CHAPITRE 20

Ecrit par Maylyn

Les mois qui suivirent furent parmi les plus difficiles mais aussi les plus beaux de ma vie. Et je pense que ce fut pareil pour Yélen. Contrairement à ce qu’on voyait dans les films, une personne qui sortait d’un coma profond ne se rétablissait pas en un jour. Rien que pour qu’elle arrive à se nourrir correctement sans la sonde, il lui fallut environs deux semaines. Les premiers jours, nous étions tellement euphoriques qu’elle ait repris conscience que nous ne mesurions pas vraiment l’étendue de la tâche, surtout pour elle. Mais comme nous le rassura le Docteur Palmer, elle était jeune, robuste malgré son air fragile et sans antécédents médicaux graves. Si on ajoutait à cela son courage, sa volonté de lionne et son esprit indépendant, nous étions certains de la voir sur pieds dans un avenir proche. A notre grand dam, ce fut plus facile à dire qu’à faire. Ses fonctions cognitives ayant été légèrement atteintes par son traumatisme crânien, elle eut des soucis au niveau du langage et de la mémoire. Les premières semaines, elle ne put prononcer un seul mot donc Maman eut l’ingénieuse idée trois jours après son réveil de lui acheter une ardoise sur laquelle elle retranscrivait tout ce qu’elle essayait de nous dire avec quelques mots. Par exemple, la première fois qu’elle eut l’ardoise entre les mains, elle me fixa du regard puis écrivit « pari ». Mes parents, son père biologique et moi éclatâmes de rire. Je lui répondis :

-Oui Mon Cœur, tu as parfaitement raison ! Tu as gagné le pari ! Nous avons une petite fille !

Elle écrivit ensuite « Nielini Cécile ? »

-Effectivement, elle a les prénoms de nos mères comme prévu !

Elle prit un air concentré, les sourcils froncés pour écrire encore « sentir présence poitrine ».

-C’est vrai ? Tu l’as ressenti ? Au début, je la mettais sur toi pour que vous fassiez connaissance. Mais ensuite, je le faisais parce que chaque fois qu’elle était grincheuse et que je la posais sur toi, ça la calmait immédiatement.

Elle me regarda, les yeux pétillants puis nota « normal moi Mamoune ».

La chambre résonna de nos rires durant un bon moment. Puis, elle demanda à la voir.

-Je te l’amènerai demain ok ?

Instinctivement, elle cligna une fois des yeux pour me donner son accord.

Le lendemain, la mère et la fille purent enfin se regarder droit dans les yeux. Cette scène resta à jamais gravée dans ma mémoire. Yélen, étant encore faible, ne pouvait pas la tenir dans ses bras. Donc je m’assis sur le lit, Nielini sur mes pieds. Toutes les deux se jaugèrent durant un moment. Ensuite, Yélen souleva lentement son bras et donna de légères caresses sur le visage de sa fille. Celle-ci, qui apparemment semblait apprécier, se mit à gazouiller et tendit sa petite main pour attraper l’un des doigts de sa mère dans l’intention évidente de le mettre dans la bouche. J’entendis comme un gloussement. Je levai alors les yeux vers ma fiancée et eut l’agréable surprise de la voir sourire, les yeux emplis de larmes. J’eus l’intime conviction à ce moment-là que nous surmonterions cette nouvelle épreuve.

***

L’ambiance festive qui régnait dans cette magnifique salle décorée dans les tons vert anis, mauve et blanc déteignait même sur Tata Monique. Avec ses sœurs et certains invités, elle se trémoussait sur le dernier tube de Serge Beynaud pendant que son pauvre mari, assis à l’une des nombreuses tables rondes disposées ça et là, semblait sur le point de s’endormir. Je me tournai vers Yélen assise près de moi et nous nous mîmes à rire. Notre mariage était une réussite !

