Chapitre 24 : Démon
Ecrit par Lalie308
Dans l'illusion des problèmes,
Je me noie dans les eaux profondes de la démence.
———
Aujourd'hui, c'est mercredi. Je dois d'abord aller travailler chez le coach puis me rendre à ce fameux spa avec Audrey. Dès que je mets pied dans le salon, la sonnerie retentit.
— Bonjour Aïden, salué-je en souriant à celui qui se trouve en face de moi.
— Hey Michelle, voici ton courrier.
— Merci, souris-je. Bonne journée.
— Bonne journée Michelle.
Je me jette dans mon sofa pour me balader dans ces fameux courriers. Mes yeux s'accrochent à une petite enveloppe noire que j'ouvre en fronçant les sourcils d'appréhension. Dans les films, ce n'est jamais bon signe. Dès que je l'ouvre, un petit cri s'échappe de ma gorge. Ce sont des photos de Harry et moi, en train de nous embrasser, dans tous les lieux qu'on a visités, puis de cette fameuse soirée du lundi, puis de quand nous nous sommes éclipsés par la porte de service pour nous embrasser. Mes mains tremblent alors que je continue de fixer les images.
— Michelle.
Je sursaute et balance nerveusement toutes les photos dans une boite avant de me lever, agitée. Mon père fronce les sourcils.
— Ça va ? me demande-t-il.
— Oui, oui, pourquoi ça n'irait pas ? bafouillé-je en souriant nerveusement.
— Parce que tu as l'air nerveuse.
— Nerveuse moi ? fis-je secouant mes mains. Peut-être juste à cause de cette journée de travail avec le coach qui m'attend.
— Le coach ? répète mon père, surpris.
Oups. J'espérais vraiment ne pas avoir à lui en parler.
— Je... et bien, je travaille avec lui, avoué-je d'une petite voix.
— Et pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?
— Ça n'allait pas fort entre vous dans le passé, donc je ne savais pas si c'était approprié.
— Michelle, c'est du passé, ne t'inquiète pas.
— Donc tu voudrais aller le voir là ? tenté-je avec une lueur d'espoir.
— Non, n'exagérons pas.
Je souris en secouant ma tête. Mon père est sûrement un peu blessé, parce qu'il a toujours jalousé ma relation avec le coach. Je marche vers lui comme une petite fille, tentant de contrôler les battements de mon cœur effrayé. Je lui fais un câlin.
— Tu resteras toujours mon petit papounet d'amour.
— Tu resteras ma petite fille chérie, fait-il en me souriant.
Il fronce à nouveau les sourcils.
— Tu es sûre que ça va ? insiste-t-il.
— Oui, oui. Je... Je vais juste m'en aller.
Je récupère la boite puis cours vers ma chambre. Je la cache sous le lit avant de fermer à clé puis de sortir. Lorsque je passe devant la cuisine, papa et Luc discutent en prenant leur petit déjeuner. Je souris légèrement. Je ne peux pas leur parler de ça, je dois assumer les conséquences de mes actes, toute seule. Puisque d'une certaine manière, j'ai insisté avec l'affaire Harry. Des larmes menacent de couler, mais je les retiens. Ce n'est pas le moment de craquer. Dès que je sors de l'immeuble, je marche lentement jusqu'à la voiture en tentant de respirer normalement. Dès que mon téléphone sonne, j'y jette un coup d'œil et découvre que c'est Harry qui me souhaite une bonne journée. Et il dit que je lui manque. Comment suis-je censée dire à cet homme si effrayé de cette vie que notre peur est juste à côté ? Comment lui dire que quelqu'un a découvert notre secret et que ce quelqu'un ne sera sûrement pas un allié ? Comment lui dire que cette aventure que j'espérais éternelle est menacée ? Je ne peux pas. Je range le téléphone dans mon sac à dos sans répondre puis continue anxieusement ma marche.
Lorsque je lève la tête, je remarque une personne qui m'observe au loin. Je fronce les sourcils, m'arrête, plisse les yeux pour mieux discerner les traits de la personne qui sourit à présent. Jack. C'est lui. Je détourne rapidement mon regard puis cours jusqu'à la voiture. Le long du trajet, je n'adresse pas la parole à Abdou et me contente de taper du pied. J'ai peur, atrocement peur. Harry m'appelle. J'hésite beaucoup, mais finis par décrocher.
— Ginger ? commence-t-il depuis l'autre bout du fil.
