chapitre 26 :
Ecrit par leilaji
Chapitre 26
****Gabriel****
Putain, j’ai un mal de crane terrible. J’ouvre un œil puis un autre, me tire de mon lit pour aller boire un verre d’eau à la cuisine afin d’étancher ma soif. Je me gratte le torse, les doigts gourds d’avoir attrapé trop de verres de whisky la veille. J’ai eu beau y mettre des tonnes de glaçons, ça n’a pas pour autant dilué les effets de la liqueur ambre. J’ai un haut le cœur rien qu’en y repensant! Je ne supporte pas cet alcool mais j’en ai quand même avalé toute une bouteille.
Mais qu’est-ce qui pue comme ça ? Je regarde autour de moi, tout semble normal. Quoi c’est moi ? Je pue ? Arghh. Ca ne m’était plus arrivé depuis quoi ? Au moins vingt ans. Il faut que j’aille prendre une douche. Mais je n’en ai pas la force. Les mots de Lola tournoient dans ma tête et m’écrasent le cœur. Non mais quel ramassis de conneries ! C’est du Lola tout craché ça, elle y est allé franco, a arraché d’un coup sec tous les espoirs enfouis dans mon cœur. Après le show, je voulais lui dire, abrégeons nos souffrances et mettons nous ensemble pour de bon… Je n’en peux plus de t’attendre. Mais elle a viré de bord avant même que je ne le lui propose.
Je pue mais je ne vais pas me laver. Je préfère encore allez me recoucher. C’est le mieux que je puisse faire aujourd’hui sinon je risquerai de tout casser dans la maison. Et après je me sentirai obligé de tout ranger parce que j’ai une sainte horreur du désordre.
Je n’ai jamais été aussi … désespéré de toute ma vie.
Et le pire c’est que le désespoir était un sentiment qui m’était encore jusque là inconnu.
Je soulève ma carcasse et retourne me coucher après avoir tiré les rideaux de la chambre pour ne plus y faire entrer la lumière. Mais rien n’y fait, je n’arrive pas à fermer les yeux.
Mon téléphone sonne. C’est un message de Nadine :
« Bonjour Monsieur Valentine, j’ai préparé les chèques de paie de tous les employés mais il va bien falloir les signer. Je vous attends aujourd’hui. Sinon, je viendrai chez vous et je ne pense pas que mon mari appréciera que vous me déplaciez CHEZ VOUS !!! »
Merde ! C’est déjà la fin du mois ? Il va falloir que j’y aille, le devoir m’appelle.
Je soupire. Je ne vais pas m’écrouler pour une femme tout de même.
****Lorelei****
Nadine m’a envoyée un message pour me demander de venir chercher mon chèque de paie… Je suis soulagée à un point indicible, il ne restait plus rien à la maison et je me demandais avec quoi j’allais remplir le frigidaire. Je me prépare vaillamment, m’apprêtant mentalement à rencontrer le regard furieux de Gabriel voir même son dégout. Ca ne va pas être facile mais je dois y aller. Autant en finir tout de suite.
Quand j’arrive au studio Valentine, je croise Tyson à l’entrée. Il me sourit et on se fait un salut hyper compliqué avec les mains. C’est lui qui me l’a appris depuis qu’on est devenus des potos (potes). C’est un mec super baraqué et intimidant mais il a un cœur en or et je l’apprécie beaucoup.
— Alors ma star on dit quoi ?
— On est là Tyson. Arrête de m’appeler comme ça. Et tes combats ?
—Ca va, ca va, j’ai championnat la semaine prochaine.
— Écrase-les pour moi…
— T’inquiète, je gère. Répond-il en gonflant ses muscles, ce qui me fait rire.
C’est sur cette note plutôt joyeuse qu’on se sépare. J’entre dans le studio puis bifurque vers la salle de répétition pour saluer ceux qui sont là quand des éclats de voix me parviennent.
Mon cœur manque un battement lorsque je me rends compte que c’est de moi qu’ils parlent tous.