Après presque deux ans de rééducation, ma Sun était enfin de retour ! Il lui avait fallu beaucoup de temps pour qu’elle retrouve toutes ses facultés. Concernant l’usage de ses membres, les massages que je lui avais prodigués avec la complicité du kiné durant son coma contribuèrent à son rétablissement. Quant à sa mémoire et son élocution, au fil des mois, tout s’arrangea. Ce fut lent et fastidieux mais grâce à l’aide du personnel hospitalier, nous y étions parvenus. ELLE y était parvenue ! Il lui arrivait encore parfois de ne pas retenir le nom d’une personne qu’elle connaissait à peine ou d’oublier de faire des choses prévues à l’avance. Mais en la regardant aujourd’hui, radieuse dans sa longue robe « Vintage » blanche en dentelle et soie qui dessinait ses formes, je pouvais affirmer que le plus dur était enfin derrière nous.

Dès qu’elle se sentit assez forte pour le faire, avec l’aide de Zeinah qui lui trouva une organisatrice renommée et de Maman qui veilla scrupuleusement à ce que les désirs de sa fille-et bientôt belle-fille –soient respectés, elle se chargea des préparatifs de notre mariage. Annoncer notre union aux membres de notre famille fut moins difficile que nous ne l’avions pensé. Quand nous eûmes Mémé Mado au téléphone, elle fut plus ravie qu’étonnée. Avec sa morgue habituelle, elle nous dit :

-Vous savez mes enfants, avec cette famille, plus rien ne m’étonne ! Les jumelles sortent depuis peu avec des jumeaux de 25 ans tatoués et percés de partout, votre tante Michelle est enceinte de triplés et on vient d’apprendre que votre oncle Sylvain a eu un enfant avec une polonaise ! Alors, vous comprendrez que cette annonce vous concernant ne me surprend qu’à moitié n’est-ce pas ? Vous avez ma bénédiction !

D’un commun accord, nous avions pris la décision de nous marier à Abidjan en compagnie de la famille et des amis proches. Heureusement d’ailleurs parce que nous qui espérions être en petit comité, en faisant la liste des invités, nous avions réalisé qu’ils atteignaient presque le nombre de deux cents. Bien sûr, Zeinah, son mari, leurs deux enfants, Andrew et Tracy en furent partie. Celle-ci était justement en train de se faire draguer par mon incorrigible Don Juan d’oncle Sylvain sous les regards assassins de son Italienne qui écoutait distraitement les piaillements de l’une des « Happy Twins ».

-Tu crois que je devrais intervenir avant que Tante Giulia n’étripe ton agent ?

-Humm…Non laisse-les ! Ce serait amusant de voir une américaine et une italienne en train de se disputer non ? Et ce ne serait qu’un énième scandale à une fête de la famille Moulot.

Après un petit rire, je lui répondis :

-Tu as parfaitement raison Chérie!

Je cherchai du regard la nounou de notre fille.

-Tu saurais où sont passées Anne et Lily ?

-Oui Maman a demandé à Monsieur Koné de les ramener à la maison. Après cette journée pleine en émotions, notre petite demoiselle d’honneur préférée dormait à poings fermés. Pourquoi ?

-Oh je voulais juste lui faire un câlin avant notre départ. Mais ce n’est pas grave. Nous la verrons demain avant notre départ pour Assinie. Bon, je crois qu’il est plus que temps pour nous de nous en aller non ? J’ai de très grands projets pour vous cette nuit Madame Aka, lui susurrai-je à l’oreille.

-Et moi j’en ai de plus grands encore pour vous au cours des deux semaines à venir Monsieur Aka ! D’ailleurs, vous auriez un avant-goût si vous vérifiez la poche droite de votre pantalon. Ajouta-t-elle mystérieuse.

Curieux, j’y plongeai ma main et sentis un objet qui semblait être en dentelle. Comprenant brusquement, j’ouvris de grands yeux. Elle se pencha alors vers moi et me susurra à l’oreille :

-Si on y va maintenant, peut-être qu’à défaut de m’enlever ma culotte, tu pourrais m’aider à retirer ma jarretière.

