Chapitre 23

Ecrit par leilaji

The love between us


Chapitre 23


Je comprends enfin ce qu’elle entendait par : «  j’ai fait ton mariage, je peux tout autant le défaire ». Les rumeurs vont bon train et qu’elles soient vraies ou pas, le mal est déjà fait. Tout Libreville et surement tout Dakar est au courant. Le fils Diop cherche une seconde chaussure à son pied. Ma belle-mère a fait passer le mot comme quoi, Idris est à la recherche d’une deuxième femme. Il a suffi qu’elle le dise aux commères de notre communauté pour que la nouvelle se répande comme une trainée de poudre. Aujourd’hui avec des applications comme whatsapp, les choses vont mille fois plus vite qu’auparavant quand il s’agit d’informer comme de désinformer. Le concerné lui-même ne fréquente pas assez la communauté pour que les plus téméraires tentent d’obtenir confirmation de sa part. Tout le monde le sait discret alors sa réserve habituelle passe pour de l’assentiment, une manière d’être poli envers moi et de compatir à mon malheur. Comme si les maris qui épousent une seconde femme peuvent compatir au malheur de leur première femme.  


J’ai envie de hurler de rage.  


Je ne compte plus le nombre de fois où nous avons reçu des visites de tantes et cousines éloignées accompagnées de leur descendance féminine parée de leurs plus beaux atours. Plus elles sont jeunes plus j’ai mal. Parce que moi aussi j’ai été à leur place. Parce que moi aussi je pensais qu’en me mariant j’aurai enfin droit au bonheur sans savoir que ce n’était que le début de l’épreuve. Par bienséance, il a fallu les recevoir, leur sourire, les raccompagner. Et moi, j’ai beau démentir en douceur l’information, je passe pour la femme ignoble qui refuse le bonheur à son homme. 


D’ailleurs suis-je encore une femme aux yeux des miens ? Je vais donc passer ma vie à prouver que je suis ce que la nature a dit que j’étais ? 


Prouve que tu es une femme en te parant de courbes.

Puis prouve que tu es une femme en démontrant que tu sais prendre soin d’une maison et cuisiner.

Puis prouve que tu es une femme en attirant assez le regard d’un homme pour qu’il te convoite.

Puis prouve que tu es une femme en l’épousant.

Puis prouve que tu es une femme en lui donnant des enfants.

Puis prouve que tu es une femme en mariant tes filles si tu en as, après tout si tu n’y arrives pas c’est que tu auras failli quelque part dans leur éducation.


J’aurai donc passé toute ma vie à tenter en vain de prouver que j’étais une femme puisque j’ai lamentablement échoué à l’avant dernière marche. 


- Qu’est-ce qui se passe ? demande Idris en se rapprochant de moi pour me prendre dans ses bras. Pourquoi tu pleures ? 


Il rentre à peine. Ces derniers temps, il rentre pour manger puis va directement se coucher. Il ne me touche plus. Qui peut lui en vouloir de ne plus perdre son temps à ensemencer une terre stérile ?  


- Je ne pleure pas, je réponds en continuant machinalement à couper mon oignon en dé.


Ce pique les yeux et c’est tant mieux. Chaque larme qui s’échappe m’aidera à aller mieux, à supporter tout ce que je vois et que je ne peux combattre sans sortir des rangs. J’essuie ma joue. Heureusement que ma peau nue ne porte pas de maquillage. Je ne veux pas salir ma tunique blanche. Idris s’empare du couteau et le pose sur la planche. 

J’ai pensé au divorce. Lui redonner sa liberté mettrait un terme à ma souffrance. Mais je ne peux me résoudre à faire sortir de telle parole de ma bouche parce que l’homme qui est en face de moi est l’homme de ma vie. Il est si bon et juste envers moi, sous ses mains le devoir conjugal n’est pas une torture mais un acte d’amour. J’aime la sensation de son corps chaud contre le mien, de son souffle sur mes lèvres. J’aime sa manière de regarder le monde sans faire de distinction entre le pauvre et le riche entre l’homme et la femme, même si à ce dernier cas j’ai eu du mal à m’adapter. Comment abandonner tout cela ?  


