Chapitre 20 : Cœurs brisés

Ecrit par pretoryad

Masala

– … C’était comme si j’étais hypnotisée, me racontait Nélia. Je faisais tout ce qu’il voulait que je fasse. J’aurais pu y passer si Kalé n’avait pas été interrompu par la visite de Belga. Le charme a été rompu. Et c’est là que j’ai été aspirée dans une tornade d’eau hyper froide. Je me suis évanouie et quand je suis revenue à moi, j’étais allongée sur le canapé de Ma’Darsille.   

         Nous étions dans ma chambre, Nélia et moi, confortablement installées sur le lit. Cela faisait quatre jours que je ne lavais pas revue depuis son kidnapping par Odong Dagary. Javais encore une fois séché les cours de ce mercredi après-midi. Jétais heureuse de revoir Nélia.

         – Elle t’a sauvée de la folie de Kalé, dis-je, soulagée de la savoir intacte.  

         Jespérais sincèrement que les choses sétaient calmées pour elle. À sa place, je n’aurais pas pu gérer tout ce drame avec autant de courage. Moi qui me plaignais davoir une vie plate !

         – Alors, tu comptes accepter linvitation de MaDarsille pour l’île d’Orkas ? lui demandai-je vaguement.

         – Oui. J’ai atteint ma dose de drame. Et je tiens à fêter mes seize ans bien en vie, répondit-elle amèrement.

         Je le souhaitais vraiment pour elle. Car, après avoir été kidnappée deux fois par le père et le fils Dagary ; avoir été possédée par un esprit malin ; avoir presque perdu sa virginité à Kalé sous l’emprise de la sorcellerie ; et avoir échappé de justesse au coup mortel de Belga, c’était plus que de la malchance ! Ça ne pouvait qu’être un signe divin pour lui signifier qu’il était temps de quitter Avent. 

         – Je te comprends. Jespère que tu reviendras très vite. Jai promis torganiser un anniversaire mémorable, tu nas pas oublié ?

         Elle esquissa un sourire qui natteignit pas ses yeux qui paraissaient mélancoliques. J’eus un pincement au cœur. Je naimais pas la voir dans cet état. Je priais constamment pour que Dieu lui donne la force de traverser ces épreuves. Je savais quelle avait besoin de partir, mais je ne voulais pas quelle me quitte.

         Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle se rapprocha de moi et me prit dans ses bras pour me réconforter.

         – Je vais revenir, Masala, ne ten fais pas ! Jaurais tellement aimé que tu maccompagnes !

         – On pourrait demander à MaDarsille ?

         Elle se détacha de moi et leva un sourcil inquisiteur. Nous éclatâmes de rire. Quelle idée ! Nous savions toutes les deux que ce n’était pas une probabilité.  

         – Je veux que tu me promettes une chose, Mass, son visage reprit tout à coup son sérieux. Peu importe ce qui marrivera, je ne veux surtout pas que Kalé et Dali soient au courant !

         – Tu peux compter sur moi, répondis-je, intriguée. Tu veux men parler ?

         Son regard se fit impénétrable. Elle balaya ma question dun sourire puis se leva et se dirigea vers la fenêtre. Je détestais lorsquelle se comportait ainsi. Elle avait la fâcheuse manie déluder mes questions lorsquelle ne voulait pas me mettre dans la confidence. Avec le temps, javais fini par comprendre que cétait parce quelle ne voulait pas minquiéter.

         Si seulement elle savait que mon cœur était de plomb ! Je métais plongée dans ce monde mystique, qui était le sien depuis sa naissance, uniquement pour être en mesure de la soutenir et laider au besoin. Elle se tourna vers moi, les yeux larmoyants.

         – Ne les laisse surtout pas mapprocher, Mass ! Tu as bien compris ?

         – Tu sais bien que je ne ferai rien si tu ne me dis pas pourquoi, Nélia ! Tu ne me fais plus confiance ? lâchai-je, agacée.

