Chapitre 27: Grillés
Ecrit par Lalie308
Aussi fragile qu’un verre,
Une fumée, un plaisir éphémère.
Voici un petit trailer du livre ( pour ceux qui ne l’ont pas vu). C’est juste un montage pour un peu résumé l’histoire.
https://m.youtube.com/watch?v=lbAB3yfAHi8
Harry
Je me passe une main nerveuse sur le visage puis je soupire bruyamment pour laisser échapper toute la pression contenue dans mes poumons. J'ai pourtant l'impression que tout le CO2 y reste coincé et que je ne pourrai rien y faire. Une semaine. Une longue, très longue semaine. Une semaine abominable, l'enfer. Ça fait une semaine que Michelle a disparu et toujours aucun signe de vie. Ça fait une semaine qu'Abdou est parti... et plus jamais de signe de vie.
— Toujours pas de nouvelles ?
Je pose mon regard rébarbatif sur Cyril qui se tient debout en face de moi, de l'autre côté du bureau. Mes yeux sont atrocement cernés puisque je ne trouve plus le sommeil depuis plusieurs nuits. J'ai l'impression d'avoir dépéri. Je le savais. Je savais que tout s'effondrait tôt ou tard, je savais que c'était bien trop beau pour être éternel.
— Non.
Chaque mot qui traverse ma gorge y creuse un trou profond puis bouscule ma luette qui tremble dans ma gorge, je la sens presque se décrocher pour rouler le long de mon œsophage. C'est ça la douleur, et elle ne change pas au fil du temps. Elle reste, solide, brulante, pénétrante, tonitruante, silencieusement agitée... douloureuse.
— Je suis désolé. Mais je t'ai prévenu. Je t'ai dit de ne pas lui faire ça, de ne pas l'introduire dans les affaires de cette entreprise et dans ta vie.
J'aimerais me lever et lui foutre mon poing dans la face pour le faire taire, mais je n'ai étrangement plus aucune force — ou pas assez pour lui tenir tête. Je me contente de l'observer sans laisser passer aucune émotion sur mon visage — retour à la case départ.
La police avait réussi à capturer l'un des hommes qui ont cambriolé la banque, mais ce dernier a refusé de parler. Ils m'interdisent de le voir, si seulement ils pouvaient me laisser faire, j'obligerai cet idiot à parler, par tous les moyens.
Mais les perquisitions ont permis de découvrir que c'est un des hommes du trafic de livres contrebandés. Les pièces du puzzle ce sont donc parfaitement assemblées. La fameuse taupe de Homel a parlé et Michelle court un grand danger. Je suis impuissant et elle est là quelque part seule dans la nature.
— Maintenant il faut te remettre au boulot Harry, il ne faudrait pas...
— Il ne faudrait pas quoi ? Éveiller les soupçons ? le coupé-je sèchement, le poids des derniers évènements pesant de plus en plus sur moi.
Il pose sur moi un regard désapprobateur, mais je ne m'arrête pas.
— Mon meilleur ami est mort et l'un de mes auteurs a été kidnappé par ma faute, hurlé-je à bout de nerfs. Alors au diable les soupçons.
Je préfère croire, espérer qu'elle est encore en vie et que je ne l'ai pas perdue. Je sors en trombe du bureau pour aller me réfugier dans les toilettes. Je m'arrête en face du miroir dans lequel je m'observe, les mains tenant le rebord du lavabo. J'observe l'être maudit en face de moi, qui pensait avoir enfin sa chance, avoir enfin la chance de se reconstruire.
La vie m'a bien montré que cette chance ne sera jamais mienne. Mon Dieu, Michelle qu'en est-il de toi ? Je presse fortement mes paupières pour couper court à ma vue, je contemple le néant, le néant qui ressemble étrangement à mon âme depuis une semaine.
Michelle
Mes yeux se ferment puis s'ouvrent puis se ferment puis s'ouvrent sans que je ne les contrôle. Mon cœur me fait mal, mon âme me brûle et je me meurs. Je me meurs dans ce désert interminable qui me donne incessamment des coups de chaleur pour m'empêcher de me relever. Je me meurs dans ce puits ignoblement profond dont les vagues me tirent de plus en plus fort vers les tréfonds de ma perdition.
