
Chapitre 28 : Mon coeur balance, ça balance et ça rebalance
Ecrit par Nobody
POV Naila
Quand la porte s’ouvre, tout bascule.
Je me tiens là, figée.
Il ne faut qu’un souffle. Une fraction de seconde. La porte s’est ouverte sur un tableau trop clair, trop évident pour avoir besoin de légende. Le sourire que j’avais en montant les marches se fige sur mes lèvres comme une ombre qu’on aurait oubliée d’effacer, puis disparait lentement. Mes yeux restent calmes, mais à l’intérieur, quelque chose meurt en silence. Sans aucun bruit, sans drame. Juste… une disparition glaciale.
La jeune femme devant moi me fixe avec un étonnement à peine dissimulé, mais ce n’est pas elle que je regarde. Ce sont les détails. La chemise. Une chemise d’homme. Pas n’importe quelle chemise : celle de Moussif. Je la reconnais c’est la sienne. C'est celle qu'il portait hier quand on était ensemble, quand il m'avait embrassé dans cette même maison. Ça ne fait aucun doute. Je la reconnais à la coupe, à la texture, même à la petite couture mal reprise au niveau du poignet gauche.
Elle, elle se tient là, pieds nus, les cheveux encore humides et je devine bien trop vite qu'elle vient de prendre une douche. Elle le regarde, puis me regarde. Et dans ce regard, je perçois tout : la surprise, le doute, puis cette conscience silencieuse. Elle comprend tout de suite que je ne suis pas une simple connaissance.
Je ne sais pas ce qu'elle croit comprendre exactement. Peut-être qu’elle devine que je n’étais pas censée voir ça. Ou peut-être qu’elle ne se doute de rien. Après tout je ne sais pas le lien qui lie ces deux personnes entre elles, je ne sais pas si c'est sa petite amie ou juste une partenaire de sexe parce que je n'ai aucun doute que ces deux se sont déjà vus nus. Moussif est torse nu et elle dans une chemise qui lui arrive à mi-cuisse, tous deux encore un peu mouillés, pas besoin d'avoir fait de longues études pour comprendre qu'il vient de se passer quelque chose dans cette maison.
Elle me dévisage, mais pas avec hostilité. Juste… surprise. Presque embarrassée. Elle est jolie, de cette beauté assurée et souple qu’ont certaines femmes qui savent ce qu’elles valent. Elle est à l’aise, chez lui. Trop à l’aise. Elle a l’allure de celle qui ne découvre pas l’endroit.
Je reste droite. J’avale la boule qui me monte à la gorge.
Pas de scandale, pas de colère. Je suis Naïla Adéyémi. Et je
refuse de perdre ma dignité devant une inconnue en chemise froissée aussi belle soit-elle.
Je respire profondément. Je souris, cette fois pour de bon, mais d’un sourire poli, froid, impeccable.
— Bonjour.
Ma voix ne tremble pas. Mes mains non plus. Pourtant, je sens que si je regarde trop longtemps, je vais perdre le contrôle. Alors je détourne les yeux, juste une seconde, juste le temps de me calmer.
Elle bredouille un "bonjour" en retour, un peu déstabilisée.
Derrière elle, Moussif toujours torse nu semle avoir perdu l'usage de ses membres avec sa serviette passée à la va-vite autour du cou. J'ose enfin le regarder et nos regards se figent l'un dans l'autre. Et dans ce court instant, je vois tout. L’embarras. Le malaise. Le regret, peut-être. Ou la panique. Je n’ai pas besoin de confirmation, c’est écrit sur sa peau.
Je garde mon calme. Je me redresse, les épaules bien droites.
— Je t’attendrai dehors.
Je n’attends pas sa réponse que je tourne déjà les talons. Je fais demi-tour et redescends lentement les escaliers, chaque pas comme une gifle silencieuse contre mon orgueil et ma fierté. Je ne fuis pas. J’ai trop de fierté pour ça. Mais à l’intérieur, c’est un incendie sans fumée. A chaque pas je sens le sol tanguer un peu sous mes pieds.
Une fois dehors, l’air me semble plus sec. Je me poste devant la voiture, les bras croisés. Je ne sais même plus pourquoi je suis venue. Je me le demande maintenant. J’essaie de respirer, de réfléchir. Mais à quoi bon ? Je suis venue avec un cœur plein d’hésitations tendres, je repars avec le goût amer de la lucidité. Qu’est-ce que j’espérais en venant d'ailleurs seigneur ?
