chapitre 28
Ecrit par leilaji
Chapitre 28
Mickaël
Je cogne à la fenêtre de Lola tout doucement pour ne pas réveiller ses parents et causer un scandale. Je ne l’ai pas encore vue depuis mon retour d’Inde et je ne peux pas me contenter d’entendre sa voix au téléphone. J’ai pourtant hésité longtemps avant de venir et à force d’hésiter, je me suis pointé en plein milieu de la nuit. Il est trois heures du matin.
Je cogne une nouvelle fois mais un peu plus fort. Elle doit dormir très profondément pour ne pas encore avoir répondu. Je lui envoie un message sur son téléphone afin de ne pas l’apeurer et lui indiquer que je suis le fou qui cogne à sa fenêtre en pleine nuit. J’ai l’impression d’être redevenu un adolescent. Ça ne me ressemble pas vraiment de déranger une femme en pleine nuit. Ce que je fais est complètement idiot. C’est plus simple d’attendre au moins que le jour se lève pour la voir.
Après un moment, je me rends compte du ridicule de la situation et rentre chez moi. On se verra tout à l’heure. Y’a pas le feu. Enfin, il me semble.
Le lendemain matin
Elle m’a appelé très tôt ce matin. Mais je n’ai pas pu décrocher car j’étais avec Monsieur Khan et il voulait que j’aille sécuriser une dernière fois le site du Taj Mahal qu’ils quittent définitivement sa famille et lui. Laisser une si belle demeure vide leur brise le cœur mais ils y ont de trop mauvais souvenirs pour y rester. Karisma me semble-t-il est la plus traumatisée. Depuis l’incident, elle ne quitte plus sa tante d’une semelle comme si elle avait peur que de nouveau il lui arrive quelque chose.
Après m’être occupé des Khan, je rappelle Lola. Ca sonne occupé et je n’insiste pas. Je contacte son petit frère qui m’explique qu’elle s’est rendue chez un concessionnaire de voitures d’occasion que je connais assez bien car j’ai fait venir ma moto par son circuit.
J’enfourche donc ma bécane pour aller la surprendre là-bas au quartier Oloumi.
Lorelei
Les écouteurs enfoncés dans mes oreilles, j’essaie de ne pas me laisser submerger par tout ce qui se passe en ce moment. J’ai besoin de me retrouver, de me concentrer sur mes objectifs personnels, ce que je suis prête à endurer pour obtenir ce que je mérite…
Je n’ai pas envie de n’avoir qu’une seule corde à mon arc. Papa m’a toujours dit qu’une femme devait premièrement compter sur ses propres moyens, sur sa famille et en tout dernier point sur son mari. Il n’a jamais voulu que je sois à la merci de qui que ce soit et si la maladie ne l’avait pas si durement frappé, je pense que je serai une tout autre femme, avec un tout autre destin. J’ai raté mon CAP et c’est entièrement de ma faute. Je dois rattraper le coup l’année prochaine. Comme quoi, on peut être la meilleure dans un domaine et échouer brillamment. Il en faudra plus pour me décourager car je veux absolument avoir ce certificat et pouvoir mettre quelque chose dans un CV. En attendant de pouvoir vivre de mon rêve, ce qui n’est pas évident dans un pays africain, je peux faire de petites choses par ci par là. Je me débrouille. Je l’ai toujours fait. Je ne suis pas née dans une famille riche mais je n’ai manqué de rien. Mon père m’a tout appris et ma mère a joué son rôle comme elle a pu. Il n’y a pas de quoi être fier de moi mais je n’ai pas non plus à avoir honte de ce que je suis. Petit à petit, je vais y arriver. Je vais réussir. Ca ne peut pas être autrement. Raphael mérite ce qu’il y a de mieux dans la vie et je compte bien le lui offrir. Quand à mon père, cet homme qui petit à petit, grâce à la rééducation redevient lui-même, je veux qu’il sache qu’il ne m’a pas élevé en vain. Je ferai tout pour que tôt ou tard, avec maman, ils puissent être fiers de moi.
Je touche la besace. L’argent y est bien enroulé dans une enveloppe. C’est la première fois que je me balade avec une aussi grosse somme sur moi et je suis toute excitée à l’idée de l’investir dans quelque chose de concret. Pourvu que je ne me plante pas. C’est dommage que papa soit … bref. Lui au moins c’était un bricoleur hors paire, il aurait pu me guider vers le meilleur choix question qualité et prix. Il va falloir que je fasse attention et que je suive mon instinct pour cet achat. Je n’aurai pas une seconde chance.
