Chapitre 20 : Un secret inavouable
Ecrit par Auby88
"Cache tes secrets dans les replis les plus profonds de ton cœur.
Proverbe oriental"
Cica est assise à même le sol. Elle a éteint les lumières. Une lueur demeure cependant, celle de la pleine lune qui filtre à travers la fenêtre de sa chambre d'hôtel. Elle se revoit des années plus tôt à l'orphelinat. Elle repense à cette conversation qui a chamboulé sa vie d'adolescente.
Huit ans plus tôt. Elle est avec Soeur Anne. Elles ont une discussion privée dans la chambre de la religieuse.
- Non, Soeur Anne ! Dis-moi que tu mens. Cela ne peut pas être vrai. Tu ne peux pas être ma ... mère !
Les larmes coulent de son visage.
- Et pourtant, c'est bien la vérité ! Je suis ta mère. C'est moi qui t'ai portée dans mon ventre pendant neuf mois et qui ai souffert pour te mettre au monde !
Tout en parlant, sœur Anne ne peut s'empêcher de pleurer. Elle est autant déboussolée que Cica.
- Je ne veux plus t'entendre !
Elle se bouche les oreilles.
- Et pourtant, il le faut !
- Je n'ai pas envie de t'entendre dire que mon père est un ... prêtre. Je t'assure que je ne supporterai pas un tel sacrilège ! Je me sens déjà comme une ordure !
- Ne dis pas cela, tu es une créature divine ! Mais rassure-toi. Ton géniteur n'est pas un prêtre. Je suis tombée enceinte bien avant mon entrée au couvent. J'aspirais à la vie religieuse.
Et une nuit, je me suis …
Elle soupire profondément puis éclate en sanglots. Cica demeure prostrée, adossée contre le mur.
- ... je me suis faite (elle prend une longue respiration ) violée par deux inconnus, en rentrant d'une veillée de prières.
Cica se laisse choir sur le sol.
- Ces deux monstres m'ont pris mon innocence de la pire des manières. J'en fais encore des cauchemars !
Vers sa mère, la demoiselle lève des yeux horrifiés.
- Alors, je suis la fille d'un monstre ! Je suis née d'un viol ! T'aurais dû ne pas me garder ! T'aurais dû te débarrasser de moi quand tu le pouvais !
- Non, Cica !
La mère s'approche de sa fille et s'assoit près d'elle.
- Tu n'y étais pour rien. Et puis, ma conscience ainsi que mes principes m'en empêchaient.
- Alors, tu m'as gardée pour ensuite me déposer ici et faire croire que tu m'avais retrouvée sur le portail !
Cica questionne sa mère du regard, les yeux pleins de larmes.
- Oui, comprends-moi. J'avais ma vie toute tracée, Cica ! Je me suis éloignée temporairement de mes objectifs quand j'étais enceinte ; mais après j'ai repris le cours de ma vie. Personne ici n'a su que j'étais devenue maman entre-temps. Je t'ai confiée à une amie. Et par la suite, je t'ai fait venir près de moi. C'est pour toi que je n'ai jamais quitté cet endroit, crois-moi !
- Je peux comprendre que ta vie ait été un enfer, c'est horrible de se faire enlever sa pureté ainsi, mais tu n'avais pas le droit de disposer de ma vie comme tu l'as fait.
- Je suis désolée, ma fille, mais j'ai fait ce que je pensais le mieux pour nous.
Elle pose une main sur l'épaule de Cica qui se lève aussitôt.
- Le mieux pour toi, oui ! Mais pas pour moi ! Tu n'imagines pas toutes mes peines d'enfant, toutes les nuits où je pleurais à chaudes larmes en me demandant où pouvait être ma mère, toutes les fois où j'ai manqué de câlins, toutes les fois où j'ai dû partager ton amour de mère avec les autres enfants.
Sœur Anne se lève à son tour et se rapproche de sa fille.
- Je sais, Cica. Crois-moi ! J'ai tout fait par amour. Et j'ai toujours été là pour toi !
- Amour ! Tu ne sais pas aimer. Tu es remplie d'aigreur par rapport à ton passé. Tu n'arrives même pas me donner entièrement ton amour. Je comprends maintenant pourquoi tu es si sévère, si intransigeante avec moi, pourquoi je dois me confesser chaque semaine, pourquoi je ne dois pas faire ceci ou cela, pourquoi je n'ai aucune liberté. C'est parce que tu vois en moi ces brutes. Avoue-le.
Soeur Anne la regarde sans dire mot.
- J'en étais sûre ! Sache que je suis Cica, une très bonne personne même si la vie me fait des coups bas, même si tu en doutes. Je suis une bonne personne ! Garde toujours cela à l'esprit.
