Chapitre 20

Ecrit par leilaji

LOVE SONG

Tome II

(Suite de Xander et Leila + Love Song)


GABRIEL


Episode 20


Dans la partie reality show, les spectateurs peuvent observer les candidats évoluer dans le Taj et s’attacher encore un peu plus à eux. Les voir manger, rire,  pleurer, se disputer  les fait paraitre aussi humain que possible, donc proches des téléspectateurs. Les fans s’identifient à leur idole et votent massivement une fois le concours du samedi lancé.  Un vote massif et répété, c’est tout ce que je souhaite pour rentrer dans mes frais. Car même si la chaine de télévision nationale a acheté le concept pour le diffuser les samedis, il faut encore que je puisse me payer après avoir payé tout le staff.


Des écrans ont été placés dans chaque pièce. Les fans peuvent y faire défiler des SMS d’encouragement qui seront lus à n’importe quel moment par les différents candidats. Malheureusement, on peut parfois aussi y lire des insultes et moqueries que les candidats doivent gérer du mieux qu’ils peuvent. En réalité, plus les téléspectateurs voient à quel point leur méchants commentaires plombent le moral d’un des candidats, plus ça leur donne l’envie d’être encore plus méchants dans les prochains. Je prépare mes poulains au monde du show biz où les artistes sont plus des marchandises à consommer que des pourvoyeurs d’émotions. Les succès sont aussi fulgurants que les critiques peuvent être vives et blessantes. Si on n’apprend pas à se détacher des avis blessants, on sort de ce monde complètement déglingué. 


C’est facile à concevoir mais le vivre au quotidien, ça use même le plus fort des égos.  


Chaque participant peaufine sa chorégraphie une toute dernière fois avant les quarts de final. Lola et Prince sont toujours en jeu. C’est une bonne chose, car à eux deux, ils attirent l’attention des jeunes filles âgées de 15 à 25 ans qui les croient en couple et votent pour l’un ou l’autre à chaque tour. Il est clair que leur alchimie sur scène y est pour beaucoup. On en a surjoué avec le réalisateur. Mais je dois admettre que c’est difficile de voir à l’écran, la femme qu’on aime comme un fou dans les bras d’un autre. Je me demande comment font les maris des actrices connues. 

On peut simuler une passion. Néanmoins je suis convaincu qu’à force de la simuler, le cerveau finit par croire qu’elle est vraie. Ce qui me dérange, c’est que je ne sais plus où se trouve la limite entre les droits du producteur et ceux du petit ami. Je ne sais plus à quel moment je dois utiliser Lola pour mon show et à quel moment je dois la protéger parce que je l’aime. 


*

**


Prince passe avec la chanson intitulée Elele d’Emma Nyra et Davido.  Il est prévu qu’il chante directement la partie de Davido. Je ne comprends pas son choix. Il s’en sort beaucoup mieux avec des classiques français mais je suppose qu’il a voulu relever le défi lancé par le jury qui le trouve un peu trop cantonné au même style. Il faut qu’il surprenne son public et prouve qu’il est un artiste complet. La chanson choisie est dansante et bouger en rythme n’est pas vraiment sa tasse de thé. Il semble mal à l’aise et le jury le remarquera. 


— Bonsoir Prince, nous sommes ravis de t’avoir sur le plateau aujourd’hui. Que nous proposes-tu ? 

— Elele d’Emma Nyra et Davido.

— Vous allez passer avec des danseurs ou pas ? 

— Non, tout seul, répond il en rigolant nerveusement. 

— Pourquoi avoir choisi ce morceau ? 

— Pour relever le défi qui m’a été lancé et gagner des points. A ce stade de la compétition, chaque point compte.   