Ça fait longtemps, très longtemps que je suis ici, combien de temps exactement ? Je n'en ai aucune idée. Je sais juste que j'ai mal, que je saigne et que je sens mes forces me lâcher lentement.
Ils sont revenus chaque jour pour me donner de l'eau, rien de plus. Ils disent qu'ils ne me veulent pas morte ainsi, qu'ils ont de meilleurs projets pour moi.
J'aimerais me battre, espérer, mais à quoi bon ? J'ai espéré toute ma vie sans ne vraiment rien obtenir. Ce n'est pas aujourd'hui que ça changera. J'ai passé ma vie à fuir les problèmes, aujourd'hui ils me retiennent fermement par les poignets.
Toute ma vie j'ai vu des personnes me quitter et m'abandonner. Ironie du sort : aujourd'hui, je m'abandonne. J'ai fait le vide dans ma tête, tourner et retourner le problème dans tous les sens. Comment j'ai terminé dans cette position, à quel point mon karma est chargé.
L'on dit que c'est dans ses derniers moments qu'on remet toute sa vie en cause, au moment où cela ne sert plus à rien et que nous ne pouvons plus rien y changer. J'aurais aimé dire à mon père combien je l'aime et combien je le respecte pour nous avoir élevés avec tout ce qui s'est passé, d'avoir tenu son chagrin pour lui, d'avoir été fort.
J'aurais aimé dire à Luc et Liam combien je les aime, j'aurais aimé faire la paix avec Ashley et dire à Audrey combien je la respecte. J'aurais aimé dire pardon à Abdou, remercier le coach. J'aurais aimé dire à Harry combien je l'aime, combien il me rend folle.
Le regret mérite son nom. Puisqu'on ne peut pas faire marche arrière, parce qu'il est trop tard. Tous les cycles de mon organisme alternent entre une hyperactivité et une hypoactivité vertigineuses, chacun de mes tissus se font et refont anormalement, tout mon corps approche une apoptose certaine.
Le grincement de porte me fait revenir à la réalité. Mes yeux n'arrivent pas à s'ouvrir assez, ils restent mi-clos. J'arrive pourtant à discerner les deux hommes avec des bouteilles en main, sourires machiavéliques aux lèvres.
— Il est temps de faire dodo, nous avons un magnifique voyage à faire aux Bahamas, déclare l'un d'eux. Cette banque était un double jackpot.
J'entends mal ce qu'ils disent puisque des acouphènes me couvrent les oreilles. Ils versent de l'essence dans toute l'étable puis allume le feu sur un bout de paille.
— Regarde lentement les flammes consumer puis attend patiemment ton tour.
Puis ils sortent. Des larmes se mettent à inonder mon visage. Non, aucune larme. Ce n'était qu'une illusion. Pourquoi n'arrive-je pas à pleurer, à me libérer ? Pourtant j'ai de plus en plus mal. La chaleur dans la pièce croit à une vitesse exponentielle. J'étouffe, j'ai chaud.
Des quintes de toux me déchirent la gorge et de grosses gouttes de sueur barbouillent mon visage. Un énorme morceau de bois s'échoue au sol en face de moi, me faisant sursauter et pousser un cri assez lugubre. Je frotte la corde autour de mes poignets sur les rebords de la chaise, mais rien ne change. Je recule et recule pour rapprocher mes poignets du feu qui embrase rapidement les cordes sur lesquelles je tire. Elles se retrouvent au sol.
Mes poignets sont sanglants et mes mains quasi brûlées, mais je détache, tremblante, les cordes autour de mes pieds avant de me lever. Mon corps barguigne à avancer, chancelant de temps en temps, mais mon esprit — pour une raison inconnue — me poussent à avancer.
Je frappe la porte de mon pied puis y glisse mes mains à l'aveugle pour détruire le bois et défoncer la porte verrouillée. Mais ma vue est de plus en plus troublée, les toux se multiplient et bientôt, je me retrouve sur le sol chaud, ma respiration me lâchant peu à peu.