- Tu m’empêches de te faire à manger quand tu fais ça. J’ai déjà mis la table, j’ai juste besoin de faire la vinaigrette. Arrête de me prendre le couteau des mains, ça m’énerve. 

- Et alors. De toute manière je n’ai pas faim, dit-il en piquant une carotte dans le saladier un sourire sur les lèvres.


En quoi c’est drôle ce que je suis en train de vivre ? A moins qu’il ne soit heureux. Heureux de ne pas être obligé de manger ce que j’ai fait pour lui. 


- Comment ça tu n’as pas faim ? Tu as mangé dehors ? Chez qui ? je lui demande en me tournant vers lui pour inspecter son visage. 


Je n’aime pas le désespoir dans mon ton et le froncement dans ses sourcils. 


- Tu me parles comme si j’étais ton fils que tu devais surveiller de près. Je te laisse faire parce que tu m’interdis l’accès à « TA » cuisine mais je sais me faire à manger tu sais. D’ailleurs…

- Donc c’est comme ça maintenant ? Tu te fais à manger tout seul. Avec tout ce qui se passe pour moi, tout ce qu’on dit de moi, c’est maintenant que tu te décides à jouer les chefs cuisiniers. Pour qui veux-tu me faire passer aux yeux de tous ? 

- Zeina… On n’est qu’à deux la non ? Donc quand tu dis aux yeux de tous de qui tu parles ? Tu crois que je vais chanter partout que je n’ai pas mangé ta nourriture aujourd’hui ? 

- Toute ta famille n’est plus à ça près de toute manière. Ils seront heureux de le dire, que ce soit vrai ou pas. 

- Oh, c’est maintenant comme ça que tu vas me répondre désormais. Ce sera maintenant toute ma famille ainsi que moi-même contre toi c’est ça ? Tu es la persécutée qui est tombée dans le piège de la famille Diop ? c’est toi qui leur Donen de l’importance. 


Je ne réponds rien et tente de comprendre pourquoi la discussion est en train de dégénérer entre nous. Il se sert un verre de bissap puis le vide entièrement d’un trait. 


- J’ai bu ton bissap c’est bon, ça te calme ? 


Il sourit de nouveau, prend sur lui pour ne pas envenimer la situation.  


- J’ai mangé avec mes employés et là je n’ai plus faim c’est tout. Pas avec une autre femme comme tu l’imagines. Il est où le drame dans cette histoire ? 

- Tu ne l’avais jamais fait auparavant. Pourquoi tu commences maintenant que nos gestes sont scrutés par tout le monde ? 


Evidemment ce n’est pas une excuse pour avoir réagi de la sorte mais je suis sur les nerfs. Bintou me tient informée de toutes celles qui sont intéressées par la deuxième place dans le cœur d’Idris. Et elles sont nombreuses à vouloir tenter leur chance. Tout le monde sait comment cet homme me traite, me respecte. Et dire que c’est cela qui va faire ma perte. Quelle ironie. S’il me battait ou refusait de m’entretenir correctement, personne ne voudrait de lui. 

 

- C’est vrai. Mais j’avais besoin de changer d’air un peu. J’ai invité tout le monde et on est allé manger au restau. On a eu une année difficile, beaucoup de société qui travaillaient dans notre secteur d’activité ont fermé. C’était un bon geste à poser pour souder l’équipe, rassurer tout le monde, écouter les doléances et m’adapter. Tu crois qu’être un chef d’entreprise c’est seulement signer des chèques chaque fin du mois ? Il faut aussi savoir motiver ses troupes. Qu’est-ce que tu crois bon sang !


Il semble tellement blessé par mes insinuations que le peu de larmes qu’il me reste à pleurer coulent de mes yeux. 


- J’ai passé toute la journée à t’attendre et à penser au moment que nous allions partager à table, je tente d’expliquer. Tu es parti depuis 6 heures du matin. Tu rentres à 21 heures.

- Je travaille ! Ce n’est pas parce que je suis un homme que lorsque je ne suis pas avec toi je pense forcément à aller baiser ailleurs, putain.