— Ok. A vous de jouer alors…


Le début de sa prestation est en dessous de ce qu’il a l’habitude d’offrir au public. Il est raide et son sourire habituellement si charmant semble figé. Puis il a la magnifique idée de regarder Lola quand il chante, de sorte que le public croit qu’il s’adresse à elle. Pendant quelques secondes, les acclamations se font plus intenses pour encourager Lola à se lever. Elle est assise avec les autres  concurrents à la gauche de la scène. Tout le monde aime la voir danser. Qu’importe le rythme ou le style, elle ne manque jamais son coup. C’est naturel chez elle et l’un de ses indéniables points forts. Il n’a fallu qu’une seconde d’hésitation à Lola pour quitter son siège de concurrente et danser sous l’acclamation des fans du couple. Je dois avouer que les petites mimiques qu’elle lui fait, accompagnées de pas « d’azonto » sont vraiment parfaites.


— Baby girl it’s me and you, and we go stick. Dem go take am one by one… continue de chanter Prince. 


Il finit sa chanson sur une petite chorégraphie de pas chassés sur le dernier couplet. Malgré la prestation en demi-teinte de Prince, le public l’applaudit. Après tout, c’est le parfait chevalier servant. Il lui est déjà arrivé de se disputer avec un candidat mais il est toujours le premier à présenter ses excuses même s’il n’avait pas tort. Il passe son temps à défendre Lola quand elle est bêtement attaquée par les autres concurrents. Le dernier épisode a d’ailleurs failli enflammer le nombre de commentaires de la page Facebook de l’émission. 


On pouvait voir à l’écran, Lola quitter le dortoir des filles après une énième dispute pour se rendre en salle de danse et répéter la chorégraphie de sa prochaine chanson jusqu’à épuisement. Prince l’y a rejointe et l’a consolée lorsqu’il l’a trouvée en pleurs, couchée sur le plancher ciré.  Ils se sont mis à chuchoter et au final, il l’a prise dans ses bras en la berçant doucement. Mais on a tout de même retranscrit leur conversation en sous titre. 


— J’ai vraiment envie de quitter l’émission pour être aux chevets de mon père. Ca n’a pas de sens de rester là à chanter et danser alors qu’il est vraiment mal en point. Je n’arrive pas à dormir, a-t-elle dit. Les autres pensent que j’essaie d’attirer la pitié du public mais c’est faux. J’ai vraiment envie de partir.

— Alors pourquoi tu ne le fais pas ? 

— C’est mon père qui me l’a interdit. Il a dit que j’ai de bonnes chances de gagner. Que je sois à son chevet ou pas, ne change rien à sa santé alors que si je gagne, ça changera mon destin. 

— Je peux comprendre pourquoi il dit ça. C’est ton père et il veut ce qu’il y a de mieux pour toi. Tu as de la chance de l’avoir encore dans ta vie. 

— Je sais, a-t-elle dit en se mouchant bruyamment. 

— Ouh làààà. Pas de morve s’il te plait ! 

— Tais-toi idiot ! 

— Bon, restons sérieux alors. Quelle chanson tu as choisi pour ton prochain passage ? 

— Je n’en sais rien encore. Mais il faut aussi que je relève le défi et que je chante quelque chose de doux où je n’ai pas besoin de danser. Sinon je ne gagnerai pas de points. J’ai une petite idée de ce que ce sera mais j’ai peur de me lancer là dedans. En plus il faudra que mon partenaire de danse soit au point, sinon ça va être une catastrophe. 

— Pour moi c’est tout le contraire que je dois faire. Je dois bouger mes 80 kilos de muscles et j’ai horreur de danser. 

— Vantard ! Toi là tu as 80 kilos de muscles ? Un gringalet comme toi ! 

— Tu ne sais pas que ce sont les gringalets qui font les meilleurs maris ? 

— N’importe quoi ! Bon, pour ton passage, t’as qu’à prendre une chanson nigé (prononcer naidjé) dont les paroles te donnent envie de danser. 

— Je n’aime pas danser… Tu n’as pas vu que le prof de danse me déteste ? 

— Il te déteste parce que tu es plus charismatique que lui. Crois-moi. 

— Hum. Un compliment de Lola. Je peux donc mourir cette nuit.

— Allez viens, je vais t’apprendre quelques pas. 

— Attends. 