*
Mes poumons s'ouvrent trop rapidement puis une longue bouffée d'air les remplit. Mais ils brûlent comme s'ils étaient atteints d'une maladie de Raynaud pour poumons. C'est douloureux, atrocement douloureux et pénible. Je ne sens plus mon corps d'ailleurs.
Lorsque mes yeux s'ouvrent enfin, je découvre Luc et Harry à mon chevet. Un puissant soulagement se saisit de moi. Je n'ai qu'une envie, sauter dans leurs bras. Je remercie intérieurement le bon Dieu pour cette nouvelle chance. J'essaierai de mieux vivre dès à présent.
— Où suis-je ? bredouillé-je avec ce qui semble être mes dernières forces.
— À l'hôpital, tout ira bien maintenant, m'intime mon frère qui a l'air soulagé.
Je lève lentement mes mains qui sont bandées.
— Aliyah et Liam sont dehors, les médecins défendent qu'il y ait plus de deux personnes avec toi, m'explique-t-il.
— Et... Abdou ?
Ma voix est de plus en plus faible. Ils restent silencieux. Je refuse de croire à ce que ça signifie.
— Non...
— Et Abdou ? répété-je d'une voix émotive.
Des sanglots me déchirent la gorge et tout d'un coup, l'air manque de nouveau dans mes poumons.
— Il n'a pas tenu, désolé.
— Non, non.
Pourtant je ne pleure pas, je n'y arrive pas. C'est trop dur. Abdou est mort... par ma faute. Il a voulu me protéger. Harry ne dit pas un mot, pas un seul.
— Je vous laisse tous les deux, m'intime Luc en posant un baiser sur mon front.
Lorsqu'il s'en va, Harry n'ose pas me regarder dans les yeux.
— Tu m'as manqué, murmuré-je. Abdou me manque aussi. Je n'aurais jamais dû, il n'aurait jamais dû me protéger...
Harry ne dit rien. Il reste silencieux. Trop silencieux. Puis il finit par sortir de la pièce sans un mot. Il n'était pas Harry, enfin il était comme... l'ancien Harry. Quelques minutes plus tard, Liyah et Liam viennent me voir. Je n'arrive plus à me concentrer sur le présent. Toutes mes idées convergent vers Harry et sa réaction.
Peut-être est-il toujours sous le choc de la mort de Abdou. Je n'arrive d'ailleurs toujours pas à y croire. Il est parti pour toujours. Cet homme aussi spécial, une personne aussi bonne. Et par ma faute. Liyah a vraiment l'air épuisée.
Abdou était comme un frère pour elle, la nouvelle l'a sûrement anéanti. Abdou. Mort. Ça ne sonne pas, ce n'est pas logique, il était en pleine forme... Avant que je ne joue la superwoman.
— Tu m'as tellement fait peur, commence Liam, affecté. On a dû inventer des histoires pour que ton père ne débarque pas immédiatement. Mais je pense qu'il le fera. Et en même temps on avait peur de ne plus jamais te voir. Oh mon Dieu que je suis content !
Un petit sourire trouve son chemin sur mes lèvres. Je prends doucement la main d'Aliyah pour la réconforter.
*
— Oui tout va bien papa, j'avais juste besoin de m'évader.
— La prochaine fois, prends la peine de m'écrire au moins.
— Oui promis papa. Il faut que je te laisse là. Bisous. Je t'aime.
Puis je raccroche. Harry n'est pas revenu me voir hier et je sais pourquoi. Je sais qu'il me fuit et qu'il se sent coupable. Je sais aussi que rien de tout ça n'est de sa faute. Je reçois un mail de Homel qui dit qu'ils ont besoin de moi.
— Homel veut que je vienne aujourd'hui.
— Pourquoi ? me demande Luc.
— Aucune idée.
— Mais tu viens de quitter l'hôpital, déjà qu'on est encore à l'intérieur.
— C'est peut-être important.
— Hum... Quelle heure ?
— Dans deux heures.
— Ok, rentrons déjà. N'oublie pas sous quelle condition le médecin veut te laisser rentrer après une semaine d'observation.
Le médecin m'a imposé un nouveau régime alimentaire pour combler la carence causée par le mauvais traitement. Je lui ai promis de tout respecter s'il me laissait partir. Après les injections et autres soins, ils m'ont donc libéré. Je m'en sors plutôt bien même si je n'ai pas réellement conscience de l'état de mes mains actuellement.
