chapitre 23
Ecrit par leilaji
Chapitre 23
***Elle***
Mes lèvres restent scellées tandis qu’il tente d’en passer vainement la limite. Ce n’est pas que je n’ai pas envie d’accepter son baiser c’est juste que c’est trop d’informations à la fois. Sa langue, douce chaude et humide effleure ma lèvre inférieure… Mais je ne cède pas. Il comprend mon malaise et recule instantanément.
Les mots d’Adrien me donnent le tournis. Jamais, je n’avais pensé un jour entendre de telles paroles sortir de la bouche d’un homme.
N’est-ce pas magnifique d’être … aimée de la sorte ? Est-ce que ça existe vraiment un amour qui reste intact malgré le poids des années qui passent? Parce que c’est de l’amour n’est-ce pas… et non pas une … obsession, une addiction… ? En fait je n’en sais rien. Où est la différence ?
Ce qu’il vient de me dire, ce sont des mots qu’on entend dans les films ou qu’on lit dans les romans d’un autre siècle mais de nos jours, les hommes savent-ils encore aimer ainsi ? J’aurai dit non. Mais ça c’était avant Adrien. Et moi ? Est-ce que je l’aime, suis-je encore capable d’aimer sans retenue ou ai-je juste peur de finir seule et amère ?
Le manège incessant des mots d’Adrien me donne le tournis. Je ferme les yeux un court instant pour les rouvrir aussitôt.
C’est trop beau pour être vrai…
Mais en même temps, je ne peux que le croire quand il dit ça. Je le sais, je le sens au plus profond de mes trippes qu’il ne fait pas semblant. Quand il est là près de moi c’est toujours ce qui se passe dans mon corps… des milliers de papillons virevoltent dans mon estomac, son regard me brule et sa présence s’impose à moi. C’est Adrien, mon Adrien, il n’a jamais su faire semblant avec moi, du moins pas avec ses sentiments.
Sauf que si j’ai bien tout compris je suis responsable de manière indirecte de ce qui est arrivé à Claire…
- Tu essaie toujours de rejeter la faute sur les autres… je dis avec colère.
- Non ! J’essaie juste de cesser de cacher les choses à mon entourage. Ne me fais pas passer pour un menteur Elle. Réplique –t-il immédiatement.
On sait tous les deux de quoi on parle.
- Je ne t’avais rien promis de précis…
- Pour moi ça comptait.
- Arrête Adrien. J’étais la fille la plus populaire du lycée et tous les garçons voulaient coucher avec moi mais jamais je n’aurai osé franchir le pas. Ce n’était pas l’éducation que j’avais reçue. C’était juste pour garder ma popularité que j’agissais comme ça, parlais de sexe à tout bout de champs alors que j’étais vierge. Ca me permettait d’obtenir ce que ma mère ne pouvait m’offrir. Et même si je ne l’étais plus tu crois vraiment que c’est à toi que je me serai donnée alors qu’on ne se connaissait presque pas ? Tu étais censée le savoir.
- Moi je t’ai pris au mot.
- Tu n’aurais pas dû.
- Ok. dit-il pour couper court.
Je suppose que ce n’est pas comme ça qu’il imaginait ma réaction après sa déclaration.
Je n’aime pas quand nos conversations finissent par des Ok d’Adrien.
Je murmure mal à l’aise des excuses qui ont des années de retard. Le regard d’Adrien reste rivé sur moi.
- Il se fait tard, je vais rentrer… je finis par dire tristement.
- …
On se regarde en chien de faïence un long moment puis je dépose un léger baiser sur sa joue et rentre chez moi. En marchant vers ma porte, mille mots se bousculent dans ma tête. Peut-être qu’il avait juste besoin que je sache comment les choses se sont passées, peut-être n’était-ce pas un moyen de me charger à sa place… Je sors les clefs de la porte principale de mon sac.
Et contre toute attente, je reste figée devant cette satanée porte… je n’arrive pas à l’ouvrir. Ce n’est pas que la clef fait défaut … non loin de là, je ne veux juste pas tourner le dos à Adrien et rentrer chez moi.
Un homme te dit ce qu’Adrien vient de te dire et toi tu lui tournes le dos ? me demande ma conscience en colère après moi.