Quand il devient vulgaire et qu’il utilise le mot putain comme ponctuation, c’est qu’il est vraiment en colère. 

 

- Ne me parle pas comme ça Idris. 

- Et toi ne me manques plus de respect je ne suis pas ton enfant. Je n’ai pas signé un contrat où il est écrit que je dois manger ta nourriture chaque jour que Dieu fait.   


Qu’il me parle ainsi à un moment où il sait que je suis fragile me révolte. Il ne s’agit pas seulement de nourriture et il le sait. Il s’agit de ne laisser personne s’immiscer entre nous et de rester soudés. Je m’empare de la planche, jette les oignons ainsi que tout ce que j’avais déjà préparé dans la poubelle sans dire un mot. Je surréagis. Je le sais bien. Mais je ne peux pas m’en empêcher. C’est comme si la mère d’Idris avait laissé ici dans mon foyer, sa présence et passait son temps à m’épier et à rire de moi. Tout ce que je pensais avoir bâti s’effrite entre mes mains. Bintou m’a dit de faire attention aux gens que je reçois désormais. Elle m’a conseillée de voir un marabout pour protéger mon foyer. Je ne peux m’y résoudre. Je ne veux pas faire partie de ces femmes dont le bonheur tient aux talismans dissimulés sous le lit marital.


- Zeina…

- Excuse-moi Idris, je suis fatiguée.

- Zeina… 


Je ferme la bouteille de gaz puis me dirige vers notre chambre conjugale. J’en ai fini pour aujourd’hui. Je vais prendre une douche et dormir. C’est ce que j’ai de mieux à faire.


Dès que je me glisse dans les draps froids de notre lit, je regrette mon coup d’éclat. Il n’a rien fait de mal, il ne peut pas savoir à quel point ma vie est vide. Quand ça ne va pas à la maison, il peut s’accrocher à son boulot pour se changer les idées. Moi je n’ai rien.  Rien d’autre que lui. Il entre dans la chambre et rallume la lampe de chevet. Les mains dans les poches de son pantalon, il m’observe, de ses yeux aussi noirs que l’abime dans lequel je me sens plongée.  


- Est-ce que tu regrettes ? 

- Quoi ? 

- Notre mariage. 

- Non. 

- Alors c’est l’homme que je suis qui te dérange. Tu aurais souhaité vivre avec un homme comme Boubacar ou Alassane ? 

- Bien sûr que non. 

Le premier a quatre femme et l’autre court les petites filles alors qu’il n’a pas un sous en poche. 


- Alors pourquoi cet éclat ? Tu penses que je n’en bave pas asse déjà ? Tu veux plus de preuve d’amour ? Tu trouves que je suis faible ? Ma mère trouve que je suis faible, que je prête trop attention à tes sentiments, que je te traite comme mon égal, ce que selon elle tu n’es pas. Alors dis-moi ce que j’ai fait de mal pour que tu me suspectes de tout. 


Je me relève et baisse la tête. 


- Je te demande toujours comment tu as passé ta journée, continue Idris. Penses-tu as me demander comment ça va au boulot pour moi ou ne suis-je qu’un GAB pour toi ? 

- Comment peux-tu dire ça ? 

- Pourquoi pas ! On en est aux reproches sans fondements n’est-ce pas ? 

   

Il s’assoit sur le lit et me tourne le dos. Je sors des draps pour l’entourer de mes bras. 


- Excuse-moi, je murmure en posant un baiser dans son cou.

- Non ca va. Je me suis emporté. Je n’aurai pas dû. Je suis désolé, dit-il en se tournant pour me prendre dans ses bras. 


Je le laisse faire. Sa main caresse mon sein puis descend plus bas. Ça fait quelques semaines qu’il ne m’a plus touchée ainsi. Je ferme les yeux pour mieux ressentir sa présence. Il m’embrasse et j’écarte les jambes pour l’inciter à venir s’y refugier. Le dispute et déjà loin derrière nous, à mon plus grand soulagement. 

 

Le corps repu et le cœur apaisé, il me caresse les cheveux et semble pensif. 


