Chapitre 21
Ecrit par Annabelle Sara
Chapitre
21
En
quittant ses neveux, Etienne prit la direction du cabinet du Dr Bidgo’o, il
savait qu’il arrivait en retard, alors quand sa secrétaire lui annonça que sa
femme était déjà présente et qu’il était attendu, il ne se fit pas prier avant
de s’introduire dans le bureau. Il trouva Johanne allongée sur le divan qui
surplombait la pièce. En face d’elle l’analyste, qui intima l’ordre d’un geste
à Etienne de prendre place sans faire de bruit.
Elles
étaient en pleine séance d’hypnose, l’une des méthodes phares de traitement de
la psychanalyste.
Sa
femme semblait plongée dans un profond sommeille et Camille Bidgo’o lui
susurrait doucement au creux de l’oreille. Lui demandant de ne garder pour seul
repère sa voix qui allait l’aider à entrer dans les profondeurs de son
subconscient.
Une
semaine plus tôt, après les avoirs félicités pour les progrès qu’ils
affichaient dans leur couple, surtout à cause du changement d’air qui semblait
très bénéfique pour Johanne. Depuis qu’ils avaient quitté la demeure des Edang,
elle se sentait mieux, elle s’occupait elle-même de l’entretien de sa nouvelle
demeure et s’affirmait en tant que maitresse de maison et encore mieux comme
mère et épouse. Parfois il pouvait apercevoir ses yeux briller d’allégresse,
cette lueur qui autre fois l’avait attiré vers elle.
Un
cri d’effroi le tira de ses rêveries, il se leva d’un bond en voyant
Johanne se débattre contre une force invisible qui l’attaquait. Le regard du Dr
Bidgo’o l’arrêta net.
« Laissez-la ! », murmura-t-elle en faisant un geste de la main.
« Il faut qu’elle affronte ses démons sans vous. »
« Mais… »
« Chut… Johanne dites moi ce que vous voyiez ! »
« Je vous en prie… », supplia celle-ci les larmes aux yeux.
« Laissez nous… »
« Qui sont ces gens ? A qui parlez vous Johanne, restez avec moi, ils
ne peuvent pas vous atteindre… »
Un
nouveau cri d’effroi de la femme tétanisée dans le canapé poussa son mari à
bout, il se précipita pour lui tenir la main, l’analyste intervint en le
repoussant brusquement, le fusillant du regard. Elle s’agenouilla près d’elle
et lui pressant un doigt sur le front, murmura :
« Johanne écoutez moi,… respirez… »
La
respiration saccadée de Johanne se calma instantanément et s’accorda au timbre
de la voix du docteur. Les nerfs tendus d’Etienne se détendirent peu à peu en
voyant son épouse retrouver tous ses états, mais la scène à laquelle il venait
de prendre part le tourmentait.
Pourquoi
sa femme avait-elle autant eu peur de ses personnes ? Qui étaient ces gens
qui en voulaient à Johanne ? Et pourquoi
disait-elle « nous » ?
« Voilà, tout va bien ! »
Johanne
leva des yeux larmoyants sur lui, et son cœur se fendit, car à présent il
savait que sa femme lui cachait une partie très douloureuse de sa vie.
« Etienne ! », soupira-t-elle.
« Je suis là ma chérie, ça va aller ! », la rassura-t-il en le
prenant dans ses bras, après avoir prit place à ses cotés.
Le
docteur qui avait reprit sa place en face d’eux comme d’habitude, reposa ses
lunettes à monture ovale sur son petit nez. Elle sembla immergée dans des
réflexions intenses. Un lourd silence régna dans la pièce un moment, ponctué
par la respiration encore un peu brouillée de Johanne.
« Mr Edang, votre femme est psychotique ! », déclara
solennellement l’analyste sans détours, les yeux fixés sur le couple comme si
ce qu’elle disait ne devait pas paraitre étonnant.
Etienne
qui en d’autre situation appréciait la franchise de ses interlocuteurs,
trouvait la déclaration un peu trop directe, surtout pour sa femme.
« En d’autres termes ? », questionna-t-il tout de même en
resserrant son étreinte sur Johanne qui s’était raidit en entendant le docteur
parler.