— Je suis déçue et dégoûtée par son choix! Elle a été méchante et ingrate envers Monsieur Gabriel ! Je suis sûre que son échec est juste une punition de ses agissements ! Se mettre entre deux frères c’est tellement nul! Comment croit-elle être heureuse ? Être avec un sachant qu’elle a fait du mal à l'autre?
— Rhoooo, elle a échoué à son CAP ?
— Oui.
—ahiiii mais quoi?!!! Vous qui cherchez pourquoi Lola a échoué, ne cherchez pas loin: les mauvaises ondes du frère du patron qui ont commencé à agir sur elle dès qu'elle a décidé d'être avec LUI... Parait qu’il est prof de judo, qu’'elle parte avec lui dans son dojo pour enseigner le karateka aussi, c'est un métier non...La vie est un CHOIX.
— Tsiuuup il a fallu qu'elle choisisse le métis, une ingrate comme ça avec tous les sacrifices que monsieur Gabriel a fait pour elle. J’espère qu’il va bien la faire souffrir.
—Donc elle est avec le frère du boss ? Kiééééé.
—Si on leur verse même l’eau chaude à ces deux là, ça va déranger qui ?
—En tout cas pas moi hein !
— Tu as trop raison ça fait quoi même si on les brule ? Franchement je suis trop déçue par Lola quoi !
Mon sang se glace dans mes veines… Les propos sont tellement virulents qu’un bref instant j’ai voulu ressortir en courant pour ne plus les entendre. Mais je suis restée pétrifiée. Qu’auraient-elles voulu que je fasse ? Oublier l’attirance irrépressible que j’éprouve pour Mickael et vivre dans le mensonge. Mentir à Gabriel chaque jour de ma vie. Faire semblant de ressentir pour lui ce que je ressens fort pour Mickael pour les contenter dans leur délire de couple idéal?
« Qu’on nous brule ?! » WTF ! A croire qu’on a tué quelqu’un en se mettant ensemble.
Je ne suis pas hypocrite. Je ne sais pas faire semblant. Ce que je pense, je le dis même si parfois je le dis maladroitement et que je regrette fort mes mots… je suis ainsi, je ne peux pas me changer si je suis brute de décoffrage.
J’agis comme ma conscience me dit d’agir et même si j’ai fait du mal à Gabriel, je lui en aurai fait plus en restant sans plus trop le vouloir. La manière n’y était peut-être pas mais il m’a tellement acculé ce jour là.
Je recule de quelques pas et retourne vers le bureau de Nadine. J’espère que je pourrai prendre le chèque chez elle et m’en aller vite fait. J’en ai assez entendu comme ça.
Quand je m’avance dans le couloir des bureaux celui de Gabriel est fermé. Je suis soulagée car ça veut dire qu’il n’est pas là, il laisse toujours sa porte ouverte quand il est là pour pouvoir entendre le bruit des répétitions sauf quand il a un rendez-vous important. Je cogne à la porte de Nadine qui crie d’entrer. J’ouvre et m’avance.
— Bonjour.
— Bonjour Lola. Assieds-toi un instant.
Elle me donne le chèque avec mon salaire en entier alors que je n’ai plus mis les pieds ici depuis un bout de temps. Je décharge sur sa feuille d’accusé de réception et récupère le chèque. Elle me regarde étrangement.
— Quoi ? Tu as aussi tu veux ajouter ton mot à tout ce qui se dit déjà ? Vas-y je t’écoute. Je suis une salope, je ne mérite pas d’être heureuse. C’est bien fait pour moi si j’ai raté mon certificat, c’est une juste punition pour avoir quitté Gabriel alors qu’il a tout fait pour moi…
— Wo ! Lola calme toi. Ne sois pas sur la défensive ! dit-elle en levant les bras en un geste d’apaisement.
Je m’arrête de parler, me rendant compte que je m’étais mise à hurler sur Nadine alors qu’elle ne m’avait encore rien dit.
