Chapitre 24 : En froid avec David

Ecrit par Auby88

Margareth IDOSSOU


"(…) la probabilité de maternité est de 99,9999% (…)"


Le résultat sous mes yeux me remplit d'une joie indescriptible. J'inspire profondément. C'est bien ma fille. Je me dois de la reprendre. Coûte que coûte. Je suis sa mère. Pas besoin d'ajouter le terme  "biologique". Je suis sa mère, un point c'est tout. Celle qui a enduré les douleurs de l'enfantement pour la mettre au monde. C'est moi. Oui, c'est moi. Rien que moi. Pas cette Judith. Elle l'a certes éduquée, elevée mais ce n'est pas sa fille. C'est la mienne, la mienne. Juste la mienne. Une mère reste une mère, quoi qu'il en soit.

Ce n'est pas ma faute si Judith ne peut avoir d'enfant. Je sais qu'elle en souffrira certainement et ma fille aussi, mais je me dois de reprendre Sibelle. J'en ai besoin. Pour me sentir moins coupable de l'avoir abandonnée. Pour essayer de rattraper toutes ces années loin d'elle. J'ai besoin de l'avoir près de moi. C'est vital pour moi.


Je me lève et vais dans ma chambre. Du tiroir, au chevet de mon lit, je sors le dessin que ma fille m'avait offert. Elle et moi, main dans la main. Je le fixe sur le mur et reste là à le regarder.

- Ma toute belle, je t'aime tellement ! Tu ne peux savoir combien ! J'ai tellement hâte de t'avoir près de moi, de te border chaque soir, de vivre tous ces beaux moments que seule Judith a le privilège de partager avec toi...


Soudain, ma joie s'évanouit. Je n'ai peut-être jamais traité de cas d'adoption, mais dans ma grande liesse, j'ai oublié un détail important. Un enfant abandonné fait l'objet d'une adoption plénière qui rompt tout lien avec ses origines et qui reste irrévocable, sauf pour des motifs jugés graves. Hors, Sibelle vit en parfaite harmonie avec ses parents. Autrement dit, je ne pourrai pas reprendre ma fille. Elle reste légalement la leur. Il y a bien des fois comme celle-ci où je déteste la loi.


Sur le bord de mon lit, je me laisse choir. Complètement déroutée. Complètement déçue. Complètement vide. Complètement perdue...


C’est grâce à Sibelle que j'ai su sourire à nouveau. D’un sourire réel et non mimé. C’est aussi elle qui m'a réappris à aimer. D’un amour maintenant très grand qui me brûle les entrailles.


Où est passé mon masque de femme forte et impassible ? Fragilisé. Détruit par l’amour. L’amour d’une petite fille. L’amour pour une petite fille.

Je l’aime, oui je l'aime. Et cela, je voudrais le crier partout et très fort. Jusqu’à en perdre la voix.


On sonne à ma porte. Je n'ai aucune envie de voir une âme humaine. La personne sonne encore et encore. C'est peut-être David. Tout doucement, je me dirige vers le salon et vais ouvrir, les yeux au bord des larmes. C'est bien lui.


- Mélanie, enfin je te trouve.

Pour toute réponse, je me jette à son cou et pleure à chaudes larmes. Il m'entoure de ses bras réconfortants.

- Jamais, je ne pourrai la reprendre David, jamais ! En l'abandonnant cette nuit-là, j'ai perdu tous mes droits.

- Calme-toi, dit-il les yeux hagards. Asseyons-nous. Es-tu certaine qu'elle est ta fille ?

Je hoche la tête, en lui tendant les résultats d'ADN.

- Comment as-tu pu réaliser le test sans l'autorisation des parents ?

- Cela n'a pas d'importance. Tout ce qui compte est ce qui est écrit sur ce document. Sibelle est ma fille, David !

- Je suis à la fois content et désolé pour toi. J'avoue que je craignais que tu fasses une bêtise.

