Chapitre 2 : Première journée

Ecrit par Chrime Kouemo

Prenant une noisette de lait capillaire dans le creux de sa main, Stella l’étala sur la belle chevelure  noire et ondulée d’Angela. La fillette était sagement assise sur la chaise devant la coiffeuse de sa chambre. 

— Ça y est ! J’ai fini, dit-elle d’un ton guilleret en déposant la brosse à dents souples sur la table. 

— Oh, je suis toute belle, s’extasia Angela un grand sourire dévoilant ses dents de lait, tout en tournant la tête de gauche à droite pour admirer ses deux couettes retenues à la racine et à l’extrémité par des élastiques roses à papillons 

Amusée, Stella réprima un sourire de la voir ainsi, si jeune, mais déjà si coquette. Elle lui rappelait tellement la petite fille qu’elle était au même âge. Angela n’était là que depuis quatre jours à peine, mais son humeur générale s’était déjà complètement améliorée. La tristesse de son regard avait laissé la place à une lueur gaie, et son quasi mutisme s’était atténué.

Le cœur de Stella se serra au souvenir de son récent séjour en France à Noël dernier. Elle avait trouvé une Angela totalement livrée à elle-même tandis que Victoria, sa mère, dépérissait à vue d'œil. Sa nièce passait une bonne partie de ses journées devant la télévision, pendant que sa mère restait cloîtrée dans sa chambre à fumer et à regarder des séries sur son smartphone.

Leur maison familiale jadis si bien entretenue, était devenue un bric-à-brac indescriptible. Les seules  pièces qui semblaient avoir été épargnées étaient sa chambre dont elle avait gardé une clé et celle de ses parents. Depuis sa dernière rupture amoureuse, sa grande sœur était méconnaissable. Elle était agressive, ne parvenait pas à garder un emploi plus de deux mois. A trente deux ans, Victoria vivait essentiellement d’allocations. Ses parents, après l’avoir menacée de la mettre à la porte s’étaient résolus à lui venir en aide et  lui envoyaient une pension pour lui permettre de subsister à ses besoins. Sur son insistance et celle de sa mère, sa sœur avait commencé à voir un psychologue, mais avait stoppé les consultations dès que Stella était retournée au Rwanda. Craignant que les services sociaux ne viennent s’emparer de sa petite nièce, elle avait proposé à Victoria de la prendre avec elle au Cameroun au moins jusqu’à la fin de l’année scolaire, le temps qu’elle remonte la pente. Lors de leur de leur échange, sa sœur lui avait semblé plus équilibrée, mais il était encore trop tôt pour se prononcer. 

— Mais bien sûr que tu es toute belle, assura t’elle, revenant à l’instant présent

Elle lui appliqua une bise sonore sur la joue. La fillette l’étreignit avec force et murmura dans son cou :

— Je suis contente d’être ici avec toi, tatie Stella. 

— Moi aussi mon ange, dit-elle la voix enrouée. Je suis très heureuse de t’avoir près de moi. 

Elle la serra un moment dans ses bras, puis se racla la gorge avant de reprendre :

— Viens, on va descendre prendre le petit déjeuner.


Dans la cuisine, sa mère les observait tandis qu’elles prenaient leur repas, des céréales au chocolat pour Angela, et des œufs brouillés accompagnés de pain complet pour elle. Sans même croiser son regard, elle savait que sa mère était fière d’elle. Elle n’avait pas arrêté de la remercier depuis deux jours pour ce qu’elle faisait pour la petite Angela. Mais pour Stella, ça coulait de source, elle l’aurait même fait plus tôt si elle avait su que la situation de Victoria était aussi catastrophique. Personne de leur famille ne s’en était vraiment rendue compte avant les dernières fêtes de fin d’année. Justine Njitoyap était occupée à veiller sur son mari, leur père, qui avait gardé d’importantes séquelles de son avc. Elle-même était prise par son travail au Rwanda. Pierre poursuivait son tour du monde, et était en Australie tandis que Ralph vivait au pays.


