Chapitre 27
Ecrit par leilaji
The love between us
Chapitre 27
— OK…OK…
Elle reste plantée devant moi de longues secondes. Je brise le contact visuel en sortant de la voiture. Je me sens lourd, comme s’il n’y avait plus d’apesanteur, comme si mes pieds étaient lestés de poids trop pénibles à porter.
— Tu savais que c’était moi ? Qu’est-ce que tu comptais faire ? Te cacher dans la voiture jusqu’à ce que je parte ?
— Je ne savais pas, je réponds pour qu’elle cesse de m’inonder de questions impertinentes.
Et elle, elle ne savait pas que c’était moi ? Son ami de l’ANPI ne lui a pas donné mon nom ?
— Ça n’a pas fait tilt dans sa petite tête d’entendre le nom Diop ? Il ne t’a pas dit qui avait besoin de ton aide.
— A vrai dire je n’ai pas vraiment écouté pour être tout a fait franche. Il a dit que le client était au parking de l’immeuble et j’ai raccroché avant qu’il ne dise autre chose parce qu’il a tendance à me draguer dès il me trouve des clients.
Elle se triture les mains sans arrêt. On dirait une enfant prise en flagrant délit de bêtise. La situation est inconfortable, loin de tout ce que j’avais imaginé. Elle me dévisage. Comme si elle cherchait à lire sur mes traits ces cinq dernières années. Dans ce cas, j’espère qu’elle y verra que j’ai été heureux et que je le suis encore malgré la situation difficile que je traverse.
— Tu veux que je m’en aille ?
— Pourquoi le voudrais-je ? J’ai une voiture à remettre en état et tu es la seule personne que je connaisse douée pour ça.
— N’empêche que ce n’est pas toi qui m’as appelée. C’est par hasard que je suis là.
— Ce n’est pas comme si la dernière fois qu’on s’est vu tu souhaitais ardemment que je t’appelle. Si ?
La répartie n’est pas aussi cinglante qu’elle en a l’air. Du moins elle ne se vexe pas et me fait un sourire contrit. Elle sait que je ne suis pas le genre à faire des reproches donc elle n’est pas sur la défensive, juste gênée. Je prends les gens comme ils sont, je ne leur demande pas plus qu’ils ne peuvent m’en donner. La seule personne avec laquelle je l’ai essayé c’est elle et on ne peut pas dire que ce fut une réussite.
Manu s’avance vers moi et je constate que même si l’année est différente c’est la même Manu au style garçon manqué. Je cherche une position confortable. Dois-je croiser les bras ou mettre mes mains dans mes poches ? Je regarde au loin un moment puis pose de nouveau les yeux sur elle.
C’est comme si les cinq dernières années n’étaient que cinq minutes. Rien n’est réellement effacé n’est-ce pas ? J’étais raide dingue de cette femme. Où sont passés tous les sentiments que je ressentais à son égard ? Elle fait un autre pas vers moi. Mêmes les bruits de klaxons au loin semblent s’alourdir à notre contact. Maintenant que je la vois de plus près, je peux constater que quelque chose en elle a changé même je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Je me demande ce qu’elle pense de la situation, ce qu’elle ressent en me voyant : de la peine, des regrets, de la joie ? Moi je ne le sais pas. Je suis trop stupéfait pour réagir normalement.
— Driss !
Personne d’autre qu’elle ne m’appelle comme ça. C’est étrange d’entendre de nouveau ce surnom.
— Tu me regardes comme si tu allais m’étrangler. Si tu as des trucs méchants à me dire, dis-les maintenant qu’on passe à autre chose.
Mes poings sont tellement serrés que mes doigts mordent mes paumes. Je les desserre. Respire un coup.
— Excuse-moi. Je ne m’en rendais pas compte, dis-je en essayant un demi-sourire rassurant.
— Tu veux que je m’en aille ?
Toujours aussi franche à ce que je vois. Répond Idris. Elle te pose une question très simple.
— Tu fais ton job. Je te paie et on reprend chacun notre route. Il n’y a vraiment pas de quoi en faire tout un plat.
— Oh.
— Ça te pose un problème ?
— Euh…comme tu le voudras.
Elle me tend la main, paume vers le haut. Je ne comprends pas le geste. Veut-elle qu’on se salue ? Pourquoi fait-elle ça ? Elle insiste en secouant légèrement la main. Je lui fais signe de m’expliquer ce qu’elle veut exactement.