« Elle a subi un traumatisme mentale dans son passé, qui provoque à
certain moment une fracture entre elle et la réalité, comme l’incident avec
votre belle-sœur, elle parlait d’un bébé, de son frère et à présent elle
a vu des gens la poursuivre… »
« Je… je ne m’en souviens pas ! », murmura la concernée en
lançant un regard effaré vers son mari qui lui sourit pour la rassurer.
« C’est bien là le problème… si vous vous en souveniez nous ne serions pas
là… mais votre mémoire à fait le tri, parce que c’était comme nous avons pu le
remarquer, très douloureux… mais comme quand on essaie de mélanger l’huile et
l’eau, l’eau ne surnagera jamais, alors cette partie de vous vous hante et si
vous ne vous en souvenez pas vous ne pourrez jamais lutter contre votre
dépendance à l’alcool ! Et ce n’est que le meilleur scénario ! »
« Et que devons nous faire ? », s’enquit Etienne un peu
préoccupé par le discours de la jeune analyste.
Elle
réajusta ses lunettes sur son nez et fit ne moue du bout des lèvres.
« Essayer de rouvrir les barrières qu’elle a érigé en faisant recours à un
sommeille léthargique, au cours duquel elle nous fera plus aisément part de ses
souvenirs, donc des démons qui l’empêchent de dormir. »
L’expression
du docteur ne se fit pas rassurante, malgré le calme qui s’entendait dans sa
voix, et un point de cette thérapie restait sombre.
« Et que risque-t-elle en acceptant d’entrer ainsi dans ses souvenirs
cachés ? »
« Le pire serait… que sa maladie empire. C'est-à-dire sa psychose et pire
son alcoolisme, un cocktail très inquiétant et que l’on ne puisse plus rien
faire d’autre que l’interner… »
« Non ! », cria brusquement Johanne comme sortant d’un profond
sommeille. « Etienne je ne veux pas être internée. »
« Mais… » Reprit le Dr Bidgo’o en essayant de calmer les craintes de
ses patients. « Cela peut tout aussi bien arriver si jamais nous
n’essayons pas d’intervenir… Etienne, votre femme doit se faire suivre, sinon
elle sera tôt ou tard rattrapée par ce qui la hante et cela vous le
savez. »
« Je ne veux pourtant pas prendre le risque de précipiter cette descente
aux enfers ! » Riposta Etienne en se levant
troublé par ce dilemme. « J’aime ma femme et je ferais tout ce qui
est à mon pouvoir pour la savoir heureuse mais surtout en bonne santé… »
« Qui ne risque rien n’a rien, vous pouvez toujours vous adresser à un
autre spécialiste mais à mon humble avis… il n’y a pas meilleure manière de
faire avancer les choses. »
« Sommeille léthargique… », murmura Etienne sans quitter Johanne qui
s’était recroquevillée dans le canapé, assistant passivement à la discussion
qui changerait surement définitivement le cours de sa vie.
Etienne
s’accroupit face à elle et prit ses mains dans les siennes. Les serrant
doucement, il la poussa à relever les yeux vers lui. Il lui sourit et lui
demanda :
« Fais tu confiance au Dr Bidgo’o… veux tu aller jusqu’au bout et
poursuivre avec ce traitement ? »
Elle
sembla se perdre dans ses yeux marron, comme une naufragée dans des eaux
troubles, puis elle lui sourit et lui caressa la joue avec tendresse.
« Si tu es là pour m’épauler… je le ferais ! »
Camille
Bidgo’o avait raison qui ne tente rien n’a rien, il ne voulait plus jamais voir
cette frayeur glaciale dans les yeux de sa femme. Plus jamais !
Victoire
observait les enfants sortir de l’enceinte de l’école maternelle, elle venait
ici pour la troisième fois et pour cette fois encore elle s’était déguisée pour
ne pas être reconnue par les passants. Depuis le scandale dont elle avait fait
l’objet elle ne pouvait pas sortir d’un immeuble sans être suivie par une
foule. Elle aurait préféré rester en Europe, mais elle n’a jamais réussi à
faire un mois à l’extérieur du pays, elle revenait toujours chez elle, car elle
s’y sentait toujours très bien, de plus la campagne de La Crête allait débuter.