— Je suis désolée Nadine, excuse-moi, dis-je étonnée que ma voix tremble autant.
— Du calme ma chérie.
Je me croyais plus forte que les commérages mais j’ai les larmes aux yeux. C’est la deuxième fois de ma vie que je suis le centre d’autant de mots injustes et je croyais ne plus jamais avoir à y faire face encore. Apparemment, je resterai trouble fête toute ma vie et continuerai de déplaire en pensant faire ce qui est juste.
— C’est ça être une star… être le centre de l’attention. Tout le monde a un avis sur ta vie, te critique ou t’aime. C’est à toi de savoir ce que tu veux et assumer. Perso, j’ai aimé te voir avec Gabriel et pour moi vous êtes faits pour être ensemble. Peut-être doit-il te prouver plus fort qu’il t’aime, te mériter… peut-être est-ce ce que tu veux…
— Non. Il n’a rien à prouver. C’est moi qui ai rompu notre promesse. Je lui ai dit des choses horribles mais je ne savais pas comment faire autrement et j’ai parlé sans réfléchir. Il insistait tellement en me demandant ce que je ressentais pour Mickael que les mots sont sortis en vrac…Tu étais là quand j’ai rencontré Mickael. Je ne savais pas que c’était son frère et déjà ce jour la, j’étais dans tous mes états. Toi tu le sais que je ne le savais pas, tu peux le leur dire. Ce que je ne comprends pas c’est que les gens parlent aussi méchamment surtout des filles avec lesquelles j’ai dansé, qui me connaissent un peu. Je ne suis pas méchante, ni ingrate, rien de tout cela n’était intentionnel, les choses se sont précipitées c’est tout... Laquelle d’entre nous peut affirmer qu’elle n’a jamais fait de mal à autrui ? Laquelle peut dire qu’elle n’a jamais blessé quelqu’un, sérieux ! Parfois chercher son propre bonheur c’est accepter d’écorcher les autres au passage… Alors peut-être que je ne serai plus jamais heureuse dans ma vie mais pas un seul instant je ne regretterai mon choix. Je n’ai pas à être jugée par elles. Il n’y a qu’à Gabriel que je dois rendre des comptes.
Nadine lève les yeux et je me fige parce que je sens une présence derrière moi.
— C’est bien vrai. Dit Gabriel dans mon dos.
Je ferme les yeux un bref instant espérant qu’il n’ait entendu qu’un bout de ma longue réplique. Nadine me fait une mine désolée, apparemment, il a tout entendu.
— Suis-moi.
Je soupire et me lève de ma chaise pour le suivre dans son bureau. J’y prends place. Il me regarde fixement un bref instant puis sors son chéquier pour y détacher un chèque qu’il me tend.
— De quoi s’agit-il ? je demande à la vue du montant.
— De ton cachet pour la soirée. J’ai déjà distribué à tout le monde son bonus.
— … je ne sais pas quoi dire … merci.
— Je …
— Oui ?
Il s’adosse à son fauteuil et regarde ailleurs comme s’il cherchait dans ses souvenirs.
— Tu as parlé sans réfléchir…
— Pardon ?
— C’est ce que tu disais à Nadine quand je suis rentré dans son bureau…
— Je suis désolée pour le soir à la clinique… Mais tu as insisté pour avoir une réponse et là j’ai… j’ai parlé sans réfléchir… Je t’ai fait du mal, j’en suis vraiment désolée, je ne me rendais pas compte…
Il soupire et pianote sur la table.
— Tu es toujours sur contrat tu sais…
— Oui, mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée de…
— Moi non plus. Je vais le déchirer.
— Oh ! … Ok.
La discussion entre nous est gauche et difficile. Je me lève pour abréger notre gêne mutuelle. Je le remercie et je m’en vais pressée de me retrouver chez moi, en famille. C’est le meilleur endroit pour se réfugier quand on se sent mal.