— Angela, fais un bisou à Mamie, c’est l’heure d’y aller, dit-elle en accrochant le petit sac à dos rose de la fillette sur son épaule. 

Angela bondit de sa chaise et courut embrasser sa grand-mère. Après avoir fait elle-même la bise à sa mère, elles sortirent de la maison. Le gardien leur sourit en ouvrant le grand portail de couleur noire. L’école n’était qu’à cinq minutes à pieds. Elles marchèrent en silence. Stella sentait la main de la petite fille agripper ses doigts de plus en plus fort. Elle savait qu’elle avait un peu peur. Mine de rien, c’était beaucoup de changements en à peine une semaine pour une si petite personne, même si elle y avait été préparée. Le portail de l’école maternelle privée Le Flamboyant était maintenant visible. Stella s’arrêta un instant et s’accroupit pour se mettre à la hauteur de sa nièce. 

— Ma puce, ça va aller, d’accord ? 

Angela hocha vigoureusement la tête, les lèvres tremblantes. 

— Tu verras, tout le monde sera gentil avec toi, la maîtresse, les petites camarades, essaya t’elle de la rassurer.

— Je veux rester avec toi Tata Stella, geignit la petite fille en passant ses menottes potelées autour de son cou en la serrant convulsivement. 

— Je sais, mon ange, moi aussi. Mais, je dois aller travailler. C’est Mamie qui viendra te chercher   Je ne rentrerai pas tard, promis. 

La fillette se calma progressivement, puis détacha ses mains de son cou. 

— Ce sera un peu différent que ton école en France, mais tu verras, tu t’y plairas. 

Main dans la main, elles pénétrèrent la grande cour bétonnée de l’école. Des enfants s’amusaient, se courant après, glissant sur le toboggan couleur vert pomme, jouant à la marelle. Stella se dirigea vers salle de classe de moyenne section, suivant les indications de la jeune femme au portail d’entrée. La maîtresse était déjà en place, préparant les activités de la journée. Stella se présenta, et elles discutèrent pendant quelques minutes. L’institutrice lui fit bonne impression et mit tout de suite Angela à l’aise. C’est donc le cœur léger qu’elle quitta l’établissement. 


Quand elle arriva au bureau vingt minutes plus tard, elle trouva sa nouvelle boss dans le petit réfectoire, en compagnie de Jean Pierre et Marcel, deux collègues qui lui avaient été présentés quelques jours avant. 

— Bonjour Maître, salua t’elle poliment 

— Bonjour Stella. On va laisser les fioritures de côté. Ici, tout le monde se fait appeler par son prénom et on se tutoie, lui dit-elle avec un sourire chaleureux. 

Elle acquiesça en lui souriant en retour et salua les deux autres.  

— Une tasse de café ? Proposa Jean Pierre

— Avec plaisir, merci

— Alors, quelles sont tes premières impressions du pays ? Lui demanda t’il en lui tendant une tasse remplie fumante. Roxanne m’a dit que tu vivais à l’étranger depuis près de vingt ans. 

— C’est vrai, mais je revenais régulièrement en vacances. Ce n’est pas donc comme si je découvrais tout. Je trouve cependant Yaoundé très animée, voire même bruyant, du peu que j’en ai vu depuis une semaine que je suis là. Les taxis sont très chaleureux, même si leur conduite approximative me fait un peu peur.

Ils s’esclaffèrent tous. 

— Tu trouves Yaoundé bruyant ? Tu habites quel quartier ? Demanda Marcel 

— Bastos, répondit-elle

— Bastos ! S’exclama t’il en écarquillant les yeux. Et tu te plains ? Il faudrait qu’à l’occasion un vendredi soir, on t’emmène boire un verre dans des coins vraiment bruyants. 

— Pardon, ne commencez pas à vouloir l’entraîner dans vos beuveries, intervint Roxanne en allant rincer sa tasse de café dans l’évier. On se donne rendez-vous dans dix minutes en salle de réunion pour le brief ? 