- Ce n'est pas l'envie qui m'a manqué.

- A présent, que comptes-tu faire ?

- Je n'en ai aucune idée. Mais maintenant que je sais qu'elle est ma fille, je ne compte plus jamais perdre sa trace. Les da SILVA ignorent que je connais la vérité sur Sibelle. Alors je compte en profiter pour plus me rapprocher d'elle. C'est mon droit après tout !

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, Mélanie. Tu devrais parler franchement avec eux, à propos d'elle.

- Je ne pense pas. Judith passe le clair de son temps à m'empêcher de m'approcher de Sibelle. Imagine ce qu'elle fera si je lui disais tout. Elle est capable de quitter le pays avec Sibelle, juste pour que je ne la vois pas.

- C'est possible mais …

- Ce n'est pas la peine de m'en dissuader David. Je ne compte rien lui dire. Elle croit être plus intelligente que moi, alors je jouerai son jeu.

- Mélanie, à cette allure, tu risques de faire une grosse bêtise !

- J'en ai bien le droit après tout ! Tu ne peux pas comprendre toi, parce que tu n'as pas d'enfant. Si tu en avais, tu saisirais toute ma peine.

- Je n'ai nullement besoin d'être géniteur pour comprendre toute ta douleur. Crois-moi, je souffre avec toi.


Tout en me parlant, ses yeux brillent intensément. Je le fixe.

-  Tu es toujours là pour moi, même quand je suis dure et désagréable avec toi ! Tu connais toujours les mots pour m'apaiser. Tu es un vrai ami, David. J'ai parfois l'impression que je ne mérite pas autant d'attention de ta part.

- Bien sûr que oui, Mélanie ! dit-il en se rapprochant plus de moi. Tu mérites cela et beaucoup plus de ma part, tu sais !

- Merci David.

Il prend ma main. Je l'entends respirer profondément avant de poursuivre :

- Il y a quelque chose que je me dois de te dire, Mélanie. Je ne peux plus le cacher.

Ses propos et sa gestuelle m'inquiètent vraiment.

- Qu'est qu'il y a ? Parle !

- Je ... t'aime, Mélanie.

Je ne peux m'empêcher de rire. Il semble dérouté.

- Et tu fais tout un cinéma pour me dire cela ? Je sais bien que tu m'aimes comme un frère, voyons !

- Non, Mélanie. Pas comme un frère, mais comme … un homme.



David N'KOUE

Je lis comme un choc sur son visage. Elle retire brusquement sa main de la mienne et se lève aussitôt. Le rire disparaît pour laisser place à une mine "noire" que je ne lui connaissais pas. J'avais peut-être mal choisi le moment, mais je n'en pouvais plus de taire mes sentiments en étant si proche d'elle.


- David, pas toi ! Pourquoi me fais-tu cela ? Pourquoi me traites ainsi ? vocifère-t-elle.


Je ne m'attendais pas à une pareille réaction de sa part.  Je la laisse parler.

- Je croyais que tu étais différent des autres hommes, mais je me rends compte que vous êtes tous pareils, des damnés. Vous n'êtes pas capables de voir une soeur ou une amie en une femme. Vous ne pensez que par le bas. Avoue que tout ce que tu veux, tout ce à quoi tu penses, c'est coucher avec moi !


Là, elle abuse.

- Mélanie, tu m'offenses vraiment !

- Parce que tu crois que tu ne m'offenses pas en me parlant de ton soi-disant "amour". Je n'en ai que faire de ta peine. Tu es un traître, David, un traître ! Pendant que moi, je me blotissais dans tes bras à la recherche du réconfort d'un ami, toi tu avais des pensées impures sur moi. Honte sur toi, David !

- Tu digresses Mélanie ! Sache que ce que je ressens pour toi ne date pas d'aujourd'hui. J'ai toujours eu un faible pour toi, depuis le collège mais je me suis toujours efforcé de le réprimer. Mais là, je n'en pouvais plus !