Mais c'est le cadet de mes soucis. J'ai besoin d'aller voir Harry et de lui dire qu'il n'a pas besoin de s'éloigner, que tout va, que tout ira bien. Lorsque nous nous arrêtons devant l'appartement pour que Luc puisse ouvrir, je lui pose une question qui me trotte encore dans la tête.
— Où se trouve Abdou ?
Il s'arrête un instant pour se tourner vers moi, clairement désolé.
— Ils le gardent à la morgue, le temps que ses parents ne réagissent.
— Harry m'a parlé d'eux. Ses parents de pacotilles. Ils n'agiront jamais et Abdou va probablement finir seul, déploré-je en sentant une vague d'émotions malsaines m'emvahir. Mais il était dans un orphelinat, ça signifie bien que ses parents n'ont plus de droit sur lui non ?
— C'est compliqué Mich. On fait quelque chose. Si ses parents ne réagissent pas durant tout le mois, on va avoir recours à la justice. Ou peut-être que dans quelques jours ils décideront que cette procédure n'a aucun sens.
— Ça marche, soupiré-je.
— Ne pense plus à ça. Je sais que c'est injuste et que tu te sens coupable, mais ça ne sert à rien de te faire du mal.
Je laisse ma tête contre la porte en soupirant. Comment pourrais-je ne plus penser à ça ? Abdou. Mort. Par ma faute. Lorsque la porte s'ouvre enfin, je découvre plusieurs visages familiers à l'intérieur : Aiden, Liam, la team, Aliyah, le coach et sa femme, Harry. Mon regard reste fixé à lui pour un bon bout de temps, il esquisse un petit sourire que je lui rends. Mais ce n'est pas fini.
Mon regard se pose sur Tania. Ma bouche s'ouvre en un o. Elle n'affronte pas vraiment mon regard et reste assez timide — ce qui n'est clairement pas son habitude. Tout le monde me prend dans ses bras en me disant combien ils sont heureux que je sois saine et sauve et ça me réchauffe le cœur.
J'aurais tellement aimé qu'Abdou soit ici avec nous. Lorsque j'arrive vers Harry, je ne pense plus à la foutue règle de Homel et je le prends dans mes bras, je le serre si fort que je sens ma cage thoracique se comprimer. Ça me fait tellement plaisir de le savoir là, tout près de moi. Il m'embrasse dans les cheveux puis nous nous sourions.
Je me tourne enfin vers Tania qui clairement ne s'attend pas à une marque d'affection de ma part. Je la prends dans mes bras, comme si rien ne nous a jamais séparés, comme si nous étions comme avant : des sœurs.
— Que fais-tu ici ? lui demandé-je.
Elle m'observe, encore troublée, mais finit par sourire nerveusement :
— J'ai réussi à tirer les vers du nez à Luc. J'ai pu convaincre mon agence de me laisser participer à la fashion week à Cambridge. J'y vais ce soir et j'ai pensé te voir.
— Merci.
Je parle du plus profond de mon cœur parce qu'elle m'a manqué. J'aurais pu la perdre pour toujours et elle s'en serait voulu toute sa vie alors qu'elle a toujours été là pour moi.
— Je suis heureuse que tu sois là, je suis contente de tous vous voir.
Des sourires brillent sur tous les visages. Mais l'absence de Abdou pèse de plus en plus sur mes épaules. Quelques vertiges me perturbent, mais je prends sur moi pour n'inquiéter personne.
— Je crois que je dois me nourrir là, les perfusions ne suffiront définitivement pas, plaisanté-je en marchant vers la cuisine.
Il y a bien quelques collations dans le salon, mais ce n'est pas pour moi dans ce moment précis. Lorsque j'ouvre le frigo, je remercie le ciel que Luc n'ait pas touché au reste de pâte de maïs — d'ailleurs il en a horreur — que j'ai conservé au frigo.
Je me sers une bonne portion à laquelle j'ajoute une bonne sauce légume et je mets le tour au micro-ondes. Je me sers un verre de jus de pomme puis m'installe sur une chaise.