Et là, je me pose une question : et si on était sur écoute depuis le début et qu'ils n'attendent que le moment propice pour nous prendre la main dans le sac ?
— Harry, soupiré-je. Je suis au boulot là, je te rappelle.
Je raccroche sans lui laisser le temps de répliquer. J'ose regarder Abdou qui fixe la route devant lui, les mains crispées autour du volant. Je passe une main dans mes cheveux en soupirant bruyamment. Je sens que tout mon système parasympathique est en grande activité, chaque partie de mon corps est en panique. Une fois chez le coach, je suis un peu évasive. Je ne lui dis même pas que papa est ici. De toute manière, ils ne seront jamais amis. Je le sais pertinemment. Plus le temps passe, plus j'ai peur que la bombe explose d'un moment à l'autre, que tout se finisse aussi vite, trop vite. J'aime Harry. Je le veux pour toujours et à jamais, sans barrière, et pour l'éternité.
Tout le reste de la journée, je n'ai pas parlé avec Harry. En sortant de la voiture, Abdou m'a dit ceci : << Je ne sais pas ce qui se passe, mais sache que la communication est un outil puissant contre ton chagrin. Ne cache pas ce que tu as sur le cœur à Harry. Tu as trimé pour avoir cette relation, alors ne fous pas tout en l'air. >> Je me suis contentée d'entrer dans l'immeuble sans un mot. Heureusement pour moi, ni papa, ni Luc ne sont à la maison. Liam les a invités à une des auditions additionnelles qu'ils organisent. Dès que j'entre dans l'appartement, je laisse échapper un nouveau soupir avant d'aller me changer pour ce fameux spa. Je ne peux pas simplement m'évader du monde pour ça. Il faut que je continue à vivre, comme si de rien n'était, comme j'ai toujours su le faire.
Je rejoins une Audrey toute excitée au spa. Aucun soin n'arrive à m'apaiser. J'ai peur et j'ai mal. Après la séance de massage qui ne m'a pourtant pas permis de faire le vide et de me détendre, nous nous allongeons un instant avec des cocktails à côté.
— J'ai passé une merveilleuse soirée Michelle. Merci beaucoup de jouer le jeu, je n'ai pas beaucoup d'amis comme tu l'aurais remarqué.
— Pourquoi ça ? lui demandé-je pour quand même participer à la conversation.
J'ai été silencieuse tout le long de la soirée.
— Je ne sais pas. J'ai peur d'être blessée par les autres ou de les blesser. Avec une mère comme la mienne, il vaut mieux tenir les gens à l'écart.
Je ne suis pas insensible à sa peine qui se lit clairement dans sa voix. Je lui jette un coup d'œil compatissant. Cette séance lui a fait du bien, elle a la peau brillante dans son peignoir blanc. Elle est belle, belle et bonne, bonne et gentille. Je suis un monstre. Une bile acide me brûle la trachée avec toutes les ondes négatives qui remontent rapidement. Comment pourrais-je lui parler de ça alors qu'elle m'a confiée qu'elle pouvait en mourir si Harry l'abandonnait ?
— Je suis désolée, bredouillé-je d'une voix à peine audible.
— Ne le sois pas. Je t'ai trouvé tellement attachante à travers ta plume que j'ai voulu être amie avec toi et je ne le regrette pas. Même si on s'est à peine parlé pendant la soirée, je l'ai quand même trouvé magnifique.
On se regarde au même moment. Je lui adresse un petit sourire.
— Moi aussi. Et je trouve que tu es une personne géniale.
Pas comme moi. Elle me rend mon sourire avant de fermer ses yeux à nouveau. Mon téléphone sonne à plusieurs reprises, et je me retrouve contrainte à le prendre. Harry.
Michelle, quel est le problème ?
Tu me manques.
J'ai fait quelque chose de mal ?
Ne me fais pas ça.
Je souris tristement en lisant ses messages. Je l'ai tellement voulu mon Harry. J'ai tant peur de le perdre maintenant, en si bon chemin. Maintenant qu'il pose ce regard incroyable sur moi.
— Qui est-ce ? T'es toute rouge, m'aborde Audrey d'une voix bien expressive.
Je lui lance un regard un peu honteux tandis qu'elle affiche un sourire plein de sous-entendus.
— Personne, objecté-je.
Contre toute attente, elle se lève et me tire le téléphone des mains en gloussant. Je me lève aussi brusquement et tente de lui arracher l'appareil des mains.