         – Ça na rien à voir avec ça. Cest juste que tu ne peux pas comprendre.

         – Tu ne peux pas me dire ça, après tout ce quon a vécu, toi et moi ! Tu penses que je ne suis pas au courant de ce qui tarrive en ce moment ?

         – Mass, sil te plaît, ninsiste pas !

         – Cest toi qui a ouvert le sujet, alors ne mempêche pas de dire ce que jen pense !

         Elle soupira puis se tourna vers moi dans lexpectative. Elle mécoutait. Très bien, car javais lintention de lui dire exactement ce que javais sur le cœur.

         – Tu crois que je ne sais pas que tu es une Fidlo ?

         Elle se figea, incrédule. Je ne lui laissai pas le temps de parler.

         – Ça fait bien un moment que je suis au courant, tu vois ?

         – Comment as-tu… su ? balbutia-t-elle.

         – Eh bien, cest très simple. Tu es la seule personne que je connaisse qui : ne boive que de leau de mer ; ne mange que des crustacés ; soit allergique à l’eau de la piscine ; puisse retenir sa respiration sous leau plus de dix minutes ; et qui ne soit jamais tombée malade une seule fois dans sa vie !

         Elle ouvrit la bouche pour protester, mais la referma aussitôt. Je poursuivis dans ma lancée.

         – Jai glané des informations à ton sujet. Et le lendemain de la fête de la ville, jai pris les choses en main. Jai laissé ma colère me guider vers les ténèbres, et jai failli à la loi de Dieu, Nélia. Pour toi.

         Elle tressaillit. Je me fis violence pour ne pas laisser mes larmes couler.

         – Tu es la seule amie que je connaisse qui serait prête à risquer sa vie pour moi, Nélia ! Alors, je nai pas un instant hésité à me jeter dans la gueule du loup !

         – Quest-ce que tu as fait, Mass ?

         – Jai fait confiance à Belga qui a effectué sur moi un sort de transfert.

         – Quoi ?

         – Cest un sort qui permet de changer dapparence. Je suis devenue toi l’espace de quelques minutes pour te venger de Kalé.

         – Attends ! Tu veux dire que tu as pris mon apparence pour me venger de Kalé ?

         Je pouvais lire la désapprobation sur son visage. Je continuai malgré tout mon récit.

         – Oui…

         – Je narrive pas à le croire, Mass ! Tu as pris dénormes risques : faire confiance à Belga ; entrer dans un monde que tu ne maîtrises pas ; et pire, te mesurer à un sorcier ! Quest-il arrivé à ta raison, hein ?

         – Je ne sais pas, je me suis laissée aveugler par la vengeance.

         – La vengeance ou la jalousie ?

         – Quoi ? De quoi parles-tu ?

         – Figure-toi que Kalé ma fait part de cet épisode. Ta soi-disant vengeance sest plutôt transformée en un rendez-vous galant !

         Elle montrait des signes de colère. Le mépris qui teinta son regard me laissa un goût amer dans la bouche. Comment pouvait-elle insinuer que Kalé et moi… ? Le souvenir du baiser que javais échangé avec ce dernier me revint subitement à lesprit, comme un rappel douloureux à la trahison que javais commise. Le rouge me brûla vicieusement au visage.

         – Ce nest pas ce que tu crois ! Il ma ensorcelée !

         – Cest un sorcier, Mass ! À quoi tattendais-tu ? 

         – À rien du tout ! Je nai pas réfléchi à tout ça. Je voulais juste te rendre justice !

         Je sentis une boule se former dans ma gorge, et les larmes nattendirent pas longtemps pour se déverser sur mon visage. Nélia eut une bouffée dexaspération puis son visage se radoucit.

         – Je ne ten veux pas, Masala. Mais ce que tu as fait aurait pu très mal tourner pour toi.

         – Je sais, et je remercie infiniment Dieu de mavoir épargnée !