La chanson bourdonne à mon oreille et je me laisse faire. J’élève ma voix pour accompagner Britney Spears. Je n’aime pas forcément tout ce qu’elle chante mais je respecte l’artiste qui s’est trouvé au fond du gouffre à un moment donné et qui a su rebondir pour éclater une nouvelle fois les chartes. Qu’avait-elle fait déjà ? Ah oui, elle avait craqué devant les paparazzo et s’était rasée le crane devant leur objectif. Heureusement que ça n’existe pas ici ce type de harcèlement moral et physique. Voir sa vie disséquée au quotidien par des millions de fans… Moi et mes frasques de diva, on aura tôt fait de se retrouver tous les jours à la une.
Waoh c’est la meilleure partie de la chanson qui passe et je me mets à faire de légers mouvements de la tête et des épaules. Je ne peux pas écouter une bonne chanson et ne pas danser, c’est au-dessus de mes forces.
« I’m a slave for you… »
Mickael
Je m’étonne moi-même d’être là à attendre patiemment qu’elle apparaisse enfin. Je la vois venir, tellement accrochée à sa chanson qu’elle ne m’aperçoit même pas. Je m’adosse à la porte vitrée de la société de Mouhamed et attends tranquillement qu’elle lève les yeux sur moi.
Ca y est elle s’arrête de chanter pour arrêter son i-pod, le manipule un moment puis retire ses écouteurs.
Je retiens ma respiration. Ca fait longtemps qu’on s’est vu et je n’ai qu’une envie me laisser enfin aller… dans ses bras.
Putain qu’elle est belle ! Elle porte un carré bouclé d’un blond platine. Il faut être Lola pour oser une teinte aussi claire et la réussir. Elle n’a maquillé que ses yeux, ses lèvres que j’imagine douces portent une couleur pale. J’ai l’impression de voir un ange.
Je pense à mille et une choses en même temps tandis qu’elle est encore loin de moi. Je me rends compte que je n’ai jamais eu besoin de séduire une femme au sens classique du terme. Sortir le grand jeu, les invitations, les rendez-vous, les cadeaux, je ne sais pas faire parce que je n’ai jamais eu besoin de le faire. Habituellement, il me suffit de les regarder et de sourire. Sourire tout doucement sans arrogance ni timidité. Juste sourire et être engageant, faire comprendre que je suis intéressé. Les femmes que j’ai pris l’habitude de côtoyer se sentent libres d’aller avec qui elles veulent donc, il n’y a pas besoin de passer par l’étape : « on fait connaissance avant de passer au plat de résistance? ». J’aime bien cette franchise du corps. Pourquoi faire long quand on peut faire court. Du moins j’aimais bien. Se voir, pas plus d’une fois, parce que fréquenter assidûment une femme serait m’ouvrir à elle, à ses pensées intimes… Et la plus part du temps une fois que je découvrais ce à quoi elles pensaient en permanence, je ne supportais plus leur présence.
Je lutte en permanence contre cette intrusion que mon esprit a tendance à faire dans la vie des autres bien malgré moi.
Par ailleurs, je n’avais pas besoin de leur parler de moi. Je restais réservé et les choisissais assez maligne pour comprendre dès le départ qu’il n’y aura rien de plus qu’un corps à corps.
La suite après la première rencontre, c'est-à-dire à la deuxième rencontre, c’était : des mots courts.
Des halètements.
Des gémissements.
Des cris parfois.
Des frissons.
Et on se séparait.
Putain, je n’ai accès à aucune des pensées de Lola et ça me fait un bien fou. Je me sens libre d’être moi quand elle est tout prêt parce que je ne viole pas son intimité. Ce que je sais d’elle, c’est ce qu’elle m’a dit ou ce que j’ai deviné de son caractère.
Je n’ai pas accès à Lola et cette situation est tellement jouissive que je veux en profiter un maximum.
Et avec elle, je veux découvrir le pouvoir des mots et partager sa passion pour la vie. Elle est vive, expansive et toujours d’attaque alors que je traîne mon mal de vivre depuis ma première bouffée d’air.
Pour la première fois de ma vie, je veux ce que je n’ai encore jamais désiré.
Des rendez-vous, pleins de rendez-vous. Importants, moins importants et même carrément inutiles, le genre de rendez-vous niais où on se rencontre seulement parce qu’on s’est manqué.
Des choses qu’on s’offre.