— Audrey arrête.
— Aller, voyons voir qui te fait cet effet, s'oppose-t-elle en m'empêchant de récupérer mon téléphone. Bae hein, susurre-t-elle en regardant le téléphone.
Évidemment que je n'ai pas mis Harry, ce serait une grosse erreur. J'ai bien enregistré son numéro sous << Bae >>. Audrey se retourne finalement pour me tendre le téléphone.
— Tiens, je ne vais pas fouiller dans tes messages quand même. Je suis juste rassurée que tu es quelqu'un dans ta vie.
— Pourquoi ? lancé-je un peu sèchement.
— Parce que je ne veux pas que tu finisses comme une de ces femmes qui n'accordent pas de chance aux hommes et que tu le regrettes.
Je me contente de m'asseoir et de m'enfiler une longue gorgée de cocktail.
— Peut-être qu'un jour, on se fera un dîner à quatre. Mais je te préviens, Harry ne quasiment pas d'effort pour ce genre de chose.
— Ok, réponds-je un peu maladroitement.
Toute cette histoire tourne au vinaigre.
*
Après avoir enfilé un pantalon de jogging et un sweat shirt, je me rends dans la cuisine où se trouvent mon père et mon frère. On dîne ensemble pendant qu'ils me racontent un peu leur journée.
— Comment a été ton travail avec le coach ? demande papa sur un ton crispé.
— Bien papa.
— Coach ? répète Luc.
— Ta sœur travaille avec le coach, répond directement mon père sur un ton plus réprobateur qu'informatif.
La pilule n'est clairement pas passée. Luc se contente de poser un long regard sur moi, je baisse le mien. Je suis sûre qu'en cet instant, ils revivent tous ces moments douloureux, ces moments qu'on n'arrive pas à oublier. Voilà pourquoi je ne force pas Harry à oublier son passé. Je sais à quel point ça fait mal, parce que le lavage de mémoire n'existe pas. Enfin, sauf si je me décidais à opter pour le propanolol. Mais pour l'instant, les souvenirs restent là, gravés à jamais. On ne peut vivre qu'avec, on ne choisit pas de les oublier, parce que de toute manière, ils ne partiront jamais. Et s'ils partaient, on souhaiterait retrouver tout type de souvenir, pour ne plus être nu, nu et sans identité. Parce que notre mémoire sculpte notre personnalité. Et s'ils partaient, on deviendrait malade : du corps (alzheimer) et de l'âme.
Lorsqu'on sonne à la porte, Luc va rapidement ouvrir. Quelques minutes après, il apparaît dans la cuisine avec Harry, qui n'a pas vraiment l'air content.
— Bonsoir Maxim, lance-t-il en venant serrer la main de mon père.
Je détourne légèrement mon regard. Je ne sais absolument pas pourquoi j'agis ainsi. Harry, je ne veux pas le perdre. Mais si je continue d'agir ainsi, si n'est pas Jack qui nous sépare, c'est bien moi qui le ferai.
— Bonsoir, Michelle, fait-il d'un ton un peu froid et blessé.
— Hey, fais-je doucement.
Papa et Luc nous fixent gênés. Je décide de me lever.
— Excusez-nous.
Je marche devant, en me triturant les doigts. Dès que nous arrivons dans le salon, je m'assois sur dans le sofa, le regard baissé. Harry s'installe tout près de moi.
— Alors ?
Je souffle bruyamment. Je n'arrive pas à lui dire la vérité, au lieu de ça, j'invente un mensonge.
— Désolé pour mon comportement d'aujourd'hui, j'étais un peu stressée de passer une soirée avec Audrey, réponds-je sans vraiment le regarder dans les yeux.
— Hum, se contente-t-il de répondre en prenant ma main dans la sienne.
Je sursaute légèrement en la retirant. Il affiche une expression perdue.
— Désolée.
Je reprends doucement sa main dans la mienne en vérifiant par la grande baie si personne ne nous regarde. C'est absurde, c'est fou. Tout mon corps est tendu, mes idées confuses, comme si toute information dans mon cerveau est suspendue.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? Quelque chose s'est mal passé avec Audrey ?
— Non, non. Juste qu'elle a failli nous cramer avec les messages.