- Pourquoi as-tu parlé de ta mère ?  

- Parce qu’elle s’est décidée à faire de ma vie un enfer en représailles. 

- Je pensais être la seule dans son viseur.

- Détrompe-toi. Elle a débarqué au boulot il y a trois ou quatre semaines. Normalement elle m’a laissé une procuration pour voter en son nom lors des assemblées de la société. Comme on est que deux associés, je prenais les décisions seuls depuis quelques années. Elle vient d’annuler la procuration et s’est présentée elle-même pour contester tous les décisions à prendre et qui sont nécessaires à la bonne marche de la société. 

- Je ne comprends pas Idris. C’est la société de ton père pourtant. Il te l’a laissé non ? 

- Oui mais j’étais mineur quand il est mort donc elle a tout géré en attendant que je prenne les rennes. Je vais sauter les détails, en ce moment elle a 51% des parts et moi 49%. Elle est majoritaire. Elle fout le bordel en ce moment.

- Mais tu ne lui as pas expliqué qu’elle nuisait à la société.


Pourquoi mettrait-elle en danger le « pain » de son enfant ? Est-elle inhumaine à ce point ? Je ne comprends pas que cette femme si accueillante au départ, si souriante avec moi, me traite soudainement en paria parce que je ne fais pas d’enfant à son fils. A présent, elle laisse les autres femmes médire de moi, me manquer de respect, me traiter plus bas que terre. Elle veut me pousser à partir ou à faire accepter à Idris, cette deuxième femme qui elle espère lui donnera un fils.  

  

- Elle m’a dit que comme je n’avais pas l’intention de transmettre cette société à un héritier, il n’y avait donc rien à préserver. Je suis démis de mes fonctions de gérant. Ça a fait paniquer les employés et je les ai tous invité au restau pour les rassurer. Personne n’a envie qu’elle revienne à la tête de l’entreprise mais ...  

- Mais il faut que tu te battes. Tu ne peux pas la laisser faire ce qu’elle veut comme ça. 

- La solution c’est d’aller en justice. Tu me vois laver le linge sale de la famille en justice ? Diop contre Diop. Ça ne se fait pas Zeina. Plutôt mourir que d’en arriver là.  

- Alors qu’est-ce que tu vas faire ? ça me fait du mal d’être la cause de tout Idris. Si tu savais à quel point je suis désolée de t’entrainer la dedans.

- Je peux te poser une question ? 

- Vas-y, je t’écoute. 

- Et si c’était moi ? Et si c’était moi qui n’y arriverais pas ? Qu’aurais-tu fait ? 

- Je ne sais pas Idris. Mais je sais que je serai restée avec toi. Je t’aime. De tout mon cœur. Dieu nous a unis, personne ne peut nous désunir. C’est comme ça que je vois les choses.

- Ok. 


Il éteint la lumière et couvre nos corps. 

 

- En réalité ça revient à choisir entre toi et la boite. Le choix est vite fait Zeina. 


Il ne dit plus rien d’autre et s’endort quelques instants plus tard.  


Deux semaines plus tard, les choses ne se sont toujours pas arrangées entre Idris et sa mère. Savoir que j’en suis la cause me désole au plus haut point. Il est vrai qu’il est dur avec elle, qu’il ne cède plus à ses caprices depuis que nous sommes ensemble mais Idris a pour sa mère une reconnaissance incommensurable. Cette femme a tout sacrifié pour qu’il ait une bonne éducation et elle l’a fait seule. Ce n’est pas de gaité de cœur qu’il s’oppose à elle. S’il le fait c’est pour moi.   


- Tout ça parce que tu n’as pas d’enfant. Je trouve que c’est cher payé quand même, me fait remarquer Bintou en reposant doucement sur la commode une photo de moi prise par Idris.