J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure. Apparemment, je suis plus idiote que je ne le pensais, ou tout simplement plus abimée par mes échecs que je ne le croyais. Après avoir autant été déçue par les hommes que j’ai aimés, je suppose que je m’interdis de faire à nouveau confiance … Ca ne peut-être que ça…
Mais le temps que tu pers à réfléchir … IL VA S’EN ALLER !!! Je ne veux pas qu’il s’en aille !
Je laisse la clef dans la serrure et me retourne pour le poursuivre (oui je sais je m’étais dit que je ne devais pas le faire !)…
…Lorsque deux grandes mains prennent mon visage en coupe et qu’un violent baiser me propulse contre la porte.
A
D
R
I
E
N
Il savait que ses mots … j’avais besoin de les entendre. Il savait que ses mots allaient briser le dernier obstacle qui l’empêchait d’être avec moi.
Il savait que j’allais forcément me retourner. Je ne l’ai même pas entendu s’approcher de moi.
Je sens son corps chaud contre moi et ses lèvres écrasent les miennes en un baiser profondément sensuel. Si je n’étais pas déjà habituée à ses baisers passionnés, je pense que celui là aurait fini de me convaincre de nous laisser une dernière chance.
Les lèvres d’Adrien m’ont manquée. Est-ce normal que je sois déjà si attachée à cette partie de son corps. Si je le pouvais, je ne m’en détacherai jamais. Je m’accroche à lui comme une noyée à sa bouée de sauvetage refusant de laisser subsister ne serait-ce qu’un millimètre entre nous. Puis l’intensité de son baiser se change en caresse jusqu’à ce qu’enfin à bout de souffle nous y mettions fin. Je pose ma tête contre son torse et souris en entendant la folle allure à laquelle bat son cœur.
Il ne fait pas semblant…
- On va se disputer…
- Beaucoup se disputer … acquiesce-t-il en me caressant les cheveux.
- Je ne te supporte pas en médecin racoleur … Tu tapes dans l’œil de mes élèves.
- Et moi je ne te supporte pas en directrice autoritaire …
Tout doucement, il nous fait échanger nos places pour pouvoir se reposer sur la porte d’entrée. Je lève enfin les yeux vers lui.
Il a l’air mal en point. Merde !
- Adrien ça va ?
- Je … J’ai un peu le vertige… dit-il en fermant les yeux.
Je rigole doucement. Quoi à cause d’un baiser langoureux ? Je le regarde un peu mieux. J’ai élevé beaucoup d’enfants et certains signes ne trompent pas. Là il a clairement la tête de quelqu’un qui va vomir trippes et boyaux ou même s’évanouir. Adrien doit faire au moins le double de mon poids. S’il s’évanouit je ne pourrais surement pas le porter. J’ouvre rapidement la porte de la maison et le tire vers ma chambre qui dispose de sa propre salle de bain. Heureusement pour moi qu’aujourd’hui, j’ai fait dormir Annie avec Oxya avant de m’en aller. La nounou, elle, est restée dans la chambre des garçons. Mère célibataire qui veut aller à une soirée tranquille égale : heure supplémentaire pour la nounou.
On y a à peine mit les pieds qu’il se précipite vers la salle de bain et claque la porte derrière lui.
Je lui laisse le temps de se vider l’estomac. Qu’a –t-il bien pu manger qui le mette dans cet état ? Pourtant au mariage, même si je faisais semblant de ne pas m’occuper de lui, j’ai eu le temps de remarquer qu’il a passé son temps à boire de l’eau. Il n’a touché à rien d’autre.
Je cogne à la porte de la douche… Personne ne répond.
- Adrien !
Pour toute réponse, une autre salve de bruits de gorge. Je réprime une grimace et cogne plus fort à la porte, il faut qu’il me laisse rentrer. Mon téléphone sonne. A une heure pareille qui peut se permettre de m’appeler ? Avant que les théories les plus folles me traversent l’esprit, je le prends sur le lit et décroche. C’est un numéro qui m’est inconnu.
- Allo ?
- Oui allo…
- Elle, c’est madame Evrard. Je suis désolée de vous déranger à une pareille heure…
- Vous avez des ennuis ? Que se passe-t-il ?