Harry se détend un peu. Il prend mon visage en coupe en me regardant dans les yeux. Je ne peux m'empêcher de trembler, de serrer les dents pour ne pas pleurer, pour ne pas craquer. Quand tu as tellement espéré quelque chose et que tu l'obtiens enfin, perdre cette chose ne t'enchante pas. Perdre ce dont tu as rêvé jour et nuit est comme voir des murs s'effondrer sur tous tes espoirs. Ça fait mal, ça fait peur et tu perds la répartie.
— Ne t'inquiète pas Michelle. L'important est qu'elle n'ait rien remarqué, chuchote-t-il doucement à quelques centimètres de mes lèvres. J'aurais aimé qu'elle sache mais c'est dangereux pour l'instant.
Il m'embrasse doucement, mais je suis paralysée. Je n'arrive pas à me lâcher. Je suis tétanisée par la peur. Il se contente de poser un léger baiser sur mes lèvres avant de se lever.
— Je crois que je vais m'en aller.
— Je... oui. Bonne nuit Harry, balbutié-je en me levant à mon tour.
Il me considère un moment avant de marcher directement jusqu'à la porte qu'il referme sans regarder derrière. Je me laisse retomber dans le sofa, la tête dans les mains. Un sanglot déchire ma gorge, mais je le ravale puis souffle longuement. Ne craque pas. Tu trouveras une solution et tout rentrera dans l'ordre. Je me relève pour rejoindre ma famille dans la cuisine.
— Tout va bien ? me demande papa.
— À merveille, mens-je à travers un sourire.
Ils n'ont pas du tout l'air convaincus, mais ne disent rien. Liam nous rejoint un peu plus tard dans la soirée. Je continue mon manège. Oh, Seigneur, aide-moi.
Harry
Elle me déteste, je la dégoute. J'ai fait quelque chose de mal. J'ai tout foiré. Je ne vois que ça comme explication pour qu'elle agisse ainsi. Je me laisse retomber dans le sofa en grognant.
— Je suis sûre que tu as tout faux Harry. Elle a peut-être un problème qu'elle n'ose pas te dire, avance Aliyah en posant sur moi ce regard compatissant dont j'ai horreur.
— Non. Elle était toute nerveuse. Et même si c'était le cas, on est un couple, je crois. Et elle est censée me parler de ce genre de choses, geins-je en passant mes deux mains sur mon visage.
Elle me caresse tendrement la main. J'ai honte de l'avouer, mais j'ai peur que ce soit fini, qu'elle ne veuille plus de moi, qu'elle ait compris la menace que je représentais, qu'elle piétine mon cœur, mon cœur brûlé qu'elle faisait renaître de ses cendre tel un Phoenix.
— Je crois que je l'aime Liyah, je ne peux pas supporter ça, lui intimé-je d'une voix extrêmement gutturale.
Je suis limite aux bords des larmes parce que je suis effrayé jusqu'aux os. Ma pire peur se réalise sous mes yeux : perdre mon remède. J'ai besoin d'elle pour tenir, besoin d'elle pour vivre, besoin d'elle pour être.
— Elle aussi elle t'aime Harry. Tu verras que tout s'arrangera.
Puis elle me prend dans ses bras. J'ai toujours été fort, impassible. J'ai toujours réussi à masquer mes peurs et craintes, vivre et bien construire mon armure. Elle a brisé mes barrières et maintenant je suis aussi fragile qu'un verre. Tout ce qui concerne Michelle me rend fou, à cran, perdu. Et sans elle, je ne suis rien, et pour elle je veux être tout. Elle est un souffle constant qui alimente ma vie, un soleil qui éclaire mon chemin, le fleuve dans lequel se baigne mon bonheur.
Michelle
— Prends soin de toi ma puce, m'intime papa en m'embrassant une dernière fois.
On est vendredi et papa s'en va. Je le serre fort dans mes bras, comme j'aurais aimé le serré quand j'étais dans le mal plus jeune. J'ai besoin d'une force avec moi, un sage pour m'éclairer. Nonobstant cela, ma bouche — de coutume très ouverte — reste aussi scellée que la boîte de pandore.
— Je t'aime papa.
— Moi aussi chérie.
Puis il serre la main à Harry en lui soufflant quelques mots à l'oreille, ce qui a pour effet une illumination du visage de ce dernier qui lui sourit. Puis il donne une claque à la tête de mon frère.
— Ouch. Et pourquoi moi je n'ai pas droit au câlin ? se plaint ce dernier.
