Chapitre 29

Ecrit par Annabelle Sara

  

Chapitre 29

   

Le Dr Bidjo’o terminait le compte à rebours qu’elle faisait à chaque séance d’hypnose qu’elle avait prescrit à Johanne afin de créer un pont entre elle et ces souvenirs si lourds qu’elle avait retranché au fin fond de son âme. Au fil des séances, sa femme s’était ouverte comme un livre que l’on lit chapitre après chapitre avec beaucoup d’enthousiasme. La seule nuance ici était qu’il découvrait des choses sur Johanne qu’elle n’aurait surement jamais su sans les méthodes quelque peu inédites du Dr Bidjo’o.

Il n’aurait jamais appris qu’a treize ans, alors qu’elle était en classe de quatrième elle avait failli se faire violer par son professeur d’éducation physique, que ses parents s’étaient séparés parce que son père avait découvert qu’il n’était pas fait pour aimer les femmes et que le soir de son décès il était en compagnie de l’homme pour qui il quittait sa mère.

Tellement de choses mortifiantes qui ont peuplé sa vie et ce depuis son adolescence et qu’elle avait décidé de ne jamais exprimer même pas avec lui. Et cela l’avait beaucoup affecté d’apprendre que sa femme avait vécu tant de choses traumatisantes, qu’elle n’avait pas voulu partager cela avec lui.

Aujourd’hui encore il allait assister à une séance vérité, qui selon le psy était capitale car elle allait essayer de faire revivre les évènements du jour qui ont déclenchés chez elle le besoin de se tourner vers la boisson pour s’y noyer avec ses problèmes.

Johanne était à présent étendue et semblait ne plus respirer, et le Dr Bidjo’o murmurait à son oreille.

  « Je sais que c’est difficile pour vous mais essayer de vous souvenir, il y’a des gens qui vous agressent est-ce que vous voyez leur visage ? »

  « Non, je ne peux pas les voir ils m’ont recouvert le visage… Avec un sac, ils discutent avec… Lucas, ils disent qu’il possède des informations dont ils ont besoin, mais mon frère résiste, il refuse de parler il dit qu’il ne sait pas ce qu’ils veulent… oh mon Dieu ils le frappent… arrêtez, NON ! »

Ce dernier cri fit sursauter Etienne qui allait se lever lorsque le docteur lui fit signe de ne surtout pas bouger, elle prit la main de Johanne et vérifia son pouls. Impuissant Etienne observait sa femme qui était inerte comme morte.

  « Johanne, vous m’entendez ? Johanne… Johanne… »

  « Nous sommes dans une voiture, il a réussi à nous faire sortir du hangar… »

  « Qui Lucas ? » s’enquit le psychiatre en prenant des notes.

  « Oui, il est blessé et il a du sang partout sur lui et il me parle… », bredouilla-t-elle rapidement le souffle court.

  « Qu’est-ce qu’il dit ? »

  « Tu diras à Samuel de ne surtout pas aller jusqu’au bout, c’est dangereux, je ne comprends pas mais il insiste ! Il le dit tout le temps ! Oh non, nous sommes suivit… »

  « Est-ce que votre frère vous dit autre chose ? », demanda Bidjo’o en voyant que cette nouvelle révélation attirait particulièrement l’attention du mari de sa patiente.

  « Non… il me demande de dire à Samuel de ne pas continuer à voir cette personne… une femme… elle est dangereuse et va lui causer du tort… attention le virage ! »

Les spasmes qui traversèrent Johanne poussèrent Etienne hors de sa chaise.

  « Restez où vous êtes Etienne, calmez vous ! »

  « Je vous en prie ramenez-la… », la pria ce dernier en voyant sa femme se battre avec ses souvenirs.

  « Elle va bien et si nous ne clôturons pas aujourd’hui nous ne saurons jamais ce qui s’est passé… »

  « Vous pourrez le faire la prochaine fois ! » 

Bidjo’o secoua énergiquement sa tignasse noire en  vérifiant le pouls de Johanne qu’elle avait réussi à calmer.