Quelques minutes passent. Il finit par sortir. Les cheveux secs cette fois et la chemise à peine boutonnée. Il s’approche, hésitant, comme un enfant pris la main dans le sac. Je ne dis rien tout de suite. Je le regarde. Longtemps.
— Naïla…
Je le laisse venir jusqu’à moi et
Je reste droite. Mon regard est ferme. J’ai mal mais je refuse de lui donner ce pouvoir-là : celui de me voir en colère.
— Je peux t’expliquer, murmure-t-il.
— Ce n’est pas nécessaire.
Mais je le dis sans froideur. Juste une lassitude muette, une blessure que je refuse de transformer en drame.
— Écoute, je sais à quoi ça ressemble. Mais ce n’est pas ce
que tu crois.
Je hausse légèrement un sourcil. Je le regarde.
— Alors… qu’est-ce que je crois, à ton avis ? Que tu venais
de faire sa lessive, et qu’elle t’a juste emprunté une chemise pour te
remercier ?
Il esquisse un sourire gêné, puis soupire.
— D’accord. Oui. On a… couché ensemble. Mais Naïla, ce n’est
pas... Je veux dire, je ne l’avais pas prévu.
Je détourne le regard. Je me retiens de rire. Pas un rire
joyeux, un rire creux.
— Tu n’avais rien à prévoir, Moussif. Tu ne me dois rien. Je
ne suis pas ta femme. Juste…
Je m’interromps. Je le regarde dans les yeux.
— Juste quelqu’un qui croyait, peut-être à tort, qu’il y avait un lien. Quelque chose d’un peu vrai. Un peu profond au delà de ce foutu pacte. Qu'on était deux adultes qui s'appréciaient mutuellement sans l'épée de Damoclès que la vie a suspendu au dessus de nos têtes. Mais manifestement, j’ai vu ce que je voulais voir.
Il s’approche, tend la main, mais je recule d’un pas.
— Naïla, ce n’est pas aussi simple. Tu sais très bien que
ces derniers jours, c’était… différent entre nous. Je me suis senti bien avec toi. Vraiment bien. Et justement… je crois
que j’ai paniqué.
Je croise les bras, sceptique.
— Tu as paniqué… et tu t’es réfugié entre les bras d’une
autre femme ?
Il baisse les yeux.
— C’est pas aussi mécanique que ça. Je suis paumé, Naïla. Je ne sais pas où j’en suis si tu veux tout savoir. J’ai jamais eu quelqu’un comme toi dans ma vie et dans ce genre de conditions. Toi, tu
sais ce que tu veux. T’es forte, brillante, déterminée. Moi, je suis toujours
en train de survivre. De m’adapter et d'avancer sans plan. Peut-être que…
peut-être que je me suis dit qu’on venait pas du même monde. Et tu reconnaitras que c'est la vérité, toi et moi on n'est pas issus du même monde. Je peux au moins te garantir que si je t'avais rencontré dans d'autres circonstances, je t'aurais dignement fait la cour parce que tu es une femme qui plairait à n'importe quel homme sur cette terre, moi le premier, mais les choses sont plus compliquées que ça entre nous et tu le sais très bien.
Je le regarde longuement. Il est sincère. Mais
ça n’enlève rien à ce que je ressens.
— Tu sais quoi, Moussif ? T’as pas besoin de me convaincre. J’ai compris. Je ne te reproche rien, je pense juste qu'il aurait été plus honnête de ta part de me dire dès le départ que tu avais quelqu'un dans ta vie. Je ne sais pas à quel stade vous en êtes et franchement je m'en fous royalement mais tu n'avais pas le droit de m'embrasser alors que tu avais une relation avec une autre. Je ne mange pas de ce pain là, il n'y aurait jamais eu un quelconque geste physique entre nous si j'avais su que tu étais engagé quelque part je te le jure sur ma fille. Mais si tu es à l'aise avec ça tant mieux pour toi vraiment.
Je me tais une seconde puis je poursuis :
— Je n’étais même pas censée venir, tu sais. Je voulais juste te dire au revoir. Te remercier pour hier, pour ces derniers jours, pour les rires. C'est tout
Il tente de parler, mais je l’interromps.
— Non. Laisse-moi finir.
Ma voix est calme. Trop calme.