— Prends soin de ta sœur ou sinon tu auras affaire à moi, lui indique papa avant de lui faire l'accolade.
Je l'embrasse une dernière fois.
— Ne te renferme pas ma puce. Parle, à n'importe qui, mais parle ou tu finiras par exploser au mauvais moment, au mauvais endroit.
Puis il s'en va, après avoir accentué ce poids sur ma poitrine. Je lance un regard de biais à Harry puis regarde Luc. Pourquoi est-ce si difficile d'en parler ? Je ne suis pas la seule concernée, Harry l'est aussi. À n'importe quel moment, la bombe pourrait exploser. Jack n'a pas fait de menace, rien. Ce qui prouve qu'importe ce qui se passe, il fera quelque chose de pas très joli avec ces photos. Lorsque nous quittons l'aéroport, nous nous rendons tous les trois au bar dans lequel Ashley travaille, le même bar où j'ai rencontré Harry. Toute la team de Liam est présente. Après les mondanités d'usage, je me fais servir un mojito par Ashley. Harry n'essaie même pas de m'adresser la parole, au lieu de ça, je l'ai vu se diriger vers le fond de la pièce. Je reste accrochée à mon cocktail, la boule au ventre.
— Aller Michelle, viens danser, m'invite Elton en se trémoussant près de moi.
— Non Elton, je suis fatiguée, décliné-je gentiment.
— Allez, Mich.
Il insiste et persiste.
— J'ai dit non, m'opposé-je un peu brusquement.
Il recule légèrement et je regrette instantanément ma réaction excessive.
— Pardon.
— Non ça va, excuse-moi, bredouille-t-il en me souriant.
Mais je vois clairement que je l'ai vexé.
— Je suis un peu à fleur de peau ces derniers temps. Excuse-moi Elton, reprends-je.
— Ne t'inquiète pas Michelle et je suis là si tu veux parler.
Je lui souris. Quelques minutes après, Ashley apparaît de nouveau derrière le bar. Son regard se balade dans la foule pour se poser sur Liam.
— Tu l'aimes ? lui demandé-je en parcourant les rebords du verre de mon index.
Elle pose son regard sur moi.
— Je...
— Juste, ne fais pas de mal à mon ami, s'il te plait, la supplié-je en regardant aussi Liam.
— Je ne le mérite pas, fait-elle tristement en nettoyant le comptoir d'un geste mécanique sans réellement faire attention à ce qu'elle fait.
— Personne ne mérite personne, déclaré-je en levant mon verre puis en le vidant d'une traite.
À cause d'une envie pressante, je finis par me lever pour aller aux toilettes. Les toilettes sont étrangement vides ce soir. J'observe, morose, mon reflet désorienté dans le miroir, j'inspire profondément puis expire. L'alcool qui m'est monté à la tête ne rend pas les choses faciles. Je pose enfin mon regard sur mes mains tremblantes puis ravale le sanglot qui est coincé dans ma gorge. Qu'est-ce qui me met dans pareil état ? La peur qu'Harry découvre tout et décide d'y mettre fin ou la peur que tout le monde le sache ? Dans tous les cas, la finalité est la même. Je le perdrai. Lorsque la porte s'ouvre derrière moi, je lance un regard par-dessus mon épaule pour découvrir Harry, les yeux rougis et la mine déconfite. J'aimerais lui indiquer qu'il est dans les toilettes pour femmes, mais aucun son ne parvient à franchir mes lèvres.
Je me contente de le suivre de mon regard jusqu'à ce qu'il ne s'arrête derrière moi, le regard figé dans le mien à travers le miroir. Il prend mes mains dans les siennes, en ne me quittant toujours pas des yeux, puis il embrasse chacun de mes doigts, ses lèvres chaudes électrisant mon corps. Je pince mes lèvres pour me contenir. Il glisse ensuite ses mains froides sur mon ventre à travers ma chemise puis me rapproche de lui, collant mon dos à son torse. Sa tête se noie lentement dans mon cou sur lequel il dépose une pluie de baisers. Je reste immobile, incapable de mouvement.
— Tu n'as pas le droit de me faire ça, grommelle-t-il dans mon cou.