  « On ne peut faire subir au cerveau que douze heures d’hypnose, c’est la limite pour ne pas endommager la barrière qui préserve ses souvenirs de la réalité et ce qui revient à trente six séances de vingt minutes, aujourd’hui c’est la trente-sixième, nous avons presque fait la moitié du temps nécessaire laissé la aller jusqu’au bout… »

  « J’ai froid ! », murmura Johanne qui avait une voix à peine audible.

Etienne laissa faire mais  ne se rassit pas pour autant, il était trop inquiet pour le faire.

  « Où êtes-vous ? Vous m’entendez… »

  « Je suis relier à un… cardiogramme… je suis à l’hôpital et j’ai cette sensation de vide en moi… un homme en blouse blanche vient d’entrer, il semble attristé et content de me voir éveillée ! »

  « Il vous parle ? »

  « Il dit qu’il est désolé… »

Des larmes se mirent à lui couler des yeux.

  « Mon bébé…j’ai perdu mon bébé pendant l’accident et… mon frère avec… »

Etienne était ahurit, il ne savait pas que Lucas le frère de Johanne était mort et encore moins qu’elle portait un enfant, son enfant, leur enfant et qu’elle l’avait perdu lors d’un accident en Afrique du Sud, il y’a cinq ans.

  « Il veut contacter ma famille… mais je ne veux pas qu’il le fasse je ne veux pas qu’Etienne apprenne que j’ai perdu son fils, le fils dont il rêve tant ! Alors je mens en lui disant que ma seule famille vient de disparaître et donc je n’ai personne… »

  « Johanne je vais compter jusqu'à dix et vous allez vous réveiller, d’accord ? Allons-y, un, deux, trois, quatre… »

Etienne aurait eu un fils si Johanne n’avait pas rendu visite à son frère en Afrique du Sud il y’a cinq ans. Il se souvient qu’il avait insisté pour qu’elle le fasse en disant que cela lui ferait du bien de revoir son frère jumeaux, qui vivait si loin.

Et aujourd’hui il apprenait que non seulement Lucas était mort mais en plus il a perdu son seul fils à cette époque.

  « Comment allez-vous Johanne ? Vous avez été très courageuse, bravo ! » 

Elle chercha le regard de son mari qui était encore sous le coup de ces nouvelles découvertes sur la vie de sa femme.

Lorsque leurs yeux s’accrochèrent, il y lut le désespoir. Maintenant il comprenait son intervention chez Pulchérie lorsqu’elle conseilla aux enfants de ne pas essayer d’oublier leur enfant. Il savait maintenant que le fait d’avoir elle-même essayer de faire comme si toute cette histoire n’avait jamais existé l’avait rongé au point de la plonger toute entière dans l’alcool.

  « Je suis désolée… j’aurais dû… »

Sans la laisser finir il prit place à ses côtés là où il devra être tout le temps à compter d’aujourd’hui et la prit dans ses bras.

  « Non, ne te tourmentes pas ! », la consola-t-il. « Je ne peux même pas imaginer ce que tu as vécu pendant ces cinq longues années… »

  « J’aurais au moins dû t’en parler… j’ai perdu ton fils ce jour là ! »

Il la serra fort contre lui en la berçant doucement pour la calmer, si seulement il avait été là, toute cette histoire ne serait pas aussi dure à gérer pour elle.

  « A présent nous savons ce qui vous a repoussé à boire et je crois que nous pouvons maintenant envisager votre traitement, tout comme vous pouvez décider de ne pas en suivre un et vous inscrire dans la liste du groupe d’aide c’est à votre convenance ! »

  « Elle n’a jamais supporté les pilules, c’est comme ça qu’on a conçu Henriette. » 

Johanne rit en entendant son mari faire de l’humour sur sa phobie des comprimés.

