Chapitre 3
Ecrit par Lilly Rose AGNOURET
Jeudi 13 mars 2003.
Quelle
idée de se marier un jeudi, alors ! Il faut vraiment s’appeler Jalil
Ratanga, être né un 1er avril et avoir grandi du côté de derrière la prison à
Libreville parce que votre mère vous y a abandonné à une de ses amies un matin
pour s’envoler pour la France avec un de ses amants. Il avait 4 ans, son petit
frère en avait 2. La tante qui les a accueillis était mariée à un policier,
ivrogne du dimanche. La galère, la galère, la galère… jusqu’à ce jour
d’octobre, il y a 4 ans. Je venais de me faire offrir cette villa par ce cher Théophile
Nyama. Alors, il fut envoyé une entreprise d’entretien d’espaces verts. C’est
comme cela que j’ai rencontré Jalil. Il était là pour planter la pelouse, les
fleurs. Le travail qui devait prendre 4 jours, s’est prolongé dans mon lit une
semaine supplémentaire..
Il s’y est pris avec tellement de
charme ! Il était doux.
Et aujourd’hui il se marie à quelqu’un
d’autre !!! Ca fait 4 ans que je roule Nyama en le trompant impunément et
monsieur Jalil me plaque sans préavis !!! Mais quand on ne veut plus de
quelqu’un, on le lui dit clairement… Le type va m’expliquer où et quand il a
rencontré sa fiancé, vu que depuis 9 mois nous avons ce plan là :
économiser le plus d’argent possible pour aller à l’étranger. Et c’est lui qui
garde tout l’argent car je ne veux surtout lui pas que quelqu’un tombe dessus
ou que l’ami et frère de Nyama qui est directeur des grands comptes à la BGFI lui
dévoile que j’ai un compte épargne.
Donc, c’est d’un pas décidé que je
reviens chez moi après avoir quitté la boutique d’Amadou. Je retrouve bien sûr
la maison dans un état lamentable car l’épouse de Nyama a saccagé ma cuisine et
a pissé dans le tapis du salon et y a renversé tous les pots de fleurs qu’il y
avait là. Elle est tellement bête cette femme ! Quel argent paiera les
personnes qui viendront nettoyer tout ça ? Je prends mon téléphone et
envoie un message à Nyama lui disant de rappliquer pour voir ce dont a été
capable don épouse. Il me rappelle de suite :
« Ne t’inquiète ma douceur. Elle ne
peut rien contre toi. Elle le sait elle-même. Le pouvoir est entre tes cuisses.
Elle, ça fait longtemps qu’elle ne me fait plus bander. Tu es ma reine. Ne
t’inquiète pas. Elle s’agite pour rien. Tout cela parce qu’elle a découvert que
je vais en expatriation au Canada pour 2 ans et que je ne l’emmène pas. C’est
toi qui viens avec moi, mon papillon. Je ne peux pas me passer de toi. Nous
nous envolons pour Montréal dans deux semaines. »
Je feins d’être aux anges pour ne pas
éveiller ses soupçons. A Montréal ? Il est sûr ! Je n’irai nulle part
avec lui. Je lui fais les câlins et les gâteries qu’il réclame au téléphone et
raccroche. Je prends la peine d’aller dans la douche. La femme de Nyama y a
déversé ce qui semble être des excréments d’animaux. Elle est complètement
débile cette femme ! Si ton mari te dit qu’il emmène quelqu’un d’autre à
ta place à l’étranger, chie sur ton mari, vu que c’est lui qui donne à l’autre
le pouvoir de te faire vivre un calvaire ! Bref, elle me saoule. Je zappe.
J’ai des choses importantes à régler car :
1- Cette nuit à 23h 55 jalil et moi devons
être dans un avion pour Johannesburg.
2- Je suis amoureuse de Jalil, je l’ai
construit pour en faire l’homme de ma vie.
3- Je n’ai jamais, mais jamais aimé ce
Nyama. C’est bien clair dans ma tête.
Je
me fais belle en revêtant un superbe ensemble en lin, avec de beaux escarpins
dorés de marque, offerts par Nyama. Je prends mon sac Channel reçu à mon dernier anniversaire. J’appelle
mon ami Christian qui est chauffeur de taxi. Mon parfum fera retourner les
têtes à mon arrivée à ce mariage car oui, je réponds à l’invitation de Jalil et
cette Victoire de mes fesses. Avant de partir, je n’oublie pas de prendre ce
précieux DVD sur lequel est gravé le film de ma vie. Je l’avais fait graver
pour l’utiliser dans l’intimité. Mais là, voilà, tout deviendra public.
