Chapitre 25

Ecrit par leilaji

The love between us


Chapitre 25


Je transpire des mains. Je n’ai jamais transpiré des mains de toute ma vie. J’ai du mal à me concentrer sur ce que je dois faire, comment je dois réagir. Je tourne dans le salon puis me dis qu’il faut sortir de la maison prendre un peu d’air. Je ne fais même pas une minute dehors que je reviens m’assoir devant notre ordinateur. 


Et tout d’un coup je me calme. J’ai peur. Ça doit être ça. Peut-être que pour la première fois depuis le début la première fausse couche de Zeina, j’ai l’impression qu’il y a enfin une possibilité que je devienne enfin père. Je panique et mon cerveau essaie de me distraire en me faisant retourner dans le passé. Ça doit être ça. Je reprends mes esprits. Cela fait cinq ans qu’on ne s’est pas vu. Dieu n’a pas pu aussi nettement séparer nos chemins pour nous remettre l’un en face de l’autre dans une situation qui serait complètement ingérable. Pour moi. Et pour elle ? Où en est-elle dans sa vie ? Est-elle heureuse ? Si elle l’était ferait-elle une chose pareille ? Non. Ou oui. Au cours de nos recherches, Zeina et moi avons lu que ce n’est pas toujours une question d’argent pour les mères porteuses. Parfois c’est par générosité. Une générosité récompensée mais de la générosité quand même. Non ça ne peut pas être ça. Ce ne peut être ni oui ni non car ce n’est pas Manu. C’est impossible que ce soit elle. Manu ? Maman ? Je délire éveillé. 

J’ai pensé à notre histoire ce matin et voilà que je crois reconnaitre son écriture. Je suis stupide. Ca ne peut pas être elle. Ce serait trop gros pour être vrai. J’ouvre la boite de conversation. Elle est vide. J’essaie regarder s’il n’y pas d’option archivage qui pourrait me mettre sur la voie. Je ne trouve rien. J’avais oublié qu’elle s’effaçait au fur et à mesure pour des raisons de confidentialité. Je suis sure que je fais tout un plat de rien. Ce n’est pas Manu. Elle n’a jamais aimé les bébés, les femmes enceintes, les mamans. Elle a toujours été allergique à tout ce qui a trait à la maternité alors pourquoi irait-elle faire une chose pareille ? Pour de l’argent ? Non, elle en a. Enfin je n’en sais rien. En tout cas elle en avait il y a cinq ans de cela. 


J’entends les pas de Zeina dans le couloir qui mène à la chambre et tourne la tête vers elle, qui marche vers moi. Elle porte une robe légère à volant qui lui donne un air de petite fille. 


- Tu as vu l’écho ? demande-t-elle en me souriant.

- Oui. 

- Les choses se passent bien. il faut qu’on continue de prier. Je suis tellement heureuse Idris. Dieu a écouté notre prière et bientôt on sera parents. 

- Oui je le sais. 


Elle passe ses bras autour de mes épaules et je sens un long frisson me traverser l’échine. Notre vie est devant nous, pas derrière, pas dans mon passé. Je devrais lui dire quelque chose sur ce que j’ai peut-être découvert ? Non. Non parce que ce sont des délires de mon cerveau et que je ne sais pas comment Zeina prendrait les choses. J’ai fini par la convaincre que la confidentialité était la seule option viable. Ce n’est pas pour lui dire quelques temps plus tard que c’est ma meilleure amie… mon ex-meilleure amie qui porte notre enfant. Bon ça ne semble pas si terrible si je m’arrête là. Mais l’honnêteté voudrait que je précise : ex-meilleure amie dont j’étais amoureux fou.  


- Idris ça va ? me demande-t-elle me tirant de ma rêverie.

- Oui. Ça va.

- T’es brulant !


Elle touche mon front et fronce les sourcils. 


- J’espère que tu ne vas pas nous faire un palu hein. 

- Non. Je me sens juste un peu fatigué. Je vais me coucher un peu et ça ira mieux.

- Tu travailles tellement ces derniers temps. Et tu t’inquiètes trop pour les finances. Tu sais, quand on aura notre bébé entre les mains, ta mère te rendra tout ce qui est à toi en courant et en pleurant de joie. C’est ta société. Les choses vont bientôt rentrer dans l’ordre. 