- Non, ne vous inquiétez pas, moi ça va très bien. Latif a oublié son téléphone chez moi et je me suis permis de prendre votre numéro dans son répertoire. Il était chez moi un peu plus tôt et il m’a dit qu’il devait venir vous parler …
Ahhhhhh. Pardon, j’ai déjà eu droit à une belle mère enquiquineuse, hors de question que Madame Evrard me fasse le même coup. Je l’aime bien mais j’espère qu’elle ne va pas s’autoriser à s’immiscer dans notre vie à … des heures pareilles !
- … est-ce qu’il va bien ?
- Il se sent un peu mal.
- Hum, je savais qu’il allait s’entêter. Ecoutez il fait de l’hypertension, tout à l’heure il était à 23. Alors si vous avez le moindre doute sur son état, s’il vous plait ne le laissez pas conduire pour rentrer chez lui.
- Il ne m’a rien dit…
- Je suppose qu’il était trop occupé à vous réconcilier.
- C’est vrai qu’on s’est parlé.
- Merci et désolée pour le dérangement.
- Je vous en prie.
Elle raccroche. De l’hypertension ! Mais on meurt de ce truc non ? Il pourrait, je ne sais pas moi faire un AVC dans ma salle de bain. Il ne va pas bien et il décide quand même de venir me parler dans cet état. Mais il est fou ce mec. En plus nous connaissant on aurait pu se disputer et tout ça aurait mal fini. Il aime les drames ou quoi ?
Je n’entends plus de bruit dans la salle de bain. Je me précipite pour l’y rejoindre et je le trouve accroupie devant la baignoire, une serviette sur l’épaule. Dieu merci, il est toujours vivant.
- Dis donc c’est moins romantique que tout à l’heure. Dis-je pour détendre l’atmosphère en m’accroupissant à mon tour près de lui.
On éclate de rire tous les deux parce qu’avec tout le stress de cette soirée de fou, on en a bien besoin. Finalement, je me positionne derrière lui et le sert dans mes bras. Ses muscles noués se détendent sous mon emprise.
- Ne me fais pas un mauvais coup Ad. Je t’en prie. Comme tu le dis, ça fait si longtemps et maintenant qu’on s’est retrouvé, on ne va plus se quitter n’est-ce pas ?
- Habituellement c’est toi qui es toujours pressée de me quitter Elle. La question ne s’est jamais posée pour moi tu le sais.
- Je ne le ferai plus, je dis en le serrant encore plus fort.
- Promets-le.
- Je te le promets.
- Cette fois-ci sera la bonne n’est-ce pas Elle ?
- Oui.
- Ok.
La conversation est close.
*
*
*
Je l’aide à prendre une douche parce qu’il se sent extrêmement fatigué. Il résiste un peu au début mais finit par se laisser persuader. Savoir imposer sa volonté, il n’y a rien de plus facile pour une maman.
J’essaie de me concentrer sur ma tache mais c’est extraordinairement difficile avec les yeux d’Adrien braqués ainsi sur moi. C’est à peine s’il les cille. S’il continue à me regarder ainsi, les gouttes d’eau qui tombent sur ma peau vont se transformer en vapeur brulante au prochain contact.
- Viens là…
- Non.
Il ne me laisse plus le choix en me tirant vers lui pour me serrer très fort contre sa poitrine. Je réprime un cri d’agacement car je suis maintenant trempée de la tête au pied. Ca y est mon tissage est foutu, il va falloir que je fasse un tour chez Béatrice dans les plus brefs délais alors que je n’ai vraiment pas de temps pour ça.
- Merci. Murmure-t-il en me maintenant sous le jet d’eau avec lui.
La douche terminée, il n’en sort pas immédiatement. Je le laisse un peu seul et pars me sécher et m’habiller pour être prête à l’aider quand il en aura besoin. Dès qu’il se décide à sortir, je lui prends la main et l’installe sur un des poufs de la chambre puis lui apporte une grande serviette dont je l’enveloppe. Sous la lumière crue de la chambre, tandis que je l’aide à s’essuyer, je distingue la finesse de chaque tatouage. Le continent africain, un loup, un oiseau, des mains qui se saluent, une croix égyptienne, un homme qui lance un javelot… les dessins sont nombreux et de temps à autre complètement incompréhensibles pour moi. Ce sont parfois des dessins évocateurs, d’autres fois des textes… je suppose des mots auxquels il doit tenir.