****Raphael ****
Lola vient à peine de rentrer de je ne sais où. Maman ne lui adresse plus la parole depuis qu’elle a raté son certificat et qu’elle ne travaille plus. Je crois qu’elle s’inquiète pour Lola mais qu’elle ne sait pas comment l’exprimer autrement que par la colère. Vivre en famille c’est compliqué !
Je cogne à sa porte et ouvre. Elle est assise toute habillée sur son lit et regarde un bout de papier. Je m’assois à ses côtés.
En LSF
— Qu’est-ce qui se passe ?
—Rien de grave.
— Tu mens mal tu sais.
Elle me tend le chèque et je fais les yeux ronds en en découvrant le montant : un million cinq cent mille francs.
— Qui t’as donné cet argent ?
— Gabriel. C’est pour ma prestation à la soirée.
— C’est pas mal dis donc pour une artiste pas encore connue.
— Je crois qu’il a voulu être généreux, comme d’habitude.
— Tu t’en veux de prendre cet argent alors que tu es avec son frère ? Moi tu sais, je serai toujours de ton côté, c’est ton bonheur qui compte pour moi…
Elle me serre dans ses bras et sourit.
— Je le sais t’inquiète. Cet argent récompense mon travail alors je ne peux pas le refuser, je le mérite. C’est mon premier cachet. Si je réfléchis c’est pour autre chose. Mais si je t’en parle, t’as pas intérêt à le répéter aux parents…
Je lui fais signe de parler. Elle se lève et va fouiller dans son armoire puis en ressort un petit carnet décoré d’un perroquet. Elle me tend le carnet. Je le lis rapidement et le lui rends. Lola dépose depuis près de dix ans de petites sommes sur un compte épargne ouvert à la poste. Avec le million cinq du chèque, ça lui fait une somme rondelette.
— Si maman découvre ça. Elle va criser et penser au moment de galère où tu disais n’avoir rien!
— Je te dis pas !
— Alors ? je ne comprends toujours pas où est le problème. C’est ton premier cachet, je pense que pour une fois tu peux te faire plaisir quand même.
— En tout ça me fait 2 820 000 francs. En fait, j’épargne … J’épargne pour que tu ailles en France te faire opérer… (en me voyant étonné et prêt à signer, elle me fait signe de me taire et continue ses explications) J’ai fait beaucoup de recherches sur le net et je sais qu’on peut t’installer un implant ou un truc comme ça. C’était trop technique pour que je comprenne mais je sais qu’on peut au moins tenter le coup et tant pis si ca ne marche pas au moins on aura essayé. Ici au Gabon, ça n’existe pas mais en France c’est possible. Le problème c’est que ce n’est pas assez. Il m’en faut plus. Et je me rends compte qu’avec le projet de Gabriel j’aurai pu avec de la chance gagner assez pour te faire partir l’année prochaine…
Elle ne m’en avait jamais parlé. Je ne savais pas qu’elle s’inquiétait encore de ma surdité. Si elle savait combien de nuit j’ai passé sur le net à lire des témoignages de personnes qui ont retrouvé l’ouïe grâce à des implants… Je pensais tout simplement tenter ma chance plus tard, quand je serai plus grand et autonome. Assez autonome pour tout payer de ma poche. Je ne savais pas que Lola se battait déjà pour ça.
Enfin entendre sa voix, c’est un rêve depuis tellement longtemps et l’impression que je pourrai peut-être le toucher du doigt me donne des frissons.
Qu’est-elle en train de regretter ? J’espère que je n’interprète pas mal ses paroles.
— Hé ! Tu as fait ton choix, tu as le droit d’être heureuse avec Mickael. Tu sais je l’aime bien, il est sans façon et pas très bavard ce qui m’arrange un peu. Dis-je en riant pour détendre l’atmosphère. Il n’y a rien à regretter. Je suis déjà très heureux que tu aies pensé à moi. Tu as passé ton temps à t’occuper de nous. Il est peut-être simplement temps que tu penses à toi et rien qu’à toi.
—Ca n’existera jamais ça…
— Quoi ?
— Un monde où je penserai à moi avant de penser à toi.
