Chapitre 2
Ecrit par Djelay
Toute ma vie j’ai détesté mon frère. Du moins je croyais le détester. Aujourd’hui je me rends compte qu’effectivement je ne veux pas être séparée de lui. Je veux rester avec lui-même si on se dispute tout le temps.
- Je veux rester avec Tom. Dis-je pour confirmer les propos de Tom.
Oncle Aubin soupire. Il réfléchit on dirait.
- Très bien. vous resterez dans cette maison. Je règlerai le loyer directement avec le propriétaire. Tom, tu continueras d’aller à l’école et Lili aussi. On engagera une servante pour t’aider avec Lili.
- Merci tonton.
- Vous êtes mes neveux. Les enfants de ma bien aimée sœur. C’est normal que je prenne soin de vous.
Après les
funérailles de maman, tonton Aubin est retourné en France. Le même soir Mike
est passé à la maison. Il est venu nous dire au revoir. Ses parents et lui
retournent en Afrique du sud, leur pays d’origine. Il va beaucoup me manquer.
Emy avait raison. Je ne me marierai jamais avec Mike. Tom et moi restons donc
seuls dans notre modeste appartement de trois pièces à Marcory remblais. La
commune où nous avons déménagé après la mort de papa. Ce dernier nous avait laissé plein de dettes
que maman a dû rembourser. Je l’ai entendue le dire un jour au téléphone. Elle
a vendu notre grande maison de Marcory résidentiel, celle dans laquelle nous
vivions avant avec papa. Tout n’est plus pareil sans eux. Tom me chante
constamment que je suis un bébé et pourtant je sais très bien ce qui se passe.
Je suis consciente de notre situation actuelle. Je voudrais revenir en arrière
et dire à maman que je l’aime et que je regrette de lui avoir dit que je préfèrerais
que ce soit elle qui meure à la place de papa. Pardonne-moi maman. Dis-je en
fermant les yeux après avoir éteint la lumière de la chambre, celle que je
partageais avec maman.
Part I
Lili
J’attends Emy dans la cour du lycée. Son cours de Math se termine dans à peu près dix minutes. Moi j’ai fini plus tôt parce que le professeur avait une réunion. Malheureusement Emy et moi ne sommes pas dans la même classe comme c’était le cas à l’école primaire. Du coup nous avons des emplois du temps différents. C’est embêtant. Je fais la moue. Depuis le collège nous nous donnons à fond dans les études. Emy veut exercer le métier d’avocat plus tard et moi je veux être pédiatre. J’adore les enfants et ça me peine de savoir que beaucoup d’entre eux succombent à la maladie par faute de moyens financiers. Je voudrais pouvoir venir en aide à ces enfants, mettre en place une ONG qui les prenne en charge. Emy me traite de sentimentale confirmée. Selon elle, à mon jeune âge je devrais penser à m’éclater, faire la fête ainsi que tous les autres trucs que font les jeunes de mon âge. Elle me répète tout le temps que je devrais arrêter de m’en faire pour des choses qui me dépassent. Mais je ne suis pas d’accord avec elle. C’est vrai que je suis très jeune mais ça ne m’empêche pas de me préoccuper de plus jeunes que moi. Et surtout que les fêtes…eh bien c’est pas mon truc. Je préfère mille fois bouquiner. Je soupire. Ça fait dix ans que je n’ai aucune nouvelle de Mike. Il nous a certainement oubliés. Se souvient-il au moins de mon visage ? Pourquoi s’en souviendrait-il ? Je ne représentais rien pour lui alors… Je consulte ma montre. Bon sang, elle en a encore pour longtemps. Je décide d’aller m’assoir au préau.
- Salut Lili.
Il ne manquait plus que lui.
- Salut Roger. J’affiche un semblant de sourire.
- Tu attends ta copine ?
Il s’assoit sur le banc, près de moi. Je me pousse.
- Oui. Elle sera là d’une minute à l’autre.
- Ok. Dis, tu ne m’as toujours pas donné de réponse…
Je fais mine de réfléchir, feignant ne pas savoir de quoi il parle.