Mais Etienne savait que l’heure n’était pas à rire, il avait entendu sa femme parler de quelque chose qui le préoccupait et qu’il fallait tirer au clair le moment venu. Et le plus tôt sera le mieux.

   

Stéphane porta le petit déjeuner au lit, tandis que Victoire prenait tout son temps pour se réveiller. Lorsqu’elle le vit arriver elle s’étira, son corps était encore délicieusement endolori des ébats de la veille mais surtout de ceux de la matinée. Il semblait qu’ils ne pouvaient pas se rassasier l’un de l’autre et ça Victoire espérait que ce soit ainsi avec lui tout le temps.

  « Tu vas finir par me donner de mauvaises habitudes si tu me réveilles chaque matin avec un plateau aussi bien garnie. »

  « Tu le mérites avec ce que je t’ai fait subir hier soir et ce matin… »

Elle rit en saisissant le sous-entendu. Il lui vola un baiser en s’asseyant face à elle.

  « Je n’ai aucune envie de quitter le lit, je m’y sens bien ! », déclara-t-elle. « Surtout parce que toi aussi tu y es ! »

  « J’aimerais bien continuer à faire la grasse matinée mais je crois que Ron à besoin de moi, il a passé toute la nuit à appeler et en plus il est plus de treize heure ! », dit-il en lui servant du café.

  « Ça doit être important s’il a insisté tu devrais le rappeler… »

  « Non ! Je vais juste y aller comme cela il me dira de quoi il s’agit en personne. »

Une sonnerie de téléphone se fit entendre.

  « C’est le mien décidément nous ne pourrons pas être tranquille ! », fit-elle avec une moue de tristesse.

Elle attrapa son téléphone et sembla ne pas reconnaitre le numéro qui s’affichait.

  « Oui, allô ! »

Le visage de la jeune femme se mortifia instantanément, la seconde d’après elle balança son téléphone qui échoua heureusement sur le lit. Les yeux hagard elle se mit à murmurer le prénom de sa nièce, avec une rapidité et une fébrilité sans pareil, elle se mit à enfiler rapidement ses vêtements, Stéphane voyait bien qu’elle allait céder à la panique il la rattrapa et la poussa à lui faire face.

  « Qu’est-il arrivé à Ly ? », demanda-t-il en la secouant violement pour qu’elle se reprenne.

  « Un accident… Ly a eu un accident ! », pleura-t-elle. « Il faut que j’aille à la clinique du Jourdain… »

  « Je viens avec toi… et ne discutes pas tu ne peux pas conduire dans cet état. »

Stéphane conduisit le plus vite possible, assise côté passager, Victoire était une vraie boule de nerfs. Elle avait arrêté de pleurer mes ses yeux étaient rouges elle les avait d’ailleurs camouflés derrière ses lunettes noires mais son nez par contre coulait par moment.

Une fois à la clinique elle fusa comme une furie vers la réceptionniste qui lui demanda de se calmer, sans succès. Une chance qu’une femme la reconnue et s’approcha d’eux.

  « Mlle Esso’o ! »

  « Oui ! », répondit-elle agacée tout en se retournant vers la dame.

Son visage s’illumina. Un signe d’espoir !

  « Mme Omgba, comment va-t-elle ? D’ailleurs où est-elle ? »

  « Au bloc… ils viennent juste de l’y conduire… »

  « Comment… que s’est-il passé ? » 

La jeune femme qui devait être la maitresse de la petite se froissait les doigts d’angoisse, elle aussi avait pleuré.

  « Elle m’a échappé des mains, elle voulait prendre le bus pour venir chez vous puisque sa mère ne venait pas… je lui ai demandé d’attendre, pour que je puisse d’abord vous appelez mais le bus était déjà là… et elle m’a échappé des mains une voiture venait par là et… Oh ! Je suis désolée j’aurais dû faire attention ! »

  « C’est sûr vous auriez dû faire attention ! », la réprimanda Victoire en hurlant.