Adrien et ses contradictions…
Il m’a déjà longuement parlé de son handicap et de ce que j’ai compris, la dyslexie, on travaille dessus avec des personnes spécialisées mais jamais on en guérit. Pourtant, il est très attachés à la parole, aux mots, jusqu’à les graver sur son corps.
Par curiosité et aussi parce que je veux comprendre ce qui pousse un homme à défigurer ainsi sa peau, je décrypte le texte sur son bras :
Peut-être qu’il y a quelque chose que tu as peur de dire…
Ou quelqu’un que tu as peur d’aimer…
Ou un endroit où tu as peur d’aller…
Ca va faire mal,
Ca va faire mal parce que ça en vaut la peine.
C’est beau.
- Adrien ?
- Hum.
- Reste …
- Ok.
***Le lendemain***
***Adrien***
Parce qu’Elle a des enfants et que je ne voulais pas la mettre dans une position inconfortable, je suis parti très tôt de chez elle, après lui avoir laissé un message qu’elle pourra lire à son réveil sur son téléphone. Je n’ai pas envie qu’elle se dise : « comme je lui ai pardonné c’est bon, il se casse sans même me dire au revoir ou bonjour ». Elle a l’esprit retors, je la vois très bien penser ainsi.
On a eu de la chance et je sais qu’on doit beaucoup travailler sur notre relation si on veut qu’elle aboutisse à quelque chose. A la soirée du mariage, devant tous les convives, elle rayonnait de confiance en elle et d’assurance. Mais moi je sais qu’elle a parfois besoin d’être rassurée.
Je veux plutôt qu’elle pense : « il respecte ma relation avec mes enfants et sait que les présentations se feront un jour mais pas maintenant. »
CHU, clinique, fondation. Je me demande si je n’en fais pas trop et ajouté à tout ce capharnaüm ma relation tumultueuse avec Elle, c’est normal que je me sois retrouvé avec une telle tension. J’essaie de ne pas m’alarmer. Mon mode de vie est plutôt sain, je ne fume pas, je ne bois pas, je ne suis pas très porté sur les aliments salés, je fais énormément d’exercice, il en faut beaucoup pour me stresser… Ca doit être une hausse de tension passagère. J’en ai terminé avec le CHU d’angondje et je file vers la clinique pour une dernière vérification des dossiers avant de pouvoir retrouver Elle à la Fondation où elle disait qu’elle resterait tard car elle avait des dossiers à boucler en urgence.
Lorsque j’arrive, Fernande m’accueille avec une mine préoccupée.
- Nous avons une fillette de 13 ans mal en point…
- Signes cliniques ?
- Hyperthermie, frissons, tachycardie…
- Je peux voir ses examens ?
Elle me tend les résultats des examens tandis que nous marchons tous les deux vers ma salle de consultation. Je ne me suis même pas encore assis cinq minutes que j’ai un problème sur les bras. Mais qui a dit au gens que ma clinique est spécialisée dans les urgences pédiatriques ? Est-ce que je ne peux pas avoir la bonne vie bien rangée de la majorité des pédiatres du Gabon : otite, petit rhume par ci, vaccins à faire par là …
Je lis rapidement : N.F.S. , l’hémoculture (examen sanguin visant a identifier les germes présents dans le sang), les résultats de l’E.C.B.U. (L'Examen Cytobactériologique des Urines (ECBU) est un prélèvement visant à faire le diagnostic d'une infection urinaire), je continue et commence à faire un diagnostic dans ma tête mais avant tout j’ai besoin de rencontrer la patiente.
- Docteur, il va falloir embaucher …
- Pourquoi ?
- Parce que je suis bien plus souvent sur vos cas que sur ceux du docteur Moutsinga. Vous avez votre propre infirmière non ?
- Elle me fait perdre mon temps…
- Embauchez en une autre alors …
- Fernande le bureau des plaintes ce sera pour plus tard …
Elle fait un peu la gueule. Je la regarde en lui faisant mon petit sourire en coin et je compte dans ma tête jusqu’à cinq
Un, deux, trois, quatre,
- Ok, docteur je vous accompagne…
Bingo, ça marche à tous les coups. Mais son histoire d’embauche, il va vraiment falloir que j’y repense. Je ne peux pas continuer à l’accaparer alors qu’elle doit s’occuper des accouchements. En même temps c’est l’une des rares que j’envoie en formation sans me dire que je jette de l’argent par la fenêtre car elle sait très bien retransmettre à ses consœurs ce qu’elle a appris, ce qui fait qu’elle est souvent absente. Un jour j’aurai un cas grave et elle ne sera pas là… Elle a raison, il faut que j’embauche.