         – La prochaine fois, sil te plaît, fais ce que tu fais de mieux : tourne-toi vers Dieu, et laisse-le se charger du reste, ok ?

         Un sourire satisfait égaya mon visage. J’étais sur le point de la rejoindre près de la fenêtre quand la porte souvrit subitement pour faire entrer Idriss. Je fus surprise par son intrusion. Son visage était livide et ses yeux à la fois vagues et dilatés. Cela faisait deux jours quil nétait pas rentré à la maison. Il avait beau avoir vingt ans et être vacciné, il se devait toutefois de respecter le règlement intérieur, comme nous autres vivant sous ce toit !

         Nélia et moi étions seules à la maison, et javais verrouillé la porte dentrée. Comment Idriss avait-il pu entrer si grand-père lui avait confisqué ses clés ?

         – Masala ? bredouilla-t-il d’une voix hagarde.

         – Idriss, quest-ce que... ?

         Il aperçut alors Nélia qui se tourna vers lui, les yeux écarquillés, comme si elle venait de voir un fantôme.

         – Nélia ? Cest toi que je cherchais...

         Il s’approcha vivement delle et la prit dans ses bras, avant quelle nait eu le temps de faire un mouvement. Elle me tournait le dos, mais je pouvais deviner lexpression abasourdie sur son visage.

         – Hum... fit-elle, visiblement inconfortable.

         Je me tins immobile, les observant, quelque peu ébranlée par lattitude singulière de mon frère. Il nétait pas du genre affectueux avec les membres de sa famille, encore moins avec Nélia. Les deux ne pouvaient supporter la présence de lautre, et je navais jamais su pourquoi. Le regard froid et mort quIdriss posa sur moi couvrit mon dos dune sueur froide.

         Mon corps se mit à frissonner sans que je puisse le contrôler. Mon esprit sonna lalerte rouge, mais je ne pus bouger, pétrifiée par lévénement fatal dont je pressentais limminence. Telle une vision cauchemardesque, la scène se déroula sous mes yeux.

Idriss se détacha de Nélia dun geste mécanique. Cette dernière resta figée un moment avant de libérer un hoquet de stupeur. Puis, agrippant subitement le maillot dIdriss, elle glissa lentement sur le sol, et j’aperçus avec horreur la dague qui perforait son estomac.

         – Nélia !

         Je magenouillai près delle, incrédule et le cœur affolé. Il ny avait aucun doute sur ce que mes yeux me montraient. Le poignard entravait bel et bien son ventre dont le sang formait une auréole entachant sa robe imprimée. Nélia suffoquait, le corps secoué de tremblements.

         – Quest-ce que tu as fait, Idriss ? Quest-ce que tu as fait ? hurlai-je de douleur.

         – Nélia... marmonna-t-il, le regard perdu. 

         – Pourquoi as-tu fait ça ?

         – Masala... poursuivit-il sans relâche.

         – Appelle les urgences, Idriss ! Fais vite !

         – Masala…

         – Idriss !!! sanglotai-je.

         La plainte terrifiante qui sortit de ma gorge poussa mon frère à quitter les lieux. Je ne savais pas sil était parti appeler les urgences ou encore chercher de laide. Quoi qu’il en fût, je me retrouvai seule avec une Nélia entre la vie et la mort. Sa respiration était saccadée, ses yeux sétaient révulsés et le sang nen finissait plus de jaillir de sa blessure.

         Jétais complètement impuissante, mon esprit était hors service, et je ne savais plus quoi faire.

         – Nélia ? suppliai-je dune voix chevrotante. Tiens bon, les urgences arrivent !

         Jessayais de me convaincre que mon frère avait fait ce quil fallait, et il nallait pas tarder à revenir. En attendant, le cœur de Nélia battait si faiblement dans sa poitrine que je redoutais de la voir partir avant larrivée des secours.

         – Mon Dieu, sil te plaît, aide-là ! Je ten prie, aide-là ! Tu ne peux pas la laisser mourir comme ça !