Mon cœur se brise lorsque j'entends le son de sa voix. Harry, mon beau Harry, te voir souffrir est un supplice au-dessus de mes limites. Soudain, il me fait faire volte-face, nos têtes sont à quelques centimètres l'une de l'autre. Je peux d'ailleurs sentir son souffle alcoolisé contre mon visage, je peux sentir sa peine et sa peur. Il m'embrasse lentement, très lentement, atrocement lentement. Mes lèvres suivent la danse des siennes, me permettant d'oublier en une fraction de seconde ce qui m'effraie depuis quelques jours. Trop beau pour être vrai, les photos me reviennent violemment à la mémoire, sans que je ne puisse l'empêcher. J'arrête tout mouvement, Harry fait de même en se détachant de moi.
— Je n'ai pas pu t'avoir rien qu'à moi pendant toute la semaine. J'en ai enfin l'occasion et tu me rejettes ? s'indigne-t-il amèrement.
Et à ce moment, je constate qu'il est sourd. Il arrive à peine à tenir debout.
— Je ne te rejette pas Harry.
Il esquisse un léger sourire, ce genre de sourire qui fait encore plus froid dans le dos que des larmes ou des insultes. Ce genre de sourire qui saigne, saigne comme un démon. Puis il sort des toilettes sans un mot. Je reste immobile pendant un long moment avant de sortir des toilettes. Je marche directement vers la sortie, mais une main autour de mon poignet m'arrête subitement.
— Chère Michelle.
Mes yeux sont grands de surprise, je regarde autour de moi, légèrement rassurée que les gens autour soient sourds ou quasi absents.
— Tu as eu mon cadeau j'espère, murmure-t-il sournoisement.
Je le regarde écœurée puis le repousse en claquant une gifle sur son visage. Il bondit sur moi comme un lion.
— Je vais te péter, je vais publier ces photos et le monde entier verra qu'elle type de garce tu es.
— Lâche moi, sifflé-je en le repoussant.
En un clignement de cils, je vois Harry en face de moi qui flanque un coup de poing en pleine face de Jack. Et c'est à ce moment précis que tous les regards sont posés sur nous.
— N'ose plus jamais, le menace Harry, le visage rouge de colère.
Jack se rapproche de lui, en colère, mais Harry bloque son coup.
— Harry, c'est bon, laisse-le, le supplié-je pour que la situation ne s'envenime pas.
Mais Jack insiste en lui donnant un direct en plein visage et de là, ils se battent comme des chiens.
— A l'aide, à l'aide, hurlé-je, tétanisée.
Liam et Luc sont les personnes que je vois tenter de les séparer. Liam retient Harry de mon côté, celui-ci a les lèvres fendues et des hématomes sur le visage, l'œil droit légèrement enflé et le nez limite cassé. Jack est carrément défiguré. Je pose mon regard tétanisé sur les jointures ensanglantées de Harry qui respire bruyamment. Je ne le reconnais pas sur le coup. Harry n'est pas violent. Lorsque Luc et Liam les relâchent enfin, Jack se précipite encore, mais trébuche sur les pieds de Luc, il vacille et vacille pour ne pas tomber, le faisant reculer et reculer. Il cogne les gens, vacille, comme s'il ne contrôlait plus ses mouvements puis finit par tomber en pleine route. Il se lève pourtant encore rapidement.
— Je vais te foutre en l'air Daniels, hurle-t-il, mais une voiture le ramasse si rapidement que le temps s'arrête.
Je vois son corps rouler sur la voiture puis s'échouer violemment sur le bitume froid. Des cris sont poussés de partout, les gens se précipitent vers lui.
— Appeler une ambulance, hurle Liam en courant vers lui.
La voiture s'est arrêtée et le conducteur semble des plus nerveux. Je reste là, à observer la scène. Luc se place près de moi et me prend la main pour me soutenir. Je reste ainsi jusqu'à l'arrivée de l'ambulance et de la police.
Harry aussi n'a pas bougé. Il est là, près, mais si loin. Tout s'est si vite passé que je n'y comprends rien. Après le départ de l'ambulance avec Jack, la police interroge certaines personnes puis deux des agents se rapprochent de nous.
— Les témoins affirment que vous vous disputiez avec monsieur Gelbero ?
Je hoche doucement la tête.
— Et pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Je jette un bref coup d'œil à Harry puis je regarde encore les agents en face de moi. Luc m'encourage à parler.
— Tout ira bien, me chuchote-t-il.
— Il m'a menacé de me faire du mal parce qu'il a été licencié après avoir tenté d'abuser de moi.