Une heure plus tard…
J’ai vu la petite Fatima et je suis très troublée par son cas qui me préoccupe mais pour le moment, je n’ai pas encore d’avis tranché. Pendant que mon cerveau tourne, je continue les consultations du jour pour vider mon carnet de rendez-vous quand Fernande vient cogner doucement à ma porte.
- Docteur ?
- Fernande, je suis en pleine consultation, patiente un peu j’ai presque fini…
- Docteur !
Je la regarde et elle me fait un léger signe de la tête. Je finis de rédiger l’ordonnance de ma patiente et la suis hors de la salle de consultation.
- Venez avec moi s’il vous plait. C’est pour la petite Fatima.
Lorsqu’elle me fait rentrer dans la salle, la patiente est recroquevillée dans son lit et elle me tourne le dos.
- J’ai demandé à une autre infirmière d’occuper un moment ses parents avec les documents de la CNAMGS à remplir…
- Qu’est-ce qui se passe ?
Fernande s’assoit sur le lit et caresse la tête de la petite qui fait toujours de la fièvre.
- Parle Fatima. Tes parents ne sont pas là. Dis au docteur ce que tu m’as raconté tout à l’heure. Ne t’inquiète pas, il est très gentil, il ne laissera plus personne te faire du mal. Tu as vu comment il est fort ?
La petite tourne enfin la tête vers moi devant l’insistance de Fernande. J’étais vraiment préoccupée tout à l’heure, j’ai enfin la chance de remarquer à quel point elle est jolie. Je lui souris pour la détendre.
- Alors dis-moi Fatima, je t’écoute…
Pourquoi Fernande a tenu à éloigner ses parents. J’espère de tout mon cœur qu’il ne s’agit pas d’un cas … d’inceste. Je ne supporte pas d’avoir à rencontrer des parents capables de tels actes.
Elle parle avec un petit accent et une voix craintive :
« Un matin, ma sœur s'est réveillée tôt et elle a mis de l'eau à chauffer. J'ai vu 4 femmes arriver... Elles m'ont attrapée par les 2 bras et m'ont trimballée dans les toilettes, elles m'ont terrassée. Une est restée sur moi, elle a attrapé mes deux poignets et les a croisés et a appuyé sur ma poitrine très fort. Une tenait un pied, l'autre tenait l'autre pied, et la femme qui me faisait peur était au milieu. J'ai crié au secours, j’ai crié très fort mais personne n’est venu me sauver.
Puis j’ai eu très mal... C’était horrible. Il y avait beaucoup de sang par terre… J'ai passé un peu de temps chez cette méchante tantine pour que la blessure ne fasse plus mal puis je suis rentrée à la maison et on a voyagé, on est venu ici. Mais j’ai encore mal» (témoignage légèrement transformé pris sur le net)
Est-ce que cette petite est en train de me raconter une expérience de clitoridectomie ? Je regarde Fernande qui acquiesce en silence.
Je soupire. Je ne comprends pas comment on peut infliger une expérience aussi douloureuse et traumatisante à son propre enfant. Ca me dépasse !
- Est-ce que tu accepterais que je regarde là où ça te fait mal ?
- Non, non … crie-t-elle apeurée.
Je comprends. Je suis un homme et ça la met mal à l’aise. Mais en même temps ce n’est pas un homme qui lui a fait ça mais bel et bien des femmes.
Elle se tortille de douleur au moindre mouvement. Je ne peux pas me permettre de la laisser dans cet état. Je dois absolument voir cette zone de son corps. Je demande à Fernande de regarder pour moi. C’est elle qui a découvert le pot au roses alors je peux faire confiance à son expérience. Après qu’elle ait confirmé ce qu’on craignait, je lui demande de faire venir les parents.
Fernande sens que je suis … irrité par la situation et me prend dans un coin de la chambre.
- Docteur, il va falloir y aller doucement avec eux…
- Quoi tu crois que je veux les tabasser ? Je sais quelles sont les limites …
Elle sourit mais plus par pitié pour la jeune fille que par réelle envie de rire.