Des caresses. Oui je veux des caresses de sa main sur tout mon corps.
Je veux des baisers sensuels qui n’en finissent pas, des langues qui s’enroulent et des corps qui s’emboitent parfaitement. Je veux ses ongles dans ma chair et moi plongé en elle.
Des baisers qui ne finissent jamais…
Et des cœurs qui se comprennent sans paroles.
Oui, je veux tout ça désormais. Avec Lola.
Lorelei
Je sens des frissons me parcourir tout le corps et quelque chose me pousse à lever la tête.
Mickaël ? Il me regarde avec une petite moue attendrissante : l’air de dire « enfin tu me remarques, depuis que je t’attends ». Mais que fait-il là ? Il porte encore un jean et un tee-shirt blanc immaculé sur lequel repose une veste bleue. C’est l’une des rares fois que je le vois avec autre chose que du noir alors ça me fait un petit effet. Je suis tellement heureuse de le voir, lui qui ne m’a donné aucune nouvelle depuis qu’il est allé en Inde. Je cours comme une malade et saute dans ses bras pour le serrer très fort contre mon cœur. Il me tient vigoureusement et lutte pour que je ne nous fasse pas tomber à la renverse. Les employés du concessionnaire nous regardent éberlués par la scène.
But i don’t care !
Son parfum m’emplit les narines. Il sent le propre. Depuis que je le connais, il sent toujours le propre. Il n’y a jamais rien de superficiel en lui ou sur lui. Il est brut et nature. Et j’aime ça. Je ne vais pas pousser le bouchon jusqu’à l’embrasser en public mais ce n’est pas l’envie qui me manque. Je regarde ses taches de rousseur qui lui donne l’air vulnérable. Ce n’est qu’une façade, cette douceur qui emplit ses yeux. Car je sais qu’il est fort à l’intérieur.
J’essaie d’oublier que je l’ai vu battre un homme à mort pour me protéger. J’essaie d’oublier sa carrière de militaire pour me concentrer sur l’homme que j’ai en face de moi. Il est beau Mickael.
- Bonjour mon ange ! dit-il en plongeant ses yeux bleus dans les miens.
Je m’y noie. Seigneur ! Je mâchouille un bref instant ma lèvre inférieure puis me décide à quitter ses bras. Les gens n’arrêtent pas de nous regarder.
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je voulais te voir.
- Et ton voyage en Inde ?
- Bien.
Ce n’est pas un bavard, je le sais déjà mais là, il est carrément muet. Cependant ses yeux ne me quittent pas un seul instant et c’est le plus important. C’est un vrai brasier que je lis dans ses prunelles. Je me sens fondre tout doucement à l’intérieur.
- Je suppose que c’est Raphael qui t’a dit où j’étais…
- Oui.
J’attends la suite de la phrase qui ne vient pas. OOOK ! Je penche la tête sur le côté et lève un sourcil. Il finit par continuer sa phrase.
- Il s’est demandé comment tu allais faire pour transporter la voiture vu que tu ne sais pas conduire…
- Je me posais aussi la question tu vois. Je me suis dit que j’allais la laisser là. C’est tellement facile d’avoir de grands projets mais les mettre en place c’est autre chose tu sais.
- Pourquoi ? Il suffit de vouloir.
- Si je la prends, je vais la garer où ? A la maison nous n’avons pas de place de parking, je n’ai pas encore trouvé de chauffeur, je ne sais même pas comment ça marche ce circuit.
Rien qu’en pensant à tout ça, je commence à paniquer. J’ai peut-être eu les yeux plus gros que le ventre finalement. Il y a trop de paramètres que je ne maîtrise pas du tout.
- Laisse-moi m’en occuper.
***Mickaël***
Elle rigole.
- Jamais de la vie. Non pas que je ne te fasse pas confiance mais je dois me débrouiller toute seule.
- Comme tu veux. Je t’accompagne alors ? Ca au moins je peux ou ton code du féminisme te l’interdit ?
- Quoi, je ne suis pas féministe moi. Je suis juste Lola. A temps plein !
Une heure plus tard, je jette un petit coup d’œil discret à mon poignet pour voir l’heure. Elle négocie comme une professionnelle avec le vendeur pour une Toyota Carina qui date de Mathusalem. Rien qu’à voire la chose, on devine qu’elle doit être au moins de vingtième main. Mais j’admire sa détermination et ne me mêle pas à la conversation. Elle a déjà prévu les frais à payer pour la patente, la mairie, l’assurance et les a défalqué de la somme qu’elle a, ce qui fait qu’elle ne peut pas se permettre autre chose que ce tas de débris. Franchement, je suis étonné que Mohamed vende une telle voiture.