Elle s'efforce de se boucher les oreilles avec ses mains.

- Tais-toi, je ne veux pas t'entendre. Sors de chez moi, va-t'en !

- Non, tu vas m'écouter, Mélanie ! Ce que j'éprouve pour toi est un sentiment noble et désintéressé, pas comme celui de Charles. Je sais qu'il a profité de toi, mais cela ne veut pas dire que mes intentions sont pareilles. Je n'ai jamais rien exigé, rien attendu de toi. Tu le sais très bien. J'ai toujours mis ton bonheur, tes désirs en premier, m'effaçant à chaque fois. Alors, tu me fais vraiment mal quand tu me traites ainsi.

- Sors d'ici, sale traître ! poursuit-elle toujours en colère contre moi.


Je secoue la tête. Je ne reconnais plus la femme devant mes yeux. Ses injures me font si mal, que je ne peux me retenir de lui dire des mots durs en retour : une vérité que je m'efforçais de taire.

- Plus je te regarde et plus tu es différente de la Mélanie que j'ai connue, de celle dont je suis tombé amoureux. Tu en veux au monde entier, tu en veux aux da SILVA, à Charles, à moi, à tous les hommes…

- Oui et alors ?

- Pourtant, la seule à blâmer ici c'est toi ! Si tu ne t'étais pas donnée gratuitement à Charles, tu n'en serais pas là aujourd'hui, seule et sans le moyen de reprendre ta fille !

- Je ne te permets pas, dit-elle en essayant de me gifler.

J'arrête sa main.

- Ne t'avise jamais de faire cela ! Par amour pour toi, j'ai laissé passer beaucoup de choses mais plus maintenant.

- Lâche ma main, tu me fais mal !

Je lâche prise.

- Sache que je suis un vrai homme, même si tu es trop aveugle pour le voir !

- A présent, va-t'en, me lance-t-elle en ouvrant la porte. C'est ainsi qu'on chasse les traîtres !


Je demeure interdit.

- Tu me chasses de chez toi, comme un vil individu, juste pour t'avoir dit que je t'aime, tu bafoues mes sentiments et une amitié de longue date juste pour une vérité que tu n'acceptes pas ! Tu me déçois beaucoup, tu sais. Garde bien cet instant en mémoire, parce quand tu viendras à nouveau frapper à ma porte, elle te restera fermée.

- Jamais je ne reviendrai vers toi, David ! Jamais plus !

Je la fixe une dernière fois, puis je sors. Elle referme sa porte brusquement. J'attends quelques secondes là.

- Salaud, traître ! Les hommes sont tous des cons ! l'entends-je dire.


Je respire profondément, puis je m'en vais, descendant les marches très lentement. Je n'arrive toujours pas à croire que je l'ai perdue. Pourtant, quand j'y repense, c'est bien mieux ainsi. Elle ne mérite ni mon amour, ni mon amitié, ni que je me morfonde, ni que je souffre pour elle. Plus que jamais, je me dois de l'oublier...


Pourtant, je souffre…

Je roule jusqu'à cotonou et fais escale dans un bar au hasard. Quelle heure est-il​ ? 21h, 22h. Je n'en ai aucune idée. Je veux juste boire et oublier. J'ai conscience que je repars au boulot demain, j'ai conscience que boire puis conduire est dangereux. Mais pour l'heure, je m'en fiche. Je veux juste boire, un, deux ou trois verres. Je m'efforcerai de ne pas exagérer, de ne pas abuser.

Au comptoir, je m'assois et fais signe au barman.

- un whisky sec, je vous prie.

Je le bois d'un trait et en demande un autre. Je suis sur le point de le vider quand une belle gazelle m'interpelle. Je dépose le verre et la scrute.

- Puis-je m'asseoir près de vous ?

Je hoche la tête, face à cette déesse devant moi. Grande, fine avec de belles courbes. On dirait Margareth, avec un détail en plus qui les différencie vraiment. Celle-ci a un sourire naturel très enchanteur, avec des fossettes sur chaque joue.