La boss sortie de la cafétéria, Stella resta encore échanger quelques banalités avec les autres avant de regagner son bureau à deux portes de celui de Roxanne. En prenant place à son siège, elle fit une brève prière à Dieu, le remerciant pour l’avoir placée où elle était. Elle sentait qu’elle allait adorer son nouveau travail et ses nouveaux collègues. 

***

Le brief terminé, Stella embarqua dans la voiture de Roxanne en direction du siège de Ngaleu Group, l’un des clients dont elle était en charge. Durant le trajet, Roxanne lui parla des activités du groupe, qui était un empire familial existant depuis près de vingt cinq ans. La société avait commencé ses activités par de la vente de provende, puis au fil des années s’était diversifiée en y greffant l’exploitation forestière, les cultures agricoles, le transport routier (et plus récemment la promotion immobilière). Le cabinet Wandji-Mandeng & Associés accompagnait le groupe Ngaleu presque depuis sa création pour différentes missions : le conseil, la fiscalité, la prospection de clientèle, l’établissement et le suivi des contrats.  Maître Joseph Wandji, le père de Roxanne, et René Ngaleu, fondateur de la société étaient des amis de longue date. Sa patronne avait hérité du porte feuille clientèle de son père lorsque ce dernier avait pris sa retraite. Du fait des activités croissantes et de l’augmentation conséquente du chiffre d’affaires du groupe ces cinq dernières années, Roxanne, qui s’était chargée seule du client depuis le départ de son père, avait grandement besoin d’un second. 

Stella était toute excitée au fur et à mesure de la presentation de son nouveau client. Les secteurs étaient vraiment divers et variés, ce qui représentait un véritable challenge pour elle. Ses précédentes missions à l’Ong étaient loin d’être aussi complexes et pratiquement sans aucune prise de risque. L’enrichissement y était beaucoup plus humain qu’autre chose. 

Tout en parlant, Roxanne maniait d’une main de maître le volant de sa Toyota Rav 4, évitant les taxis qui se garaient sans clignotant pour prendre des clients, s’arrêtant pour laisser les badauds traverser en dehors des clous, le tout dans un calme qui forçait l’admiration. Les quelques taxis qu’elle avait pris jusque là n’arrivaient pas à faire cent mètres sans invectiver quelqu’un à travers leurs vitres baissées. 

Quelques instants plus tard, Roxanne immobilisait son véhicule au quartier Ngousso, devant une grande clôture où était écrit en lettres dorées “Ngaleu Group”. Le gardien, la reconnaissant visiblement, la salua d’un signe de tête avant de lui ouvrir la barrière. 

La jeune femme poursuivit ses explications en manœuvrant pour se garer sur le parking :

— Ngaleu Group est géré par les enfants du fondateur depuis son décès. Ils sont trois.  C’est le fils, dernier enfant qui est PDG. C’est quelqu'un d’un peu spécial de prime abord. Il pourra même te sembler déluré, mais il ne faut pas se fier à ça. Il est extrêmement exigeant et rigoureux au travail. 

Stella hocha la tête avant d’ouvrir la portière.  Le bâtiment abritant le siège de l’entreprise était un immeuble de trois étages à la façade miroir un peu futuriste. Une grande sculpture de pierre,représentant le buste d’un homme et d’une femme face à face, se dressait à droite de l’entree principale. Elles traversèrent l’accueil où Roxanne n’eut pas non plus besoin de se présenter.

— Monsieur Ngaleu vous attend dans son bureau, dit l’assistante après les échanges de politesse d’usage. 

Elles se dirigèrent vers les escaliers aux murs d’un blanc immaculé pour se rendre au troisième et dernier étage. Roxanne frappa doucement à la porte. Une voix étouffée par l’épaisseur du bois de la porte, les invita à entrer. Sa patronne la dominant d’une bonne tête par sa grande taille accentuée par ses hauts talons, Stella ne vit pas tout de suite l’homme qu’elle devinait assis derrière son bureau. 