- Peut-être que c’est moi qui maintenant n’ait plus envie de travailler dans le BTP. 

- Mais de quoi tu parles. Tu es doué en gestion. Tu as rapporté de gros marchés et malgré les turbulences toi tu as pu garder la société en bonne santé tandis que d’autres fermaient. 

- C’est parce que mon bout de pain et celui des employés dépendait de ma capacité à bosser dur. Ça n’a rien à voir avec être doué pour ça. 


On a toujours eu du mal à se comprendre sur le plan professionnel alors je n’insiste. 


- Chéri, dit-elle en me prenant le visage en coupe dans ses mains. Tu es fatigué. Va te coucher, je vais t’apporter un Efferalgan. Si ce soir ça ne va pas mieux, demain matin tu vas voir le médecin.


Je me lève tandis qu’elle se dirige vers la cuisine. Ça fait cinq ans que j’ai envie de le faire. Le moment est peut-être venu maintenant que je suis au pied du mur. Après tout j’ai tout sacrifié pour les autres. Rendre ma mère fière, pourvoir à tous les besoins de ma femme pour qu’elle ne manque de rien. Pourquoi n’aurai-je pas enfin le droit de faire ce que moi j’ai envie de faire. 


- Et si … je commence en regardant au loin.

- Quoi ? demande-t-elle intriguée. 

- Et si je voulais monter mon propre business. Créer quelque chose qui me tient à cœur plutôt que de prendre tout simplement la succession de quelqu’un.  


Elle me regarde comme si je venais de dire la chose la plus stupide du monde. 


- Mais pourquoi prendre le risque de tout recommencer à zéro alors que tu as déjà tout ce qu’il faut ? 

- J’ai déjà tout ce qu’il faut ? On n’a rien. Ma mère me tient. Et ça m’est insupportable. 

- Et avec quoi vas-tu te financer, puisqu’on n’a plus rien ? je n’ai peut-être jamais travaillé de ma vie mais je sais qu’il faut du temps et de l’énergie pour monter une nouvelle boite. Et où vas-tu trouver ce temps ? 

- Parce que tu crois qu’avoir un bébé va nous vider de toute énergie ? Comment font les autres parents qui travaillent à ton avis ? On n’a pas tous la chance de pouvoir rester à la maison. 

- Ce choix je l’ai fait pour toi et parce que nous pouvons nous le permettre. 


Elle ne peut pas comprendre. Alors je lui souris et me tais. Elle a raison, il faut que j’aille dormir un peu. J’y verrai plus clair après avoir dormi. 


*

**      


Je me réveille la bouche pâteuse. J’ai le crane qui cogne comme si on y avait implanté un marteau piqueur. Je ne voulais pas me disputer avec Zeina. Un verre d’eau ainsi qu’un cachet sont posés sur la table de chevet. Je m’en empare et avale le tout d’un trait. Je me recouche et attends que le médicament fasse son effet. Le climatiseur ronronne. Je m’empare de la télécommande pour l’éteindre. J’ai froid. 

Quelques instants plus tard, je sors de la chambre et me dirige de nouveau vers l’échographie posée à côté de l’imprimante. Je ferme les yeux, inspire un grand coup puis regarde de nouveau. Encore aujourd’hui je suis époustouflé par l’idée qu’une nuance de noir et de blanc puisse autant refléter la vie. Je trace du bout des doigts quelques contours. 

Comment être certain qu’il s’agit bien de son écriture ? Je dois en avoir le cœur net. Il faut que je demande au médecin. Elle seule peut confirmer ou infirmer cette information. Je prends mon téléphone portable et lance l’appel. Elle décroche quelques secondes après.  


- Monsieur Diop ? Il y a un problème ? 

- Non. Enfin oui. Excusez-moi pour le dérangement…

- Je vous écoute. En quoi puis-je vous aider ? 

- Je…


Je regarde par la fenêtre du salon. Zeina discute avec le gardien de la maison. Elle fait de grands gestes en montrant les arbres et les buissons qu’elle souhaite qu’il taille. A chaque fois que je la vois agir ainsi, je me dis qu’elle aurait pu épouser un riche milliardaire sans se sentir hors de son élément. Etre femme d’intérieur c’est vraiment son truc. 