Elle s’est levée, il l’a serrée très fort dans ses bras puis elle a mis une chanson nigériane populaire pour lui montrer comment bouger les épaules en rythme avec les pieds. Après une trentaine de minutes d’essai, il a été satisfait de ce qu’il a pu faire et l’a prise dans ses bras une seconde fois pour la remercier. Ils sont restés quelques secondes de trop à mon gout puis sont sortis de la salle de danse. Ce passage retransmis sur notre chaine youtube a été vu plus de 500 000 fois. Ce qui est assez énorme pour une émission de télé panafricaine. 


Et c’est maintenant au jury de commenter la prestation de Prince pendant que les téléspectateurs votent. 


— Alors Prince… Comment dire ? Ta prestation manquait un peu de punch. Et je sais à quel point le public aime te voir avec Lola mais je crois que cette fois ci, elle n’a pas réussi à gommer ton malaise. 

— Oui c’est vrai, j’aime particulièrement chanter mais danser en même temps c’est très difficile pour moi. 

— D’accord, merci d’avoir été franc. 

— Pensez-vous mériter la demi-finale ? 

— Il me semble que c’est à vous, aux autres concurrents et au public de le dire…

— D’accord. Merci pour votre passage. 


A la toute fin de l’émission Prince s’est vu notifier son élimination sous les yeux ébahi du public et les yeux pleins de larmes de Lola. Evidemment le vote des autres concurrents y a été pour beaucoup. Lola et Prince faisant partis des favoris, les laisser continuer à deux n’était pas stratégique.  


*

**


Une semaine plus tard.


J’ai pu contacter le médecin traitant du père de Lola afin d’en savoir un peu plus sur sa situation. J’ai demandé à régler la somme convenue pour son évacuation en Afrique du Sud et j’ai été très surpris d’apprendre que tout était déjà pris en charge. A cause du secret médical, je n’ai pas pu savoir qui l’avait fait. Je n’ai pas pu trouver le moyen de lui parler seul à seul pour qu’elle m’explique d’où sort cette somme. 

Lorsque la nouvelle de son père malade s’est répandue, il y a eu comme une petite accalmie concernant les messages méchants. Et elle a retrouvé un peu de sérénité pour se concentrer sur la compétition. Etant donné le manque de contrôle qu’elle a sur ses émotions quand elle chante une chanson douce, j’ai peur qu’elle ne puisse pas faire face à l’émoi du public. Mais elle s’est entrainée très dur avec le coach pour chanter et danser en même temps alors j’espère de tout cœur que tout se passera bien pour elle. 

C’est le dernier quart de final. 


— Bonsoir Lola… salue le membre du jury réputé pour son jugement sévère.

— Bonsoir.

— Alors, que nous proposes-tu aujourd’hui ?

— Je vais tenter de relever le défi lancé lors de la dernière émission et prouver que je peux chanter autre chose que des chansons dansantes puisque c’est le reproche que vous me faites. 

— Ahhh. Je suis ravie de voir ce que ça va donner. Les autres candidats s’en sont bien sortis lors des précédentes émissions en choisissant un répertoire varié. Mais toi non. C’est toujours du RnB. Peut-être pourrons retrouver l’émotion transmise lors des sélections et que je n’ai pas encore pu voir lors de tes prestations dans l’émission. Je trouve que tu as une voix et une force d’interprétation extraordinaire et que c’est vraiment dommage que tu choisisses à chaque fois quelque chose de dansant. Je voudrais du frisson.

— Ok. 

— Bon, cela étant dit, peux-tu nous donner le titre de la chanson ?

— Thinking out loud de Ed Sheeran.

— Encore américain ? Ok. J’ai hâte. Mais je préfère te dire d’avance, je vais être très sévère avec toi si ce n’est pas ce à quoi je m’attends. 

— Ok. je vais faire de mon mieux. 


La salle est plongée dans la pénombre avant que le public présent ne cesse d’applaudir Lola pour l’encourager. Elle en profite pour enlever l’espèce de peignoir en soie qu’elle portait au dessus de sa tenue de scène. Elle est éclairée et une légère fumée remonte de la scène. Elle porte une petite brassière couleur chair ainsi qu’une culotte haute de la même couleur que sa carnation. Par-dessus la culotte, une longue jupe en tulle transparente suggère ses formes plus qu’elle ne les montre.  Sa tenue fait penser à celle des danseuses étoiles. 