- Je sais, ma fille. Cependant, tu es impulsive, ce que tu ne tiens pas de moi. Et tu donnes trop facilement ta confiance. Et cela, même si ce n'est pas un défaut, causera ta perte un jour ou l'autre. Crois-moi !
- De toute façon, pour moi, les gens ne sont pas foncièrement mauvais. Pour l'heure, j'en ai assez entendu !
- Où vas-tu ?
- Au dortoir, ma-man. C'est là que se trouve ma place.
Sœur Anne la laisse partir. Sur son lit, elle s'assoit et fait ce qu'elle sait le mieux : prier. Ensuite, elle s'endort.
Le lendemain, il n'y a plus de trace de Cica dans l'orphelinat …
Quelqu'un sonne. Cica hésite à se lever, hésite à ouvrir. Elle a peur.
- Cica, c'est Satine ! Il semble que tu as laissé ta clé dans la serrure.
- Un instant, je viens !
Elle se lève, essuie ses yeux et rallume à l'intérieur.
- Cica ! Enfin, je te trouve. Je t'ai longtemps cherchée !
- Excuse-moi de ne t'avoir pas prévenue. Je me sentais toute fatiguée. Je ne suis pas une habituée des fêtes, tu sais !
Elle fuit le regard de Satine, fait semblant de bailler.
- Je repars me coucher !
- Tout va bien, Cica ? Tu as pleuré ?
- Ne t'inquiète pas pour moi, Satine. Je repensais à mon passé.
- A Leo, je suppose.
- Oui, répond-t-elle faiblement.
- Ecoute, Cica. Je sais qu'il a été ton premier amour, qu'il t'a quittée tragiquement, mais je doute qu'il aurait voulu te voir ainsi. Je sais que ce n'est pas comparable, mais tu sais j'ai aussi perdu des gens que j'aimais. Pourtant, aussi douloureux que cela puisse être, nous nous devons d'aller de l'avant pour eux !
Cica hoche timidement la tête. Elle a un pincement au cœur. Elle déteste mentir. En d'autres circonstances, elle se serait confiée à Satine, mais là, elle ne le pouvait pas. Comment oserait-elle lui dire que son frère, celui à qui Satine tenait le plus, avait essayé d'abuser d'elle ?
A présent, Richmond est sur le perron de la chambre 310. Son doigt appuie la sonnerie. La porte s'ouvre.
- Qu'est-ce qu'il y a, Richmond ? s'enquiert son meilleur ami. Tu m'as semblé anxieux au téléphone ! Entre.
- Je viens de commettre une grosse bêtise, Samson. Et là, je ne sais plus quoi faire ! Mais je t'assure que ce n'était pas prémédité.
Il déambule dans la pièce.
- Assois-toi ! Voyons. Détends-toi ! Tu veux que je te serve quelque chose ?
- Je n'ai pas envie de m'asseoir. Donne-moi ce que tu as de plus fort comme alcool ! Je sens que ma tête va exploser à force d'angoisser.
Samson apporte un verre plein à son ami qui le vide d'un trait.
- Merci, frérot.
- Allez, Richmond, raconte-moi. Assieds-toi ! J'insiste.
Richmond s'exécute et se laisse tomber dans le sofa.
- J'ai failli … ( il passe la main dans ses cheveux ) ... violer Cica !
- Tu as fait quoi ?
- Je n'ose pas imaginer ce qui se serait passé, si le garde ne s'était pas amené dans notre direction !
- Je n'arrive pas à y croire. Contraindre une femme à avoir des relations sexuelles avec soi est un délit, un crime contre l'humanité. Il n'y a que des monstres qui agissent ainsi. Hors, toi tu n'en es pas un ! Tu n'avais jamais eu besoin de forcer une femme. Et puis il y en a tellement autour de toi. Qu'est-ce qui t'a pris, Richmond ?
- Je te jure que je n'ai rien planifié à l'avance. Elle était magnifique, attirante, tellement sexy dans sa robe que cela a activé mes sens de mâle. Je n'avais aucune intention de lui faire du mal au départ. Je voulais juste discuter avec elle, au sujet de cet homme qui lui tournait autour. J'étais terriblement jaloux. Elle était proche de moi, nous étions seuls. Je lui ai demandé, presque supplié, de passer la nuit avec moi ; ce qui l'a vexée. Puis tout est allé si vite...
Elle m'a donné une gifle. Je me suis senti rabaissé, rejeté par une femme, alors que d'habitude, c'est moi qui mène la danse, c'est moi qui les contrôle, qui les ai toutes à mes pieds. Alors, j'ai disjoncté.
- Tu t'es mis dans un sale pétrin ! Je t'avais pourtant dit de réprimer tes envies par rapport à elle. La tournée vient juste de commencer. Tu imagines si elle refuse de continuer avec nous ?