Lola commence à hocher la tête. Ils sont prêts de conclure on dirait. Je me lève de la voiture contre laquelle je me suis adossé et me rapproche d’elle.
Son téléphone vibre dans son sac. Elle l’en sort et écarquille les yeux en voyant le numéro qui s’affiche.
Je sais qui c’est.
J’écoute la conversation.
- Oui. Bonjour Gabriel. (…) Je ne sais pas trop. (…) Je t’écoute. (…). C’est pas vrai ! Sérieux ? Non je ne savais pas. Mais, je ne sais pas trop. Ok. Au revoir.
Je me place face à elle et le vendeur nous laisse tranquille pour aller accueillir un autre potentiel acquéreur.
- Alors ?
- C’était ton frère. Il parait qu’il y a une société de production d’artiste basée en Afrique du sud, qui a envoyé une femme pour moi. Je veux dire pour nous, lui et moi. Ils veulent co-produire des chansons avec Valentine…
***Lorelei***
Je parle et son visage reste de marbre. Aie. Je me disais bien que ce serait une mauvaise idée. Je baisse les yeux. Je ferai mieux de rappeler le libanais pour qu’on en termine avec l’achat de la voiture.
- Lola. Regarde-moi. Je ne suis pas stupide et j’ai envie que tu te sentes bien avec moi. Comme moi je me sens bien avec toi. C’est aussi simple que ça. Vous êtes magiques tous les deux. Je veux dire sur scène et c’est ce qui compte. Tu aimes chanter et danser et je le comprends. Gabriel te mènera aux étoiles. Il est fait pour ça.
Je ne m’attendais pas à ce qu’il prenne les choses aussi calmement. C’est vrai que ça aurait été stupide de m’empêcher de travailler avec lui mais je me disais qu’il allait me conseiller d’aller ailleurs. Me dire que son frère n’était sans doute pas le seul producteur valable du Gabon.
- Il a vu en toi ce que personne d’autre n’avait vu avant lui. C’est de ça que je parle. La magie que vous créez sur scène. Vas-y.
J’hésite.
Mais l’information tourne en continue dans ma tête. Une société de production sud africaine ? La plus part des artistes vont tourner leur clip là-bas quand ils en ont les moyens. Une femme va m’écrire une chanson et si elle marche ce sera le début de tout…
Je dois tenter ma chance où je regretterai toute ma vie de ne pas avoir essayé.
- Ok.
***Mickaël***
Elle me laisse ses documents et ses sous et s’en va retrouver Gabriel. Moi je me rapproche de Mohamed qui demande à un de ses employés de me faire une quittance de paiement de prix. Mais j’ai ma petite idée en tête.
- Mohamed vient voir par ici.
- Oui Monsieur Valentine.
- Je ne veux pas ça. Dis-je en pointant du menton la voiture choisie Lola. Cherche-moi autre chose.
Il me sourit de toutes ses dents et m’emmène voir des Toyota plus récentes au kilométrage moins parlant.
Je ne suis pas millionnaire. J’ai contracté un gros emprunt pour acheter mon appartement en France et je continue d’en payer les tranches. Je n’ai pas les possibilités illimitées de mon frère. Mais je peux au moins lui donner ce petit coup de pouce sans le lui dire. Ce n’est pas le chauffeur qu’elle trouvera qui se plaindra d’avoir une meilleure voiture tout de même !
***Bénédicte***
Gabriel a toujours été un gros con et malgré les années, il n’a pas du tout changé. J’essaie de garder mon calme, de me convaincre que je ne suis ici que pour une seule chose mais quelque chose me dit que c’est faux.
Je le regarde et il fait semblant de m’ignorer. On a relu ensemble l’ensemble des contrats envoyés par ma société et je lui ai expliqué tous les points essentiels. Pour toute réponse, j’ai eu droit à des grommellements d’ours. Des choses se sont passées entre nous c’est vrai mais ça date de tellement longtemps que je trouve son attitude puérile. Il pourrait passer à autre chose tout de même, dix ans se sont écoulés !
- Elle arrive quand Lola? Je demande en mâchouillant un crayon piqué sur sa table.
- Je l’ai appelé, elle sera là d’un instant à l’autre. Répond-il en se levant pour m’arracher le crayon des mains et le remettre à sa place.