— Tu aurais pu me dire, tu aurais dû être honnête je lui répète. Je n’avais rien demandé. Il n'y avait pas de promesses, pas d’engagement entre nous si ce n'est ce pacte qui semble nous lier, c'est tout. Mais j’aurais mérité un peu de clarté, tu ne crois pas ? Tu ne penses pas que tu as passé l'âge de jouer avec les femmes Moussif franchement ?
Il baisse les yeux. Je continue.
— Je suis peut-être un peu naïve, c’est vrai. Peut-être que je me suis laissée embarquer trop facilement sans même te connaitre. Mais je vaux mieux que ça.
Il secoue la tête.
— Naïla, je...
— Tu n’as pas à t’expliquer. Je te promets. C’est bon j'ai compris mon cher.
Il ouvre la bouche pour répondre, mais je le coupe.
— Bonne soirée, Moussif.
Je m’éloigne, sans me retourner alors qu'il répétait mon prénom.
Je monte dans la voiture et je mets le contact. J’ai envie de démarrer aussitôt, de fuir, de rouler jusqu’à épuisement, jusqu’à l’oubli. Mais je reste là. Moteur allumé. Portières verrouillées. Front posé contre le volant.
Le silence est lourd.
Je n’avais rien promis à Moussif. Il ne m’avait rien promis non plus. C’est vrai. Mais ce qu’on avait débuté, ces derniers jours, cette complicité, ces regards, ces baisers… je ne les avais pas rêvés. Je ne ressens aucun sentiment amoureux pour cette personne mais cette attirance physique que je ressens pour lui me dérange fortement. Je n'ai été comme ça qu'une seule fois dans ma vie et j'ai fini par épouser cet homme là qui nous a quitté quelques années plus tard nous laissant sa fille et moi seules au monde. Me voilà aujourd'hui en train d'être follement attirée par un homme que je dois épouser si je veux vivre - lol - et qui par dessus tout est engagé avec une autre femme ! Dieu du ciel !
Je me redresse lentement, prends une grande inspiration et démarre enfin.
Le trajet jusqu’à l’hôtel se fait dans une brume épaisse. Mon esprit n’est pas là. Je me revois, la veille, allongée à ses côtés sur le tapis, à parler de tout et de rien. Je me revois rire, me confier. Je me revois l’embrasser.
Naïla, tu t’es juste emballée.
Quand j’entre dans notre chambre d'hôtel, Maïssa est en train de discuter avec Chafik. Je les surprends à rire doucement, complices, un tee-shirt sur la tête, mimant une scène de film nigérian qu’ils ont regardé ensemble la veille. La lumière est tamisée, l’ambiance chaleureuse.
Je souris malgré moi.
Et ça, ça me fait mal.
Sourire malgré moi.
Maïssa me voit en premier.
— Maman ! Tu rentres tard, dis donc.
Je pose mon sac, retire mes chaussures.
— J’étais sortie prendre l’air.
— Toute seule ? demande Chafik en haussant un sourcil.
Je hausse les épaules, évasive.
— J’avais besoin de marcher un peu, c’est tout.
Maïssa m’observe, fronçant les sourcils.
— Maman, il s’est passé quelque chose ?
Je la regarde. Ses yeux sont pleins de cette sagesse silencieuse qu’ont parfois les enfants. Je secoue la tête en souriant doucement.
— Non, ma chérie. Je suis juste un peu fatiguée. Rien de grave.
Elle s’approche et me prend la main, la serre fort. Je lui caresse la joue.
— Je vais prendre une douche.
En sortant de la chambre, elle se retourne une dernière fois vers moi, inquiète.
Je referme la porte de la salle de bain.
Et là, seule enfin, la tempête se lève.
Je me regarde dans le miroir, longtemps. Mon reflet me fatigue. Trop confiant, trop naïf, trop disponible.
Je ferme les yeux. Je repense à tout : les soupirs étouffés de Moussif, son rire un peu rauque, la façon dont il me regardait parfois, comme s’il me découvrait et me comprenait en même temps. Je pensais qu'on avait mis de côté cette affaire de pacte et qu'on apprenait à se connaitre parce qu'on le voulait vraiment tous les deux. Mais finalement je me suis trompée et je me demande justement si ce n'est pas pour ce fichu pacte qu'il s'est senti obligé de rentrer dans ce stupide flirt avec moi !
