Chapitre 23

Ecrit par Meritamon


Nairobi. Chacha Njue (1)

 

Une majestueuse maison à étages en briques, entourée de haies de cèdres; un intérieur tout blanc, lumineux avec planchers de chevrons et cachet d'époque; dans une rue privée qui donne directement sur un immense parc. C’est dans cette résidence que Chacha Njue attendait dans l'un des innombrables salons pendant que des bruits de conversation téléphonique lui parvenaient dans le bureau d’à côté.


Bien que ce ne fut pas la première fois que la jeune femme pénétrait dans la résidence, celle-ci lui faisait toujours un gros effet.

La jeune kényane vérifia pour la centième fois qu'elle avait apporté sa toile de peinture enroulée dans un tube.

 

Chacha Njue était d’une nature timide et réservée. Parfois, elle se sentait de trop entre les fortes personnalités de Serena et Noura, impétueuses, impulsives et rebelles à leur façon. Chacha, elle, avait des manières plus réfléchies, suivait les conventions et n’avait aucun mal à respecter l’autorité.


Ses parents disaient qu’elle était la fille idéale, l’enfant doux et sage que tout le monde rêvait d’avoir parce qu’elle n’avait jamais causé de problèmes. Sa mère se vantait que de toutes ses cinq grossesses, celle de Chacha avait été la plus facile. Chacha n’avait même pas besoin de faire un serment de chasteté parce qu’elle respectait de façon naturelle les conventions et se préservait pour le grand amour de sa vie.

 

Oui, Chacha était amoureuse. Et ce n’était pas de son professeur de Maths comme elle l’avait laissé croire ses amies des années plutôt; surtout pour avoir la paix puisque Noura la harcelait pour savoir qui était l’homme dans ses poèmes. Cet homme secret pour qui Chacha se consumait depuis l’adolescence. Cet homme qui ignorait qu’elle fut amoureuse de lui, qu’elle existait? Chacha avait alors été obligée de mentir car révéler la vérité sonnerait le glas dans sa relation avec ses amies.

 

Chacha Njue était idéaliste. Elle avait une sensibilité extrême qui la dirigea vers les arts, la peinture et la sculpture. Elle entrait aux beaux-Arts à Paris lorsque l’accident causé par Serena la cloua à l'hôpital. Elle eut une jambe dans le plâtre.

Cet incident reporta son trimestre et écorcha par la même occasion leur amitié. Elle n’en avait pas voulu à Serena, elle lui avait même pardonné comme le font les amis. Mais Noura, plus rancunière, la convainquit du contraire.

 Et puis, la suite on la connaît puisque Serena fut éloignée de Nairobi.

 

Par une suite de circonstances et surtout lors de son séjour à l’hôpital, Chacha Njue se rapprocha de cet homme qui faisait battre son cœur. Il vint la voir presque tous les jours à l’hôpital quand il en avait le temps. Il vint la voir principalement parce qu’il se préoccupait pour sa santé. Son front était le plus souvent plissé par les soucis. On le disait froid, dur et implacable, on le disait cruel et sans cœur, mais brillant. Pourtant, Chacha croyait avoir vu au-delà de la carapace de cet homme.

 

Chacha avait 13 ans quand elle eut le béguin pour la première fois pour lui. Elle se rappela encore de leur rencontre fortuite à une fête d’enfants lorsqu’elle lui avait renversé la moitié de son jus.

Quand ses parents, catastrophés, avaient accouru à la vue de son dégât pour la gronder, l’homme s’était interposé pour leur dire que c’était un accident.

     -       Excuse-toi tout de suite Charline! Avait gueulé son père alors qu’intimidée, Chacha était restée là sans bouger ni ouvrir la bouche. Elle fixait seulement l’homme devant elle, fascinée.

Puis, son père s’aplatit en excuses étant donné l’envergure et la réputation de l’homme.

      -       Pardonnez-lui, je vous prie, cette fille a des manières impolies.

« Charline! On ne regarde pas les gens comme ça », la rabroua-t-il à nouveau, comme elle restait là à fixer l’homme sans ciller.

     -       Tu te nommes Charline? avait demandé avec intérêt l’homme en l’observant derrière ses lunettes d’aviateur. Il avait cet accent américain, absolument charmant.

« Quel joli nom pour une si jolie fille... ne t’en fais pas, j’allais me changer après tout ».

       -       Quelle sorte d’homme porte un veston de travail à une fête d’enfants? Avait-elle osé lui demander.

Il avait ri de bon cœur et tout le monde les regardait à présent, médusés de le voir rire. Il se racontait que personne ne l’avait vu rire comme ça depuis qu’il était en ville.

      -       Un genre d’homme qui n’a pas de vie, qui travaille sans cesse… Tu as raison, Charline, mon habillement est inapproprié pour les circonstances.

Il s’était adressé alors aux parents de Charline.