Au lieu de micro sur pied habituel, elle porte un micro casque qui la laisse libre de ses mouvements.

Elle débute la chanson acapela en chantant d’une voix profonde les deux premières phrases avant qu’une guitare sèche ne l’accompagne. 


When my head’s overgone and my memory fades/Quand ma tête s'égarera et que ma mémoire s'effacera

And the crowds don't remember my name/Et que les foules ne se souviendront plus de mon nom

When my hands don’t play the strings the same way/Quand mes mains ne joueront plus les cordes de la même façon

I know you will still love me the same/Je sais que tu m'aimeras encore de la même façon


A la fin du couplet, elle marche à pas lents et chaloupés  vers le guitariste subitement  éclairé par le follow spot. Le public se rend compte qu’il s’agit de Prince, éliminé lors de la précédente émission. Ses doigts grattent avec agilité la guitare et il ne quitte pas des yeux Lola qui entame le couplet suivant. Il ne s’attendait surement pas à les voir ensemble encore une fois.  Elle danse et chante en même temps et le spectacle est tout simplement magnifique. Je comprends enfin pourquoi elle s’est autant entrainée. Il ne s’agit pas des pas rythmés de RnB mais d’un son plus slow qu’elle maitrise parfaitement.  


People fall in love in mysterious ways/Les gens tombent amoureux de façon étrange

Maybe it's all part of a plan/Peut-être que tout fait partie d'un plan

I'll just keep on making the same mistakes /Je continuerai à faire les mêmes erreurs

Hoping that you’ll understand/Espérant que tu comprendras


Elle danse autour de lui sans qu’ils ne se quittent des yeux. Sa voix ne tremble pas une seule fois et elle chante avec ses trippes.


But baby now/Mais bébé à présent

Take me into your loving arms/Prends-moi dans tes bras affectueux


Prince lâche sa guitare et la prend dans ses bras comme l’indique les paroles de la chanson. Il la fait doucement tourner sur elle-même. La jupe de tulle vole autours de ses jambes telles des pétales soufflées par le vent. Elle passe sa main sur sa joue puis pose sa tête sur son cœur… 


Kiss me under the light of a thousand stars/Embrasse-moi sous la lumière de milliers d'étoiles

Place your head on my beating heart/Place ta tête sur mon cœur qui bat

And I’m thinking out loud/Et je pense à voix haute


Elle finit la chanson comme elle l’avait commencé : acapella en utilisant toutes les nuances de sa voix dans les bras de Prince. A la fin de sa chanson, on revient très difficilement à la réalité. L’espèce de prestation onirique dans laquelle elle a réussi à nous plonger avec Prince, nous colle à la peau. Et on se rend compte que pendant ces quelques dernières minutes, on a retenu sa respiration pour l’observer chanter chaque note avec sincérité et sensualité. Prince quitte la scène non sans avoir salué le public avec ce sourire éclatant qui le rend toujours sympathique. 


Après les applaudissements, les membres du jury reprennent la parole.


— Waohhh. Lola, Lola, Lola. Quelle prestation !!! J’en ai encore la chair de poule, ce n’est pas croyable, dit l’un des jurés en se frictionnant vigoureusement les bras. Depuis le début de l’émission, c’est seulement la deuxième fois que ça m’arrive

— Merci, répond Lola en tentant de reprendre son souffle.  

— Bon, là il va falloir nous dire ce qui se passe. Est-ce qu’on peut faire revenir Prince sur la scène ? 


Ce dernier est raccompagné par un membre de l’équipe. 


— Prince, heureux de vous revoir malgré votre élimination. Comment avez-vous préparé tout cela ?  demande-t-il tout en attendant qu’on lui donne un micro. 