Après notre mariage, c’est le premier voyage qu’il m’a proposé lorsqu’il a gagné un gros marché avec la société de BTP et qu’il a été payé par l’Etat. Pour se faire plaisir, il voulait visiter le Japon et moi je lui ai dit que si j’avais eu le choix, j’aurai souhaité visiter paris et la Tour Eiffel. Il a fait comme s’il n’avait pas entendu et s’est occupé de tout ce qui était administratif. Ce n’est que le jour de la demande de visa que j’ai compris ou nous allions réellement. Ce voyage a été l’un des plus beaux moments de notre mariage. Les moments partagés avant le désir d’enfant qui nous a rongés lentement mais surement. 


- Tu es tellement belle sur cette photo Zeina. 

- C’est lui qui l’a prise. Il n’arrêtait pas d’essayer de me faire rire. 

- Ça se voyait que vous étiez heureux. Et ce n’est pas terminé tu sais. Vous le serez encore.  


C’est la seule à qui je peux confier mon désarroi sans avoir peur qu’elle me trahisse en racontant mes plus sombres secrets. 


- Avec ma belle-mère dans les parages, ça va être difficile. 

- Cette vieille mégère ! 

- A croire qu’elle ne voit plus en lui son fils mais un enfant à punir. 

- Les mères sénégalaises ! il faut leur reconnaitre leur force de caractère. En même temps, elles n’ont pas passé leur vie à se faire écraser par leur mari pour accepter que ça recommence avec leur fils. Je peux comprendre qu’elle soit outrée qu’il lui tienne tête. Pour toi en plus. Une femme qui n’est pas de son sang. 


Elle ajoute quelques glaçons dans le jus de gingembre-ananas que je viens de lui servir. Elle est venu juste pour ce jusqu’elle adore boire mais pas faire. Je lui en ai préparé deux  bouteilles d’un litre et demi. Elle dit que ça lui permet de garder la ligne mais lorsque je vois toutes ses formes qui débordent de ses vêtements, je n’en suis pas convaincue. 


- Un enfant. Et tout serait réglé, je murmure en soupirant. 

- Crois-moi Zeina. Si je pouvais t’offrir cet enfant, je le ferai volontiers. 

- Arrête tes blagues idiotes. 

- Mais j’ai déjà vu ça dans des films ou des séries à la télé. Regarde, même ma star Kim Kardashian a fait ça pour son dernier bébé. 

- On est au Gabon. Ça n’existe pas ici. 

- Quand je pense que tu as gardé tout ça pour toi pendant tout ce temps. Tous ces bébés que tu as perdus. J’ai mal pour toi Zeina, tellement mal parce que je trouve la vie injuste. S’il y a bien une femme qui mérite d’être mère c’est toi.  


On soupire toutes les deux. Je tapote les coussins pour les remettre dans mon dos et mieux me carrer dans le fauteuil. 


- Ton mari rentre bientôt de la mosquée ? 

- Oui. 

- Donc je vais y aller et vous laisser en amoureux. 

- Oh tu sais. 

- Quoi oh tu sais. Je t’interdis de baisser les bras hein. C’est ce qui m’énerve avec toi, tu te laisses trop faire et c’est ton mari qui doit passer son temps à te protéger. Un jour il sera fatigué de le faire Zeina et ce jour-là tu feras quoi ?  tu es une femme sénégalaise. Ta mère, ta grand-mère et toutes les femmes qui ont foulé la terre avant toi se sont battues pour leur bonheur. Rien n’a jamais été facile pour elles, à toi de leur faire honneur Zeina. Nous sommes nombreuses à chercher un mari. Toi tu l’as déjà. Alors bat-toi pour le garder. Bat toi de toutes tes forces. Ne le laisse pas tomber. Pas après tout ce qu’il est en train de sacrifier pour toi. Ecoute mes conseils et fais quelque chose ! ordonne –t-elle en se levant les mains sur les hanches en signe de défiance.

- C’est bon tu as fini ? je la raille en me levant à mon tour.

- Oui. J’ai fait ma part. A toi de faire le reste. 


Elle enfile ses chaussures à talon et tire son jean pour le remettre en place. Il est tellement près de son corps qu’on le dirait dessiné sur sa peau. Je me demande encore comment on a fait pour devenir si proche alors qu’on est si diamétralement opposées. Je ramasse son journal de petites annonces « zoom » qu’elle a laissé sur place pour le lui tendre. 