Je cache une partie de la vérité et j'espère que cette partie-là ne verra jamais le jour. Abdou a disparu, je ne le vois nulle part et je commence à avoir peur. Et si Jack lui avait fait du mal? Après quelques autres questions, ils se rendent vers Harry qui parle aussi. Il dit que nous étions un groupe d'amis venu célébrer les bonnes affaires. Qu'il n'a pas supporté de voir Jack se jeter sur moi. Heureusement, plusieurs personnes ont affirmé qu'Harry n'y était pour rien dans l'accident de Jack. La police exige quand même qu'il les suive jusqu'au poste.
— Pourquoi ? Il n'a rien fait de mal ! m'opposé-je dans tous mes états.
— Calme-toi Michelle, c'est juste une routine, murmure Luc à mon oreille. S'il te plait.
Je respire doucement puis les regarde s'éloigner. Harry n'a pas daigné poser un seul regard sur moi, pas un seul. Liam me prend dans ses bras, puis Luc puis les membres de l'équipe et enfin Ashley. Je ne cesse de trembler, encore secouée par les derniers évènements. Même si Jack est le plus gros des idiots, j'espère qu'il survivra, mais qu'il aura quand même un gros trou de mémoire. Abdou apparaît enfin en pas de course, il a l'air atrocement épuisé.
— Ne t'approche pas de ma sœur, t'es quel genre de garde-corps? s'insurge Luc, très en colère.
— Désolé, je... j'avais un truc à faire.
Il a l'air... perdu. Je regarde Liam et Luc puis parle.
— Tout va bien, je vais rentrer avec Abdou. Luc, on se voit à l'appart.
— Quoi ? s'emporte-t-il.
— Luc...
Il soupire d'agacement, mais ne dit rien. Je monte enfin en voiture avec Abdou qui conduit vers la maison.
— Pardon, soupire-t-il.
— Ce n'est pas grave Abdou.
— Si. J'ai eu un instant de faiblesse. Je... Harry a découvert quelque chose qui l'a mis en colère. J'avais besoin de m'évader. Je me disais que tu étais avec lui et que rien ne t'arriverait. J'ai fait une très grave erreur. Pardon.
Je le scrute du regard pendant un moment, mon cœur toujours battant. J'ai juste envie de voir Harry et de le serrer dans mes bras. Je sais que ce n'était pas lui quelques minutes plus tôt, je sais qu'il a besoin de moi. Je comprends alors ce qu'Harry a pu découvrir.
— Il a découvert que tu avais des sentiments pour lui, n'est-ce pas ?
Abdou fronce les sourcils.
— Ne t'inquiète pas, je ne te juge pas. Je le savais depuis un bon moment. Harry reviendra vers toi, t'es son meilleur pote. Comprends-le juste, c'est quand même une grosse nouvelle. Et je suis désolée.
Il gare devant l'immeuble.
— Tu viens de te faire agresser et pourtant, tu es ici à me donner des conseils.
Je lui souris. Il m'observe pendant un moment.
— Ton devoir n'est pas d'être éternellement forte.
— Je te retourne ta phrase. C'était quand la dernière fois que tu as pleuré ? lui demandé-je sur un ton de défis. Vraiment pleurer, ce type de pleur qui permet de tout vider. Hurler jusqu'à s'en déchirer les cordes vocales.
— Aujourd'hui.
Je l'observe pendant un moment en silence avant de sortir de la voiture.
— Bonne nuit Abdou.
Je fonce dans mon appartement puis dépose ma sacoche sur la table basse. Je me sens étrangement calme, comme si rien ne s'était passé tout à l'heure, comme si tout allait bien. Je m'installe dans le sofa en soupirant doucement puis prends mon téléphone pour appeler Harry, en espérant que la police l'ait relâché, mais personne ne décroche. Mes mains n'ont toujours pas cessé de trembler, comme si en contradiction à tout mon corps, elle ne supportait pas la situation. Je me rappelle ma conversation avec Abdou. La dernière fois que j'ai pleuré, c'est il y a 6 mois, après ma connerie avec Ronel. Et depuis, les évènements ont été bien plus déstabilisants, mais je garde mon calme. Pourquoi ? Parce que mon monde s'est effondré. J'ai tout fait pour le maintenir, pour maintenir ma paix, ma joie. Pourtant, mon monde s'est lentement effrité sous mes yeux. Je reste ainsi, à penser pendant ce qui semble être une éternité, sans bouger, sans parler. La porte d'entrée s'ouvre quelques heures après, Luc pénètre dans l'appartement avec Liam : mes deux amours, mes piliers.