— Yo ! Roxy ! S’exclama soudain une voix qu’elle aurait reconnue entre mille 

Elle se figea sur place et son sang ne fit qu’un tour. Elle devait certainement rêver. 

— Yo ! Kamsi, entendit-elle  sa patronne répondre sur le même ton désinvolte.

— Comment va ? Tu es venue me présenter ta nouvelle collaboratrice ? Demanda Kamsi en contournant son bureau.

Les yeux écarquillés, elle le vit apparaître aux côtés de Roxanne, vêtu d’un costume bleu marine porté sur une chemise blanche dont les deux premiers boutons étaient ouverts, dégageant son cou. Il marqua un arrêt, inclina légèrement la tête avant de hausser un sourcil. Un sourire en coin se dessina progressivement sur ses lèvres tandis qu’il l’observait tranquillement. 

Stella n’en revenait pas. Le type qu’elle avait pris de haut deux jours plus tôt était son principal client dans son nouvel emploi ! Dieu n’aurait-il pas pu la punir autrement ? Son cœur continuait de tambouriner dans sa poitrine, sourd à ses tentatives pour baisser la pression en respirant calmement. Leur examen commun et silencieux dura un instant si bien qu’elle sentit le regard intrigué de Roxanne allant d’elle au jeune homme. 

— Vous vous connaissez ? Demanda t’elle en plissant les yeux. 

— Oui ! Acquiesça t’il, ses yeux marron clair toujours plongés dans les siens. 

— Ah bon ?! Et  vous vous êtes rencontrés où ? 

— Au mariage de mon cousin vendredi dernier, répondit encore Kamsi

Elle avait juste perdu sa langue. 

— Bonjour Stella ! Dit-il d’un ton gai 

Elle était horriblement embarrassée, mais elle ne pouvait pas rester là sans rien dire. Elle plaqua un sourire de connivence sur ses lèvres et répondit :

— Bonjour Kamsi. 

Elle lui tendit une main maladroite qu’il saisit, toujours sans la quitter du regard. Sa grande  main d’homme enveloppa la sienne, lui communiquant sa chaleur. De plus en plus gênée, elle baissa les yeux et détacha ses doigts. Saisissant le message, il lâcha enfin sa main. 

— Installez-vous, les pria t’il en désignant d’un geste la grande table ronde en bois rouge sur le côté de la pièce. 


— Je vais quand même finir les présentations, commença Roxanne une fois qu'ils furent tous les trois installés autour de la table. Stella Njitoyap est donc ma nouvelle recrue. Elle a un diplôme de juriste d’entreprise et elle prendra en charge une partie de nos missions actuelles avec le groupe. J’ai  également prévu de lui confier les contrats d’exploitation agricole avec les clients Chinois et elle travaillera aussi sur le projet de création de l’usine de transformation du lait. 

— Ok. Stella, j’aimerais que tu me racontes ton parcours professionnel, dit Kamsi après un moment de silence. 

Après un bref coup d’oeil jeté à Roxanne qui l’encouragea d’un mouvement discret de la tête, Stella prit une grande inspiration et se lança. 

**

*

Un coude posé sur la table et la main repliée sous le menton, Kamsi écoutait sagement Stella lui parler de son expérience professionnelle. Elle avait une voix chaude et veloutée qui lui rappelait la chanteuse Toni  Braxton. A son débit de paroles rapide, il devinait qu’elle était stressée. De temps à autre, il gribouillait des notes sur son carnet, mais c’était purement pour la forme, il était doté d’une mémoire extraordinaire. Il aurait pu l’écouter parler pendant des heures sans l’interrompre. Elle semblait compétente, appliquée, et sérieuse. Peut-être même un peu trop sérieuse, pensa t’il en se remémorant leur rencontre quelques jours plus tôt. Elle n’avait même pas souri à une de ses blagues.  