- Qu’est-ce qu’on doit faire si finalement entre la mère porteuse et nous il y a un lien ? 

- Comment ça un lien ? Comme un lien de famille ? Non ce n’est pas possible. On a tout vérifié. L’ADN ne ment jamais. Elle n’est lié ni à votre femme ni à vous. 

- Je ne parlais pas vraiment de lien de famille. 

- Monsieur Diop il y a –t-il un problème ? Pourquoi toutes ces questions ? 

- Je me demandais juste… Est-ce que je peux lever la clause de confidentialité pour me rassurer ? 

- Non. On ne peut plus le faire. La mère porteuse elle non plus ne souhaite pas connaitre le couple. Nous l’avons d’ailleurs choisi pour cela. Monsieur Diop, écoutez-moi, il est normal d’avoir des doutes et des appréhensions à certains moments mais soyez rassuré que tout est sous contrôle. Tout se passe merveilleusement bien. 

- OK.  Merci pour ces informations. 

- De rien. Nous sommes là pour vous, pour que l’expérience soit la moins traumatisante possible. 

- Je vois. Il n’y a donc aucun risque pour que celle qui porte notre bébé se rende compte de qui nous sommes ?

- Non, dit-elle sans hésiter. 


Voici un non bien catégorique. 


- Est-ce qu’il arrive que la mère après avoir accouché refuse de donner le bébé ? 

- C’est parfois arrivé mais ce sont des cas assez rares pour ne pas que ça vous chiffonne. Avez-vous d’autres questions ? 

- Non. 


Ça ne sert à rien que j’insiste. 


- Quel est son groupe sanguin docteur ? 

- En quoi est-ce important Monsieur Diop ?

- Vous pouvez au moins me donner ce renseignement… 

- Le même que le vôtre et celui de votre femme.

- O+ ?

- Oui. 


Merde. 


- Ce sera tout Monsieur Diop ? 

- Oui docteur. Merci beaucoup pour votre aide. 

- De rien. 


Elle raccroche. Je n’ai même pas besoin de fouiller dans ma mémoire pour savoir que Manu est du groupe sanguin O+. Je ferme les yeux et essaie de faire partir la migraine qui me ronge la tête. Je ne comprends rien à ce qui se passe en ce moment. Mais il faut que j’en aie le cœur net que je trouve un moyen de me rassurer. 

Mais pourquoi ça me poserait problème si jamais c’était elle ? Après tout elle sait dans quoi elle s’est engagée. 

Pourquoi suis-je tellement mal à l’aise ? Parce que ça me donnerait l’impression de profiter d’une femme qui n’a pas eu le choix. Je vois mal comment elle aurait pu s’engager dans une histoire pareille si ce n’était pas pour se tirer d’un mauvais pas. Mais en même temps, Manu et moi ne sommes plus amis. Ce qu’elle vit ne me concerne pas. Zeina et moi avons donné tout ce que nous avions pour qu’une autre femme porte notre bébé. C’est tout ce que j’ai besoin de savoir. Le reste ne me concerne pas. 


Je respire un peu mieux. 


Zeina entre et ôte ses gants de jardinage qu’elle dépose sur la console. 


- Je crois qu’on va devoir changer de jardinier. Il est trop paresseux celui-là. 

- Je ne veux pas en changer. Il est loyal et disponible. Ce n’est pas parce qu’il ne taille pas parfaitement quelques buissons que je vais le virer. 

- C’est le changement hein. T’es toujours terrifié par le changement. 

- De quoi tu parles ? 

- Tu n’aimes pas que les choses changent autour de toi. Tu t’attaches aux gens et après tu ne les lâches plus. En réalité ce ne sont pas les gens qui te sont loyaux, c’est toi qui leur es loyal. 

- Et tu vas me le reprocher ? 

- Non pas du tout. C’est ce que j’aime chez toi. 


Elle me prend dans ses bras et je me sens rassuré. Je l’embrasse et elle me caresse la joue avec tendresse. Je suis apaisé par sa présence et toute l’affection dont elle m’entoure. Il faut que j’arrête de m’en faire pour rien. Nous allons fonder une famille et être très heureux.


- Je vois que tu n’as plus de fièvre, me fait-elle remarquer en glissant la main dans mon pantalon.