     -       J’ai une fille du même âge que la vôtre. Elle est assez solitaire et cela me ferait extrêmement plaisir qu’elle rencontre Charline. Nous nous installons au Kenya, venez nous rendre visite dans notre maison.

Il s’éloigna vers sa luxueuse berline et se retourna une dernière fois pour regarder Charline. À cet instant précis, Charline sut que c’était lui qu’elle voulait.


 

**********

   

   -       Serena n’est pas encore rentrée ....

Sa voix grave sortit brusquement Chacha de ses souvenirs. Elle se leva précipitamment de son siège. Elle ne put s’empêcher de se tortiller les doigts devant lui. Le visage de Malick s’adoucit :

      -       Bonsoir, Charline. 

      -       Bonsoir, Monsieur Hann. Je suis désolée de vous déranger si tardivement. En fait, je ne suis pas venue pour Serena. Je vous ai aperçu à l’exposition dans cette galerie d'art au Centre-ville et vous sembliez aimé beaucoup les tableaux.

     -       Tu étais là? Tu n’es pas venu me saluer pourtant.

     -       J’étais avec mes parents… Nous étions pressés, s’excusa-t-elle.

      -       Je vois. Si tu veux savoir j’aime collectionner les belles choses dans mon temps libre. Je trouve qu’ils proposent de belles œuvres dans cette galerie.

Chacha avait souri et expliqua la raison de sa visite impromptue dans la maison de Malick Hann.

      -       Je peins aussi.... Je veux dire, je vais faire l'école des Beaux-arts à Paris pour devenir peintre éventuellement. Je voulais vous montrer ce que je fais.

Elle se racla la gorge et déplia fièrement sa toile devant lui. Une profusion de couleurs en émergea.

         -       C'est beau, apprécia-t-il. Félicitations, Tu as beaucoup de talents, Charline.

         -       Chacha. Appelez-moi Chacha, s’entendit-t-elle lui dire avec hardiesse.

Malick Hann marqua une pause et la fixa en plissant les yeux, dubitatif face à cette familiarité.


      -       Bien, Chacha, appuya-t-il lentement sur son petit nom, comme une friandise sucrée qu’il faisait rouler dans sa bouche.


Charline se jura que jusqu’ici jamais personne n’avait su prononcer son nom comme Malick Hann le faisait.


      -       Je voulais vous offrir ce tableau pour vous remercier d’avoir été présent à l’hôpital, à mes côtés…

     -        C’était la moindre des choses. Surtout après ce qui vous est arrivé, ton amie, la fille de Shankar et toi dans cet accident. Je suis encore désolé pour l’irresponsabilité de ma fille.

       -       Ce n’est pas votre faute…

      -       Veux tu boire quelque chose? l’invita-t-il ensuite, j’ai terminé mes appels pour la journée. On va se prendre un petit apéro tardif si tu veux… à moins qu’on t’attende quelque part.

Chacha, très excitée de tomber sur une pareille occasion, ne refusa pas :

     -       Je prendrais la même chose que vous... 

Malick Hann eut un sourire satisfait.

     -       Tu tombes bien, je viens de recevoir une caisse d'un excellent cognac que je m’apprêtais à déguster. Je pense que tu apprécieras.

      -       Merci, Monsieur Hann.

Elle l'avait suivi à l'intérieur de la maison, le cœur battant. Il la mena dans un salon à l’ambiance très cosy et chaleureux, avec des œuvres d’art sur les rayons des murs, des sièges bas très confortables, des fauteuils moelleux. Comme il était tard, il n'y avait pas d'employés de service dans la maison. Malick servit lui-même le Cognac ambré dans des verres de cristal.


L'alcool réchauffa immédiatement Chacha. La présence de Malick Hann aussi. 


L'homme était raffiné et détendu dans son polo de cachemire, son pantalon de toile et ses mocassins italiens. Malick Hann était dans la cinquantaine, il avait des cheveux poivre et sel qu’il laissait grisonner sans complexe. L’homme, athlétique, s’adonnait à la boxe et à la rame de compétition parce que cela seyait à sa nature de gagnant. Ils parlèrent d'art et d'esthétisme pendant une partie de la soirée. Malick Hann avait aussi une connaissance pointue et des goûts raffinés en matière d’art. Ensemble, ils décortiquèrent le symbolisme des quelques œuvres de grands artistes qu’il avait dans son salon particulier.

 

Chacha se demanda comment un homme aussi séduisant et cultivé s'obstinait à demeurer célibataire pour se concentrer dans l’éducation de son unique fille, Serena. Elle savait qu'il y avait eu une femme auparavant, la mère de Serena, ainsi que leur divorce déchirant. Après sa vie à Manhattan, l'homme s'était muré derrière une carapace impénétrable, se contentant d’aventures d’un soir, sans engagement.