—Beurk, fais pas dans le sentimentalisme dégoulinant, je ne suis pas une meuf (fille) moi… Je suis un mec. Très viril ! dis-je en froissant mon visage pour me donner un air méchant.
Elle éclate de rire et range le chèque dans le carnet.
— Et si au lieu de tout garder tu investissais dans quelque chose.
—Non ! je ne veux pas y toucher. C’est pour ton opération.
— Lola. Réfléchis. Cette somme ne suffit pas. Il te faudra attendre encore deux voir trois ans avant que je puisse partir et pour le moment tu n’as ni ton boulot ni ton certif. Ca sert à rien sinon on va tellement se retrouver dans la dèche (dans la galère) que tu seras obligée d’y avoir recours.
Elle n’a pas l’air très convaincue. C’est bien normal. Ca fait combien d’années qu’elle économise ainsi. Ce n’est pas facile après tout ce temps de se dire qu’il faut dépenser l’argent.
— Et si tu ouvrais un salon ? T’es douée pour coiffer, ça marchera et en plus ça te fera un boulot.
—Si j’ouvre un salon, me connaissant je ne tenterai plus le certificat l’année prochaine. Ca me semblera superflu si je gagne déjà ma vie avec la coiffure. Et c’est important d’avoir un diplôme dans la vie. Je veux juste un diplôme. Non, j’ai besoin de quelque chose qui rapporte de l’argent sans que je n’ai à travailler dessus tous les jours …
On réfléchit tous les deux pendant un moment.
— Et si j’achetais un taxi ! s’exclame t-elle soudainement me faisant sursauter de surprise. J’achète une voiture d’occasion, je trouve un chauffeur et chaque jour il vient me reverser la recette.
—Hum. Le problème c’est que si tu tombes sur une épave sans le savoir t’es cuite.
— Oui c’est vrai que je n’y connais rien en voiture et mécanique… Et toi ?
— Lola !!! je ne suis pas un savant…
— Hum, et ça se dit hyper intelligent. fait-elle ironiquement en levant les yeux au ciel.
Maman appelle Lola. Vu le ton employé, elle n’a pas encore décoléré. Il y a des jours où j’aimerai bien que maman soit plus souple avec elle. Mais ça c’est mission impossible apparemment.
— On en reparle plus tard. Chuchote-t-elle comme si maman pouvait désormais nous entendre.
— Hé Lola. Moi je sais que tu vas faire de grandes choses dans ta vie. Ne te décourage pas. Ce n’est pas grave pour le certificat.
— Je sais Raphael. Je nous sortirai d’ici. D’une manière ou d’une autre.
Son regard est confiant et son sourire éclatant. Je suis soulagée. Elle s’est remise en mode guerrière.
— Attends Lola !
— Oui ?
— Tu crois que Gabriel s’est vengé… de toi… je veux dire pour le certificat ? Il a les bras longs…
Elle revient vers moi.
— Tu sais quoi, s’il y a bien une chose dont je suis sure c’est que ça ne lui a même jamais traversé l’esprit. Ce n’est pas son genre. Je t’assure. J’étais prête mais obnubilée par le show donc pas du tout concentrée. C’est de ma faute… J’ai accepté de faire le show alors que je devais me préparer pour l’exam… L’échec est personnel.
—Ok. Si tu le dis. Sinon je peux toujours aller le frapper hein !
— Arrête demi-portion…
— Hé, je suis un homme maintenant…
LOLA ! hurle maman depuis le salon… Il sort vite fait de la chambre.
****Mickael****
Je rentre à peine de l’Inde où j’ai dû accompagner madame Khan dans tous ses déplacements. Elle y a visité sa belle famille ainsi qu’une femme indienne et sa fille. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait de l’enfant de son mari mais je n’ai pas voulu être plus curieux que cela. Sa vie privée ne me regarde pas. On resté dans la voiture pendant qu’elle observait la mère et l’enfant. J’ai entendu renifler et quand je me suis retourné, elle pleurait silencieusement. A aucun moment elle ne s’est approchée d’elles, puis elle m’a demandé de démarrer et on est reparti régler ses affaires. Ce voyage était très étrange.