Je me repasse les scènes comme un film en boucle. Les mains, les regards, les silences. Et puis ce matin. Cette chemise, ce malaise.
Je me sens ridicule.
Vulnérable. Mais je dois très vite me ressaisir parce qu'il y'a plus grave.
Il y a le centre. L’accusation et notre retour.
Je n’ai pas le temps pour les états d’âme sentimentaux. Pas maintenant.
Je sors de la salle de bain. Maïssa dort déjà, roulée dans sa couverture. Je ne sais pas si c'est elle qui était fatiguée ou c'est moi qui ai pris beaucoup de temps sous la douche.
Chafik, lui, est assis sur le fauteuil, téléphone en main. Il relève la tête en me voyant.
— Tu veux que je t’apporte quelque chose ? demande-t-il doucement.
Je secoue la tête. Il me fixe un moment, puis repose son téléphone.
— Bon… je vais être direct. Il s’est passé quoi ?
Je m’assois au bord du lit. Je n’ai pas envie d’en parler. Mais Chafik est mon frère. Il saura lire entre les silences.
Je prends un temps, puis murmure :
— J’ai cru à un début de quelque chose qui n’existait pas.
Il ne répond pas tout de suite. Puis il vient s’asseoir à côté de moi et pose sa main sur mon dos.
— Il faut toujours y croire un peu. Sinon, on finit par se fermer pour de bon.
Je me tourne vers lui, émue par sa douceur.
— Mais croire, ça fait mal.
— Oui. Mais ça fait aussi vivre. Et puis… au moins, toi, tu t’es montrée sincère.
Je souris tristement.
— Peut-être trop.
Il secoue la tête.
— Non. Y a pas de "trop" quand on apprécie proprement. Et lui… il t’appréciait aussi. Je l’ai vu. Mais y’a des mecs qui savent pas gérer quand ça devient réel. Ils paniquent puis ils sabotent tout d'eux-même.
— Il est en couple avec une autre, en tout cas quand j'étais chez lui j'ai vu une fille et il m'a confirmé qu'ils venaient de coucher ensemble. Bah alors si tu as quelqu'un dans ta vie pourquoi tu embrasses la première venue ? Je comprends rien franchement, les hommes vous êtes vraiment tous des chiens.
Il hoche la tête.
— Ah j'espère que tu n'as rien cassé chez lui là-bas inh ? Façon tu as le sang chaud chaud là pardon on se connaît ici
Je ris doucement, malgré moi.
— T’es con.
— Un peu. Mais je t’aime.
Je l’embrasse sur la tempe et il me serre un instant.
Je me lève, attrape mon téléphone et il comprend sans que je ne lui dise, que j’ai besoin d’être seule.
Je m’allonge sur mon lit après son départ, téléphone en main. Je pense à l’affaire. À cette ex-employée. À cette fichue convocation.
Je me redresse, ouvre mes mails. Je rédige un message à Jocelyne :
— Peux-tu me scanner toutes les fiches de restauration de mars et avril dernier. Je veux les versions signées, tamponnées. Et aussi celles de ton dernier contrôle de qualité. Merci.
J’envoie.
Il faut que je me concentre.
Sur ce qui compte.
Sur le vrai combat.
Mon téléphone vibre au même moment.
Un message de : Moussif
« Je sais que je t’ai blessée. Je le regrette. Je ne m’attends pas à ce que tu comprennes, mais je tenais à te le dire. »
Je fixe l’écran un long moment. Je n’ai rien à dire.
Je me contente de taper une réponse courte.
« Nous rentrons demain matin. Bonne continuation Moussif. »
J’envoie.
Et je mets le téléphone en silencieux.
Je me tourne dans le lit, dos à la lumière. Et je ferme les yeux.
Demain est un autre jour.
Et le Bénin m’attend.
POV Moussif
Je ferme la porte. Lentement. Comme si j’avais le choix de la laisser ouverte, comme si j’espérais qu’elle revienne en me demandant de m’expliquer. Mais je sais déjà que non. Naïla, ce n’est pas ce genre de femme. Elle ne pleure pas devant toi. Elle ne crie pas. Elle ne supplie pas. Elle te regarde dans les yeux, et elle te laisse avec ton propre silence.
Je tourne la clef. Et je me retrouve là, planté devant la porte, la main encore sur la poignée, comme un con.
— C’était qui, elle ? demande Yaya dans mon dos.