Je n’en crois pas mes oreilles ! Enfin il me parle ! Je le regarde encore. Sa mine a changé, il semble un tout petit peu plus enjoué. Ai-je dit un mot magique ?
La porte s’ouvre et une jeune femme entre dans la pièce. Gabriel se lève et lui fait signe de s’asseoir à mes côtés juste en face de lui.
Lola. J’ai vu sa vidéo combien de fois ? Des milliers. En vrai elle est encore plus jolie surtout avec ses mèches blondes qui lui donnent un air éthéré moins ouvertement sensuel que lors du show.
Je suis heureuse à un point inexprimable par des mots. Elle a un truc. Je le savais, je le sentais.
- Lola je te présente Bénédicte Théron. Elle est là pour toi.
- Enchantée. Dit Lola en me tendant sa main.
Sa voix est légèrement grave. Puis elle se retourne vers Gabriel.
- Si tu peux mieux m’expliquer, j’ai pas bien compris au phone.
Gabriel se met à lui parler et son visage s’anime complètement. Il essaie de la mettre en confiance et peu à peu ils m’oublient et continuent la discussion à deux.
Je me racle la gorge pour attirer leur attention et Lola se retourne vers moi.
- Je n’ai pas encore vu la vidéo dont vous parlez mais il faudrait savoir que je ne peux rien pour vous sans Gabriel. Le show c’était lui. Tout a été conçu par lui et je ne voudrais pas qu’il y ait de malentendu. Je suis une chanteuse et lui c’est mon producteur.
- Il n’y a pas de souci, il reste votre producteur. Nous sommes là … parce que nous avons confiance en vous deux.
- Ok. Et vous allez écrire des chansons… pour moi ? Je n’arrive pas à le croire.
J’ai hâte de m’y mettre et sortir peut-être enfin mon premier hit. J’en rêve depuis tellement longtemps.
Après avoir quitté le Gabon avec mes parents, nous sommes allés nous installer en Afrique du Sud. J’y ai fait des études de psychologie et j’ai eu mon diplôme avec mention. Puis je suis tombée gravement malade et il m’est venu à l’esprit d’écrire un blog pour partager mes émotions et les résultats de la gratte de ma guitare comme je me plaisais à le penser. De fil en aiguille, mon blog est devenu très populaire et une amie m’a demandé de l’aider à écrire ses vœux de mariage. Je l’ai fait et dans l’assistance, le jour du mariage, il y avait le directeur de la société Deezer Limited. Il s’est empressé de féliciter la mariée pour les magnifiques vœux qu’elle avait prononcé et Natacha lui a avoué qu’en réalité, j’avais quasiment tout écrit et que les mots sonnaient juste parce que je connaissais le couple depuis ses débuts. Le directeur m’a donc proposé un contrat et j’ai intégré son écurie. Malheureusement, encore aucune des chansons que j’ai eues à proposer n’a fait le buzz. Pourquoi ? Parce que j’ai besoin d’être proche de l’artiste pour pouvoir écrire quelque chose de valable et que depuis mes débuts, aucun n’a encore voulu partager quoique ce soit avec moi. Aucun ne m’a encore réellement inspiré jusqu’à ce que je voie la vidéo de Lola.
Cette fille est juste dingue sur scène. Elle est pro mais elle a ce grain de folie qui fait les grands artistes et j’ai aussi senti que derrière les mimiques sensuelles et les poses travaillées se cachait une grande sensibilité.
Je lui explique mon mode de fonctionnement et attends le cœur battant qu’elle me rejette comme tous les autres. Contre toute attente, elle éclate de rire.
- Vous n’allez pas me suivre partout quand même !
- Non, non. Mais j’aurai juste besoin que vous me parliez un peu de vous pendant quelques heures dans les prochains jours, de ce que vous aimez, de qui vous aimez… dis-je en regardant Gabriel qui se braque sur cette dernière phrase.
- Ok. Bon, je vais vous le faire court d’accord. Si Gabriel est Ok. Je suis Ok pour tout.
Gabriel sourit mais son sourire est crispé.
Elle reçoit un coup de fil y réponds brièvement puis demande la permission de s’en aller. Spontanément, je demande à l’accompagner. Elle accepte. Mais avant de partir elle me demande de lui accorder quelques minutes avec Gabriel en tête à tête. Vu que l’ambiance entre nous est fraîche quand nous ne sommes qu’à deux, je file vite fait au bureau de son assistante Nadine. A elle, je pourrai poser des questions sur Lola. Ca me permettra de commencer à cerner le personnage.