En un instant, je fus debout, hélant un serveur pour qu’il dise au maître de cérémonie d’annoncer notre départ. Je sentais que notre lune de miel à Assinie serait pleine de surprises.

***

Le rire et les applaudissements de ma compagne du jour me tirent de mes souvenirs. Perplexe, je lui demande :

-Que me valent ces applaudissements ?

-Oh non ce n’est pas vous que je félicite ! C’est plutôt Yélen ! Elle s’y est prise comme une pro pour vous avoir ! Franchement, je l’admire !

-Comment ça ?

-Mais oui ! Kady ne lui arrive pas à la cheville en matière de manipulations ! La pauvre ne le savait pas mais le combat était perdu d’avance !

-Ah bon ? Et pouvez-vous éclairer ma lanterne s’il vous plaît Madame Je-sais-tout ?

-Avec plaisir ! Kady et Yélen étaient deux belles jeunes femmes pourries gâtées par leurs familles et qui avaient l’habitude d’obtenir tout ce qu’elles voulaient en un claquement de doigts. Elles étaient sûres d’elles, malignes et savaient ce qu’elles voulaient. Mais là où il y avait une différence, c’était la manière dont elles s’y prenaient : Kady était spontanée, brusque et certainement trop centrée sur elle-même pour arriver à voir l’effet que ses gaffes produisaient autour d’elle. Elle était tellement égocentrique et narcissique qu’elle se foutait pas mal des conséquences de ses actes sur son entourage. Et malheureusement pour elle, elle faisait pareil avec vous. Elle pensait que seul son physique arriverait à vous retenir auprès d’elle malgré cela.

-Hummm…Continuez.

-Ah ah donc vous êtes intéressé par l’analyse de Madame Je-sais-tout hein ?

Devant mon air exaspéré :

-Ok ok ! Yélen par contre, peut-être parce qu’elle savait ce que c’était de perdre ses proches, était plus subtile et prudente. Elle a su se faire aimer de tous dès son arrivée chez vous. Elle se montrait câline, drôle et serviable. Elle avait vite compris que les cajoleries et ses sourires malicieux marchaient mieux que les jérémiades et les cris. Et avec vous, ce fut du gâteau : elle a su s’accaparer complètement votre attention et ce même lorsque vous étiez à des kilomètres d’elle. Elle a su vous faire croire que ses appels lui étaient indispensables alors qu’en fait, c’est VOUS qui les attendiez toujours avec impatience, et ce, même au détriment de votre relation avec Kady. Celle-ci avait sans doute inconsciemment compris le manège de la petite et c’est la raison pour laquelle elle ne l’a pas apprécié depuis le début.

-Vous insinuez donc que Yélen n’était qu’une manipulatrice sans vergogne, c’est cela ?

-Non, bien sûr que non ! Elle vous aimait sûrement d’un amour pur vos parents et vous ! D’après ce que vous m’avez raconté, elle paraissait être une belle personne aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur ! Je dis seulement que certainement la peur de tous vous perdre la faisait agir d’une manière qui frisait la manipulation, surtout quand il s’agit de vous en particulier ! Elle vous voulait et elle vous a eu ! Vous étiez son héros depuis l’enfance parce que vous les aviez sauvées ses compagnes et elle cette nuit-là au Plateau et comme vous le savez, toute petite fille rêve d’épouser son héros ! Pour elle, vous étiez l’homme parfait ! Aucun de ses petits amis ne vous arrivait à la cheville ! Et cette admiration sans borne s’est évidemment transformée en un amour inconditionnel au fur et à mesure qu’elle grandissait. Alors, elle a utilisé la meilleure alliée de la femme : la subtilité ! Car, croyez-moi Pierre-Marie, quand nous en usons nous autres, espèce du sexe faible, nous sommes redoutables !