         Malheureusement, ma plus grande peur se matérialisa lorsque Nélia libéra le dernier souffle de ses poumons. Son cœur sarrêta de battre, son corps devint de marbre et ses paupières saffaissèrent pour toujours. Ce fut mon cœur à moi qui se brisa en mille morceaux. La douleur qui sensuivit me plongea dans un état léthargique.

         Je mallongeai à ses côtés, la tête posée sur sa poitrine sans vie, prête à me laisser mourir de chagrin si telle était la volonté de Dieu. Je ne vis pas Dali apparaître, le visage ravagé par les larmes.

         – Masala ? Je suis vraiment désolé !

         Je restai aussi immobile que Nélia. Dailleurs, je ne comprenais pas pourquoi mon cœur continuait de battre avec fougue, tandis que le sien se faisait sourd contre mon oreille. Pourquoi mon sang continuait-il de circuler dans mes veines, lorsque le sien se vidait complètement ? Et pourquoi mon esprit me torturait-il de réminiscences douloureuses, quand le sien sétait tu à jamais ?

         Ô Seigneur, si seulement tu pouvais me laisser partir ! Serais-je donc condamnée à vivre avec cette peine qui mécrasait la poitrine ?

         – Il faut que je lemmène maintenant.

         Je ne réagis nullement. Dali sapprocha de moi et fit mine de poser la main sur le corps inerte de Nélia. Je me redressai aussitôt, le regard irrité.

         – Ne tavise pas de la toucher !

         Il me regarda fixement sans rien dire et attendit un instant avant de sadresser à moi dune voix lasse.

         – Je veux juste lemmener auprès de MaDarsille afin quelle puisse laider. Il faut quon y aille maintenant, sinon il sera trop tard pour elle !

         – Elle est morte, Dali ! Quest-ce que MaDarsille pourra faire pour elle, hein ?

         – Écoute, je nai pas le temps de texpliquer, on doit y aller !

         Les traits de son visage étaient tendus. Il montrait des signes dimpatience. Je me mis à réfléchir rapidement. Nélia étant une Fidlo, Ma’Darsille était la seule à pouvoir l’aider. Je décidai de faire confiance à Dali, mais je navais pas lintention de laisser Nélia partir seule.

         – Alors, on y va ! annonçai-je, déterminée.

         – Masala…

         – Elle n’ira nulle part sans moi !

         Je soutins son regard dun air de défi. Il capitula, résigné.

         – Très bien. Dans ce cas, accroche-toi !

         Jeus à peine le temps de comprendre sa phrase que je me retrouvai dans une espèce de tornade magique qui me donna le tournis. Maccrochant fortement à Nélia, je fermai les yeux tout en essayant de calmer les battements affolés de mon cœur. Heureusement, le voyage ne dura que quelques secondes. On atterrit à la mer, à une heure dAvent.

         MaDarsille nous attendait au bord de leau, sous un soleil de plomb. Lorsque ses yeux sombres se posèrent sur le corps sans vie de Nélia, elle lobserva un instant sans rien dire, le visage figé. Au bout dun moment, elle baissa les paupières pour contenir ses émotions. Elle sapprocha ensuite de nous et sagenouilla près de Nélia. Elle me jeta à peine un regard, ses yeux captivés par la dague qui ne faisait plus quun avec Nélia.

         – Quest-ce qui sest passé, Masala ? me demanda-t-elle dune voix à peine audible.

         Jinspirai profondément avant de lui raconter ce qui sétait passé, en lui donnant autant de détails que possible. Je luttai difficilement pour endiguer le flot de mes émotions. MaDarsille mécouta attentivement, sans jamais minterrompre ni même lever un seul instant les yeux vers moi. Lorsque mon récit prit fin, elle m’accorda un petit moment, le temps de me ressaisir.

         – As-tu touché à la dague ?