- Je me présente. Cynthia DOSSOU. Et vous ?

Elle est vraiment désirable cette jeune femme, mais mon cœur meurtri ne me donne point envie de jeux sous la couette. Je préfère être franc avec elle.

- Ecoutez, Cynthia. Je ne voudrais pas vous vexer, mais je ne suis pas intéressé par un plan cul ce soir.

Elle se met à rire.

- Un plan cul, vous dites !

- Je pensais que vous êtes …

- une prostituée, une co-girl … simplement parce que je suis venue vers vous ?

- Je m'excuse. Je n'avais pas l'intention de vous blesser.

- Vous venez pourtant de le faire. En fait, je vous observais depuis votre arrivée. J'avais juste envie de me faire un nouvel ami, rien de plus. Mais je vois que je ne suis pas au bon endroit.

 

Elle se lève. Je retiens son bras.

- Restez, je vous en prie.

Elle acquiesce.

- D'habitude, je n'affiche pas cette mine autant triste devant une jolie femme comme vous, mais ce soir j'ai le blues.

- A cause d'une femme, n'est-ce pas ?

- Oui, une femme.

- Vous voulez qu'on en parle ?

- Je n'ai pas envie de vous ennuyer avec ma vie.

- J'ai toute la nuit pour vous écouter, dit-elle en éloignant mon verre de whisky. Ceci n'a jamais été une solution.

- Vous avez raison.

Je lui raconte ma peine.

- Cette femme ne vous mérite pas David. Elle est trop aigrie, trop rancunière, trop attachée à son passé pour avancer vers un futur avec vous, pour se rendre compte de l'homme bon que vous êtes. Et puis, elle n'est pas amoureuse de vous. Un amour à sens unique, est un gouffre sans issue. N'y perdez pas votre temps…


Je l'écoute avec grande attention. Elle me donne l'impression d'en savoir beaucoup sur les relations sentimentales.

- Vous êtes psychologue ?

-  Oui, bien deviné.

Je me surprends à sourire.

- Et vous ?

- Docteur David N'KOUE !

- Pédiatre, n'est-ce pas ?

Je hoche la tête, intrigué.

- Ma soeur parle toujours en bien de vous. Et Nathan, mon neveu vous adore.


Nathan est l'un de mes patients. C'est normal que ce petit chenapan m'adore. Il passe son temps à me faire du chantage avant de me laisser l'ausculter. D'ailleurs, la majorité de mes figurines se trouvent avec lui.

- C'est bien une belle surprise, dis-je. Que le monde est petit !

- En effet !

Un court silence s'installe entre nous. Je la fixe davantage. Je me sens beaucoup plus détendu.

- A présent, parle-moi de toi, Cynthia.

Tout en me gratifiant de son sourire cristallin, elle me dit ceci :

- Si je te raconte tout de moi ce soir, je parie que tu ne voudras plus jamais me revoir. Hors, j'ai envie de revoir ton beau visage encore et encore.

- Alors, je n'insiste pas.

Je sors mon téléphone et prends son numéro. Elle en fait autant.

- Cela te dirait qu'on fasse un petit tour à pied dehors ? La ville est très belle la nuit.

Elle ne se fait pas prier. Nous sortons et longeons le trottoir, discutant et riant aux éclats. Son rire est unique. Cadencé, rythmé tandis qu'il emplit l'air. Elle est un vrai don du ciel, cette fille. Peut-être envoyée spécialement pour moi ce soir. Je me sens bien à mon aise près d'elle. Nous marchons près de quinze minutes, puis je la ramène à sa voiture. Une belle honda rouge. Elle me fait promettre de la rappeler, me donne un baiser furtif sur la joue puis disparaît derrière sa vitre. De toute manière, je suis bien décidé à la revoir. C'est bien ce dont j'ai besoin actuellement pour me détacher de Mélanie.









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