— Je savais que tu t'évaderais, tu le fais toujours quand il y a trop de monde, plaisante Tania qui vient de débarquer.
Je lui souris.
— Tu as dû perdre toutes tes formes avec ce que ces idiots t'ont fait, ajoute-t-elle d'un ton déploré.
— Tania, c'est tout ce qui t'inquiète ? m'indigné-je.
Elle hausse les épaules.
— Mais quoi ? Je demandais juste.
Je souris en secouant ma tête. Puis je fixe longuement mes bandages.
— J'ai vraiment peur de découvrir ce qui se cache sous ses bandages, lui intimé-je.
— Peu importe ce que ça cache, tu resteras une personne magnifique ma chérie, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
— Je suis tellement heureuse de te voir, lui intimé-je une dernière fois.
Harry fait son apparition dans la pièce, légèrement tendu. Il se rapproche de moi. Je suis rassurée qu'il ait pu mettre ses réticences de côté pour combler le vide qui se créait depuis mon retour.
— Je dois me rendre au boulot, Luc est parti pour la Fac, tout ira bien ?
— Oui, ne t'inquiète pas et puis Homel m'a demandé de venir tout à l'heure.
Il fronce les sourcils.
— Hum ok.
Il m'embrasse chastement avant de sortir de la pièce.
— Bye Tania.
— Chao, Harry, ravie de t'avoir rencontré.
Dès qu'il s'en va, elle pose un regard plein de sous-entendus sur moi. Je secoue la tête puis me lève pour aller prendre mon repas.
J'ai un peu du mal à me déplacer à cause des vertiges, mais je reste étrangement bien portante même si je pense à Abdou à chaque minute, à ce que sa vie aurait pu devenir, à ce que je lui ai retiré. Lorsque je m'installe à nouveau, Tania laisse échapper un long soupir et je sais ce qu'elle s'apprête à faire.
— Écoute Michelle, je suis terriblement désolée pour l'histoire de Louis. Je voulais juste que tu continues de croire en l'amour et aux bonnes choses de la vie. Pardonne-moi. Je m'y suis très mal prise.
— Ne t'inquiète pas, j'ai fini par comprendre et je ne t'en veux plus autant. Tu es ma pote et l'amitié, c'est aussi le pardon même quand il semble impossible à accorder.
Je mets une bonne bouchée dans ma bouche en laissant échapper un hum de plaisir.
— Comment cela se fait-il que tu ne sois pas du tout traumatisée ? demande-t-elle, clairement confuse.
— Tu me connais Tania, je suis une battante.
— Oui je te connais. Mais retenir trop de choses à l'intérieur, ça peut faire mal, m'avertit-elle.
Je détourne mon regard pour me concentrer sur mon repas. Elle a raison, j'ai l'impression que tous les derniers évènements s'encaissent dans un coin de mon être, dans un vase que j'espère ne se remplira jamais.
— On se voit dans une semaine.
Je fais un dernier câlin à Tania avant qu'elle ne s'en aille. Je conduis chez Homel avec une légère boule d'angoisse dans le ventre. Je sens beaucoup l'absence de Abdou, à ce moment précis. Je m'étais d'une certaine manière habituée à sa présence lors des trajets.
Hailey me conduit dans la salle de réunion dans laquelle se trouvent plusieurs personnes. Cyril est debout au fond, le visage crispé. Sophia est juste à côté de lui avec la même expression. Harry est un peu isolé, le regard qui croise le mien, mais qui le fuit aussitôt. Audrey — que je ne savais pas de retour — ne sourit pas pour une fois, elle reste silencieuse, près d'une femme que je reconnais grâce aux photos.
Victoria Davis. Elle a encore l'air plus effrayante que sur les images. Le genre de femme fatale qui écraserait n'importe qui comme un moucheron. Ses cheveux courts formant une coupe carrée parfaitement symétrique, couvrent un visage étiré passé à un maquillage sombre, mais élégant, ses sourcils épais se froncent et défroncent périodiquement tandis qu'elle tape la table de ses doigts. Je marche de pas mal assurés.
Mon cœur s'arrête dans ma poitrine. Lorsque Victoria pose son regard sur moi, mon sang se glace dans mes veines.