— Lola a demandé à la direction de l’émission si elle pouvait danser avec moi sur cette chanson, répond Prince une fois paré du micro. J’étais très triste d’avoir été éliminé pour de mauvais pas de danse et elle avait peur de ne pouvoir gérer l’émotion à cause de la période difficile qu’elle traverse en ce moment. Ils m’ont contacté et on a préparé le tout dans la plus grande discrétion pour surprendre le jury et le public. C’est pour cela que nos entrainements ont été coupés dans le montage de la téléréalité.

— Ca a été très plaisant de le faire avec lui car on s’entend très bien, ajoute Lola.  Comme il me soutient depuis le début de l’aventure, j’avais  confiance.

— Le public est amoureux de vous deux, c’est incroyable cette alchimie, intervient un des membres du jury. Vraiment. Vous êtes…ensemble ? 

— Non ! répondent Lola et Prince en cœur. 

— Mais moi je ne désespère pas, rajoute Prince en la serrant dans ses bras. Je ferai d’elle ma princesse un jour. Cette femme mérite une couronne, parce que c’est la personne la plus forte et la plus sincère que je connais.


Le public applaudit et Lola le pousse de l’épaule. Après délibération et décompte des votes des téléspectateurs, elle passe le cap sans que les avis négatifs des autres concurrents ne fassent baisser sa moyenne. A présent elle est clairement favorite. J’en suis vraiment heureux. 


En demi finale, elle devra s’opposer à une congolaise qui chante du gospel. Ca ne va pas être une partie de plaisir car cette dernière a une voix puissante qu’elle maitrise parfaitement. Par ailleurs son histoire personnelle est touchante car elle a appris à chanter dans la chorale de son père qui était pasteur et qui est décédé quand elle avait 10 ans. Depuis, elle parcourt le monde pour répandre l’amour de Dieu sans jamais se décourager et ainsi rendre hommage à son père parti trop tôt. 


*

**


Les candidats ont eu droit à une nouvelle sortie du Taj pour se préparer aux demi-finales de la semaine prochaine. Je sais que Lola en a profité pour se rendre au chevet de son père. Je fais de même pour la soutenir moralement si ce n’est financièrement si l’occasion se présente. 


Contre toute attente, au moment où j’ai décroché l’appel de Sydney, j’ai senti de la désapprobation naitre en moi. Je me suis rendu compte à quel point ce que j’avais l’intention de faire était déplacé. Emprunter de l’argent à mon ex complètement cinglée pour payer les frais d’hôpitaux de ma petite amie aurait été signer l’arrêt de mort de notre relation. Lola ne me l’aurait jamais pardonné. J’ai donc contacté ma grande sœur tout en espérant qu’elle n’allait pas m’envoyer l’argent de son fiancé complètement barge. Elle m’a fait un virement le même jour sans demander d’explication.  Mais tout était déjà payé. 


Je sais que ca ne peut pas être la famille de Lola. Prince ? Ca ne peut être que lui. Je devrais juste être heureux que ça soit payé mais j’avoue que ça me saoule que ce soit lui. Je sais que tout dernièrement il a découvert qu’il était le demi-frère de Leila alors il se pourrait que ce soit elle qui ait payé cette fichue facture. En même temps, après le ratage complet de son mariage coutumier qui a circulé sur le net, je ne suis pas très sûr qu’elle ait la tête à régler les problèmes des autres comme elle aime si bien le faire. 


Le parking de l’hôpital est vraiment mal éclairé. Heureusement que je trouve rapidement une place où me garer. Me remémorant qu’il n’y a pas si longtemps que ça, j’ai moi aussi fait un séjour dans une clinique, je passe distraitement la main sur la cicatrice qui m’est restée après le passage des hommes de main du corse. Jusqu’à aujourd’hui, l’enquête diligentée par les éléments de la police judiciaire n’a absolument rien donné. De toute manière, je savais que justice ne me serait pas rendue.


Je descends de mon véhicule et bloque la portière. Ma présence allume les petites lumières encastrées dans les murs de béton. Et je vois une jeune fille passer avec un sachet de fruits. Même si je ne distingue pas bien son visage, cette démarche féline ne m’est pas inconnue. 