Sa voix n’a rien de doux. Rien d’aimant. Elle est sèche, agressive, blessée surtout.
Je me retourne à peine, le regard dans le vide.
— C’est compliqué, je dis.
— J'ai tout mon temps, donc tu peux déjà commencer à expliquer.
Elle hausse les sourcils. Elle se tient debout, toujours dans ma chemise, pieds nus sur mon carrelage. La scène est d’un ridicule amer.
— T’as pas l’air prêt à m’expliquer dit-elle après un moment de silence très gênant. Alors je vais partir Moussif.
Je hoche lentement la tête.
— Comme tu veux je lui réponds ne sachant pas quoi dire et n'ayant pas la force de la retenir
Elle me fixe quelques secondes. Peut-être qu’elle espérait que je la retienne. Peut-être qu’elle voulait un mot. Mais je n’ai rien à lui dire malheureusement.
Elle se rhabille devant moi mais je sens qu'elle est blessé par mon mutisme, par mon comportement, par cette rencontre fortuite avec Naila, par les conclusions que je devine qu'elle tire déjà dans sa tête. Elle prend son sac, enfile ses baskets à la hâte. Puis, en passant devant moi, elle ajoute :
— J’espère qu’elle valait la peine. Je te remercie de m'avoir prise pour une conne, tu as réussi à m'avoir dans ton lit bravo.
Je ne réponds pas.
Elle claque la porte.
Et cette fois, c’est moi qui me retrouve seul dans le silence.
Putain.
Je m’assois sur le canapé. Dos affaissé. Le cœur engourdi. J’ai envie de frapper quelque chose, ou de me frapper moi-même. Je m’étais juré de ne plus m’attacher à qui que ce soit. Je m’étais promis que cette histoire avec Naïla, ce serait juste une façade, un semblant pour qu'elle ne soit jamais loin de moi histoire de toujours lui rappeler le pacte et finir par faire ce qu'on attend de nous. Parce que j'ai tout de suite compris qu'elle était celle qui allait mettre en péril la réussite du pacte et il ne le fallait surtout pas, ma mère n'a pas pu perdre la vie pour rien et je m'étais juré de mener à bien ce qu'on attend de moi.
Mais voilà.
Je me rends compte que je suis foutu. Cette femme est pleine de ressources, elle est si belle, si ... TOUT! Contrairement à l'idée que je me suis faite d'elle avant qu'elle n'arrive au Congo, elle est d'une rare humilité et débordante de générosité. J'ai rarement vu quelqu'un traiter tout le monde avec autant de respect, parfois même trop de respect et elle n'hésite jamais à dire des mots gentils, encourager et laisser des pourboires généreux. Un truc tout bête qui m'avait marqué chez elle, c'est que peu importe l'endroit, quand elle se lève elle range toujours la chaise sur laquelle elle était assise, toujours ! C'est somme toute un geste banal mais c'est un geste que j'ai retenu. Et je l'ai vu chez sa fille aussi, pour moi c'est du respect ! Pas celui qu’on affiche, mais celui qui se voit dans les petites choses.
Et je me rends compte que en l'espace de quelques jours, je tiens à elle. Pas comme on tient à son amoureuse ou à sa bien aimée mais je tiens à elle en tant que personne. Que j’ai pas envie qu’elle me raye de sa vie. Que son regard, là, ce regard froid, calme, blessé… il me hante déjà.
Et bordel, je l’ai mérité.
Je me lève, fais les cent pas. Je me repasse la scène, encore et encore. La façon dont elle a regardé Yaya. Son sourire figé. Sa voix posée. Même là, elle m’a respecté. Elle ne m’a pas humilié. Elle ne m’a pas balancé ses clés à la gueule. Elle m’a juste dit : « Je t’attendrai dehors. »
Et moi ?
Moi, j’étais incapable d’un mot clair.
Je prends mon téléphone, compose le numéro de Chris. Il répond au bout de deux sonneries, la voix encore pleine d’enthousiasme :
— Alors frérot ! Dis-moi que t’as transformé l’essai avec la go-là ! Dis-moi qu’elle a crié ton prénom à travers tout le quartier !
Je ferme les yeux, respire un grand coup.
— Mec… Naïla m’a vu avec Yaya.
Un silence. Immédiat.
— Quoi ?