Je la raccompagne dans la nouvelle résidence des Khan. Une villa aux dimensions plus habituelles située au quartier Angondjé. Elle me fait installer au salon tandis que les domestiques transportent ses bagages. Puis elle monte à l’étage appeler son mari qui veut discuter avec moi des changements à opérer dans l’organisation de leur sécurité maintenant qu’ils ont déménagé avec leur nièce.
Je bois le verre d’eau posé devant moi par la bonne et attends patiemment que monsieur Khan descende quand des éclats de voix me parviennent de l’étage supérieur.
Je comprends qu’ils ne se sont pas encore habitués à la demeure et qu’ils n’ont pas remarqué qu’en discutant fort, on peut les entendre du salon.
—Elle rate son certificat et la meilleure chose qu’elle trouve à faire c’est quitter Gabriel ? Et pour qui ?
— Mais en quoi ça te concerne ?
— Gabriel est fait pour elle. Je compte le lui dire, c’est mal de passer d’un frère à l’autre… Je n’ai rien contre Mickael mais Lola fait une énorme erreur…
—Je n’arrive pas à croire ce que j’entends…
— Quoi ? J’ai raison.
— Tu es très mal placée pour lui faire la morale je te rappelle.
— Comment ça ? J’ai traversé beaucoup de choses …
— Tu me déçois Lei. Ma mère aussi pensait savoir ce qui était bon pour moi… Elle pensait que Neina était la meilleure option pour moi et nos vies ont failli être gâchées parce qu’elle pensait savoir mieux que moi ce qui était bon pour moi. Elle croyait savoir ce que j’avais dans mon cœur Lei.
— Ne nous compare pas…
— Tu as couché avec moi alors que j’étais marié à une autre femme… Ca c’était immoral et pas qu’un peu…
— Xander !
— Alors je le répète… Tu es mal placé pour la juger. Elle seule sait qui son cœur aime.
Puis il y a un long silence … une porte claque violemment.
— Je vais prendre l’air. Tu m’énerves !
Quelques instants plus tard, je le vois descendre les escaliers et il s’arrête net en me voyant installé dans son salon. Je me lève. Il est … gêné parce qu’il comprend que j’ai tout entendu.
— Je suis désolé Mickael, fait-il la mine contrite.
— J’ai l’habitude. Pas de souci.
A cet instant même je pense ce que je dis. J’ai l’habitude d’être traité comme la pire chose qui puisse arriver à quelqu’un, ce n’est pas nouveau pour moi alors ça ne me fait plus mal.
Mais pour une fois, pour la première fois de ma vie, je pense à quelqu’un d’autre qu’à moi.
Je pense à Lola à qui tout le monde doit surement s’en prendre. Je pense à Lola que j’ai laissée pour voyager avec Madame Khan qui estime qu’elle mérite mieux que moi, qu’elle mérite Gabriel.
Ils pensent tous que je la ferai souffrir…
Et je suis moi-même tellement perdu que pendant de brefs secondes chaque jour je suis tenté de les croire… La seule solution que j’ai trouvée est de me rattacher à ce qu’elle fait naitre en moi pour ne pas être noyé par le doute. Ce feu qui me consume tout entier dès que je pense à elle… Tout ça est tout nouveau pour moi et j’ai peur de me tromper, de lui faire du mal sans le vouloir mais je la désire tellement, tellement que je ne m’imagine pas en train d’abandonner… Je veux Lola. Je la veux comme je n’ai encore jamais voulu qui que ce soit dans ma vie.
Et Dieu m’est témoin que je n’ai jamais rien souhaité pour moi… ni bonheur, ni succès, ni réussite.
Rien.
Sauf elle.
****Gabriel ****
Il commence à se faire tard. Bientôt dix neuf heures et je n’ai encore rien mangé de la journée.