         Interloquée, je secouai la tête par la négative. Je ne me souvenais pas avoir touché un seul instant cette arme qui me répugnait. Elle approuva de la tête, soulagée. Elle se tourna ensuite vers Dali qui était resté silencieux jusque-là. Ils communiquèrent du regard, puis Dali secoua la tête en réponse à une question muette.

         – Très bien. Maintenant, écartez-vous delle ! nous ordonna-t-elle.

         Je la fixai d’un air alarmé. Je navais pas lintention de quitter Nélia. MaDarsille esquissa un sourire compatissant.

         – Tu as été très courageuse, Masala. Maintenant, il est temps de te reposer. À ton réveil, tu auras les réponses à tes questions.

         Pendant quelle me parlait, je fus comme hypnotisée par son regard qui prit une teinte dorée. Cela ne dura que lespace dune seconde, mais aussitôt, je me sentis tout engourdie. Mon corps fut si las que je baillai sans aucune retenue. Le temps de cligner des yeux et je me retrouvai debout, fermement maintenue par Dali pour mempêcher de tomber.

         Je m’efforçai de garder les yeux ouverts pour savoir ce qui se passait avec Nélia. MaDarsille s’était écartée d’elle pour senfoncer dans les vagues silencieuses de la mer qui la recouvrirent jusquà la taille. Elle concentra ensuite toute son attention sur Nélia, allongée sur le sable fin. Elle tendit les bras en avant pour soulever le corps de Nélia qui se mit à flotter dans les airs dans sa direction.

         Mes paupières devinrent de plus en plus lourdes. Je luttai difficilement pour ne pas m’endormir. Jentendis alors un bruit semblable au tonnerre, et j’aperçus une explosion surgir de leau, à lendroit où se trouvait MaDarsille qui disparut sous la violence de lattaque. Nélia perdit léquilibre et se mit à retomber dangereusement dans leau lorsque Kalé apparut au bord de l’océan pour l’accueillir dans ses bras.

         – Hé ! Quest-ce que tu crois faire là ? sécria Dali.

         Je sentis mon corps saffaler doucement sur le sable tandis que Dali disparaissait pour réapparaître derrière Kalé. Il tendit les bras vers ce dernier et le foudroya dun éclair.

         – Ahhh !!! hurla Kalé.

         La puissance de son geste me fit sombrer dans un sommeil profond. Ma dernière pensée fut pour Nélia.

 

Kalé

 

         Depuis la disparition soudaine de Nélia la veille, mon esprit ne mavait pas laissé en paix. J’avais été à deux doigts de la faire mienne et davoir enfin limmortalité. Ma mère m’avait fait croire que j’avais rêvé tout ça, mais ma bague, quant à elle, m’assurait de la réalité de cet épisode.

         Ce cadeau de grand-père était inestimable. Je découvrais avec allégresse son potentiel illimité, tel que déclencher l’accomplissement de mes désirs. C’était la bague qui avait ramené Nélia à moi afin d’exaucer mon vœu. Si j’avais su que Belga m’aurait fait de l’ombre, je m’en serais débarrassé quand j’en avais eu l’occasion !

         Elle avait, sans aucun doute, fait commerce de son âme pour me nuire. Autrement, comment expliquer sa présence dans un lieu proscrit ? Par conséquent, elle mévitait. Je lavais cherchée partout, elle était indétectable, sûrement sous la protection de son nouveau maître occulte qui ne pouvait qu’être Grand-Myste. Je finirais éventuellement par la retrouver, et elle subirait alors ma colère.

         Quant à Nélia, je ne lavais plus revue non plus. Et je navais aucune idée de lendroit où elle se trouvait. Je savais indubitablement que la prêtresse y était pour quelque chose. Elle l’avait faite disparaître à l’instant où Belga était apparue, profitant de ma distraction. Dali n’était pas non plus dans mes radars télépathiques.