- Te moque pas de moi s’il te plait. Ça fait deux semaines que je t’ai déclaré mon amour et toi tu me fais tourner en bourrique.
- Ecoute Roger. Tu es un chic type, t’es gentil et t’es poli mais…
- Ne me rejette pas s’il te plait.
J’affaisse les épaules, excédée. Il me demande de lui donner une réponse. Maintenant que je veux la lui donner il essaie de m’en empêcher.
- Je ne ressens pas la même chose que toi Roger. Dis-je le plus gentiment possible. Si tout ce temps je t’ai évité c’est précisément pour ne pas te faire de la peine. Excuse-moi mais je ne suis pas amoureuse de toi.
- J’aimerais que tu y réfléchisses encore un peu.
- Roger…
- S’il te plait Liliane.
- D’accord.
Roger, l’air radieux me donne rapidement une bise sur la joue avant de s’échapper. Prise par surprise, je reste figée les yeux arrondis, la bouche ouverte.
- Lili ? La voix d’Emy me fait atterrir. Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Roger m’a donné un baiser sur la joue ?
- Et ? Tout le monde sait qu’il est fou de toi depuis le collège. Je me demandais s’il aurait un jour le courage de t’avouer ses sentiments.
- Mais il ne m’a pas demandé la permission.
- Allo Lili ! Emy balance la main devant mon visage. Ici 2019 tu me reçois ?
- Arrête ton sarcasme !
- Et toi arrête ce comportement de vierge effarouchée. Ce n’est qu’un bisou sur la joue. Rien de bien méchant. Si tu veux qu’il te laisse tranquille dis-lui une bonne fois pour toute que tu ne veux pas de lui.
- Je le lui ai dit.
- Alors c’est ok. On peut y aller maintenant ?
- En fait…
- Quoi encore. Dit-elle lasse
- Il m’a demandé de réfléchir encore et j’ai accepté de le faire.
Emy me regarde avec pitié. Je déteste quand elle fait ça.
- Ça t’arrive de dire non ? Tu ne pouvais juste pas rester ferme ? Surtout ne viens pas te plaindre après. Lève-toi, on s’en va.
- On n’attend pas Ricky ?
- Non. Il est déjà rentré. Il m’a envoyé un texto.
- Dak.
Sur le chemin de la maison, Emy me pose des questions au sujet de Tom. C’est étrange, depuis quand s’intéresse t-elle à lui ?
- Tu lui veux quoi à mon frangin ?
- Bah…rien. Juste savoir s’il va bien.
- Depuis quand te préoccupes tu de la santé de Tom ?
- C’est bon Lili. Laisse tomber.
Non. C’est trop facile. Il y a anguis sous roche. Je m’arrête et l’oblige à en faire de même.
- Tu craques pour Tom ?
- Quoi ? (Elle fuit mon regard) Non, tu es folle.
- Regarde-moi ! qu’est-ce qui se passe avec Tom ?
- Rien je te dis.
Elle reprend la route. Je la suis.
- Emy, tu sais bien que Tom est un enfoiré de première classe. Les filles, il en ramène une différente chaque week-end à la maison. Ce n’est pas un homme pour toi.
- Je sais tout ça…
- Dans ce cas pourquoi tu t’intéresses à lui.
- Je t’ai dit que ce n’était pas ce que tu penses. Crie-t-elle.
- Ok ok c’est bon. (je lève les mains) je ne dis plus rien mais je t’aurais prévenue Emy.