***Gabriel***
Bénédicte quitte le bureau et me laisse seul avec Lola.
- Ça ne va pas être possible de travailler à trois si tu passes ton temps à l’ignorer.
- C’est de ça que tu voulais parler ?
- Bon. Je vois que tu es de mauvaise humeur donc je vais y aller.
- Attends… je suis stressé c’est tout. Tu crois que pour moi c’est facile d’oublier ?
Elle prend une grande inspiration et se laisse tomber sur la chaise.
- Que veux-tu que je fasse ? Tu veux que je disparaisse ?
- Non.
- Alors il faudra bien qu’un jour ou l’autre tu tournes la page.
- C’est ce que j’essaie de faire. A chaque putain d’instant Lola.
Puis je change de sujet. Tout doucement les choses s’arrangent avec mon frère… je ne vais pas me mettre à accabler sa… copine.
- Je crois que tu ne vois pas l’opportunité qui se présente comme je la vois. Je n’ai pas envie de rater le coche…
- Hé. Dit-elle d’une voix rassurante. T’es le meilleur.
Elle le dit avec tellement de confiance que je redresse les épaules. Oui c’est vrai, je suis le meilleur. Elle le sait, je le sais. Le monde entier doit le savoir maintenant.
***Mickaël***
J’ai envoyé un message à Lola pour ne pas qu’elle s’inquiète de la suite des événements chez le vendeur. J’ai réglé l’affaire en lui prenant une voiture avec moins de kilométrage et un meilleur moteur. Je ne pense pas qu’elle fera la différence entre les deux voitures puisqu’elles sont de même marque et de même model.
Mon téléphone vibre. Sur l’écran s’affiche un numéro inconnu. Je décroche tout de même.
- Salut petit frère.
Hum Eloïse. Depuis notre dernière discussion dans le bureau de Gabriel, elle m’appelle chaque jour pour prendre de mes nouvelles. Je ne sais pas si ça me fait plaisir où si ça me perturbe. Je n’en ai pas l’habitude alors je ne sais jamais comment entretenir la conversation. Il va falloir que j’enregistre son numéro une bonne fois pour toute.
- Bah, tu ne réponds pas ?
- Salut.
- Voilà, je voudrais qu’on se retrouve tous chez mamie demain. Tu pourrais me passer son numéro de téléphone. Je vais cuisiner et on ira manger chez elle, comme ça on ne va pas trop la déranger.
- Ok.
- Tu me l’envoies par texto ?
- Hum.
- Tu pourrais être plus bavard tu sais.
- Quand tu dis on, c’est toi et moi chez mamie ou on, toi et moi plus Gabriel et papa chez mamie.
- On c’est les Valentine Mickaël.
- Ok.
- Alors à demain ?
- Oui.
Je soupire. Moi qui voulais passer ma journée de repos tout simplement avec Lola. Ca ne va pas être évident. A moins de la convier aussi… Mais je ne sais pas si mélanger tous nos problèmes en un seul rendez-vous est une bonne idée.
Moi, Gabriel et Lola, c’est déjà compliqué.
Moi, Gabriel et papa, c’est pire.
Moi, Gabriel, papa et mamie, c’est le summum de la bombe qui va exploser.
***Gabriel***
Quelques jours plus tard.
Est-ce que ma sœur est sérieuse là ? Ou elle fait semblant de ne pas connaitre pas le fond de l’histoire entre Bénédicte, Mickael et moi. Parce que ce n’est pas possible d’être aussi …. Bornée !
Merde ! Elle invite Bénédicte alors que Mickael lui a déjà dit qu’il viendra avec Lola. A quoi pense-t-elle ? Depuis qu’elle a quitté son Denis de merde là, parce que Mickaël lui a dit qu’il n’était pas un homme pour elle, elle se la joue sœur Thérèse. Genre je serre tout le monde dans mes bras et je distribue de l’amour autour de moi.
J’ai mal au crane. Il me faut un doliprane.
Il va vraiment falloir que je me calme sinon les choses vont dégénérer complètement chez mamie.
Waoh. Ca me fait un bien fou de pouvoir enfin dire chez mamie après autant d’années. Je gare devant l’hôtel de Bénédicte et lance un regard courroucé à ma sœur.
- Quoi ? Depuis tout à l’heure tu boudes comme un gamin. Quoi ? Parle. Dit-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
- Mais pourquoi tu as invité Bénédicte bordel !