- Non. Je me sens beaucoup mieux.

- Tant mieux, ajoute-t-elle en m’entrainant vers la chambre.


*

**


Je suis réveillé par le téléphone qui sonne. C’est un appel de ma mère. Je suis tenté de ne pas décrocher mais Zeina appuie sur l’écran avant moi  et le colle à mon oreille. 


- Tu ne donnes plus de tes nouvelles ?  


A quoi s’attendait-elle ? 


- Bonjour maman.

- Bonjour mon fils. 

- Tu vas bien. 

- Par la grâce de Dieu je vais bien. Tout le monde va bien. Ta tante aussi, tu te rappelles celles qui vit à Dakar et qui a un mari estropié ? Elle est venue me rendre visite et elle voulait te voir. Tu n’as décroché aucun de mes appels et ton gardien n’a pas voulu laisser entrer ton neveu que j’ai envoyé te chercher. 

- C’est dommage, c’est vrai.


Un silence s’installe. Glacial. 

 

- Et ta femme ? depuis que son amie a voyagé pour se marier à Dakar, on ne la voit plus. Elle ne reçoit personne ne voit personne. Qu’est-ce qui se passe ? Elle va bien ? 

- C’est moi qui lui ai demandé de prendre un peu ses distances avec la famille. Certaines cousines et tantes lui parlent mal depuis que tu as commencé tes divagations. Elle a besoin de se reposer et c’est ce qu’elle fait tout simplement. 

- Je peux lui faire parvenir quelques plats si elle est malade. 

- Non merci maman. Ça ira. 

- On en est encore là ? 

- Oui. 


Ma mère qui joue les étonnés après avoir essayé de foutre en l’air mon mariage. C’est presque drôle. 


- Tu m’en veux pour l’entreprise c’est ça ? 

- Non. 

- C’est ton entreprise tu en fais ce que tu veux. 

- Tu ne veux toujours pas de seconde femme ? 

- Peut-être souhaites-tu que je raccroche ? 

- Idris ! 

- Bon je dois y aller maman. 

- Idris. 


Je raccroche et ferme le téléphone. J’ai d’autres putains de problèmes à régler. Je n’ai pas le temps pour les états d’âme de maman. 


Ni pour les miens d’ailleurs. 


*

**


Je signe le chèque et je le tends au comptable de la clinique qui le prend sans lever les yeux. Je pense que la direction a dû donner des directives à tout son personnel pour que personne ne regarde avec insistance un patient. On entend jamais personne bavarder dans les couloirs, tout est si feutré et si calme. 


- Vous pouvez patienter quelques minutes, le temps que j’aille chercher le cachet payé chez la secrétaire ?   

- Pas de problème Monsieur Zue. 


Il se lève et me laisse seul dans le bureau avec la porte ouverte. Je pianote dans mon téléphone surfe sur un site de vente en ligne pour comparer les prix de roulotte. Je me surprends souvent à le faire en ce moment, à me demander quand ce que ça me couterait d’acheter une roulotte neuve en France et de la faire livrer ici. La solution alternative serait d’en acheter une ici et de la faire retaper. Je regarde l’heure à ma montre et me demande ce que le comptable fout. Ça va faire dix minutes qu’il est parti. Je me lève. Je peux partir et revenir chercher le reçu de paiement plus tard. Je regarde vers la porte ouverte. Je n’ai pas comme l’impression qu’il est dans la salle d’à côté. Une idée me traverse l’esprit et je regarde son ordinateur. Je prends une longue inspiration et contourne son bureau pour prendre sa place. J’appuie sur la touche entrée. Il me faut un mot de passe. 