— Les clefs Driss. Je vais emmener le véhicule à mon garage.
— Oh ! je m’exclame à mon tour. Elles sont sur le contact.
— D’accord. Je pourrai faire le premier diagnostic dans quelques jours parce que pour le moment mon agenda est chargé et …
— Je ne peux pas attendre tout ce temps. C’est maintenant. Les prochains jours je n’aurai pas le temps de venir au garage voir. Il faut que je sache aujourd’hui combien tout ça pourrait me couter. J’ai un budget à mettre en place et tout dépendra de combien je vais utiliser pour la mise aux normes du camion.
— Attends, c’est ton camion. Genre ton … comment ça s’appelle déjà ?
— Un food truck.
— Voilà c’est ça. C’est à toi ?
— Oui.
— Et ton boulot chez la milliardaire ?
— Je suis parti de là-bas depuis des années déjà.
Elle éclate de rire faisant tomber sur son bras une des bretelles de sa salopette. Elle la remet en place.
— Ce n’est pas trop tôt, cette garce n’a jamais voulu bien te payer pour que tu ne t’enrichisses pas et décides de la quitter. Elle voulait toujours t’avoir à sa botte, vue tout le boulot que tu te tapais pour elle sans te plaindre.
— Merci pour ce rappel, je rétorque en levant les yeux au ciel.
— Bon viens avec moi alors. Je ferai mon max pour tout voir aujourd’hui comme ça tu sauras à quoi t’attendre. Mais il te faudra patienter.
— OK.
Elle semble soulagée qu’il n’y ait pas d’autres altercations. Je me demande à quoi elle s’attendait ? A ce que je pleure et me roule par terre en lui demandant pourquoi ça n’a pas marché il y a cinq ans ? Ce n’est vraiment plus le moment de se poser ce genre de question. Quand je pense que je m’étais imaginé qu’elle portait mon enfant ! Manu restera toujours Manu. A la tête de son garage, la tête sur les épaules, franche à en rendre les mecs maladroits, vive et indépendante. Elle fait le tour de la voiture puis reviens vers moi.
— Je n’ai jamais conduit un truc pareil. Je peux conduire Driss ?
— Fais toi plaisir.
On monte tout les deux. Elle réajuste le siège en le rapprochant du volant, prend son temps pour tout découvrir comme une enfant qui déballe un cadeau, démarre puis fait une manœuvre de fou qui me fait craindre le pire. Est-ce qu’elle sait que mon avenir est dans cette voiture ?
— Je crois que tu n’es pas supposée rouler trop vite avec ce type de véhicule.
— Tu parles toujours comme les blancs hein toi. T’as pas changé.
— Oh si j’ai changé.
Son regard se baisse sur ma main et mon alliance puis se reporte sur la route.
— Comment va Zeina ? Et vos quatre gosses parfaits ? Parce que vu comment t’es cool avec les enfants, je suis sûre que vous les avez enchainés.
— Elle va bien.
Et nos quatre gosses parfaits aussi mais seulement dans mon imagination.
— Je savais que tu finirais par lâcher ce boulot de merde et que tu ferais un truc dans le domaine de la cuisine. T’as trop de talent pour ça, sauf que tu ne t’en rendais pas compte.
— Hum.
— Donc tu vas faire la bouffe et Zeina va faire quoi ? T’aider en cuisine ? Non, je me souviens que t’aime pas trop quand d’autres personnes mettent la main dans ton assiette après ce n’est pas aussi parfait que tu le souhaites. Servir ? Elle est douce, gentille et très belle, c’est un combo parfait ça. Dis tu as besoin de pub ? Tu pourras en laisser dans le garage et j’en donnerai à tous les clients qui passent. Et ta chaine Youtube ? Tu l’as dit à tes fans ?
— Manu…
— Quoi ? demande-t-elle en me regardant.
— Tais-toi et conduis.
Nous sommes à un feu rouge donc elle tourne la tête vers moi légèrement désemparée. Je détourne le regard de son visage et regarde par la fenêtre. J’essaie de garder la bonne distance entre nous. Mais pourquoi je me fais l’effet d’un enfoiré en faisant ça ? Mais en même temps, on ne peut pas faire comme si on avait juste mis une virgule à notre relation et qu’il fallait maintenant continuer après s’être arrêté pour respirer un peu. Notre relation a eu droit à un point final. J’ai paniqué, elle a paniqué aussi et ce n’était pas si grave que ça au final. Mais je suis revenu. J’ai compris mon erreur et e suis revenu. Je suis revenu vers elle mais elle s’est barrée. Elle a tiré un trait au marqueur noir sur moi alors il faut qu’on s’en tienne là tous les deux.