- Non, ce n’est pas ça. Vous êtes gabonais, l’excision ne fait pas partie de vos us et coutumes. Mais ils sont burkinabés, c’est différents. Alors vous ne devez pas condamner derechef parce que vous ne comprenez pas.
- Parce que vous vous tolérez de telles pratiques ?
- Evidemment que non docteur ! s’indigne t-elle. J’essaie juste de vous expliquer. Je sais que vous êtes très sensible au sort des enfants…
- Fernande !
- Oui docteur ?
- Emmène-les dans ma salle de consultation, je dois leur parler. On va la transférer au CHU en urgence. Il va falloir réopérer.
Je laisse la patiente et pars attendre ses parents. Fernande a peur parce qu’elle pense que je n’ai aucune information sur l’excision mais elle se trompe. Je suis tombée sur un documentaire dont c’était le sujet il y a quelques années de cela et j’ai évidemment retenu les informations divulguées puisqu’il s’agissait d’actes faits sur de jeunes filles de la tranche d’âge de mes patientes. C’est une pratique traditionnelle qui fait souvent office de rite de passage et de reconnaissance de la petite fille dans sa société.
Certains pensent qu’elle préserve la virginité, améliore le plaisir sexuel masculin par le rétrécissement du vagin ou de l’orifice vaginal… L’excision empêche la femme d’accéder au plaisir sexuel et par conséquent, on pense qu’elle permet de la rendre fidèle.
Ce qui m’avait étonné dans les cas présentés par le documentaire, c’est que ce sont mères elles-mêmes qui présentent leurs filles aux exciseuses avec la bénédiction de leur mari. Et tout ça pour quoi ? Pour améliorer les chances de leurs filles de faire un « bon » mariage.
Les parents sont enfin là. A première vue, un homme et une femme bien sous tout rapport, inquiet pour la santé de leur enfant.
- Madame Traoré…
- Oui docteur…
- J’ai fait réexaminer votre fille par la sage femme. Elle a été excisée ?
Elle se tait, ne dit plus rien. Ce sont des sujets tabous dont on ne parle pas avec des inconnus ni même avec les membres de sa famille.
- Pardon docteur ? Que venez-vous de dire ? demande le père.
Il semble réellement surplis par mon annonce mais la mère elle sait de quoi je parle, cela se voit sur son visage. Elle respire la culpabilité à des kilomètres.
- Je viens de demander si votre fille a été excisée. Vu l’état dans lequel elle est, ça a dû se passer juste avant votre voyage.
- Comment ça juste avant notre voyage ? Elle était chez sa tante avant qu’on ne voyage… Tu l’as envoyée chez ta sœur non ?
- …
Différents sentiments défilent sur les traits du mari : l’incompréhension, la tristesse puis la colère qui éclate avec vigueur.
- Mais comment as-tu pu faire ça ? crie-t-il. Si j’ai accepté ce poste ici c’était justement pour qu’une telle chose n’arrive pas à ma fille ! Et tu t’es précipitée pour le faire dans mon dos avant qu’on ne parte?
- C’est pour l’honneur de la famille… Elle ne trouvera pas de mari si elle n’est pas excisée. Toi et tes idées modernes ! Pourquoi penses-tu que tes parents ont accepté que tu m’épouses hein ? Parce que je le suis. Même si tu pars en voyage pendant 10, 20 ans, je te resterai toujours fidèle, tu le sais. C’est l’honneur d’une famille une femme fidèle. Je veux que ma fille trouve aussi un bon mari plus tard. C’est pour son bien, ce sont nos coutumes et tu dois l’accepter ainsi.
- Toi et moi avons beaucoup souffert pendant des années de cette … histoire. Il a vraiment fallu qu’on y mette beaucoup de volonté pour que faire l’amour avec moi ne soit plus une torture pour toi… Des années de douleur pour toi, quand moi j’avais du plaisir. Chaque accouchement met ta vie en danger et toi, toi… Tu fais ça à ma fille ? Ma fille ?
Quand j’ai senti le ton s’envenimer, je me suis de suite levé pour leur imposer ma présence et faire cesser le face à face. J’ai l’impression que si je n’interviens pas, il va se jeter sur elle …
- Vous allez devoir parler de tout ça plus tard… Pour le moment…
Et je leur explique comment on va traiter leur fille…
***22 heures***
Je suis au téléphone avec Elle et je ne sais pas comment lui annoncer que je dois remplacer sur le pied levé, un collègue au CHU qui devait prendre sa garde à 23 heures.