— Comment va Jack ? demandé-je en me redressant.
— Dans un coma, me répond Liam.
— Comment tout ça est-il arrivé ? Comment ? me demandé-je à moi-même.
— Ce n'est pas de ta faute Michelle, tente de me consoler mon frère.
— La faute à qui alors ? Avant moi, je pense que tout allait bien ici et dans la vie de Harry. Je... fais tout et absolument tout de travers. J'ai juste envie de tout arrêter et de rentrer. Je fais du mal à Harry, Audrey, vous tous...
Ils restent silencieux, parce qu'ils savent qu'importe leurs dires, je ne changerai pas d'opinion. Je me sens comme un monstre, l'élément perturbateur qui vient tout foutre en l'air. Mais comment, dites-moi comment devenir maître de ses sentiments, surtout quand ils sont si puissants qu'ils pourraient tout dévaster ?
— Il m'a envoyé ces photos quelques jours plus tôt, j'ai paniqué. Je n'ai pas voulu le dire à Harry. Je me suis éloignée de lui, je l'ai fait souffrir et il a pété un câble.
— Des photos ?
J'acquiesce et ils comprennent directement. Luc me caresse les cheveux en m'embrassant le front.
— Tout ira bien maintenant Mich, il ne dira rien.
— Je suis un monstre de vouloir qu'il perde la mémoire ou un truc du genre ? avancé-je en souriant tristement.
— Non, pas du tout, répond Liam.
Je pose encore le regard sur mes mains, Liam me caresse le dos.
— Que pensez-vous qu'ils feront à Harry ? Je pourrai le voir s'ils le gardent là-bas ? Ou...
— Il ira bien. Ils vont probablement lui coller une amende pour la bagarre qui ressemblait plus à de la défense puisque les examens montrent qu'il avait consommé de la drogue à haute dose. Je parle de Jack.
Une petite larme mouille ma joue.
— Je ne veux pas le perdre, chuchoté-je.
— Tu ne le perdras pas, me répond Luc.
Je lui lance un regard perdu, Luc n'a pas toujours été fan de Harry et l'a clairement montré.
— Il t'a défendu sans penser aux conséquences sur lui et sa carrière, il était comme un zombie tout le temps que tu étais distante, je pense lui accorder une chance.
Je souris à Luc en serrant sa main. Lorsqu'on sonne à la porte, Liam va ouvrir. Je vois Harry en face de moi, plaies nettoyées.
— Je vais m'en aller, bonne nuit, Mich, on se voit demain, fait Liam avant de sortir.
Luc regarde Harry puis me regarde.
— Je vais dans ma chambre.
Avant de s'en aller, il fait un signe de tête à Harry qui y répond. Harry ferme la porte puis marche lentement jusqu'à moi. Il reste assis dans le silence pendant un moment. Je lui raconte toute l'histoire en observant un point invisible en face de moi.
— Je... j'ai agi comme une conne, je le sais.
— Tu aurais dû m'en parler.
— Je sais, soupiré-je. Je suis désolée.
— Je suis désolé de m'être comporté ainsi ce soir, désolé que tu aies assisté à pareille scène, que tu aies vu cette face-là de moi, rétorque-t-il en se tournant vers moi. Une face que je ne connaissais pas moi-même.
— Je te connais maintenant Harry, réponds-je doucement en prenant sa main dans les miennes.
Je tourne enfin ma tête vers lui, on s'observe pendant un long moment. Il pose ses lèvres sur les miennes puis m'embrasse lentement, doucement surtout parce que je sens que ses blessures le font quand souffrir. Cette fois-ci, j'y réponds. À la fin de notre baiser, il me prend dans ses bras, pendant un long moment. Il me serre fort dans ses bras, il me serre si fort que je ne veux plus jamais arrêter cette étreinte.
— Abdou m'a raconté, dis-je quand nous nous séparons.
— Je lui parlerai... Je dois d'abord être prêt. Apprendre que mon frère de chœur a des sentiments pour moi, c'est déstabilisant.
— Je comprends.
J'aimerais lui sourire, mais je n'y arrive pas, la tension de ce soir est encore bien trop forte, insupportablement forte. Je me contente de poser ma tête sur son épaule, puis de fermer les yeux pendant quelques secondes pour profiter, profiter de Harry.
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Pleins de bisous ????