Elle ne porte pas mon enfant donc quoi qu’il arrive, j’ai juste besoin de faire réparer mon camion et de foutre le camp.
Quelques instants plus tard on arrive devant son garage. Des souvenirs remontent à la surface. Je me vois patientant comme un idiot devant ce garage, priant pour qu’elle apparaisse et que je puisse rectifier le tir. Tout ça est loin maintenant. Tellement loin.
Nous descendons et elle sort de son bureau une chaise pliable qu’elle pose non loin de la table où trône les outils de Patrick. D’ailleurs qu’est-ce qu’il devient celui-là ? Ça fait longtemps que je ne l’ai pas croisé. Pourtant Libreville n’est pas une si grande ville. Je m’assois tandis qu’elle enfonce des écouteurs dans ses oreilles et commence à vérifier le camion. Puisqu’on n’a rien à se dire, je me saisis de mon téléphone et donne des nouvelles aux fans qui suivent mon aventure sur les réseaux sociaux. Ce qui est bien quand on partage avec ceux qui soutiennent le projet, c’est qu’avoir cette cohésion autour de soi, donne de la force pour aller loin. Le revers de la médaille est plus sordide. Si je me ramasse, ce sera aussi devant tout le monde.
Mais malgré tout depuis tout à l’heure j’ai hâte. Mes appréhensions se sont envolées. J’ai hâte de voir de quoi je suis capable, hâte de sortir du giron de mes parents, hâte de me permettre d’être moi-même devant les fourneaux. Plus besoin de cuisiner seulement quand ma femme n’est pas là parce que je ne veux pas lui piquer sa place dans notre foyer. Elle a entendu tellement souvent les femmes autour d’elle lui dire : un homme ça ne traine pas près des fourneaux, un homme ça ne tient pas le balai que je ne peux pas lui en vouloir pour son comportement. Je consulte mes mails, réponds à des commentaires flatteurs ou non. Sur mon compte YouTube, il y a beaucoup de femmes et très peu d’hommes alors j’essaie toujours de répondre de manière à ce que rien ne puisse être interprété de travers.
Lorsque j’ai fini de glander sur mon téléphone, je regarde autour de moi. Libreville est encore plus verte en cette saison. Les feuillages bruissent aux alentours du garage donnant l’impression de chanter des douceurs. Le garage est propre et bien entretenu. Rien de comparable avec la première fois que je suis venu ici. Le lieu était miteux. Qu’est-ce que je m’étais cassé la tête à développer ce côté de son business ! Lui dire que ce n’est pas parce qu’elle a raison qu’elle peut dire au client d’aller se faire foutre. Imprimer pour elle au bureau, son logo, son numéro de téléphone et le nom de son garage sur des feuilles cartonnées que j’ai glissées dans des porte-clefs à distribuer au client. Mais tout ça c’est loin maintenant.
Le soleil décline à l’horizon lorsqu’elle s’essuie les mains et revient vers moi. Elle enlève ses écouteurs et me parle de ce qu’elle me conseille de faire comme réparation, celles qui sont urgentes et nécessaires et celles qui peuvent attendre.
— Ça va te revenir quand même un peu cher parce que pour certaines mises aux normes, je vais devoir appeler un pote. Et j’ai aussi des pièces à commander en express. Je vais te facturer la main d’œuvre de mon pote et les pièces achetées.
— Et la tienne ?
— Quoi la mienne ?
— Ta main d’œuvre Manu.
— Tu sais très bien comment ça marche avec moi pour que je te fasse une réduc.
Je n’arrive pas à croire qu’elle me sorte ça. La première fois qu’on s’est vu, elle m’a quasiment rien fait payer parce qu’elle réduisait le prix à mesure que je lui souriais. Elle me sourit, s’attend à ce que je fasse de même. Je n’y arrive pas. Petit à petit son sourire s’efface. Elle comprend. Elle se rend dans son bureau et revient avec une facture. Je regarde le montant inscrit et saisis mon téléphone pour lui faire un virement par mon application.
— C’est payé.
— OK.
— Quand pourrai-je venir le chercher ?
— Quatre jours. Je ne peux pas faire plus vite.
— Merci beaucoup.
— Pas de quoi.
Je plie la facture et la range dans ma poche.
— Donc c’est comme ça ?