Assise
dans le taxi de Christian, je réfléchis. J’essaie de me repasser dans la tête,
le film de mon histoire avec cet homme qui me fait frissonner par sa seule
présence dans la même pièce que moi. Le premier jour de notre rencontre, il m’a
ignoré. Le second jour, il est venu vers moi et m’a demandé pourquoi j’avais un visage aussi
triste. Le troisième jour, il a composé un bouquet de fleurs, à cogné à ma
porte et me l’a tendu. Le quatrième jour, alors que monsieur Nyama était parti
a près son « coup » de
midi, il m’a dit « Je l’ai entendu beugler comme un couillon ! Tu
mérites mieux que ça. »
Le
cinquième jour, ce fut la déclaration d’amour : « Je suis un étudiant
sans le sou, mais j’ai un cœur libre. »
Le
sixième jour, c’est sous la douche que nous avons fait l’amour laissant l’eau
couler au-dessus de nos têtes comme si je souhaitais que ce moment soit différent
de tous ceux que j’avais vécu avec Nyama.
Jalil
m’a appris la douceur, la passion. Il m’a appris la patience. Il m’a appris ce
que veut dire AIMER. J’ai dès lors compris, que ce n’était pas de l’amour que
ressentait pour moi Nyama. On ne souille pas les gens quand on les aime. On ne
les oblige pas à des actes qui dépassent l’entendement. On n’entraine pas celle qu’on aime, une nuit
de pleine, au bord d’une rivière, la mettant à 4 pattes pour lui déflorer l’anus
le jour de ses 18 ans, en lui disant qu’on fera d’elle la reine de son royaume,
tout ça dans l’intention d’acquérir du pouvoir, de l’argent. Cela, je l’ai
compris en me lovant tous les jours de 14h à 17 heures dans les bras de Jalil
Ratanga.
Et
lui ai tout donné, mon âme, mon être, mon corps, ma confiance, mon argent. Il traînait
dans un amphithéâtre de l’Université Omar Bongo avec peu d’espoir d’avancer du
fait des effectifs pléthoriques et des grèves intestines de la part des
syndicats d’enseignants. Une année blanche + une année sans espoir, et il se
retrouvait travaillant comme jardinier, parce qu’il fallait vivre.
Je
l’ai lavé, comme disent les gens à Libreville. Je l’ai habillé. J’ai payé ses 4
années d’études à l’HECI, cet institut de management où la scolarité coute la
peau des fesses. Il a obtenu son bachelor l’an dernier. Je me suis arrangée avec une connaissance de Nyama, qui
est directeur des Ressources Humaines à la Banque Gabonaise de Développement,
pour qu’il puisse y être intégré pour un stage rémunéré.
Et
voilà…
L’ambiance
bat son plein quand j’arrive à la Résidence Maïsha où a lieu le cocktail du
fameux mariage. Je présente mon carton d’invitation à l’entrée et avance vers
le lieu où sont regroupés les convives. Ce lieu est majestueux. Il y a des
dorures et du marbre partout. C’est le lieu prisé de la capitale pour toutes
les cérémonies. Je comprends qu’on y vienne pour son mariage mais quand on s’appelle
Jalil Ratanga et que c’est quelqu’un d’autre, que dis-je, les fesses de quelqu’un
d’autre qui paie ton loyer de 180 mille francs au quartier Bas de Gué-Gué, tu
trouves où l’argent pour t’offrir de telles noces ?
C’est
la question que je me pose. J’approche du MC et lui murmure dans l’oreille :
« Je suis la sœur du marié. Ce DVD est un film surprise pour le couple.
Pouvez-vous le diffuser ? »
Il
acquiesce après que je lui ai glissé 3 billets de 1à mille francs cfa. Je vais
vers le bar me servir un verre de punch. J’admire l’assemblée autour de moi. Que
des gens chics et riches. La fameuse Victoire Orema est métisse, belle comme
une glace à la vanille, magnifique dans sa robe de mariée qui épouse les
courbes félines de son corps. Elle est radieuse et ses yeux scintillent chaque
fois qu’ils rencontrent ceux de Jalil. Le couple est posté au milieu de la pièce.