— Lola ? j’interpelle en plissant les yeux.


Elle se fige, regarde dans ma direction, me reconnait puis court vers moi pour se jeter dans mes bras. Je l’y accueille volontiers et ne peux m’empêcher de sourire tandis qu’elle rit aux éclats. Je la serre tellement fort que je pourrai lui briser les cotes. 


— Putain Lola tu m’as tellement manquée, je murmure en plongeant ma tête dans son cou. 

— Toi aussi. 

— Hum, on ne dirait pas, je réponds en la déposant par terre. 


Elle est aussi légère qu’une enfant. J’ai l’impression qu’elle a maigri depuis la dernière fois chez elle. Elle devine immédiatement de quoi je parle. 

— Hééé ! C’est le réalisateur qui insiste pour qu’on paraisse amoureux. Ok ? T’inquiète. En plus c’est toi-même qui a donné les instructions dans ce sens.  

— Je sais … mais… C’est plus difficile à supporter que je ne l’avais imaginé.

— Gabie, dit-elle en plongeant ses yeux dans les miens. Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait encore nous séparer. Il faut que tu me fasses confiance. Comme moi je te fais confiance. 

— Peut-être que tu ne devrais pas finalement, je dis d’un air songeur.

— Pourquoi ? 


Je sors de la poche intérieure de ma veste, un mail tout froissé que je défroisse sur le capot de ma voiture. Elle m’observe avec curiosité. 


— Tu as eu une proposition intéressante de l’étranger et ils ont besoin de ta réponse.  Tu remarqueras que le papier est froissé. C’est parce que je l’avais jeté à la poubelle pour que tu ne vois pas ce qu’on te propose et quitte l’émission. 


Je plonge mes mains dans les poches de mon pantalon attendant qu’elle réagisse. Elle prend le temps de lire le mail en entier. Le fait qu’elle se mordille la lèvres prouvent qu’elle est plongée dans une intense réflexion et j’espère que tout ça ne tournera pas en ma défaveur. Mais je n’arrivais plus à garder tout ça pour moi. C’est déjà assez compliqué entre nous deux alors je n’ai qu’un seul souhait, c’est qu’on puisse se faire confiance l’un l’autre sans qu’il n’y ait de secret ou de manipulation.


— Alors ? je finis par demander, peu habitué que je suis à ses silences

— Je ne sais pas trop quoi dire.

— Et c’est bon signe ou mauvais signe ? 

— J’en sais trop rien. 

— Lola… 

— Tu sais quoi Gabie… Je suis un peu déçue que tu manques à ce point de confiance en moi…

— Ecoute…

— Laisse-moi finir, coupe –t-elle en levant la main pour me faire taire. 


Elle relit une dernière fois le mail et le froisse de nouveau. 


— J’aime l’idée que je me fais de nous deux dans 10 ans, murmure-t-elle tellement bas que j’ai eu du mal à l’entendre.

— Pardon ?

— Je parie sur nous. Avec tout ce qu’on a traversé, je sais que tu es le type d’homme que je veux dans ma vie et je ne laisserai tomber ça pour rien au monde. Je finirai ton émission et j’aurai une belle carrière ici et je t’aiderai avec ta société de production et quand je serai trop vieille pour remuer mes fesses sur scène, bah j’élèverai nos enfants et toi tu me détacheras mon tissage… dit-elle d’une traite sans une seule fois reprendre sa respiration. Je ne vais pas te quitter pour une boite que je ne connais pas. Voila ce que j’ai à te dire. La prochaine fois ne mets pas autant de temps à me transmettre ce type de mail. 


Je  suis tellement soulagé que je ferme les yeux.  Elle en profite pour me prendre dans ses bras. Je pose un léger baiser sur ses lèvres pleines. J’ai envie de plus. Elle le sent et ne dit rien. 