Nélia mavait appris quil avait récupéré ses pouvoirs. Jaurais aimé voir ça de mes propres yeux ! En attendant, je navais pas lesprit tranquille, car Belga cherchait à m’aliéner. Où pouvait-elle bien être ? Je métais replié dans mon antre depuis hier. Je ne voulais pas être distrait par Père qui avait mal digéré la récente attaque de Nélia.

Allongé sur le lit, le regard perdu dans le néant, je poursuivais mes recherches télépathiques quand la bague se mit à chatouiller mon doigt. Elle réclamait mon attention. Jespérais que cette fois ses recherches avaient été plus fructueuses que les miennes. Je levai la main devant mes yeux et scrutai ma chevalière qui illumina la pièce. 

         – Tu as trouvé Belga ?

         En réponse à ma question, une série dimages se mit à défiler devant mes yeux. Je vis Belga devant lentrée dune maison que je ne reconnus pas dans l’immédiat. Elle était accompagnée de ce colosse au crâne rasé que javais attaqué la dernière fois. Elle était donc officiellement avec lui ? Cette fois, je ne ressentis rien que de lindifférence à son égard.

         Elle pouvait senvoyer en lair avec qui elle voulait. Jallais bientôt mettre fin à sa vie pitoyable de toute façon. Je la vis poser la main sur la porte avant que celle-ci ne fasse apparaître une ouverture donnant accès à la maison. Elle invita son petit copain à la suivre à lintérieur et la porte reprit sa forme initiale.

Je clignai des yeux, incrédule. Depuis quand ses pouvoirs avaient-ils pris une telle ampleur ? Je lobservai ensuite dans le hall dentrée remettre quelque chose à son petit ami. J’eus du mal à identifier lobjet, mais je ne men formalisai pas. Je cherchais avant tout à déterminer sa position. Javais hâte de la rejoindre !

Elle suivit son partenaire qui se dirigea à létage, et ils simmobilisèrent devant une porte. Belga se mit à lécart contre le mur pour ne pas être vue. Puis dun signe de tête, elle enjoignit ce dernier à entrer dans la pièce. Mon cœur faillit lâcher lorsque japerçus Nélia. Je me redressai brusquement, le cerveau dans la zone dalerte. Je devais la rejoindre immédiatement. 

         Belga nétait pas là par hasard. J’entendais encore sa menace résonner dans ma tête : « Attends de voir ce que jai fait subir à ta traînée ! » Jen avais assez vu ! Elle se trouvait chez Masala, je pouvais donc m’y téléporter. Mais ce que je vis par la suite me pétrifia.

         – Non, non, non !!!

         Jarrivai devant la maison, juste à temps pour empêcher Belga et son complice de prendre la fuite. La rage avait déjà pris le contrôle de mon corps qui sétait embrasé. Je nétais plus quune braise incandescente. Jessayais de refouler la dernière image que javais aperçue de Nélia. La fureur décuplait mes pouvoirs, mais la douleur maffaiblissait. Or, javais besoin déliminer ces deux criminels.

         – Où crois-tu aller comme ça ! hurlai-je à Belga.

         Elle sarrêta dans sa course, le regard effaré. Elle ne sattendait pas à me voir daussi tôt.

         – Kalé ! Je suis surprise de te voir ici, sexclama-t-elle, un sourire malicieux sur le visage.

         Je les encerclai avec le feu pour ne pas quils méchappent. Je navais pas lintention de les laisser partir en vie. Surtout pas après ce quils avaient fait à… Non, je ne devais pas penser à elle ! Je ne pouvais pas altérer mes pouvoirs. Je vis la peur dans les yeux de Belga. Quant à son complice, il semblait être ébranlé par la vue des flammes. Il tournait en rond sur lui-même, tel un animal en captivité.

         – Quest-ce que tu as fait à Nélia ? Tu ferais mieux de me dire la vérité si tu tiens à ta vie !   

         Un rire sarcastique s’échappa de ses lèvres. 

         – Ma vie ? Ne te donne pas cette peine, car elle ne mappartient déjà plus à cause de toi !

         – Quest-ce que tu as fait à Nélia ?