- C'est le dernier de mes soucis, Samson ! Elle est en droit de partir, si elle le souhaite. Je ne la retiendrai pas ! Ce qui m'importe, c'est de savoir comment elle va. Mais elle refuse de me parler et rejette mes appels. Je ne sais plus quoi faire !
- C'est encore bien récent pour elle. Elle a dû recevoir un grand choc, d'autant plus que vous étiez amis, d'autant plus qu'elle avait confiance en toi. Laisse-lui du temps !
Le mobile de Samson sonne.
- C'est Sandra, murmure-t-il avant de répondre.
- Dis-lui que je ne suis pas là.
Samson secoue la tête puis continue la conversation au téléphone.
- Il est là, mais il a besoin d'être seul ... Il reste chez moi cette nuit … Ne t'inquiète pas …
- Merci Samson, poursuit Richmond quand il raccroche. T'es vraiment un pote sûr. Sandra commence vraiment à m'étouffer avec sa jalousie paranoïaque.
Le lendemain, Cica est moins gaie que d'habitude. Ils sont dans la salle des fêtes, occupés à préparer le deuxième concert du groupe. Elle sourit peu et reste distante de tous, surtout de Richmond. Le vieux s'approche d'elle par derrière et la touche. Elle sursaute. Richmond, debout pas loin d'eux, est troublé.
- Cica, tu vas bien ? s'enquiert le vieux.
- Oui, répond-t-elle.
Le vieux n'insiste pas. Il s'éloigne. Richmond en profite pour s'approcher d'elle.
- Il faut qu'on parle.
Elle regarde ailleurs.
- Je n'ai rien à te dire.
- Je t'en prie, Cica !
- J'ai besoin de prendre l'air dehors.
Il la suit. Elle s'en rend compte et presse ses pas. Il la rattrape et la saisit par le bras.
- Lâche-moi ! Je te hais ! Je te déteste !
Elle est au bord des larmes.
- Crie autant que tu veux ! Pleure si tu le désires. Mais je ne te laisserai pas. Je suis celui qui a commis l'affront et le seul qui puisse le réparer !
- Comment as-tu pu me faire cela, Richmond ? Ôte ta sale main ou j'alerte tout le monde.
- Alors, fais-le ! Mais je ne compte pas te laisser tant que tu ne te seras pas calmée et que tu ne m'auras pas écoutée. S'il te plaît, je ne suis pas un monstre. Je n'ai jamais fait cela auparavant, je te le jure. Et je regrette énormément mon geste. S'il me faut passer toute ma vie à implorer ton pardon, je le ferai.
- Ce serait trop facile, Richmond ! D'habitude, je pardonne facilement. Mais là, je ne peux pas. Parce que tu étais bien conscient de ce que tu faisais ; tu aurais abusé de moi si le garde ne s'était pas amené dans cette direction.
Il lâche sa main.
- Cica ! Je suis vraiment désolé.
- J'avais confiance en toi, Richmond ! J'avais tellement d'admiration pour toi. Je t'avais maintes fois dit que je n'étais pas intéressée par une relation. Tu m'avais promis de te contrôler en toutes circonstances. Tu m'as trahie.
Il se mord la lèvre. Dans les yeux de Cica, il lit une peine profonde qui serre son coeur d'homme. Il voudrait la prendre tout contre lui et la réconforter. Mais il se retient, de peur de se heurter à son refus, de peur de lui faire revivre la scène passée.
- Je regrette vraiment tout cela. Si seulement, je pouvais revenir en arrière.
- C'est impossible, Richmond. Tu aurais dû y penser avant d'agir. C'est une blessure qui ne se refermera pas de si tôt. Parce que me retrouver dans cette situation inconfortable m'a fait me souvenir de mon passé que je cache depuis tellement d'années, m'a rappelé que je suis le fruit d'un viol.
La nouvelle le choque. Il souffre autant avec elle. Il essaie de prendre sa main, mais elle refuse.
- Et depuis hier nuit, poursuit-elle, cette partie de ma vie me hante.
- Je m'en veux tellement, Cica ! Jamais je n'aurais imaginé que tu …
- Tu le sais à présent. Alors, laisse-moi tranquille ; sinon tout le groupe ainsi Satine sauront quel genre de brute tu es !
Elle le laisse et rentre précipitamment à l'intérieur. Il reste confus. Apprendre que Cica est née d'un viol le perturbe beaucoup et suscite en lui des milliers d'interrogations sur la jeune femme. Par ailleurs, ses propos, même si vrais, l'ont énormément blessé. Il a reconnu sa faute. Mais elle ne veut pas lui pardonner, lui laissant sur la conscience une deuxième culpabilité. Car la première demeurait toujours : son sentiment de culpabilité par rapport à la mort de son frère Jonas.