Et même si elle était en froid avec sa sœur elle tenait toujours ses
engagements, et cette habitude n’allait pas changer maintenant.
Elle
aperçu la petite tête brune qui courait dans sa direction, elle leva les yeux
et croisa le regard de la maitresse de sa nièce qui depuis une semaine
supervisait ces réunions entre la tante et la petite, elles se sourirent d’un
air entendu. Elle avait consentit à la laisser voir la petite sans l’avale d’Angèle.
Elle connaissait la grande complicité qui liait son petit élève à la sœur de sa
mère et elle déplorait la discorde qui régnait en ce moment, elle trouvait
d’ailleurs que la petite en pâtissait beaucoup.
Elle
accueillie sa nièce dans ses bras, celle-ci lui raconta sa journée en lui
montrant ses dessins, l’enthousiasme de la petite lui rappelait ses longues
ballades avec sa mère au marché ou dans le parc, elle eut un pincement au cœur
en sachant que sans l’incident d’il y’a cinq ans sa petite nièce aurait une
cousine avec qui partager ses jeux. Mais au fil des années sa tante a prit la
place d’une compagne de jeux et elle avait en retour comblé le vide que la
perte de son enfant avait creusé dans son cœur.
L’heure
des adieux se rapprochant à grand pas, car elles n’avaient qu’une dizaine de
minutes à partager ensemble, la maitresse se rapprocha et rappela à la fillette
que sa tante devait partir.
« Tu reviendras demain… », murmura la petite au bord des larmes.
« Je serais là demain ne t’en fais pas, ma chérie… »
« Avec mon sac ? »
Victoire
croisa les doigts, signe d’une promesse.
« Croix de bois, croix de fer… »
« Si tu mens tu vas en enfer ! », termina la fillette avant de
déposer un baiser sur la joue de sa tante pour enfin la quitter en lui faisant
au revoir d’une main, tiré par la maitresse de l’autre.
Victoire
envoya à sa nièce en baiser du bout des doigts.
Elle
aurait tout donné pour avoir une deuxième chance, mais pour avancer il lui faut
prendre des risques, et ceux-ci ont un seul nom. Stéphane Medou.
Etait
elle prête à tenter de nouveau sa chance, reste à savoir si lui il a envie
d’une relation sérieuse avec elle. Elle allait vite le savoir.
Pulchérie
laissa son regard balayer la table et les convives qu’elle y avait convié
ce vendredi, elle donnait toujours un repas de famille le vendredi
lorsque Samuel vivait encore, en fait cette tradition avait été jugée désuète
au décès de son mari. Et elle n’avait rien trouvé d’autre pour obliger ses
enfants à être présent autour de sa table en ce jour que l’arrivée impromptue
d’une invitée spéciale.
Ils
avaient tous répondus présent, même Johanne et Henriette avaient accepté
d’accompagner Etienne. Mais la présence de cette femme, cette femme aux courbes
sulfureuses qui ressemblait plus à une actrice Nollywoodienne qu’à un vilain
corbeau, m’était un certain stresse à la mère de famille.
Shannon
Emah, qui avait accepté de suivre les règles de Pulchérie, était très à
l’aise dans son rôle, celle de la fille d’une vielle amie v dont elle avait été
très proche pendant son séjour à Bamenda. Elle répondait aisément aux questions
que lui posait les membres de la famille, même si beaucoup était surpris de sa
présence.
« Mlle Emah… Alors comme ça vous vivez au Nigéria ? Comment ça se
passe là-bas pour vous ? » Lui demanda Etienne en se servant un verre
de vin rouge, curieux de savoir qui était vraiment cette femme.
« Je ne saurais pas quoi vous dire… Je suis designer pour une marque de
vêtements et lorsque j’ai appris que vous lanciez votre propre marque ici je me
suis dit que je ferais un tour ! Pour voir si je peux aussi proposer mes
services ! »
« Effectivement nous ne refuserions pas l’expertise de talentueux
designers camerounais… », répondit Etienne.
« Mais il ne faut pas juste compter sur la relation avec Maman… »,
intervint Cassandra.
« Bien entendu ! Je ne voudrais pas
de traitement de faveur… »
« Mais vous espérez que cela agira en
votre faveur », La coupa Stéphane.