Ça aurait été trop facile que je puisse consulter les fichiers sans avoir recours à un mot de passe. Je me relève pour reprendre ma place lorsque je vois écrit sur un post-it une suite de lettres et de chiffres qui ressemble fortement à un mot de passe. Je tape le mot : collaborateurclinique4 et un fichier excel apparait. Je le parcours rapidement à la recherche de tout ce qui pourrait m’aider. Je jette un rapide coup d’œil à la porte pour vérifier que personne ne m’épie puis continue de parcourir le fichier. Ce sont tous les paiements effectués par les patients de la clinique. Je retrouve le mien. Un numéro de compte bancaire lui est relié. Ce numéro ne me dit rien. Dans ce tableau je ne trouverai rien d’autre. Il y a des classeurs dans l’armoire à ma gauche. Je ne devrai pas continuer à fouiller ainsi le bureau mais je ne peux pas m’en empêcher. Je regarde la tranche des classeurs et prends celui nommé fichier client. Chaque fiche est composée d’informations diverses telles que le sexe, l’âge, le groupe sanguin, le numéro de compte et l’adresse. Mais il n’y a pas de photo ni de nom. Juste un numéro client. Après avoir parcouru une dizaine de fiche, je tombe enfin sur celle qui correspond au numéro de compte que j’ai mémorisé. 


Le sexe, l’âge et le groupe sanguin correspondent à Manu. Putain de merde. Je devrais m’arrêter là. Si je m’arrête là, je n’aurai pas à réponse définitive. Je pourrai rester dans le doute. Et parfois le doute c’est tout ce qu’il faut pour être liber et heureux. J’entends des voix qui se rapprochent de la porte. Je regarde l’adresse. Elle ne correspond pas à celle du garage en tout cas. Mais je peux très bien situer la zone.  J’ai juste le temps de me remettre à ma place avant que le comptable ne revienne dans son bureau.  


- Excusez-moi d’avoir pris autant de temps, c’était j’heure de sa pause et je ne savais pas où elle était passé. Elle cache les tampons comme si c’était de l’or cette fille. Ce n’est pas possible d’être aussi bête. Il va vraiment falloir que j’en parle à la direction. Mais bon maintenant que je l’ai, je vais pouvoir vous donner votre reçu. 


Je n’ai pas eu le temps de fermer le fichier que j’ai consulté et s’il regarde son écran, il va forcément s’en rendre compte. Dans quel pétrin je me suis foutu ? 


- Alors, alors Monsieur Diop. Patientez. Je vais imprimer le reçu.


Il pose la main sur la souris et cherche sur sa table un stylo. Comme il ne me regarde plus, du pied je pousse l’interrupteur de la multiprise et éteint son ordinateur. Dès qu’il a le stylo en main, il bouge la souris dans tous les sens pour rallumer l’écran. Sans succès. 


- Mais qu’est-ce qui se passe aujourd’hui avec cet ordinateur?

- Bon je ne peux plus attendre, je vais y aller. 

- Pouvez-vous repasser plus tard ? 

- Pas de souci. 


Je me lève et disparais aussi vite que je peux avec l’adresse qui clignote comme un feu de détresse dans mon esprit. 


Pourquoi ai-je lu cette adresse bon sang ?


*

**


Après la mosquée, plutôt que de rentrer directement chez moi, je fais un détour par le quartier Nzeng Ayong Chantier moderne. Ils ont écrit immeuble MCD et je connais cet immeuble. Il a juste quelques étages et ce devrait être plutôt facile de vérifier qui vit ici. Je descends de la voiture et regarde les environs. Il y a un groupe de jeunes hommes assemblés devant le magasin qui occupe le rez-de-chaussée. Ils fument et bavardent gaiement de foot. Je me rapproche d’eux sans trop savoir ce que je veux entendre. Qu’ils me disent qu’il s’agit bien d’elle ou qu’ils m’ôtent cette épine du pied en me confirmant que c’est mon imagination qui a tout inventé. 


- Bonsoir. 

- Bonsoir, répondent-ils en cœur. 


Au mois ils sont bien éduqués.


- J’ai besoin d’un renseignement. Savez-vous s’il y a une femme enceinte qui habite l’immeuble ?       


Ils me regardent avec suspicion. Pauvres gosses, ils  ont bien raison de se méfier après tout ils ne me connaissent pas. 


- C’est pour lui venir en aide. J’ai vraiment besoin de savoir c’est important. 


Un des jeunes hommes s’approche de moi. Il ne doit pas avoir plus de quinze ans. Il m’inspecte comme s’il avait envie de trouver sur moi un paquet de chanvre indien pour pouvoir me livrer à la police. Sur sa peau des tatouages et au bout de ses lèvres une cigarette à peine entamée, je ne sais pas quoi penser. Ce serait bien le genre de gamin a essayer de me braquer en plein jour. 