        -       Je suis content que tu te portes mieux après ce terrible accident, dit-il alors que Chacha était dans sa rêverie. Serena me cause beaucoup de soucis, si tu savais.

          -       Quand revient-elle?

         -       Très bientôt. Espérons que son temps de réflexion a été mis à profit. Je pense que le grand air lui a remis les idées en place. Elle est plus calme, plus posée quand je lui parle au téléphone.

Puis, l’homme fixa Chacha de son regard de félin, un sourire en coin, alors qu’elle se liquéfiait.

        -       As-tu un petit copain?

Chacha avait souri timidement, et avait baissé ses beaux yeux.


       -       Non, monsieur Hann…


Elle lissait nerveusement la jupe qu’elle portait.

 

      -       Tu peux te confier à moi, il n'y a pas de soucis, l’encouragea l’homme, sur un ton complice.

      -       C’est vrai? C’est qu’en réalité, j'aime quelqu'un...

Il avala son verre de cognac, très intéressé, et s’en resservit un autre.

    -       Intéressant... Une fille comme toi n'a pas de mal à se trouver un chéri quelque part, je ne doute pas... Tu es très jolie.

Chacha sentit son cœur battre de façon désordonnée dans sa poitrine. Il la trouvait jolie. Cet homme, son idole la trouvait jolie!

Une lueur d'intérêt traversa les yeux de Malick quand elle lui dit que la personne qu’elle aimait n’était pas au courant de ses sentiments.


      -       Un amour secret... Il n’y a rien de plus beau que les amours de jeunesse. Pourquoi tu ne lui avoues pas ce que tu ressens?

Elle sourit, très gênée et prit une gorgée du Cognac.

     -       C’est compliqué... ça pourrait me briser le cœur, si jamais, ce n’est pas réciproque. Et cet homme est plus vieux, alors…

     -       Il s’agit d’un homme? Demanda-t-il surpris et amusé. Ce n'est pas un garçon de ton âge?

     -       Les garçons de mon âge m’ennuient, monsieur Hann…

Il continuait à avoir ce regard envers elle, chaud et enveloppant.
 

      -       Tu rougis… Je t’intimide?

      -       Un peu, oui….

 

Malick se rapprocha d’elle sur le divan. Ses doigts caressèrent sa tempe, replacèrent sa mèche de cheveux derrière l’oreille. Son visage ainsi dégagé, il la forçait à se découvrir.

      -       Je te plais? Demanda le quinquagénaire, la voix vibrante de désir.

 Et il n’y avait plus assez d’oxygène dans la pièce pour que Chacha respire correctement.

     -       Oui, beaucoup.… Depuis le premier jour, à cette fête d’anniversaire quand j’étais petite… vous devriez ne plus vous en souvenir à présent, monsieur Hann.

      -       Je n’oublie jamais rien… Appelle-moi Malick, corrigea-t-il.

      -       Oui, Malick…

      -       Tu es désirable, tu le savais?

Sa main caressa la cuisse nue de la fille que la jupe qu’elle portait révélait, remonta jusqu’à son intimité qu’il pressa de son pouce à travers sa culotte.

     -       Tu es… trempée… fit-il étonné de la voir déjà prête. Elle piqua un fard, gênée par les torrents qu’elle ne contrôlait pas.

      -       C’est gênant… je suis désolée, murmura-t-elle innocemment.

      -       Non, surtout pas. C’est plutôt très bien comme ça. 

La conscience de Malick Hann sembla le rattraper un moment et il dit en soupirant.


      -       Chacha, tu pourrais être ma fille…

Et Charline de protester. L’âge n’avait pas d’importance pour elle.

C'est elle qui se pencha et posa un baiser sur ses lèvres pour anéantir sa résistance et enterrer ses principes. Ils s’embrassèrent langoureusement. Et c’est Malick qui mit fin abruptement au baiser comme ils perdaient ensemble le contrôle sur le divan. Il regarda les aiguilles de sa montre.


      -       Il est tard, je vais faire venir une auto pour toi. Tes parents vont s’inquiéter.

 

Chacha ramassa sa honte par terre face à la froideur soudaine de l’homme.

- Êtes vous fâché? je suis désolée... Je ne voulais pas...

- Chut! Rentre chez toi.


En la raccompagnant à l’auto qu’il mettait à disposition pour elle avec un chauffeur, Malick lui dit :

 

      -       Si tu as d’autres toiles à me montrer, tu peux revenir demain, à la même heure.

    

Chacha eut de l’espoir. Il ne l’avait pas complètement rejeté. Il voulait la revoir!



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Chers lecteurs, nous y voilà. Je voulais donner un peu de nouvelles de notre cher Malick Hann.

Des nouvelles de Chacha Njue, je n'avais pas eu le temps de parler de ce personnage. Trop emportée par Tahaa et Serena. Il me faut trouver un équilibre.

ps: Ne jetez pas la pauvre Charline en pâture, pardon... 














 



L' héritière