— Tu sais mes parents n’ont jamais eu beaucoup d’argent. Et je crois que ce qui a fait tenir leur couple toutes ces années malgré les disputes et les mois de disette c’est qu’ils savaient qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre les mauvais jours. Mon père m’a dit que c’est comme ça qu’on devrait choisir un partenaire à vie. Il faut te demander qui tu as envie d’avoir à tes cotés les mauvais jours. Les gens se contentent de se choisir quand ils sont heureux ensemble. C’est une erreur. Le bonheur n’a jamais tué un couple, mais le malheur si. Et quand je suis malheureuse, quand j’ai l’impression que c’est trop dur, je pense à toi et ma peine s’en va. Parce que je sais que jamais tu ne m’abandonneras. Je crois que c’est ce que les femmes veulent. Etre sures qu’on les aimera comme elles sont jusqu’au bout. 


Je passe une main caressante dans sa chevelure sans rien dire. Cet instant est parfait comme il est et je veux qu’il se grave dans ma mémoire. A jamais. Je veux pouvoir à mon tour donner exactement les mêmes conseils à ma fille. A la fille que j’aurai avec Lola. 


— T’as cru que j’allais péter un plomb ? demande-t-elle en reculant la tête

— Oui. 


Ma voix est grave, ma gorge nouée. Je contiens beaucoup d’émotion. 


— Raté. 

— J’ai même prévu des fleurs pour faire passer la pilule. 

— Des fleurs ? 

— Oui. 


Je quitte ses bras, déverrouille la voiture et en sors un bouquet de fleurs naturelles. 


— Nzame (Seigneur)! Des fleurs ? Tu m’as pris pour tes ex ou quoi ? 

— C’est romantique des fleurs… j’argumente sans grande conviction. 


La nervosité me fait lisser ma cravate noire plusieurs fois de suite.  


— Est-ce qu’on mange le romantisme ? demande-t-elle en éclatant de rire. 


Comme j’avais prévu cette réaction, je sors donc une boite de chocolats achetée en route. Le chocolat c’est son talon d’Achille. Elle a ce sourire qui ferait fondre même le plus dur des cœurs et pour lequel je suis prêt à tout. 


— Tu es beau aujourd’hui et sexy avec ce jean. Le bleu te va bien. Tout te va bien quand tu souris.

— Merci. Le chocolat te plait ? 

— Oui. Mais moi j’ai rien pour toi… 

— J’ai besoin de rien. Ta réponse de tout à l’heure vaut tous les cadeaux du monde. 


Elle se projette dans le futur avec moi. Que demander de plus ? J’ai vraiment l’impression que le plus dur est derrière nous et que désormais nous n’allons récolter que du bonheur. 


— Tant mieux parce que je suis trop fauchée pour t’acheter quoi que ce soit. 

— En parlant d’argent… C’est… Prince qui a payé ? je demande tranquillement comme si ça ne me donnait pas envie de l’étrangler.  

— Payé quoi ? 

— Les frais de ton père. 

— Ah non. Ce n’est pas lui. C’est l’ancien patron de mon père. D’ailleurs, il va venir le visiter aujourd’hui. Il faut qu’on monte. 

— Ok. 

— Ca te dérange si j’offre les fleurs à mon père ? 

— Non pas du tout. 


Dans l’ascenseur qui nous a conduits à l’étage supérieur, je n’ai pas cessé de la regarder. Evidemment si on nous trouve ici ensemble, ça pourrait poser pas mal de problèmes, alors j’essaie de ne pas la manger du regard. Je ne lui prends pas la main pour la soutenir alors que j’en meurs d’envie. Dans un mois maximum, l’émission sera terminée et toute cette comédie cessera. 


Devant la chambre du père de Lola, deux hommes semblent garder les lieux. Lola vérifie que nous sommes bien dans l’intervalle des heures de visites, salue les deux hommes et entre. Je la suis. 


— Bonjour papa. Comment ça va aujourd’hui ?

— Bien ma fille. Ca va. Monsieur Okili est venu me rendre visite. C’est lui qui a réglé toute la facture. C’est mon ancien patron. 

— Ah d’accord. 


Lola se dirige vers le vieil homme installé dans un fauteuil visiteur et le remercie avec déférence. Il lui sourit gentiment.