         – Rien de bien méchant. Elle survivra cette fois, rassure-toi.

         – Comment ? Dis-le-moi !

         – Et puis quoi encore ? Tu ne crois tout de même pas que je vais taider à te remettre avec elle, non ?

         – Ok !

         Sans préavis, je tendis le bras vers son petit ami qui navait cessé ses mouvements intempestifs. Je lui projetai une boule de feu qui enflamma aussitôt son corps tout entier. Belga laissa échapper un cri dhorreur, faisant écho aux hurlements terrifiés de son amoureux qui se débattit sauvagement pour tenter de se libérer des flammes. Elles le consumèrent en lespace de quelques secondes. Il poussa un râle dagonie, avant de tomber en cendres. Il navait que ce quil méritait !

         – Alors, tu ne veux toujours rien me dire ?

         En état de choc, elle hésita un instant avant de se lancer.

         – La dague est ensorcelée. Elle emprisonne son âme.

         – Et comment libérer son âme ?

         – Cest une Fidlo, Kalé, la mer est son seul espoir !

         – Jespère pour toi que cest bien le cas, parce que tu n’auras pas droit à une seconde chance. Maintenant, retourne doù tu viens !

         Dun geste de la main, je la propulsai dans les airs. Elle poussa un cri épouvantable dont l’écho fut emporté dans le néant. Avec un peu de chance, elle atterrirait chez elle intacte. 

         – Emmène-moi auprès d’elle ! ordonnai-je à la bague.

         Je me retrouvai immédiatement dans lespace intemporel. Je repris ma forme initiale. La bague m’indiqua que Nélia était avec la prêtresse et ce parasite de Dali. Pourquoi devait-il constamment être auprès d’elle ? Je soupirai bruyamment pour évacuer la colère qui menaçait de menvahir. Je devais avoir les idées claires pour avoir une chance de dire au revoir à Nélia.

         Lorsque mes pieds se posèrent sur le sable au bord de l’eau, japerçus le corps inerte de celle-ci flotter au-dessus de la mer en direction de la prêtresse qui était ancrée jusquà la taille dans les vagues qu’elle semblait contrôler.

Je dirigeai ma chevalière vers la prêtresse, et une vive détonation se fit entendre, provoquant un jaillissement d’eau qui sabattit sur celle-ci. Surprise par la violence du coup, elle disparut sous les ondes agitées. À laide de mes yeux enflammés, je changeai la trajectoire de Nélia qui atterrit, légère comme une plume, dans mes bras.

         Je tentai de me contenir un moment avant de lobserver. Or, je naurais jamais dû poser le regard sur son visage froid et fantomatique, car une bouffée démotions sempara alors de mon esprit et tint mon cœur prisonnier. Les larmes jaillirent de mes yeux, souillant le visage statique de cette dernière.

         – Hé ! Quest-ce que tu crois faire là ?

         Létat de choc émotionnel dans lequel je me trouvais ne me permit pas de réagir à la voix arrogante de mon cousin. Mes réflexes mavaient abandonné. Je sentis une soudaine brûlure dans mon dos. Je venais de recevoir un coup brutal de Dali.

         – Ahhh !!!

         Je chancelai sous l’assaut mais ne meffondrai pas. Je tins fermement Nélia dans mes bras pour ne pas la perdre. J’étais accaparé par la douleur qui affectait ma force. Je me sentais très faible et dans l’incapacité de me mesurer à Dali. Je ne voulais pas lui donner cet avantage. Il attendrait un autre jour pour maffronter.

         Dans un ultime effort, je levai ma bague vers le ciel pour qu’elle capte la lumière du soleil. Rapidement, elle fit jaillir un rayon qui nous enveloppa, Nélia et moi, dans une bulle de protection. De cette façon, je navais plus à craindre les attaques de Dali ou de la prêtresse. Je posai délicatement Nélia sur le sable chaud et restai là à lobserver silencieusement.