— Elle est venue tout à l'heure je te dis man. Et c’est Yaya qui a répondu massa, la petite avait encore ma chemise sur elle. Bon comment me sortir de là alors que tout est clair, est-ce que je pouvais encore nier l'évidence même ?
Chris lâche un long « aaah » désolé.
— Bordel. Et elle a dit quoi ?
— Rien. Justement. Elle a rien dit du tout. Elle m’a juste demandé de sortir avec elle deux minutes. Elle m’a regardé droit dans les yeux et elle m’a dit qu’elle ne voulait pas être une option et que j'ai été malhonnête avec elle.
— Aïe.
— Elle m’a dit qu’elle s’était trompée sur moi.
— Aïe, aïe.
Je me laisse tomber sur le fauteuil. Je me sens naze.
— Elle avait raison, Chris. J’ai merdé.
Chris ne dit rien pendant quelques secondes. Puis il souffle, plus sérieux :
— Tu lui avais promis un truc, à Naïla ?
— Non.
— Donc t’as merdé… mais pas complètement non plus.
Je ris sans humour.
— Chris dis pas des bêtises vieux frère. Hier encore dans cette maison je l'ai embrassé et aujourd'hui elle me voit avec une autre. Non soyons sérieux une seconde ! Je suis un bâtard, voilà.
— Tu voulais pas la blesser djo, vous ne vous devez rien. A un moment tu as pensé à ton plaisir, si elle aussi veut s'envoyer en l'air avec un boug qu'elle le fasse. C'est pas à cause de deux trois bisous que tu dois lui être fidèle inh, y'a rien entre vous. Et Yaya a toujours été une fille qui te plaisait donc mon gars tu n'as rien à te reprocher.
Je ferme les yeux.
— Le pire, c’est que je sais même pas si Yaya comptait vraiment. C’est vrai c'est une meuf bien inh. Mignonne, battante, gentille, calme tout ce que j'aime chez une femme, en plus on vient du même milieu donc j'aurai pas à me casser la tête pour l'impressionner. Elle m'attire toujours ça c'est clair et encore plus maintenant qu'on a concrétisé. Mais… Naïla, c’est autre chose. Elle me bouscule. Elle me pousse à dépasser les limites de ce que je crois être capable de faire. Et c’est ça qui me fait peur, peut-être.
— Bah voilà. T’as mis les mots dessus.
— J’ai peur, Chris. Peur de me planter sur toute la ligne.
Chris soupire.
— Frère… toutes les femmes finissent par voir qu’on n’est pas parfaits. Mais si t’es sincère, elles restent. T’as fait une connerie ? Va au bout. Assume. Et pose-toi les vraies questions : est-ce que t’as envie de la perdre ?
Je serre les dents.
— Non.
— Alors agis en conséquence.
On raccroche.
Je reste là, le téléphone dans la main. Puis, sans trop réfléchir, je tape le numéro de Naïla. Une fois. Deux fois. Trois fois. Elle ne décroche pas.
Je respire fort. J’ouvre la messagerie vocale. Je prends une grande inspiration, puis je laisse ce message :
— Naïla… je ne vais pas me justifier. Tu mérites mieux qu’un homme qui cherche à se dédouaner. Je voulais juste te dire que je suis désolé. Vraiment. J’aurais dû te dire les choses plus tôt. J’aurais dû être clair. J’ai déconné. Je le sais. Je comprends si tu ne veux plus jamais m’adresser la parole. Mais je tenais à ce que tu saches que… j’ai pas joué. Pas avec toi. Voilà.
J’envoie.
Je repose le téléphone.
Je reste là, sans rien faire. La gorge nouée. Les poings serrés.
Je pense à son sourire. À sa voix quand elle rit. À sa façon de me regarder avec cette intensité qui me faisait sentir vivant.
Je me déteste.
Mon téléphone vibre. C’est un message vocal de Chris.
— Frérot… affronte ce que tu ressens. Arrête de faire le dur. Si t’as peur, dis-le. Si tu regrettes, dis-le. Mais ne fuis pas. Sois pas con. Et avec Yaya aussi faut que tu te positionnes une bonne fois pour toute, ne la fais pas souffrir donc décide toi vite.
Je reste silencieux un moment.
Puis un nouveau message arrive.
Naïla : « Nous rentrons demain matin. Bonne continuation, Moussif. »
C’est tout.
Quelques mots.
Je reste là. Figé.
Et je comprends enfin que je suis en train de perdre bien plus qu’une belle histoire.