- Bon dis le moi maintenant sinon je vais m’énerver … Je sens que tu tournes autour du pot.
- Je ne pourrai pas être là… Je dois prendre une garde imprévue.
- Ad !
- Je suis désolé boo. Vraiment.
On cogne à ma porte. Léonie. Elle a la mine fermée.
- Une minute Elle. Dis-je en questionnant Léonie du regard.
Je ne sais pas ce qu’elle fait là à une pareille heure.
- Je dois te parler Adrien. C’est urgent.
- Ok. je viens te voir tout à l’heure alors.
- D’accord. Je t’attends, s’il te plait.
Puis je reprends ma conversation avec Elle.
- C’était qui ? demande cette dernière.
- Léo.
- Hum.
- Quoi hum ?
- Elle n’abandonne jamais hein.
- Arrête. Je vais mettre les choses au point avec elle pour qu’il n’y ait pas de malaise entre vous, t’inquiète. Bon je vais te laisser…
- Hum.
- Quoi hum ?
- Les joies de sortir avec un médecin !!!
- C’était … imprévu. On aura du temps … pour rattraper tout ça.
- T’as intérêt à ce que le rattrapage soit de taille… dit-elle en rigolant.
Sa voix alourdie par le sous entendu de notre conversation me donne des frissons d’anticipation.
- Pour ça tu peux compter sur moi, je réplique doucement.
Léonie cogne de nouveau à la porte et rentre. Je n’ai pas envie de me prendre la tête avec elle alors je mets un terme à ma conversation avec Elle pour la recevoir rapidement. Elle tient en main des documents qu’elle serre contre sa poitrine et semble encore plus mal à l’aise que tout à l’heure maintenant que je suis disposée à l’écouter.
- Que se passe-t-il ?
- Je ne sais pas comment aborder le sujet…
Je lui fais un petit signe tout d’abord le temps de reprendre ma tension… elle est enfin normale. Je savais que ce n’était qu’un pic passager. Dieu merci. Puis je consacre toute mon attention à Léonie qui me tend ses feuilles que je feuillète… les résultats de son travail avec la fondation de la première dame qui collabore avec celle de Lalla Salma.
- 437 femmes ont été examinées gratuitement. Ah oui je me rappelle, tu as demandé que les filles de la Fondation puissent profiter de ces dépistages gratuits… Alors, dis-je en continuant à parcourir le document, 3 cas de Cancer invasif ont été détectés et 12 femmes présentent des lésions précancéreuses… C’était une très bonne action Léonie…
- Parmi le lot, il y a une personne appartenant à la Fondation Adrien…
Oh non, j’espère que ce n’est pas l’une des mamans d’un des bébés que je suis…
- Adrien…
- Attends une minute, je finis de lire la liste…
- Adrien…
- Attends… j’insiste.
Elle se lève brusquement :
- Elle est sur la liste… Elle est sur la liste…
Qui ça Elle ? Mes yeux s’arrêtent…
Jennifer Elle Oyane est le dernier nom sur la liste.
*
*
*
Bon, je sais bien que ceci est une chronique en grande partie fictive. Mais j’aimerai savoir, laquelle ici sur cette page, a plus de trente ans et s’est déjà fait dépister pour un cancer du sein ou du col de l’utérus… On parle du SIDA every day, mais en utilisant un préservatif et en étant vigilant lors de transfusion sanguine, en évitant d’utiliser des objets souillés, on peut s’en protéger…
Le cancer par contre…
Qui s’est déjà fait dépister ? Et vous les garçons, demandez à vos femmes…
Les lieux où on peut se faire dépister au Gabon :
Centre Hospitalier de #Libreville (CHL)
Centre médical de #Glass
Centre médical d'#Okala
Centre médical de #Nzeng-#Ayong
Hôpital de coopération Egypto-Gabonais
Centre médical de #Kango
SMI de Melen
Centre Hospitalier Régional de #Melen
Centre médical de #Coco-Beach
Centre médical du #Cap-#Esterias
Promettons nous d’y faire un tour avant la fin de l’année… on peut au moins se promettre ça… n’est-ce pas ? ce n’est pas seulement parler de sorcellerie (ouais vous aimez trop ça hein) ou parler de tchouk lol, parlons de notre santé…