- Parce que Lola sera là, espèce d’idiot. Elle a besoin de la côtoyer un peu plus pour lui pondre LA chanson du siècle. Pour le moment, tout ce qu’elle nous a proposé était merdique. Alors tes histoires de fesses, tu les mets de côté…
Je ne peux pas lui répondre sinon, je risquerai bien de l’insulter alors je klaxonne comme un fou pour signaler notre présence à Bénédicte. Après quinze bonnes minutes d’attente, elle sort enfin de l’hôtel et nous retrouve au parking.
- Désolée pour le retard. Dit-elle en montant à l’arrière de la voiture.
Je me retourne pour bien lui dire ma façon de penser et je tombe sur sa bouche peinte en rouge sang. Mais… où croit-elle qu’on va ? A un concours de beauté ?
- Quoi tu te fais belle pour revoir Mickael ? Il est déjà pris. dis-je en l’observant dans le rétroviseur central.
- Ca t’a écorché la bouche hein ?
- Quoi ?
- Tu viens de me trouver belle.
- Pff. Avec tout ce maquillage même la plus moche de toutes les moches serait belle à mes yeux. Je réplique méchamment en démarrant.
Elle détourne ses yeux du rétroviseur pour ne plus croiser les miens et se met à complimenter Eloïse sur la bonne odeur qui règne dans l’habitacle.
- J’ai fait les feuilles de manioc avec la banane plantain semi mure et du riz parfumé par mes soins. J’ai aussi fait un peu d’Odika et de Nyemboué. Tu m’en diras des nouvelles.
- Ca fait tellement longtemps que j’ai mangé tout ça… Tu me mets l’eau à la bouche.
- C’est pour aller un peu sciencer mamie. Les grands-mères ont trop la bouche.
- Franchement Eloïse ça fait mille ans qu’on ne dit plus sciencer.
- Bah je viens de me rappeler que c’était un des mots fétiche de mamie. Alors j’ai voulu l’utiliser un peu. Je dis hein, ton problème est où ? Mtchrrrrr.
Eloïse qui parle comme une jeunette des quartiers populaires. On aura tout vu aujourd’hui.
Son téléphone sonne et elle répond pendant quelques minutes avant de raccrocher.
- Bon, y’a Mickael qui a une urgence pour son boulot, il rentre chez lui régler l’affaire. Il a laissé Lola chez mamie au portail, elle nous attend pour rentrer dans la concession avec nous. Tu pousseras le portail toi-même hein, la ménagère a pris son week-end pour aller voir son mec.
- Ok.
On fonce.
***Eloise. ***
Une fois arrivés devant la concession où loge mamie depuis qu’elle a quitté la maison familiale, nous descendons les affaires de la voiture de Gabriel. Enfin, quand je dis nous, c’est plutôt lui qui sort les glacières du coffre de sa voiture et s’avance avec nous sur ses talons. Lola est assise juste devant le portail. Et se lève à notre arrivée. On se salue tous et on avance en groupe dans la maison située au quartier Louis.
Je bouscule un peu Gabriel au passage et prends les devants pour être la première dans les bras de mamie qui doit nous attendre au salon. On ouvre la porte et je crie à travers le salon.
- Mamie c’est nous. Tes petits-fils. J’ajoute avec un rire joyeux et un clin d’œil à Gabriel qui roule des yeux exaspéré.
Aucune réponse.
- Mamie ! crie Gabriel de sa voix grave pour mieux se faire entendre.
Je ne sais pas trop pourquoi, il se met à avancer avec les glacières en main au lieu de les poser quelque part pour la chercher plus librement dans la maison.
Cinq minutes plus tard, alors que les filles se sont assises sagement au salon dans l’idée d’attendre l’apparition de la maitresse de maison, j’entends le fracas des glacières sur le sol de la cuisine.
- Putain. Merde ! hurle Gabriel.
En une fraction de seconde je me mets à courir pour rejoindre mon frère et le trouve à la cuisine. Les filles me suivent.
Mon cœur s’arrête de battre de brèves secondes qui durent une éternité quand je trouve Gabriel assis par terre, mamie dans les bras.
- Elo, putain merde elle ne respire plus. Elle est toute froide. Elo. Putain. Dit-il d’une voix brisée.
Et moi, je suis sans voix. Elle était à la cuisine en train de mitonner de bons petits plats pour notre arrivée. Les condiments sur la table de cuisine le prouvent. Mais que s’est-il passé ? Je ne sais pas quoi faire. Je suis pétrifiée et tout doucement je me laisse tomber au sol.