Finalement, la page de son fiasco de vendredi qu’il croyait être tournée ne l’était plus. Il aurait l’occasion de faire plus ample connaissance avec elle et de lancer l’offensive. Yvan lui conseillerait certainement de respecter le fait qu’elle soit déjà avec quelqu’un - Raphaël lui avait confirmé qu’elle était en couple quand ils s’étaient retrouvés en boîte de nuit. Mais, il n’avait jamais eu ce genre de scrupules. Quand il voulait quelque chose, il faisait tout pour l’obtenir. Ce n’était pas une relation, qui plus est à distance, qui allait l’arrêter. 

Stella avait fini sa présentation. Elle leva les yeux vers lui et il remarqua sa poitrine opulente s’abaisser tandis qu’elle expirait calmement. Il dut prendre sur lui pour ne pas laisser son regard traîner plus longtemps que nécessaire sur cette partie de son anatomie. Ses yeux remontèrent vers son visage aux joues rebondies et à son front altier dégagé par sa coiffure constituée d’un chignon strict. Sa peau semblait tellement veloutée que ça le démangeait d’y passer le revers de sa main. Quant à ses lèvres, pulpeuses, habillées d’un rouge à lèvres rouge mat, elles étaient à croquer.  

— Alors, Kamsi, qu’est ce que tu en penses ? Entendit-il Roxanne lui demander après un petit moment. 

Il s’était laissé aller à rêvasser un peu trop longtemps. 

— Tres intéressant. Je suis conquis, dit-il, choisissant délibérément un mot prêtant à interprétation. 

Une lueur d’exaspération brilla un instant dans ses yeux, puis elle retrouva une expression neutre. Il réprima un sourire. 

— Stella, nous avons une première réunion de travail ce jeudi avec la firme chinoise pour étudier les premieres propositions de contrats. Ma secrétaire t’enverra une invitation, annonça t’il en se levant de sa chaise. 

Les deux jeunes femmes firent de même. Il prit sur lui pour ne pas la reluquer de haut en bas. Il n’était pas question de l’effaroucher non plus. 

Un bref coup fut frappé à la porte, puis celle-ci s’ouvrit sur Alice, son assistante de direction. 

— Kamsi, ton rendez-vous de 10h30 est là. 

— Ok, fais-le patienter deux minutes s’il te plaît et tant qu’on y est, je te présente  Madame Stella Njitoyap , la nouvelle collaboratrice de Wandji et Associés. Il faudra lui envoyer  la convocation  pour la réunion de jeudi avec Tang Corporation

— Enchanté. Bien noté, je le fais de suite, répondit Alice avant de retourner à son bureau

Il se dirigea vers la porte, précédant Stella et Roxanne.

— Ravi de cette deuxième et imprévisible rencontre, dit-il en tendant de nouveau la main à Stella.

— Euh… Merci. Bonne journée, lui souhaita t’elle toujours avec ce sourire qui n’atteignait pas ses yeux

Il fit la bise à Roxanne, referma sa porte, avant de partir d’un grand éclat de rire. Il se frotta les mains en retournant s’asseoir à son bureau. Les prochains mois s’annonçaient excitants. Il allait prendre tous les prétextes  possibles et imaginables pour la faire bosser avec lui, et bien sûr la mettre dans son lit. Il était en manque de challenge de ce côté. Les femmes lui tombaient un peu trop facilement dans la main, si bien qu’il s’en lassait aussi vite. Mais avec Stella, il sentait qu’il allait devoir puiser dans ses souvenirs d’apprentissage de drague qui remontaient à bien loin maintenant. Yvan n’y croirait pas quand il lui raconterait ça en fin de journée après leur point hebdomadaire. Un léger grattement à la porte se fit entendre. Reprenant une posture professionnelle sur son siège, il invita son interlocuteur à entrer.

**

*

— Y’ a t’il quelque chose que je devrais savoir à propos de Kamsi et toi ? Demanda Roxanne, rompant le silence pesant qui s’était installé dans la voiture depuis leur départ des bureaux de Ngaleu Group.