Ca doit faire 20 fois que je regarde la vidéo de la première chanson que je l’ai obligé à chanter. Un zouk qu’elle a détesté apprendre. Je remets la vidéo en marche. A l’époque déjà j’enregistrais toutes nos répétitions comme si je savais d’avance que ça n’allait pas durer.
Je nous regarde sur la vidéo. On sortait à peine des toilettes où elle avait couru se réfugier parce que je gueulais sur elle :
« - Lola essaie encore s’il te plait. Allez, une dernière fois pour la route.
- J’aime pas les zouks Valentine, je viens de te le dire, je veux chanter de la pop, du RNB, des slows si tu veux mais les zouks ce n’est pas mon truc. Dit-elle en fronçant les sourcils
- Chante-la en slow alors, tu la chantes tellement bien.
- C’est parce que je me mets à la place de la chanteuse… C’est délicat d’être dans sa position.
J’arrête la vidéo. Je sais déjà ce qui va suivre et j’ai le cœur qui se serre. Elle a dû oublier cette journée. Je remets la vidéo en marche. Je ne me lasse pas de l’entendre chanter cette chanson. A croire que je ne me lasse pas non plus de souffrir encore et encore et encore…
Elle entonne une nouvelle fois la chanson en fermant les yeux. Seul le pianiste l’accompagne.
A croire que la chanson était prémonitoire. (Chapitre 16 pour le rappel)
J´ai déposé les clés...
J´ai déposé, tchiaou mon bien-aimé
J´ai déposé, tchiaou mon bien-aimé
J´ai déposé les clés j´ai déposé les clés chéri
tchiaou mon bien-aimé
J´ai bouclé mes valises et j´ai filé
J´ai déposé les clés j´ai déposé les clés chéri
à l´endroit où tu sais
J´ai préféré partir, pardonnes-moi
Je ne peux m´empêcher de culpabiliser oh, oh
Comment vais-je lui dire sans le blesser
J´ai déposé les clés, j´ai déposé les clés chéri
à l´endroit où tu sais
ce n´est jamais facile de se quitter
{Refrain:}
J´ai déposé j´ai déposé
j´ai déposé j´ai déposé
j´ai déposé j´ai déposé les clés chéri
j´ai déposé j´ai déposé
j´ai déposé
Les filles dans la salle applaudissent son interprétation et la vidéo s’arrête là.
Il faut que je passe à autre chose et que j’arrête de la regarder chanter cette putain de chanson comme si elle s’adressait à moi. J’appuie sur supprimer avec rage. Mais au fond de moi je sais bien que la vidéo est à l’abri dans la corbeille et qu’elle n’a pas définitivement disparu du disque dur de mon ordinateur.
Mon ventre gargouille fortement me signalant que je dois manger où je vais bientôt m’évanouir d’inanition. Je prends mon téléphone pour commander une pizza quand Eloïse débarque dans mon bureau son ordinateur à la main.
—Seigneur Gabriel, regarde !
Elle pose l’ordinateur devant mes yeux. Elle est sur Youtube. Elle tapote sur son clavier et remet la vidéo à son début. C’est une vidéo amateur. Je regarde mieux. Bon sang c’est la soirée de la Fondation. On me voit présenter Lola, les yeux pleins d’étoiles. Quelques minutes plus tard, le show commence. Mon cœur se serre quand je vois l’énergie avec laquelle elle a mené la soirée d’un bout à l’autre.
Lola Lola Lola. Elle n’est que passion et sensualité sur scène. Les rares fois où la caméra vire sur le public, on voit bien que tout le monde est subjugué par son charisme.
Malgré tout ce qui s’est passé, je suis fier d’avoir su obtenir d’elle ce résultat. Tout était parfait du début à la fin. Je regarde la vidéo, examinant le moindre de ses gestes, les moindres intonations, chaque regard...