— Mademoiselle Lawson, prenez siège, m'indique-t-elle avec un sourire mauvais.
Dès que je me laisse tomber sur un des sièges, mon regard tombe sur des photos dispersées sur la table, les mêmes que celle que m'avait envoyées Jack. Ma bouche s'ouvre alors que tout mon corps tremble.
Je ferme les yeux puis les ouvre pour être sûre qu'il ne s'agit pas d'un cauchemar. Je pose une main sur une des photos : Harry et moi dans le London Eye en train de nous embrasser.
— Ces photos vous parlent ?
Je n'ose même pas regarder Audrey. Je n'ose regarder personne. Les murs s'effondrent autour de moi.
— Quelle était la règle principale miss Lawson ? insiste la voix hautaine.
Je reste silencieuse.
— Très bien, je vais vous aider. Pas de relation non professionnelle entre le personnel et les auteurs. Avez-vous respecté cette règle ?
Je ne réponds toujours pas. L'atmosphère est obombrée par les particules de peur et de craintes, de cauchemar et de désespoir qui flottent dans la pièce.
— Avez-vous respecté cette règle Harry ?
— Non, répond ce dernier dans un souffle après un long regard persistant de Victoria.
Victoria tapote la table de ses doigts, je garde toujours me tête légèrement baissée et les yeux fixés sur les images.
— Cyril, quelles sont les conséquences ?
Cyril reste silencieux pendant quelques instants avant de prendre la parole après un raclement de gorge.
— Article 12, alinéa 2. En cas de violation de la règle principale de Homel, les conséquences seront sévères et définitives. L'em... employé en faute se verra remettre en cause son emploi et virer selon la gravité et la décision de la présidente de Homel.
Je fronce les sourcils, rien de tout ça n'était sur le contrat.
— Homel peut décider ou non de tenir des charges judiciaires sur les fautifs. L'auteur se verra... se verra retirer tous les droits sur son œuvre qui sera la propriété exclusive de Homel. Le contrat sera systématiquement rompu...
Je n'entends plus grand-chose après ça.
— Rien de tout ça n'était dans le contrat, remarqué-je tremblante avec une lueur d'espoir.
Ma voix semble pourtant toujours trop faible pour porter la charge de la douleur qui me transperce en cet instant.
— Sur le contrat, il est écrit : en cas de violation d'une des clauses du contrat par l'auteur, les sanctions seront appliquées selon la charte de Homel, précise Victoria. Vous êtes chanceuse qu'on ne vous poursuive pas en justice, pour le moment.
— Tu le savais ? demandé-je à Harry qui n'ose toujours pas croiser mon regard.
Voilà pourquoi il avait aussi peur de cette règle. Je secoue ma tête en regardant un peu partout dans la pièce. Je viens de tout perdre en un clignement de cils : mes œuvres, Harry, tout. Je me sens trahie. Par lui, par moi. Parce que je savais que les sanctions seraient aussi lourdes.
— Mais nous pourrions vous laisser vous racheter si vous attestez que ces photos sont fausses et qu'il n'y a eu et n'aura jamais rien avec monsieur Daniels.
Si j'affirme ça, ça signifie que plus jamais il n'y aura de Harry et moi. Mon cœur n'y arrive pas. Je n'arrive même pas à parler.
— Il n'y a rien Victoria. Je vous promets de maintenir toutes mes distances avec miss Lawson si vous laissez passer ça.
Je n'en reviens pas. Il n'a même pas eu à réfléchir pour dire ça. Notre relation compte-t-elle aussi peu pour lui ? Je lui lance un regard déchirant avant de me redresser.
— J'en ai marre des mensonges. Pour moi, aucune règle, rien ne vaut la peine de sacrifier une personne qu'on aime. Mais apparemment je suis la seule à penser ainsi.
Je sors en trombe de la pièce, manquant de plus en plus d'air. Harry ne m'a pas fait ça, non. Il a rejeté notre relation comme si elle ne représentait rien. Pour lui j'aurais pourtant été capable d'abandonner mon livre. Oui je l'aurais fait parce que je diablement amoureuse. Ça fait de moi une parfaite idiote, mais c'est l'effet amour. Je n'aurais pas supporté de continuer à le voir tous les jours et jouer la parfaite inconnue, pas après tout ce que nous avons vécu.