Stella grimaça. Pour son premier jour de travail, on pouvait dire qu’elle avait réussi son entrée en matière. Comment aurait-elle pu s’imaginer que le beau-frère un peu fou de Ghislaine serait son principal client ? Elle n’ aimait pas son exubérance, et ses manières peu cavalières durant toute la soirée  avaient achevé de le cataloguer dans les personnes infréquentables. En général, elle portait rarement des jugements aussi hâtifs sur les gens.

Elle se racla la gorge avant d’avouer à Roxanne.

— Rien, à part le fait que je l’ai rembarré un peu sèchement à la soirée du mariage. J’espère qu’il ne m’en tiendra pas rigueur durant notre collaboration

— Non, rassure-toi, ce n’est pas son genre. Il est très professionnel. Par contre, c’est un coureur de jupons, un collectionneur de femmes. Je suis bien contente que tu ne sois pas tombée sous son charme. Ca aurait pu compliquer votre relation de travail.

Stella se retint d’ajouter qu’il n’y avait pas de risque de ce côté là. Même si elle avait été seule, elle ne se serait pas intéressée à lui. Kamsi était à des années lumière de ce qu’elle recherchait chez un homme.


Quand elle ouvrit la porte d’entrée de leur maison, Angela se jeta littéralement sur ses jambes, la faisant tanguer sur ses hauts talons. Elle se retint de justesse à la poignée de la porte. 

— Hé ! Ma puce, doucement s’exclama t’elle en riant. Ça va ? Tu as passé une bonne journée ? 

— Oui ! Maîtresse Judith est très gentille et je me suis fait plein de nouveaux amis. 

— Oh ! Je suis très contente pour toi. Dès que mon emploi de temps me le permettra, on les invitera ici pour un après-midi. 

— Tu ferais ça ? Demanda la petite fille en se reculant les yeux écarquillés d’incrédulité.

— Mais bien sûr que je le ferai. 

Elle la prit dans ses bras pour lui plaquer un bisou sonore sur la joue, puis la déposa.  En passant devant le séjour, elle vit son père, affalé sur le canapé, la télécommande à la main, somnolant. Son cœur se serra. L’homme vaillant qu’elle avait connu n’était plus depuis l’avc qui avait failli lui coûter la vie quatre ans plus tôt. . Il avait laissé la place à un homme diminué, presque incapable de se prendre en charge tout seul. Elle s’avança près de lui et se pencha pour lui faire la bise. Ils échangèrent quelques mots, puis il retourna à son émission télé. 


Affalée sur son lit après avoir couché Angela, Stella s’empara de son téléphone et lança un appel vidéo à Jonathan via WhatsApp.

— Alors, comment était cette première journée ? S’enquit-il après avoir décroché dès la première sonnerie ? 

— Tres intéressante, j’ai rencontré mon principal client. La mission est encore mieux que ce à quoi je m’attendais 

— Je suis heureux pour toi, même si ça signifie pour nous qu’on ne sera pas réunis aussi vite que je le souhaite. 

Elle lui fit un sourire contrit. Quand elle avait passé son premier entretien en visioconférence avec Roxanne, elle était tellement persuadée qu’elle n’aurait pas le poste, qu’elle l’avait rassuré en lui disant qu’elle le faisait juste parce que Véronique avait insisté et l’avait chaudement recommandée. L’entretien s’était bien passé, la fiche de poste lui avait plu, mais il y avait plusieurs personnes en lice et elle ne pensait pas être retenue. Puis, lorsqu’elle avait eu la proposition d’embauche, il s’était sincèrement réjoui pour elle. Ils n’avaient donc jamais vraiment réfléchi à la poursuite de leur relation avec la distance. 

— On trouvera une solution, le rassura t’elle positive. Le Rwanda n’est pas si loin du Cameroun.  On se rendra visite le temps de voir venir

— Oui, tu as raison

Un sourire doux étira ses lèvres. Jonathan était un homme calme, posé et très prévenant. Il était le premier homme avec qui elle sortait depuis Jérémie. 