- Oh laisse, j’ai fini de le lire. Il n’y a rien d’intéressant dedans. Je voulais voir s’il y avait des fonds de commerce en vente dans la zone d’angondje pour y ouvrir un autre salon de coiffure. La ville s’est bien développée là-bas. 

- Tu vas finir par devenir une grande femme d’affaires à l’allure là. 

- Bah on ne peut pas toutes tirer le gros lot en se mariant donc on fait comme on peut le temps de trouver nous aussi bague à notre doigt.   


Elle s’en va et ses mots ne cessent de tourbillonner dans ma tête. Me battre. Je veux bien le faire mais comment ? Ce n’est pas comme si la solution était écrite quelque part et que je refusais de la lire. Continuer à prier ? Oui, évidemment que oui. Mais si mon vœux doit se réaliser dans 10 ans, d’ici là j’aurai perdu mon foyer depuis fort longtemps. J’ai tout tenté pour plaire à ma belle-mère malgré tout mais elle ne veut pas de moi tant que je ne donnerai pas d’enfant à son fils. Je ne peux pas continuer à nager à contrecourant. 

Je feuillète à mon tour le journal d’annonce de Bintou et souris en y trouvant des messages aussi farfelus que grotesques. Je suis sure qu’elle ne l’a pas acheté pour les fonds de commerce mais pour les marabouts qui promettent monts et merveilles. Je m’apprêtais à fermer le journal lorsque je tombe sur une annonce qui retient toute mon attention. Au même moment, la porte centrale s’ouvre sur Idris qui rentre de la mosquée. Je ne sais pas pourquoi, je dissimule le journal sous un coussin. 


- Salut. 

- Salut chéri. Ça va ? 

- Oui. Mais il faut qu’on parle, dit-il en s‘affalant dans le fauteuil. 


Je me lève pour aller lui servir de l’eau fraiche mais il me demande de rester sur place. 


- C’est fini pour le BTP. Il va falloir que je fasse autre chose. 

- Mais la société. 

- Je vais céder mes parts. Je ne peux pas laisser ma mère croire qu’elle a le droit de diriger ma vie. Elle veut me foutre des bâtons dans les roues. Le mieux c’est de lui laisser la société et de faire autre chose. Si pour gagner un petit fils elle accepte de perdre un fils et une fille, grand bien lui fasse. 

- Comment on va faire alors ? Tu crois qu’il va falloir que je travaille ? 


Il tapote sa cuisse pour m’inviter à y prendre place. Je m’exécute la peur au ventre. Qu’est-ce qui est en train de nous arriver ? 


- Je vais me débrouiller Zeina. Mais si tu veux bosser libre à toi. Ce n’est pas à moi de décider pour toi. Tu veux travailler ? 

- Je n’ai jamais eu à réfléchir sur ca donc je ne sais pas quoi te dire Idris. 

- Te mets pas la pression. Je vais tout arranger.  

- Tout ça c’est de ma faute Idris. 

- Non. Je crois qu’il faut tout simplement qu’on continue de prier. 


Il pose un baiser sur mon front. 


- C’est ce que je fais tous les jours. Je me réveille même parfois la nuit et je prie encore et encore et encore et encore… pour une seule chose, un bébé Idris. Un bébé. 

- C’est étrange, soupire-t-il. 

- Quoi ? 

- J’ai fait un rêve étrange cette nuit. J’ai rêvé que tu avais un bébé sans avoir jamais eu le ventre rond et que tout rentrait dans l’ordre. Maman était tellement heureuse et toi aussi. Tu pleurais de joie. On avait notre bébé et il me ressemblait tellement que ma mère ne cessait de dire, on va l’appeler Idris aussi. Mais ce n’était qu’un rêve. 


Mon cœur bat à mille à l’heure en l’entendant évoquer ce rêve qui fait écho en moi et je ne pense plus qu’à une chose. L’espoir que j’ai ressenti dans mon cœur en lisant les quelques lignes de l’annonce. Une clinique qui propose quelque chose qui était encore inconcevable il y a de cela quelques années : les services de mères porteuses.

The Love between us