— Ce n’est rien ma fille. Le monde est petit. Mon petit fils m’a parlé de toi et de ta situation difficile et le nom de ton père m’a semblé familier. En cherchant un peu je me suis rendu compte qu’il avait travaillé pour moi. C’est bien normal qu’aujourd’hui je lui vienne en aide. C’est peu de chose crois moi. C’est le modernisme qui nous fait oublier nos valeurs ancestrales. Ton père a été un employé dévoué et fidèle. Je le lui dois. 

— On ne pourra pas rembourser… du moins pas maintenant. 

— Ne m’insulte pas jeune fille. Il n’est pas question de rembourser quoi que ce soit. 

— Je penserai à dire merci à Prince. 

— Hum. Ce petit vaurien… 

— Il a un cœur en or monsieur Okili. 

— Malheureusement de nos jours, ça ne sert à rien. 


Il me regarde longuement tandis que le père de Lola vaincu par la fatigue finit par s’endormir. Tout d’un coup la chambre me semble beaucoup plus petite qu’elle ne l’est vraiment.   


— N’es-tu pas le fils Valentine ? 

— Oui Monsieur. 

— Je ne vous comprends pas hein. Les myene et les punu. Toujours en train de franciser les noms de famille. C’est votre héritage que vous perdez en faisant cela. 

— Je n’ai pas tellement eu voix au chapitre. C’est le nom de famille que mon père m’a transmis, dis-je avec le sourire histoire de le dérider. 


Mais ca ne marche pas vraiment. Il reste aussi sérieux qu’un croque mort. 


— Il me semble que les corses s’en sont pris à toi, c’est bien ça ? 


A l’aide de sa canne, il se lève et marche vers moi. Je comprends tout de suite que cet homme n’est pas n’importe qui. Comment a-t-il eu accès à ces informations ? Ce n’est pas comme si j’avais fait la une des journaux. 


— Ces blancs là vraiment ! Je n’ai jamais supporté les français ! Surtout ceux installés ici depuis des années. Ils ont ce mépris pour notre intelligence qu’ils ont du mal à cacher. 

— Je comprends de quoi vous parlez. Moi qui fais des affaires, je dois parfois courber l’échine ou encore les voir me souffler un marché sous le nez tout simplement parce qu’ils sont blancs. C’est dur de subir ça ailleurs, mais c’est quasiment intolérable quand on est dans son propre pays. Ils ont décidé que les jeux d’argent leur appartenaient et tous le monde fait comme si c’était normal ! Moi je dis non. Je suis chez moi. Je fais ce que je veux. 

— J’aime entendre les jeunes tenir ce raisonnement. Ne t’en inquiète plus. Je vais prendre ça en charge. Tu auras droit à des excuses. 


Euh. Des excuses ? Des corses ? il croit au père noël ou quoi ? 


— Cette bêtise que tu produis finit bientôt il me semble. 

— Euhhh. Oui. 


J’ai envie de lui dire que ce n’est pas une bêtise mais une émission panafricaine regardée par des millions de téléspectateurs. Une émission qui emploie des gabonais et les fait collaborer avec d’autres africains diplômés des meilleurs écoles de communication. Mais cet homme ne semble pas être le genre d’homme qu’on contredit. Alors je me tais, creuse ma mémoire pour me le rappeler. Mais rien ne me vient à l’esprit. 


— Vous connaissez mon père ? 

— Non. 


Habituellement, les gens qui me parlent comme s’ils m’avaient vu grandir sont des amis de mon père. Et je connais tous les amis de mon père. Il n’en fait pas partie mais je me trompe peut-être. Il a l’air très intéressé par moi. Ses yeux ne me quittent pas un seul instant. Lola me jette des coups d’œil interrogatifs mais je ne sais pas trop comment réagir. On est venu voir son père et là, j’ai l’impression de subir un examen de passage. 


— J’ai une proposition pour vous. 

— Une proposition ? 

— Oui. Une qui ne se refuse pas. Mais on en discutera une autre fois. 


Il me tend une carte de visite sortie de sa veste et s’en va sans rien ajouter d’autre.

Love Strong (Tome 2...