Jéremie… Elle n’avait pas voulu se l’avouer dans un premier temps, mais sa relation avec le violeur de sa meilleure amie l’avait marquée à vif. Elle s’était sentie avilie, souillée. Elle s’en était voulu d’être tombée amoureuse de celui qui avait failli briser la vie d’Olivia. Le pire avait été quand elle avait réalisé que malgré tout il lui lui manquait alors même qu’elle savait ce qu’il avait fait. Son estime d’elle même s’était réduite à peau de chagrin. 

Comment pouvait-elle se souvenir avec nostalgie des moments passés avec lui après tout ça ? Était-elle normale ? Elle avait été à deux doigts de sombrer à nouveau dans la dépression, parce qu’elle avait honte de parler de toutes ces émotions qui s’emparaient d’elle. Elle en avait réchappé grâce à Véronique Ando qui l’avait contactée alors qu’elle était en séjour à Lille pour un check-up après son opération. Ses prières n’avaient plus d’effets. Elle ne se rappelait même plus comment, mais elle s’était retrouvée à lui raconter son histoire. Véronique lui avait conseillé de se faire prendre en charge par un psychologue.  Grâce à la thérapie, elle s’était réconciliée avec elle-même et avait pu renouer de vrais rapports avec Olivia, sans faux semblant. 

Chassant ses vieux souvenirs, elle poursuivit sa discussion jusque très tard avec Jonathan, parlant de tout et de rien. 


**

*

— Hé Yvan ! Tu ne vas pas me croire, mais Stella va travailler pour moi, lança Kamsi alors qu’ils regagnaient son bureau après leur point hebdomadaire avec le comité de direction. 

— Quelle Stella ? La sœur de Raphael ? Demanda t’il en allant se servir une rasade de whisky dans le mini bar installé dans un coin de la pièce. 

— Bien sûr ! Qui veux tu que ce soit d’autre ? 

— Hum… Vu comment tu fanfaronnes, j’ai l’impression que tu vas relancer l’offensive.

— Et comment ! 

Le sourire jusqu'aux oreilles, Kamsi lui tendit son verre pour qu’il le remplisse. Yvan soupira. 

— Kamsi, tu ne veux pas laisser cette jeune demoiselle tranquille ? Son frère t’a dit qu’elle était avec quelqu'un non ? 

— Et ça empêche quoi ? 

— Probablement rien, mais tu devrais le respecter. Et surtout, pourquoi te donnes tu tant de mal alors que tu ne cherches qu’à t’amuser ? Ce ne sont pas les ngas dehors qui manquent !

— Aka ! Yvan, pourquoi est-ce que tu joues les moralisateurs aujourd'hui ? 

— Parce que contrairement à tes ngas habituelles, Stella ne semble pas être une tête brûlée. Elle a l’air sérieuse. 

Kamsi s’enfonça dans son fauteuil et sirota son verre de scotch avant de poursuivre. 

— Tu n’en sais rien. Tu l’as vue juste une fois

— Et alors ? Il y a des choses qu’on sent toute de suite chez une personne.

— En tout cas, ma collaboration avec Mademoiselle Njitoyap s’annonce palpitante, conclut-il souriant, sourd au discours de son ami. 

Yvan fronça les sourcils. 

— Njitoyap ? C’est son nom de famille ?

— Oui… pourquoi ? 

— Elle est peut-être apparentée à Daniel et Ralph Njitoyap ? 

Ce fut à son tour se froncer les sourcils. 

— Peut-être pas. C’est un nom courant chez les Bamoun, il me semble …

— Je n’en sais rien.

Kamsi garda le silence un instant, essayant de rassembler le peu d’informations dont il disposait sur la jeune femme.

— Je sais que Ralph a vécu une partie de son adolescence en France avec ses frères et sœur. 

— Stella aussi,  renchérit-il. 

C’était pour ça qu’elle whitisait quand elle parlait. Il fallait qu’il en ait le cœur net. 

— Je vais faire une recherche sur Facebook, ajouta t’il en déverrouillant son téléphone posé sur la table. 

Les promesses du des...