Les amoureux s’embrassent à tout va. Arrive le moment où le MC tend le micro à
l’épouse qui a une déclaration à faire : « Tu es l’amour de ma vie. Et
je suis certaine que nous aurons une éternité heureuse devant nous. Jalil, mon
amour, merci pour ta patience, ton bon cœur. Ma vie a changé le jour où je t’ai
rencontré l’an dernier. Je t’aime.
Un
an… C’est le temps qu’il a fallu à cette fille pour se faire épouser. Un an…Le
MC reprend le micro et demande à la salle d’applaudir pour encourager l’époux à
répondre. Jalil prend alors le micro et lance : « Je ne dirai que
quelques mots : sans toi je serai perdu, Victoire. »
La
foule applaudie. C’est à ce moment là, que le Mc fait signe à la régie pour
lancer la musique. Au lieu de musique, ce sont des gémissements fort audibles,
de deux personnes assoiffées l’une de l’autre qui se font entendre dans la
pièce. Les invités lèvent le visage vers l’écran géant face à eux et le visage baigné
d’une sueur érotique de miss Marlène Azizet, fait face à la caméra quand elle
crie Oh, Jalil, oh, mon chéri, tue-moi, oh, baise-moi, oh mon Dieu mon Dieu, tu
es le meilleur ooh ! Oyooooo ! mamé, le gout oooh ! Je vais jouir,
chéri, je vais jouir. Oyoo, Ratanga tu vas me tuer… » Le type est sur moi
en position levrette et rend l’âme en chantant mon nom me disant combien ma chatte
est bonne.
FIN
DU FILM.
Marlène
Azizet rentre en piste et arrache le micro des mains du MC et dit : « Maintenant
que tout le monde sait que tu mens quand tu fais l’amour, je te souhaite d’être
heureux. Victoire et toi le méritez vraiment. Au revoir Jalil. »
Je
lui fous un baiser sur les lèvres qu’il ne peut esquiver et je m’en vais avant
que quelqu’un n’aie l’idée de me jeter dehors comme une moins que rien.
Remontant
dans le taxi, je me mets à pleurer comme jamais personne n’a pleuré.
~~~
La nuit a pris en otage le
ciel de Libreville et je m’étonne de ne rien ressentir. Je suis bien chez moi
mais rien ne se passe au fond de moi. Aucune émotion ne vient me rappeler que
je suis née ici, dans un mapane (bidonville) de cette ville que j’ai appris à
ignorer depuis que je suis partie. J’ai l’impression d’un mort ayant eu la
chance d’être ramené à la vie et qui décide de revenir dans son cercueil. Car,
oui, cette Libreville que j’appelle ma belle pute, a bien failli enterrer
vivant mes rêves de bonheur et de liberté.
Le cher voisin scandinave
qui me colle au train depuis l’aéroport, est là assis dans un fauteuil en face
de moi, dans l’un des salons de ce bel hôtel dans lequel je vais séjourner
durant 10 jours. Oui, dix jours devraient suffire pour que je me dédouane de
mon passé, essuie les torts, bande les plaies, sème les excuses et en récolte car,
pour que mon avenir soit plein d’espérance.
« A quoi pensez-vous,
Merlie ? »
Je le regarde et
répond :
« Mr Ivo Christiensen,
êtes-vous psychanalyste ? »
« Non. Mais, j’ai une
très bonne oreille. Vous devriez en abuser, je ne demande que ça. »
« Non. Je n’ai rien à
confier à un inconnu. Contentez-vous de boire votre verre en contemplant mon
visage et en écoutant mon silence. »
« Merlie, vous jouez à
la pimbêche depuis que nous nous sommes rencontrez. Je veux bien croire que
votre éducation ou votre standing de vie vous mettent à l’abri de relations
sans lendemains, mais pouvons-nous signer l’armistice et commencer à faire plus
ample connaissance ? Et si nous nous tutoyions ? »
« Non. Vous laisser me
tutoyer revient à l’idée de vous laisser entrer dans mon intimité. Non. Non.