         Je ne pouvais pas croire quelle fût morte. « Non, non, non, Kalé ! me souffla ma conscience. Pas morte ! Sors ce mot de ton esprit ! Elle est simplement inconsciente. » Ok, inconsciente. Mais alors, pourquoi navais-je senti aucune pulsation contre sa poitrine ? Pourquoi son corps était-il aussi froid ? Et pourquoi mon cœur exerçait-il une telle pression dans ma poitrine ?

Cétait si douloureux que je navais plus une once dair dans les poumons. Jasphyxiai.

         – Kalé, tu dois la laisser partir ! Seule la mer pourra la sauver.

         La ferme, Dali ! La ferme ! Je vais la laisser partir, mais laisse-moi un moment avec elle. Juste un petit moment, répondis-je intérieurement. Je fus submergé par le flot de mes émotions et sans aucune retenue, je versai toutes les larmes de mon corps. Peu m’importait qui pouvait me voir. Pour une fois, je pouvais exprimer réellement ce que je ressentais.

         Jétais triste et malheureux. Jétais en colère parce quelle me quittait. Lorsque mes larmes s’épuisèrent, je rapprochai ma bouche du visage de Nélia et posai mes lèvres brûlantes sur les siennes glacées, en espérant la réchauffer un peu. Je me détachai difficilement delle.

         – Ce nest quun simple au revoir, Nélia. Tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement.  

         Au moment où je mapprêtais à la libérer, le ciel sassombrit. La mer se mit à trembler férocement, faisant ressurgir de ses profondeurs la prêtresse, telle une créature marine redoutable. Sa longue chevelure vibrait, tels des serpents écumant de rage. Ses yeux luisaient comme des phares, apportant une certaine clarté dans cette brume horrifiante.

         Je jetai un rapide coup d’œil à Dali qui semblait avoir disparu de ma vue. Je baissai instinctivement les yeux sur Nélia. Son corps se mit soudain à frémir puis à léviter doucement en direction de la prêtresse, traversant la bulle de protection sans aucune difficulté. Malgré le pincement douloureux de mon cœur, je nosai pas réagir.

         Si je voulais un jour revoir Nélia, javais plus intérêt à rester en vie. Une fois proche de la prêtresse, son corps fut enseveli sous les vagues agitées, entraînant celle-ci avec lui. Puis l’océan s’apaisa, et les nuages disparurent enfin pour laisser réapparaître les rayons lumineux du soleil. Je restai immobile, le regard perdu à lendroit où Nélia avait disparu.

         Alors, cétait fini ? La mer lavait enterrée de façon sommaire, sans aucune cérémonie ni même une explication. Combien de temps resterait-elle prisonnière de locéan ? Serait-elle la même à son retour ? Se souviendrait-elle encore de moi ? Je soupirai, las. Peut-être que… ? 

         – Ny pense même pas !

         – Je nai pas demandé ton avis, Lindila ! Alors, laisse-moi, tu veux ?

         – Certainement pas pour te jeter dans locéan ! Tu sais très bien que Mamissi possédera ton âme à la seconde où ton pied touchera leau !

         – Hum… Est-ce pire que d’être tourmenté à jamais dans le Tartare ?

         – Cela narrivera pas tant que ton grand-père sera Juge. Sans oublier que dans quelques semaines, tu auras loccasion de prouver à tous que tu es digne dêtre le nouveau Grand-Myste. Et là, à toi le pouvoir absolu !

         – En attendant ce jour, jai bien envie de profiter dun sommeil léthargique dont toi seule a le secret !

         Libérant un rire cristallin, Lindila me ramena chez moi et me fit entrer dans un doux repos qui, pour l’heure, maida à effacer le souvenir douloureux de ma bien-aimée.


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Notes : Nous arrivons au dernier chapitre du tome 1 de Nélia Mbassal. Je vous remercie tous d'avoir pris le temps de lire la chronique de Nélia ! Et bonne continuation à tous !

Pretorya D. 

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