  « Chérie calmes toi s’il te plaît ! », murmura Stéphane en lui prenant la main.

Elle se calma après avoir fait des exercices de respiration  et s’excusa  auprès de la maitresse de sa nièce, la directrice aussi était présente et les deux femmes étaient autant inquiètes que la Tante de la petite écolière. A ce moment une infirmière arriva et demanda qu’ils aillent dans une salle d’attente privé, mais elle ne leur donna aucune nouvelle de l’opération car elle ne savait pas ce qui s’y passait. La maitresse proposa de rester dans le  hall d’accueil afin d’essayer de joindre Angèle qui ne répondait pas au téléphone.

Victoire tournait en rond comme un oiseau en cage. Parfois elle se mettait à pleurer comme si elle craignait le pire à d’autre moment elle se reprenait et se calmait. Stéphane qui ne pouvait rien faire pour la calmer sortie pour essayer de joindre sa sœur. Angèle ne répondait toujours pas, finalement il fit appel à Cassie et Ron pour qu’ils essaient eux de calmer les nerfs de Victoire lui n’y parvenait pas et il ne supportait plus de la voir gigoter de la sorte.

Au moment où il revint un docteur, dossier à la main pénétra dans la salle.

  « Docteur  comment va-t-elle ? », s’écria Victoire en se jetant sur lui.

  « Je vais être honnête avec vous madame votre fille… »

  « Ma nièce, sa mère n’est pas encore là… elle arrive ! », dit-elle en lançant un coup d’œil à son compagnon comme pour se rassurer.

  « Il faut que sa mère arrive vite, elle a perdu beaucoup de sang il lui faut une transfusion d’urgence, pour le moment nous essayons de retirer de son corps les morceaux de verre, mais sa jambe droite a été gravement touché nous aurons donc besoin que des membres de la famille fassent un don de sang… »

  « Je suis du groupe O je peux vous en donner ! », s’exclama-t-elle.

  « Ce ne sera cependant pas suffisant il nous faut deux donneurs pour la banque de sang ! »

  « Moi aussi je peux vous en donner, de quel groupe est-elle ? », interrogea Stéphane qui se tenait derrière Victoire.

  « Du groupe A ! », répondit-elle sans hésitation.

Le chirurgien sembla perplexe puis secoua la tête.

  « Non la petite Cathy Ly Chedjou est du groupe AB. », dit-il calmement.

  « Comment ? », s’étonna Victoire.

  « Nous avons vérifié, nous le faisons toujours lorsqu’un patient est admis », l’assura-t-il en relisant le dossier médical qu’il tenait dans les mains.

  « Ça tombe bien je suis du même groupe ! », déclara Stéphane tout sourire.

  « Et vous êtes ? »

  « Mon mari ! », mentit Victoire.

Stéphane lui lança d’ailleurs un coup d’œil, surprit.

  « Une chance, Rhésus ? »

  « Positif ! », dit Stéphane.

  « Très bien, on dirait que cette petite est née de vous ! Alors vous allez me suivre vous allez me servir de donneur comme la mère se fait attendre, suivez cette infirmière ! Carine occupez vous d’eux, il nous faut du sang ! »

Victoire et Stéphane firent exactement ce qu’il leur était demandé. Mais Victoire avait la tête ailleurs, elle réfléchissait à quelque chose, ce qui intrigua Stéphane et vu son expression ce n’était pas quelque chose de plaisant. D’ailleurs lorsque l’infirmière vint lui placer l’intraveineuse elle lui posa une question qui surpris Stéphane.

  « Dites Mlle… Carine c’est ça ? » 

  « Oui ! »

  « Un couple de deux individus, tous deux du groupe A peuvent-ils avoir dans leur progéniture des enfants du groupe AB ? » 

  « Non, c’est impossible leur progéniture sera soit du groupe A soit du groupe O, pour qu’ils aient des enfants AB il faut que l’un soit A et l’autre B ou que l’un des deux soit AB ! »

Un Nouveau Souffle