

— Ok. 


On ne sait plus trop quoi faire de nous. 


— Que comptais-tu faire après ? 

— Détacher mon tissage. Mettre les feuilles de manioc au feu. Faire la vaisselle. Mais comme tu es là tu vas m’aider. 

— Quoi ! Non. 

— Si. 

— Lola c’est pas trop mon truc ça. 

— Parce que le genre de fille avec qui tu sors d’habitude paye la coiffeuse pour détacher les extensions. Moi j’ai pas cet argent à perdre. Alors tu m’aides ou pas ? 

— Lola…

— T’es trop chou, dit-elle avant de disparaitre dans une chambre et de revenir avec une lame. 


Elle s’installe entre mes jambes, soulève ses extensions et me dit de couper le fil noir. J’y vois absolument rien. De quel fil noir elle parle ? Je pensais que ça se collait ces trucs là. Je soupire et m’empare de la lame de rasoir comme d’un objet extraterrestre. Je coupe un premier fil. Et prie pour ne pas confondre ses cheveux avec les extensions. Putain mais ce n’est pas possible, il n’y a pas assez de lumière dans la pièce.  


— Je crois que je viens de te couper les cheveux, je dis avec le plus grand sérieux.

— Quoi ? s’écrie-t-elle complètement affolée. 

— Non, je blague. 

— Imbécile ! Tu m’as fait peur. 

— Ca t’apprendra à me forcer à faire un truc de fille. 


Au bout d’un moment, je prends le coup de main et détache très facilement le reste des extensions. Elle aurait besoin d’un bon champoing mais je ne sais pas si le code des filles me permet de lui faire une telle remarque sans la vexer, alors je ne dis rien. 

 

— En échange, je te ferai une pédicure avec un massage des pieds. Plaisir garanti ! 

— Plaisir garanti ? 

— Oui… Garanti…


Je pousse vers moi son menton pour que ses lèvres approchent des miennes et lui donne le baiser le plus doux de ma vie. C’est étrange parce qu’elle a la tête à l’envers. Ses lèvres sont douces. Elles m’ont manqué comme une drogue manque à un toxico. Je pourrai passer cette nuit à ne faire que cela : l’embrasser. On s’arrête enfin pour reprendre notre souffle. Les brillant de ce je ne sais quoi que seuls les amoureux expriment par le regard, on reste ainsi à se contempler, comme si on se voyait vraiment pour la première fois. Comme s’il n’y avait aucune histoire avant ce soir. Ce n’est pas le cas mais on peut faire comme si. 

Peut-être que ce n’est que maintenant qu’on se rend compte tous les deux qu’on a une réelle chance ensemble. De mon pouce je caresse ses lèvres rougies par notre baiser. Son regard se fait intense puis elle ferme les yeux et sa voix s’élève, rendue puissante par l’exigüité des lieux. 


(feels like home de chantal Kreviazuk)


Something in your eyes (Quelque chose dans tes yeux)

Makes me want to lose myself (Fait que je veux me perdre)

Makes me want to lose myself (Fait que je veux me perdre) In your arms (Dans tes bras)


Je ne m’attendais pas à ce qu’elle chante avec autant de douceur et de fragilité dans la voix. 


— Lola…


Elle continue de chanter sans me quitter des yeux et caresse ma joue de sa main libre. 


There's something in your voice (Il y a quelque chose dans ta voix)

Makes my heart beat fast (Qui fait battre mon cœur plus vite)

Hope this feeling lasts (J'espère que ce sentiment persistera)

The rest of my life (Pour le reste de ma vie)


Elle pose ma main sur son cœur que je sens battre la chamade et continue de chanter… Je sens qu’elle tente de lutter contre l’émotion pour continuer de chanter sans laisser les larmes envahir sa voix. 


If you knew how lonely (Si tu savais comme solitaire)

My life has been (Etait ma vie)

And how long I've been so alone (Et combien de temps j'ai été si seule)

If you knew how I wanted someone to come along (Si tu savais comme je voulais que quelqu'un arrive)

And change my life the way you've done (Et change ma vie comme tu l'as fait)


 Ses yeux sont humides de chagrin. Elle se retient de pleurer. 


— Tu as tout changé Gabriel. Tu es revenu et tu as tout changé. C’est comme si je respirais enfin de nouveau. Tu ne m’as pas abandonnée… Combien de personne aurait fait ça pour moi ? Combien ? 


(…) But I'm alright cause I have you here with me (Mais je suis bien parce que je t'ai ici avec moi)

And I can almost see through the dark there is light (Et je peux presque voir à travers l'obscurité qu'il y a de la lumière)


If you knew how much this moment means to me (Si tu savais à quel point ce moment signifie quelque chose pour moi)

And how long I've waited for your touch (Et combien de temps j'ai attendu ton contact)

And if you knew how happy you are making me (Et si tu savais comme tu me rend heureuse)

I've never thought I'd love anyone so much (Je n'aurais jamais pensé que j'aimerai quelqu'un si fort)


Sa voix se brise et elle laisse ses larmes couler. 


— Cette chanson me fait penser à toi. Je t’aime Gabie. 

— Je t’aime aussi Lola. Tu le sais. Putain, tu le sais. 


Ce qui est drôle c’est que j’aurai pu la lui chanter aussi. Les paroles auraient gardé la même justesse. 


*

**


L’état du père de Lola s’est sérieusement dégradé le lendemain de  ma visite chez elle. Comment et pourquoi ? Je n’en sais rien. Rien ne filtre. Elle m’a envoyé des messages assez brefs. Mais le dimanche en soirée, il a bien fallu qu’elle retourne au Taj avec les autres. Les médecins proposent qu’on l’évacue au Maroc ou en Afrique du sud pour qu’il ait une chance de survie. Estimation totale du cout du voyage, du séjour et de la prise en charge médicale: 17 890 euros.   


Cette somme, je ne l’ai pas à ma disposition immédiate. Si j’avais un délai d’un moins, je pourrai la réunir en tirant un peu sur ma bourse mais pas avant. Le problème c’est que dans un mois il sera trop tard pour son père. A moins d’aller me prosterner aux pieds du mien. Ce que je ne souhaite pas vraiment faire. Mais pour elle, je le ferai. Même si je demeure convaincu que mon père ne me donnera rien. 

Lola pourrait payer cette somme. Aussi incongru que cela puisse sembler, elle pourrait payer cette somme, si je lui parle de ce mail que je viens de recevoir qui lui permettrait de quitter mon émission avec un beau pactole en poche. Mais pour qu’elle puisse s’en aller, il faudrait que je lui donne l’information. Il pense que je suis toujours son manager alors c’est à moi que la proposition a été envoyée. 


Je ne sais que faire. Je ne veux pas la perdre une seconde fois. 

C’est comme attraper du bonheur dans sa main, serrer fort

Love Strong (Tome 2...