Elle
eut un léger rire en entendant la déclaration de Stéphane qui ne semblait pas
vraiment attacher de l’importance à la présence de cette femme dans la demeure
familiale. Les closes de son entente avec Shannon incluait que Pulchérie devait
jouer les entremetteuses son fils. Et c’est ce qui faisait le plus peur à
Pulchérie, elle n’avait aucune envie d’entrer en conflit avec son fils, qui
n’appréciera pas de voir sa mère s’immiscer une fois de plus dans sa vie privé
après le fiasco avec Ingrid.
« Non ! Mr Medou! J’ai apporté un dossier de candidature et vous
serez libre d’y jeter un coup d’œil ou pas ! »
Un
silence régna dans la salle à manger les cuillères étaient les seules à
discuter en tintant contre les assiettes.
« De toute façon nous ne sommes pas là pour parler de travail... Nous
prenons du bon temps en famille ! »
Intervint
Pulchérie pour remettre de l’ambiance sur la table.
« C’est vrai vous pourriez nous parler
un peu plus de la période où maman vivait à Bamenda, elle ne nous en parle
jamais ! », déclara Cassandra.
Pulchérie
faillit s’étouffer avec le poisson qu’elle avalait. Ce diner était une très très
mauvaise idée. Elle n’aurait pas dû faire venir cette femme ici.
« En réalité, je n’ai pas de souvenirs
de votre mère… J’étais bien trop jeune pour me souvenir directement
d’elle ! Mais… Maman m’a beaucoup parlé de vous Mme Medou ! On vous
appelait la voyageuse ! », fit Shannon avec son accent anglophone qui
commençait sérieusement à irriter Pulchérie.
La
quinquagénaire remarqua que ses enfants étaient
réellement intéressés par ce que leur racontait cette femme, cet
imposteur qui utilisait sa vie et son passé pour la museler. En temps normal,
Pulchérie l’aurait déjà remise à sa place mais là elle avait les poings liés.
« A cette époque il était difficile de
voir une femme… mariée se déplacer toute seule et encore quitter Yaoundé pour
venir vivre à Bamenda alors… On lui a donné se surnom pour mettre en valeur son
courage et sa témérité ! »
« Ce n’était qu’un surnom ! »,
dit Pulchérie qui ne savait pas quoi avancer d’autre.
« Moi la réelle question que je me suis
posée et d’ailleurs je l’ai dit un jour à ma mère c’est… pourquoi ton amie ne
porte pas le nom de son mari ? »
Le
froid retomba sur la table, même Stéphane leva les yeux sur la jeune femme qui
entre les lignes s’attaquait à sa mère alors qu’elle était assise à sa table.
Shannon
fit genre ce n’est pas par mépris qu’elle posait la question.
« Ne vous énervez pas ! En fait
c’était inhabituel pour moi de voir une femme forte… Chez nous les femmes sont
les ombres de leurs maris ! Déjà elle voyage seule, fait ce qui bon lui
semble et elle porte une alliance mais ne porte pas le nom de son époux… Et en
plus son fils ainé ne porte pas le nom de son père ! C’est bizarre !
»
« La famille de ma mère au même titre
que celui de mon père est une famille ancestrale ! », Commença
Stéphane. « Ma grand-mère a eu deux filles donc aucun héritier, pour que
le nom de sa famille ne disparaisse pas ma mère a demandé à son mari le droit
de garder son nom de famille et aussi de le donner à leur premier fils…
Moi ! C’est pour cette raison que je m’appelle Medou comme ma mère et non
pas Edang… ça répond à votre question ? »
« Oui merci je comprends mieux !
Votre père était quelqu’un de fin… »
« J’espère que vous avez plus de finesse
avec les vêtements qu’avec les gens ! », murmura Cassandra.
Ronald
et Henriette se mirent à rire.
« Shannon… vous pourrez montrer votre travail à Angèle c’est elle qui est
responsable de La Crête… Et peut-être que Stéphane se fera un plaisir de vous
faire faire le tour des Entreprises… », dit Etienne pour changer de sujet et
calmer la tension qui devenait palpable.
Pulchérie
lança un regard remerciant son beau-frère de prendre en main les choses, même
s’il ne se doutait pas de qui est vraiment cette jeune femme.