- Il faut appeler les secours. Dit tout doucement Bénédicte.
Je sors mon téléphone de ma petite sacoche et les larmes plein les yeux j’essaie de composer le numéro de papa. Dans mon téléphone, je n’ai aucun numéro pour appeler une ambulance à la rescousse. Tout est trouble et je n’arrive pas à lancer l’appel correctement.
Je regarde mon frère puis il lève ses yeux vers moi et dit gravement :
- Putain Elo, Mickael ? Il va péter un câble si mamie le laisse.
Lola sort de la maison en courant…
***Mickaël***
Depuis que je suis rentré allumer mon ordinateur pour envoyer les fichiers demandés par monsieur Khan à sa femme, j’ai une douleur lancinante qui me vrille le cœur. Je retiens difficilement une grimace de douleur. Je me lève pour aller boire un verre d’eau et dès le premier pas mon corps tout entier se crispe. Ma vision se brouille et j’ai la nette impression que je vais m’évanouir… Mais je m’accroche pour rester conscient. Je ne sais pas ce qui se passe mais il faut que je finisse vite ce que je suis venu faire pour rejoindre les autres chez Eugénie…
Mamie…
J’entends un chuchotement.
Qu’est-ce qui se passe ? J’ai du mal à respirer…
Est-ce qu’il y a quelqu’un dans la maison ? Le chuchotement se fait légèrement plus intense. Quand j’y pense bien, la voix ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur de moi.
« Mickaël ! »
Non. Pas elle. Pas maintenant. Mon sang se glace dans mes veines. Je connais cette voix. Elle n’est pas physiquement près de moi alors je refuse de l’entendre parce que ça voudrait dire qu’elle m’a abandonné.
- Non. Pas maintenant. Je chuchote à mon tour.
« Mickaël, je suis tellement heureuse de te voir avant de partir »
- Non. Dis-je d’une voix étranglée. Je ne peux pas rester seul.
« J’ai attendu autant que j’ai pu de vous voir tous ensemble. Ce sera chose bientôt faite. Je peux partir mon chéri »
- Mamie.
« Demande. »
Je m’écroule sur le fauteuil du salon, les orteils résolument crispés sur le sol glacé. Les battements de mon cœur ralentissent jusqu’à devenir presque imperceptibles. La lumière autour de moi se fait orangée et je ferme les yeux pour ne pas être ébloui.
Une femme apparaît, vêtue de blanc à l’ancienne. Ses cheveux sauvages et bouclés tombent dans ses yeux. Même si elle est plus jeune, que les ravages du temps ont déserté son visage, je la reconnais immédiatement.
- Mamie.
- Hé mon grand garçon, ce n’est qu’un au revoir tu sais.
Je sens physiquement sa présence alors que mon esprit sait qu’elle n’est pas là.
- T’es belle. Comme ça.
- Merci. Demande ce que tu meurs d’envie de savoir. Je vais bientôt partir. Dit-elle tristement.
C’est tellement étrange pour moi de voir ma grand-mère si jeune devant moi que je perds le fil de mes idées. Après tout, le corps peut vieillir mais l’âme reste éternellement jeune.
- Pour Lola ?
- Oui ! Tu ne veux pas savoir ? me demande-t-elle en me souriant.
J’ai envie de lever la main et de caresser les boucles soyeuses de sa chevelure. Est-ce que je veux savoir ou pas si c’est elle la femme dont elle me parlait? Est-ce que je veux savoir ?
Je réfléchis tout au fond de moi un court instant. Non ! Je n’ai pas besoin de prophétie pour que mon cœur cogne dans ma poitrine quand je pense à elle. Je n’ai pas besoin de prophétie pour que mon corps réagisse aux moindres de ses mouvements, à la plus petite de ses inspirations.
Moi je sais, que c’est elle. Le reste m’importe peu.
Le temps que j’ouvre les yeux pour lui dire que je ne veux pas qu’elle me dise si c’est Lola ou pas la femme qui m’est destinée, son image disparaît soudainement et un immense vide se crée en moi.
Je ne peux plus me retenir.
Elle était mon socle. Celle sur qui je pouvais compter dans les pires moments. Et je n’ai eu que des moments de merde dans ma vie.
Si elle s’en va ainsi que me reste-il ?
Je n’arrive plus à retenir ce cri de rage qui gronde au fond de mon cœur.
- Reste !