— Est-ce qu’il y a autre chose à ajouter ?
Elle soupire puis secoue la tête négativement. Mon téléphone sonne au même moment, c’est Zeina. Je décroche.
— Idris tu n’as pas encore fini ?
— Si. J’arrive. Je rentre bientôt.
— Mais où es-tu ? Il fait déjà nuit.
— Chez le garagiste. J’arrive Zeina.
Je raccroche, estomaqué par le naturel avec lequel je lui ai dit une demi-vérité. Ça ne me ressemble tellement plus ça.
— Il faut que tu me donnes ton mail pour les demandes. T’inquiète pas, je n’abuserai pas de ton temps si précieux.
Je le lui donne. Quelques instants plus tard, je fuis plus que je ne quitte le garage de Manu.
*
**
Il est 19 heures mais elle a fini comme promis en quatre jours. Le camion est magnifique sous la lumière du lampadaire. La couleur dominante est un violet plutôt sombre bordé de noir et de gris métallique. Nous avons échangé des dizaines de mails ce laps de temps, ce qui lui a permis de mieux cerner mes attentes. Je ne pouvais pas ne pas répondre à ces mails tellement ils étaient pertinents. Malgré le fait que j’avais été assez froid et distant avec elle, elle me proposait des idées, me donnait son avis… C’était comme discuter avec un potentiel associé. Ça m’a juste donné envie de vérifier par moi-même si elle a raison d’être aussi optimiste quant à mes talents d’entrepreneur.
Par contre avec Zeina à la maison, ça ne va pas fort mais Dieu veille, je sais qu’elle finira par comprendre.
Manu me tend les clefs. Sa grosse salopette lui donne un air de clown mal fagoté. Elle a une trace de cambouis sur la joue. Elle semble un peu fatiguée. Je me demande si elle a bossé non-stop dessus pour me le livrer à temps. En réalité, je n’ai même pas besoin de me le demander, je sais que c’est ce qu’elle a fait. Et moi qui joue les enfoirés distants.
— Ça va ? je demande après m’être raclé la gorge.
— Je croyais qu’on devait rester professionnel, me fait-elle remarquer en croisant les bras sur sa poitrine.
— J’ai juste demandé si tu allais bien. Je ne te proposais pas un rencard tu sais, e réplique immédiatement vexé par son attitude revêche. Ça va ou il faut te tirer les vers du nez.
Est-ce qu’elle a encore ces douleurs au bas ventre qui lui vrillaient le ventre ?
— Ça va. Je n’ai pas eu le temps de manger parce que je voulais tenir les délais et là j’ai juste l’impression que je vais m’écrouler de faim et de fatigue. Ça va comme ça ? Je ne t’ai pas révélé trop de détails personnels ? Je n’ai pas posé trop de questions ?
— Le cynisme te va très mal.
— Et toi la méchanceté mêlée à la froideur… ben ça te rend encore plus noir que tu ne l’es déjà. Ce qui dermatologiquement parlant est un vrai miracle.
Je souris. Mais c’est à mon corps défendant.
— Mais ma parole tu utilises des mots savants maintenant !
— Imbécile c’est assez savant pour toi ! demande-t-elle en rigolant. La vérité c’est que ça fait quatre jours que je pensais à placer cette punchline. J’ai carburé grave pour trouver ça.
L’ambiance est moins lourde.
— Imbécile ça me va bien, j’admets pour rompre définitivement la glace.
— C’est le moins qu’on puisse dire.
On se tait tous les deux et je me sens assez mal pour m’excuser d’avoir été aussi désagréable avec elle alors qu’elle s’est tuée pour me faire plaisir. J’ai visité l’intérieur du camion, tout est propre et bien en place. Je pense qu’on pourrait même manger sur le sol.
— Pardon pour la dernière fois, je murmure en poussant du bout de ma chaussure des cailloux imaginaires.
Elle s’approche de moi et prend ma main. Je lève les yeux vers elle. Les siens sont troubles, remplis de peine.
— Pardon pour la dernière fois, répète-t-elle aussi.