Nous marchons jusqu’à la maison. L’école n’est pas très loin alors nous n’avons pas besoin de prendre le bus. Emy me fait la bise avant de rentrer chez elle et moi je continue toute seule. Nous habitons toujours le même quartier, le même appartement. Rien n’a vraiment changé depuis la mort de maman à part que oncle Aubin nous a quitté il y a de cela cinq ans. Ça été un coup dur pour Tom et moi. Nous n’avions plus personne pour subvenir à nos besoins. Tom avait vingt-trois ans à l’époque et venait à peine d’avoir sa licence en informatique. Il a dû travailler comme gérant de cabine téléphonique en attendant de trouver mieux parce qu’il y avait les charges de la maison et bien sûr moi. Etonnant que cela puisse être, Tom s’est conduit en véritable aîné. Il m’a payé mes cours et mes fournitures scolaires. Même s’il me battait souvent, je dois reconnaître qu’il ne plaisantait pas quand il s’agissait d’école. Aujourd’hui, Tom est informaticien dans une petite boîte. Ça fait maintenant deux ans qu’il y travaille. Je ne sais pas combien il gagne mais vu la vie qu’il mène ce doit être une bonne petite somme. Malheureusement, il ne m’en fait pas profiter. A peine me donne-t-il de l’argent de poche. S’il n’y avait pas Emy et sa famille je crois qu’on me prendrait pour une folle. Mon placard est à moitié rempli grâce à tante Simone, la mère d’Emy. Chaque mois, elle me donne dix mille francs CFA pour que je puisse m’acheter des serviettes hygiéniques, de la crème pour le corps, du parfum enfin tout ce dont a besoin une jeune femme de mon âge. J’ai toujours les cheveux en vrac sur la tête…oui j’exagère un petit peu mais ça y ressemble. C’est du genre look afro, NAPPY. J’en prends soin et ça me va bien en plus. Maman me manque tellement. J’aurais dû chérir tous ces moments passés avec elle au lieu de lui faire la tête tout le temps. Voilà, même après dix ans je pleure la perte de maman. Cette douleur ne disparaîtra donc jamais ? J’essuie mes larmes une fois arrivée devant mon portail. Aujourd’hui est vendredi et comme à l’accoutumée Tom enverra une nouvelle fille à la maison. Je n’aurai pas le droit de sortir de ma chambre. Je dois donc m’arranger à préparer le dîner, manger, faire la vaisselle et monter dans ma chambre avant qu’il ne rentre.
- Lili, sors de ta chambre. Je suis rentré.
Je suis couché dans mon lit, sur le ventre, les pieds balançant en l’air. Je bouquine. Je ne peux rien faire d’autre. Je n’ai ni téléphone portable, ni ordinateur. Je me contente des seules choses que m’achètent Tom : Des bouquins. Je lui ai dit un jour que je voulais être pédiatre, depuis il m’offre des livres qui parlent de pédiatrie, de médecine, de maladies fréquentes chez les enfants et ça n’en finit pas.
- Tu es bouchée ou quoi ? Je t’ai dit de descendre.
Je l’entends hurler encore une fois. Mais que me veut-il ? J’ai dressé la table à manger, son repas est dans le micro-onde et il le sait. J’ai tout fait comme d’habitude. C’est quoi le problème ?
- Lili je te jure que si je te trouve dans ta chambre ça va barder.
Je soupire. Une vie de merde. Dis-je en descendant du lit. Moi qui pensais qu’avoir dix-huit ans changerait ma vie. Je regrette amèrement mon enfance et ma mère, surtout elle. Je sors de ma chambre la mine serrée. Je veux qu’il sache que je suis prête à lui tenir tête s’il le faut. Ça va certainement se terminer avec des coups. Et qui c’est qui les recevra ? Eh bien c’est moi. C’est notre quotidien. Tom me crie dessus, je réplique, il me frappe, je pleure puis je rentre me coucher.
- Ouais ! Qu’est-ce tu veux encore ? Demandai-je sèchement lorsque je le trouve au salon.
Ah tiens, il est seul aujourd’hui. Et bien c’est une première. Je crois qu’il va pleuvoir cette nuit.
- Je t’ai toujours dit de faire attention au ton que tu emploies avec moi.
- Tu veux quoi ?
Il me regarde et remue la tête.
- J’ai beau te corriger mais tu ne changes pas. T’es masochiste ou quoi ?
- Si t’as rien à me dire, je vais retourner dans ma chambre.
Sur ce je virevolte mais me cogne contre une masse imposante. Alors là très imposante. Tout d’un coup je ressens des sensations étranges. J’ai le cœur qui bat vite, très vite. Je me décide à relever la tête. Et c’est là que je vois cet homme. Je le reconnais tout de suite. Il n’a pas du tout changé.
- Alors Lili, tu ne vas pas m’embrasser ?
Fin du deuxième chapitre. Bizbi.