— Avec ce qui s’est passé après, les Khan ont fait saisir toutes les vidéos pour que le braquage ne s’ébruite pas. Ils veulent maintenant rester très discrets sur tout ce qui touche à leur vie. Je n’avais encore vue aucune vidéo depuis le temps. Elle est belle Lola. Sur scène. Malgré les danseurs on ne voit qu’elle.
Ma sœur s’assoit et secoue la tête.
— Gabriel. Je sais que pour le moment c’est douloureux. Mais ça va passer, t’inquiète. Tu n’as d’yeux que pour elle hein ! Ce que je voulais que tu vois c’est le nombre de vues de la vidéo et les commentaires en dessous. Dit-elle en pointant du doigt le chiffre inscrit sous la vidéo.
Je regarde : 1 809 327 vues !
— Bordel !
— Ouais… bordel ! Lis les commentaires.
Elle fait défiler l’écran et s’arrête sur les commentaires :
« Magnifique prestation… C’est qui l’artiste ? J’adore quand elle danse. »
« Si c’est du live ! Bravo à l’artiste et au producteur de la soirée ? Où est-ce que ça se passe ? Est-elle américaine ? Il parle français non le présentateur»
« Waouh, bonne la meuf ! »
« Elle a une voix que j’adore »
« Très bonne mise en scène de l’artiste. Qui est-ce ? »
« Où vend-on les billets ? »
Et ça continue comme ça, il y a près de quatre mille commentaires. Pour une vidéo amateur c’est un succès monstre. Les commentaires sont postés du monde entier.
J’ai mal à la tête.
— Au début je n’étais pas très convaincue par elle c’est vrai. Et puis j’aimais beaucoup Sydney et je ne voulais pas que tu la laisses tomber, cette fille était complètement dingue de toi. Même maintenant quand elle me voit, elle demande de tes nouvelles. Lola, sur le plan professionnel, je n’ai rien à lui reprocher. Je suis tombée sur cette vidéo par hasard, tu sais que je n’étais pas à ta soirée. Mais là, je suis bluffée par ce que vous avez su faire tous les deux.
— Il n’y a plus de nous deux qui tienne Elo.
— Je le sais. Les filles parlent et parle encore. Bon dis moi toi-même ce qui s’est passé.
Je me racle la gorge et raconte ce qui s’est passé quand elle nous a laissé ce soir à la clinique.
Elle reste muette un long moment. Puis sourit tristement.
— Tu étais avec Sydney et tu as rencontré Lola. Tu as perdu la tête pour Lola malgré Sydney et tu as laissé tomber Sydney pour Lola.
Je ne vois pas où elle veut en venir.
— Lola était avec toi, encore que si je comprends bien vous n’avez jamais couché ensemble. Donc Lola était avec toi et elle a rencontré Mickael. Elle a perdu la tête pour Mickael malgré toi et t’as laissé tomber pour Mickael. Est-ce que je résume bien ?
— Enfonce encore plus le couteau dans la plaie Eloïse, je crois que ça ne fait pas assez mal comme ça…
— Ce n’est pas ça. Je me dis qu’il va falloir que tu dépasses tout ça. Ca fait combien d’années que tu te bats pour prouver à papa que tu peux réussir tout seul sans lui ? Et aujourd’hui que tu y arrives, tu baisses les bras ? Ca fait combien d’années que je rêve d’avoir mes deux frères autour de moi ? Je sais que c’est égoïste de ma part, très égoïste même. Mickael est réapparu et je sais, je suis sure qu’il serait reparti depuis longtemps s’il n’y avait pas eu … Lola. Alors…
— Tais-toi Eloïse. C’est bon, j’ai vu la vidéo et je te remercie pour tes conseils. Maintenant je veux rentrer chez moi. Dis-je en me levant et en remettant mécaniquement en place ma cravate.
Elle soupire de désapprobation et reprend son lap top. On cogne à la porte de mon bureau. Tyson ouvre la porte une pizza à la main :
— Excusez-moi patron. Il y a quelqu’un qui veut vous voir.
Aussitôt suivi par … Mickael.
Que fait-il ici ?