Non. »
« Bien. Madame a un problème
avec tout rapprochement avec le sexe masculin. Elle s’ouvrirait peut-être que
plus facilement si elle avait une femme devant elle. J’en conclu que madame est
lesbienne ! »
« Mais ça ne va pas ou
quoi ? De quel droit vous permettez-vous ? Ce n’est pas parce que
vous ne me faites aucun effet que je suis forcement attirée par les
femmes ! Vous l’avez dit vous-même, vous êtes mariés. Je ne vais surement
pas tomber dans le piège de m’amuser avec un homme dont je serai simplement un
coup d’un nuit. J’ai déjà donné. Non, je passe mon tour. »
Il me regarde avec le visage
sérieux, pose son verre sur la petite table face à nous et me dit :
« C’est quoi ton
histoire, Merlie ? Tu rentres chez toi comme une voleuse et regarde
toujours de façon oblique comme si tu surveillais les alentours. Que
crains-tu ? De qui as-tu pur ? »
« Je pensais avoir été
claire. Pas de tutoiement ! »
« Passons. Puis-je
savoir pourquoi tu es là alors que là ? Tu es bien chez toi et pourtant,
tu ne sembles pas pressée de courir quelque part dans la ville, d’aller
embrasser ta mère, appeler des copines d’enfance, ou simplement aller boire un
coup dans les coins chauds qui devraient te manquer là-bas en Europe !
Quelle est ton histoire ? »
Raconter mon histoire à un
inconnu ! Non, je passe. Je le regarde et souris pour chasser le malaise
qu’ont fait naitre en moi ses paroles. Il me regarde et dit :
« Au lieu de rester
enfermés là, allons faire un tour et laissons-nous emporter, enflammer par la
nuit librevilloise. Conduis-moi. »
« Euh ! Je n’ai l’intention
d’aller nulle part. Il est 20h 10 et dans une heure je m’endors. Demain, une
journée assez chargée m’attend. Et pour répondre à votre question, je ne peux
appeler ma mère car j’ai incendié sa maison il y a 12 ans, en partant. Je ne
peux rendre visite à mon père car il a toujours vécu en exile et je ne l’ai
rencontré que le jour de mes 30 ans. Je ne peux appeler d’amis d’enfance
car… »
« J’ai compris. Je
n’insiste pas. Je suis désolé si j’ai ré-ouvert des plaies douloureuses. »
« ça ira, Ivo. Vous ne
pouviez pas savoir. »
« Qu’es-tu venue faire
à Libreville, Merlie ? »
« Ma boîte a été
sélectionné après un appel d’offres pour une affaire qui nous rapportera des
milliers de livres sterling. Voilà ! Le job, toujours le business et
encore le business. C’est ce langage que je parle le mieux. »
« Et celui de
l’amour ? »
« Je ne sais pas le
parler, je ne le comprends pas. Si c’était le cas, ma vie ne serait pas en
chantier aujourd’hui. »
Il me regarde et me
dit :
« Je vais rentrer et te
laisser tranquille pour la nuit. A condition bien sûr que toi et moi dinions
ensemble demain. »
« Non. Je n’aurai
surement pas faim demain, car je serai soit morte, soit agonisante quelque
part. Enfin… »
« Tu vis dangereusement
Merlie ! Un peu plus et te croirais tout droit sortie du scénario de
Mission Impossible ! », me lance t-il.
Nous nous levons et je
décide de l’accompagner jusqu’à la réception se faire appeler un taxi. Alors
que nous avançons dans le hall, je capte à distance un visage qu’il me faut à
tout prix éviter. Alors, dans un élan de folie, je me saisis de la bouche de
mon voisin, la lui avale, en allant fougueusement chercher sa langue. Le type
ne se fait pas prier. Le voici qui répond à mon baiser. Il en vient même à
glisser ses doigts sous ma chemisette et à me caresser le dos, alors que moi je
l’entraine non vers le dehors, mais vers l’ascenseur. Arrivée devant la cage
d’ascenseurs, je me relâche et lui dis :
« Hè ! Sortez vos
pattes de là ! Qui vous a donné le droit de me caresser ? »
Le temps qu’il se ressaisisse
et comprenne ce qui lui arrive, j’ai déjà appuyé sur un bouton pour appeler
l’ascenseur.
« Hey, Merlie je te
signale que c’est toi qui a commencé ! »
« Bien, la récréation
est terminé ! Aller retrouver votre bagage que vous avez abandonné dans le
hall et basta ! Bonne nuit ! », fais-je en disparaissant dans
l’ascenseur.
Je reste tête pensante à
regarder s’illuminer chaque bouton dans cet ascenseur qui me mène au 5ème
étage. Depuis quand ma mère travaille t-elle à la réception de cet hôtel ?
Si je l’avais su…