Mais lui, il l'a fait sans trop réfléchir. J'ai le cœur en mille morceaux qui ne réussiront probablement jamais à se recoller. Je reste les mains sur le volant pendant un bon bout de temps avant de démarrer.
*
On dit qu'un problème ne vient jamais seul, que le premier attire toute une succession de nouveaux problèmes qui ne nous lâchent pas avant d'en avoir fini avec nous. C'est exactement ce que je ressens actuellement. Un mélange de crainte, de peur, d'amour, de haine, de honte, de colère, de déception. Et le pire est que chacun de ces sentiments a sa raison d'être.
Je le sens dans mes tripes, je le sens que tout est fini. Absolument tout. Je veux juste rentrer chez moi, et tenter de reprendre à zéro ou de rester au point zéro. J'ai tellement espéré qu'Harry entre dans ma vie, j'ai tellement rêvé de voir mon travail se concrétiser avec mon livre, j'ai tellement rêvé que je me suis réveillée trop violemment.
J'ai mal, simplement mal. Mal d'avoir voulu tout donner à quelqu'un qui au final ne le méritait pas. Mal d'exister. Lorsque la porte que j'ai laissée entrouverte s'ouvre, Liam s'immisce dans la pièce puis referme derrière lui.
Je lui adresse un léger sourire qui trahit toute ma frustration du moment. Il s'assied près de moi.
— J'ai quitté Ashley, m'annonce-t-il d'une voix plate.
— Je crois que Harry vient de me quitter. Pourquoi as-tu quitté Ashley ?
Nous parlons avec silence, c'est l'impression que j'ai. Tout est calme, bien trop calme.
— Elle est mariée.
— Elle est quoi ?!
— Elle a peur de le quitter alors qu'il la maltraite. J'ai vraiment tout essayé, mais j'en ai ma claque maintenant. C'est ce dont je ne t'ai jamais parlé. J'espérais que ça changerait, pour que je puisse tout te raconter, mais voilà, les choses ne se passent pas toujours comme voulues.
— Oh...
— Et que s'est-il passé avec Harry ?
— Homel a tout découvert. Ils nous ont donné la possibilité de tout nier pour nous ignorer à jamais ou de perdre tout. Résultat : j'ai perdu les droits sur mes livres. Harry a nié donc je ne sais pas pour lui.
— Il a nié ?!
— Oui. J'ai passé des mois à quasiment lui courir après et voilà comment ça se termine. Et je n'ai plus de livres, plus rien.
Je me laisse tomber dans le sofa en soufflant bruyamment. Liam reste immobile, probablement retourné par la situation. Je n'arrive même pas à procéder correctement pour analyser sa situation à lui.
— On est tombé sur des personnes spéciales, fait-il remarquer.
— Spéciales, repris-je. Tu as de l'alcool chez toi ? demandé-je.
Il se lève puis me tend la main. Une fois chez lui, il fait sortir quelques bouteilles et deux verres. Nous savons bien ce que nous nous apprêtons à faire, nous saouler, nous saouler pour enfin oublier nos soucis.
Laisser l'alcool établir sa demeure illusoire dans notre cerveau, pour ne plus jamais sentir, ne plus jamais avoir mal. Dès que je bois mon premier verre cul sec, je sens tout mon corps désapprouver.
— Vas-y doucement, m'avertit Liam, mais je ne l'écoute pas non plus.
Il hausse les épaules puis se met à boire aussi. Il a aussi un chagrin à soigner. Au fil des heures et des verres, je perds la notion de temps et de l'espace, de ma vie. Je me laisse tomber dans le sofa, avachis comme crêpe.
— Qu'est-ce qui ne marche pas avec nous Liam ? demandé-je d'une voix brisée avant d'éclater de rire.
Il glousse comme une femme avant de me répondre, amusé.
— On est trop parfaits.
Puis nous éclatons tous les deux de rire. Il se laisse tomber près de moi. Nos regards s'accrochent pendant un moment. Puis nos lèvres se joignent.
****
L’histoire est à 2 ou 3 chapitres de la fin...
Merci de lire, voter et commenter.
Lalie