Elle s’esclaffe à la suite de sa tirade.

-C’est cela que je saluais en applaudissant. Yélen a été trop forte ! Elle a su mettre kady K.O progressivement : elle savait comment la titiller pour la mettre en rogne et bien sûr, vous preniez sa défense à chaque fois, ce qui exaspérait encore plus Kady qui elle, sous l’effet de la colère ne faisait que des faux pas pour aggraver son cas ! Je vous concède qu’elle n’avait pas vu venir le coup du père biologique ni l’annonce de la grossesse aux parents mais son arrivée aux USA a sans doute été savamment orchestrée ! Ah ça oui alors ! Ajouta-t-elle un gloussement dans la voix. Même son amitié avec Andy était calculée au début !

-Vous croyez ?

-Mais oui ! Sinon, pourquoi vous aurait-elle caché son orientation sexuelle aussi longtemps par exemple ?

-Euh…Peut-être par loyauté envers son ami qui lui avait demandé de garder le secret non ? Renchéris-je un brin sarcastique.

-Mon œil ouais ! Elle avait très bien compris que vous étiez jaloux ! Je suppose qu’elle se disait que peut-être ainsi vous vous rendriez compte des vrais sentiments que vous éprouviez à son égard ! Mais quand elle a constaté que vous ne vous décidiez toujours pas à l’admettre, elle a pris les devants en vous avouant les siens !

-Si elle était amoureuse de moi depuis des années, pourquoi ne me l’a-t-elle pas dit plus tôt ?

-C’est simple : elle était trop jeune ! Elle vous connaissait et savait bien que si elle vous avait parlé de ses sentiments à l’adolescence, vous ne l’auriez jamais accepté ! Mais elle avait certainement bien remarqué que sous vos airs de grand-frère protecteur qui ne veut pas qu’un ado boutonneux s’approche de sa « petite-sœur Chérie », il y avait un peu plus…

-Oh ça va ! Vous m’avez assez rabâché les oreilles avec votre psychologie de comptoir !

Je me lève de et je m’écrie en commençant à m’éloigner à grands pas:

-Il est plus de 14h et moi j’ai faim ! Alors si vous voulez que je continue mon histoire, vous pouvez me suivre sinon bye !

Se précipitant pour me rattraper, elle s’exclame :

-Eh attendez-moi ! C’est vous qui m’avez demandé de préciser ma pensée non ? Oh quelle petite nature ! Avec un caractère tel que le vôtre, je me demande comment Yélen a pu vous supporter !

Offusqué, je m’arrête brusquement pour me tourner vers elle, prêt à lui asséner une réplique cinglante. Et là, je m’aperçois qu’elle sourit. Elle est presqu’aussi adorablement exaspérante que Ma...Elle me devance en disant :

-Alors vous venez oui ou non ? Je meurs de faim moi !

Son rire est un enchantement à mes oreilles.

Quinze minutes plus tard, nous sommes assis dans le restaurant du complexe hôtelier, des boissons rafraîchissantes devant nous, attendant que nos commandes de grillades soient prêtes.

-Dites donc, vous êtes un privilégié ici non ? Tout le monde est à vos petits soins !

-Normal, je suis l’un de leurs meilleurs clients. Cela fait des années que je viens ici.

-Ah oui c’est vrai ! Votre fameuse…tradition ! Attendez, c’est ici que vous étiez venus pour votre lune miel c’est ça ?

-Je vois que malgré votre manie de m’interrompre à tout bout de champ, vous me suivez !

-Mais si vous formiez une famille si heureuse tous les trois, comment se fait-il que vous vous retrouviez seul dans ce lieu paradisiaque aujourd’hui ?

-Il est vrai que les cinq années qui suivirent furent idylliques. Mais nous apprîmes ensuite à nos dépens que le bonheur parfait était parfois annonciateur d’un grand malheur…

YELE, Lumière de ma...