- Alors, tu peux m’aider ou pas ? 

- Oui il y a une femme enceinte ici. 

- Comment s’appelle –t-elle ? 

- Chloé. 

- Tu es sure ? 

- Oui. C’est la seule fille enceinte de l’immeuble. 

- Elle est comment ? je veux dire physiquement ? 

- Je croyais que vous vouliez l’aider ? et vous ne savez pas à quoi elle ressemble ? 

- On m’envoie l’aider et e dois être sure que c’est la bonne personne avant d’aller cogner à sa porte. Je ne veux pas l’effrayer ou lui donner de faux espoirs. Tu peux comprendre ça, j’en suis sûr.


Comme la discussion s’éternise, les autres s’approchent de nous. 


- Elle est grande, un peu claire de peau avec de longs cheveux. Je pense que c’est une fille du sud. 


Ce n’est pas Manu. 

Ce. 

N’est. 

Pas. 

Manu.  


Je fouille dans mon portefeuille et en sors en billet de dix que je donne au gamin. Il montre le billet à ses amis et ils s’éloignent de moi dans un chahut bon enfant. Je retourne à ma voiture.


Qu’est-ce que j’ai cru ? 

Me voici tournant autour d’une inconnue au lieu de m’occuper de ma femme. Heureusement que tout cela est derrière moi. Au moment où je démarre la voiture, une femme sort de l’immeuble. Son ventre légèrement rond sous son débardeur serré et sa bonne mine, me font deviner qu’il s’agit de la Chloé évoquée par les jeunes. Elle est visiblement enceinte. Et le plus important c’est que ce n’est pas Manu.

Elle tient la main d’un petit garçon. Ils semblent attendre tous les deux l’arrivée de quelqu’un. L’un des jeunes qui faisait partie du groupe rencontré tout à l’heure lève la main pour saluer le petit garçon. 


-    Hé bébé David mon pote, comment ça va ? 


Contrairement aux enfants de son âge qui sont souvent turbulents, il est sage comme une image. Malgré les sourires et les saluts qu’il reçoit de toute part, son regard reste concentré sur la route. Il doit avoir hâte de voir la personne qu’ils sont en train d’attendre. Je ne peux m’empêcher de me dire que dans quelques années, moi aussi j’aurai peut-être un petit garçon de cet âge. Je démarre la voiture et lève le frein à main. Je m’éloigne et regarde dans le rétroviseur une voiture s’arrêter devant Chloé et l’enfant. Zeina appelle. Je n’ai pas le temps de voir qui descend de la voiture. Je quitte le rétroviseur des yeux et décroche en faisant basculer l’appel sur le hautparleur de la voiture.   


- Où es-tu Idris ? 

- Je suis en train de rentrer Zeina. 

- OK. Je t’attends. Tu es sûr que ça va ? tu es vraiment bizarre ces temps-ci. 

- Ca va chérie. Je te promets que tout va rentrer dans l’ordre. 

- Si tu le dis. 

- Je t’aime. 

- Je t’aime aussi. 


Tandis que je roule vers mon chez moi, je me rends compte que j’ai été stupide de croire que je n’avais pas besoin de mettre un point final à mon histoire avec Manu. Se voir face à face et pouvoir se dire que c’est fini, qu’il n’y a plus rien à attendre c’est important. Sinon une histoire inachevée peut se transformer en rocher de Sisyphe. Quand en pense en avoir fini parce qu’on a poussé le rocher au plus haut de la colline, il retombe et roule vers le passé. Et alors, il faut tout recommencer. 


Parce qu’une écriture m’a semblé être la sienne, je suis redevenu l’Idris que je n’étais plus depuis cinq ans : celui qui transgressait les règles. Pour elle. J’ai fouillé un bureau sans me dire que c’était mal. Moi qui suis le seul à payer mes contraventions à 24 000 francs parce que je refuse de soudoyer les flics de Libreville. Putain de merde. 


Le feu est rouge, je m’arrête. 

Je suis un bon mari. Je suis le mari de Zeina. Zeina est la femme que j’aime. Nous allons fonder une famille. La femme qui porte mon enfant n’est pas Manu. Je n’ai pas à craindre de tout foutre en l’air.

The Love between us