Nous savons tous les deux qu’on ne parle pas de la même dernière fois. Il n’y a plus à rien à dire de plus. Je relâche sa main, lui tourne le dos et regagne ma voiture sans rien dire. Je sens son regard fiché dans mon dos. J’ouvre la portière arrière et en sors un sac rempli de provisions. Je reviens sur mes pas les bras chargés. Elle a cru que ‘étais parti sans dire au revoir. Alors je l’appelle. Et elle se tourne. Et d’un signe de tête je lui fais signe d’entrer dans le camion. Je passe les trente prochaines minutes qui suivent à préparer un plat que j’espère elle aimera tandis qu’elle filme et fait ses habituelles commentaires déplacés. C’est dingue comme certaines choses ne changent pas malgré le temps qui passe. Une fois le repas prêt, j’essuie le bol pour soigner ma présentation, saupoudre de piment rouge en poudre et lui tends le sien.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Des ramens.
— Comme dans Naruto ?
— Ouep.
Je lui tends des baguettes et attaque mon bol de nouille. Moi aussi je n’ai pas mangé de la journée tellement j’étais stressé. Elle pose ses baguettes sur le plan de travail.
— Quoi ? Tu ne manges pas ?
— Putain c’est tellement bien fait. Pour quelqu’un qui n’a jamais pris des cours de cuisine… C’est dingue.
— Je pense que quelqu’un qui n’est jamais allé en formation pour réparer des voiture mais qui le fait à merveille ne devrait pas être si étonné que cela.
— Oh est-ce qu’on pourrait continuer à se jeter des fleurs comme ça ? demande-t-elle en rigolant. Ça m’a tellement manqué.
— Nah avec tes cheveux en pétard ça ferait paraitre ta tête encore plus grosse.
Elle me jette ses baguettes à la figure pour protester.
— Je sais que tu les as jetés non pas par colère mais parce que tu ne sais toujours pas les utiliser, lui fais-je remarquer en continuant tranquillement de manger.
— Ce sont les vantards qui utilisent les baguettes pour manger des plats chinois…
— Pas chinois. C’est japonais les ramens. Pour une fan de manga, tu me déçois.
Elle me tire la langue puis prend son bol en photo. Je lui donne des fourchettes en plastique. Elle s’installe, et suspend sa main en l’air.
— Tu vas réussir Driss. T’es un bosseur et t’es talentueux. Y’a pas moyen que ça ne marche pas pour toi. Toi et moi ce sera la même histoire. Parti de rien et arrivé au sommet.
Mon cœur se réchauffe à l’instant même ou elle prononce cette phrase et je sais que ce n’est pas le piment qui fait son effet. Elle mange toujours autant, ça fait plaisir à voir. Quand on en a fini tous les deux, on reste debout devant nos bols vides. Je range tout le désordre pour laisser le camion propre derrière moi. Elle m’aide un peu en balayant. Manu n’a jamais été douée pour faire la vaisselle comme moi je n’ai jamais été doué pour réparer des trucs. L’espace est exiguë alors c’est difficile de ne pas se frôler en rangeant. Une fois le camion propre, je me dis qu’il faut vraiment que j’y aille.
— Je vais rentrer.
— OK.
— Je suis venu avec ma voiture donc je viendrai chercher le camion demain.
— OK.
— Merci pour tout.
— De rien. Merci pour la bouffe. C’était super. Comme d’hab.
Je descends du camion et elle me suit. Je ne sais pas si je dois ajouter quelque chose. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. J’ai une femme à retrouver chez moi. Une femme que j’aime et qui m’aime. Une femme dont j’ai promis de prendre soin.
Putain Manu… Pourquoi c’est si facile avec toi de croire en moi, en ce que je peux accomplir, de ne plus avoir peur ?
Il va falloir que je retrouve le chemin qui va de nouveau m’éloigner d’elle.
Cinq jours avec elle et j’ai l’impression que l’ancien Idris est réapparu. Celui qui s’est fait briser le cœur en prenant un risque. Je déteste cet Idris, celui qui riait aux éclats et s’en fichait de toutes les rumeurs qui circulaient sur son compte quand les gens le voyaient avec Manu. Je déteste cet Idris parce qu’il était désespérément amoureux de Manu et qu’il a tout fait foirer.
Putain Manu… Je regarde le ciel étoilé et je sens toujours sa présence silencieuse dans mon dos.
Il faut que je trouve le moyen d’y arriver, de rester Idris que Zeina aime. Celui qui ne la trompera jamais en donnant de nouveau son cœur à celle qui n’en a pas voulu il y a cinq ans. Je dois redevenir Idris qui respecte Dieu et ne fait pas de bêtises, comme laisser Manu entourer sa taille de ses bras et le serrer si fort. Si fort qu’il sent sa chaleur se diffuser en lui et le ventre rond de Manu peser dans son dos.
Putain Manu…