Chapitre 3
Ecrit par Josephine54
Tiziana
J'étais actuellement couchée sur mon lit et mon regard errait dans le vide. J'avais en fin de compte passé un bon weekend malgré la mésentente avec Giorgio. Je me sentais bien avec lui, mais j'avais parfois de la peine à supporter son côté possessif.
Il m’arrivait de penser que nous aurions pu connaître le bonheur absolu si nous avions été déportés tous les deux sur une autre planète, loin de toute interaction avec le monde extérieur.
C’était en effet ce qui se passait quand nous passions une journée ensemble enfermés chez lui, tout allait super bien, nous étions carrément dans une bulle de bonheur. Mais lorsqu’il fallait sortir de cette bulle, j'avais de la peine à reconnaitre l'homme aimant et attentionné avec qui je partageais du pur bonheur il y a quelques minutes.
Mon téléphone se mit à sonner à cet instant.
- Hello bébé, bien rentrée ? demanda Giorgio.
- Oui, chéri, je suis bien arrivée. Je viens tout juste de me mettre au lit.
- D'accord, chérie. As-tu pu rappeler ton cousin Matteo ?
- Non pas encore, je le ferai demain.
- D'accord, tiens-moi au courant de ce qu'il voulait.
- Euh, euh, d'accord chéri, répondis-je avec consternation.
- Je te laisse te reposer, bonne nuit mon cœur, murmura Giorgio.
- Bonne nuit Giorgio.
Je raccrochai le téléphone un peu déconcertée. Je ne comprenais pas en quoi l'appel de mon cousin pouvait l’intéresser. Je me sentais parfois étouffer par ce comportement de Giorgio que j'avais pourtant apprécié au départ. Je l'avais toujours interprété comme un signe d'amour et d'attention à mon endroit, mais avec le temps, j'avais l'impression de manquer d'air.
Étendue sur mon lit, je repensais à ma vie, à mon enfance.
J'étais âgée de vingt-cinq ans et étais professionnellement active depuis mon installation dans le nord de l'Italie. Giorgio et moi avions dix-sept ans de différence, mais je devais admettre que cela ne m'avait jamais posé de problème. D'ailleurs, j'avais toujours eu une faible pour les personnes beaucoup plus matures que moi. Cela me donnait un sentiment de sécurité et de confiance.
Malheureusement, le nombre d'années n'était pas toujours un signe de sagesse. J'en savais quelque chose. Mon père était décédé l'année de mes dix ans et j'avais vu mon monde s'écrouler du jour au lendemain. Il avait été percuté de plein fouet par un chauffard et malheureusement, il en était mort sur le coup.
Papa était aussi présent que maman était inexistante dans nos vies. Papa était celui qui bossait toute la journée, mais il trouvait toujours du temps pour moi, pour m'amener à mes différentes activités (natation et volley-ball). En grandissant, je me suis souvent demandé pourquoi mes parents n'avaient jamais divorcé. Maman passait ses journées à boire et ne contribuait ni aux finances ni aux tâches ménagères de la maison. Elle n'avait d'ailleurs jamais eu d'emploi. Aujourd'hui, elle vivait grâce à la pension que l'État lui versait après le décès de mon père.
Durant mes années de lycée, je m'étais mise en couple avec un mec de mon quartier. J'avais à peine dix-sept ans et lui vingt-cinq. Depuis lors, mes copains avaient toujours une grande différence d'âge par rapport à moi.
Maman n'avait pas cessé de boire, et chaque soir, elle ramenait un homme différent à la maison. Nous ne nous parlions presque pas et vivions comme deux étrangers sous le même toit. Pendant mes années de fac, j'avais étudié sans relâche avec l'idée de partir dès l'obtention de mon diplôme. Maman avait une mauvaise réputation en ville, et les commérages allaient bon train. C'était une situation que j'avais beaucoup de mal à accepter.
Avec le temps, mes rapports avec ma mère s’étaient légèrement améliorés. En trois ans à Brescia, je lui avais rendu visite deux fois, et je prévoyais de le faire à nouveau cet été. Même si elle était insupportable, elle restait ma mère.
Mes pensées s'évadèrent une fois de plus et se tournèrent bien rapidement vers Giorgio. Je repensai à notre rencontre il y a de cela un peu plus de trois ans.
Flash-back
J'avais à peine débarqué à la gare de Brescia, il était exactement 9 h. J'y venais pour un entretien d'embauche. J'avais obtenu mon diplôme de sage-femme dans ma ville natale, Palermo, dans le sud de l'Italie. Après l'obtention de mon diplôme, pour des motifs bien précis, j'avais décidé de postuler dans de différentes cliniques dans le nord de l'Italie.
Une clinique privée de la Lombardie avait répondu favorablement à ma demande d'embauche et j'avais ainsi payé un billet de train aller et retour pour la ville de Brescia.
J'avais voyagé toute la nuit et étais arrivée à 9 h à la gare centrale de Brescia. J'avais mon entretien à 10 h 30 et j'avais le train de retour à 17 heures ce soir. Je devais voyager ensuite toute la nuit pour rejoindre ma ville natale.
Je sortis précipitamment de la gare. Mon train avait eu près de deux heures de retard. Il me restait un peu plus d'une heure avant mon entretien. Je ne connaissais pas la ville et je craignais d'arriver en retard. Je stoppai la première personne qui passait près de moi pour lui demander des renseignements. Lorsqu'il se tourna vers moi, je ne pus m'empêcher d’être troublée par son regard, malgré l'anxiété d'arriver en retard à mon rendez-vous. Mon regard se perdit un moment dans ses prunelles d'un noir profond. Il était grand de taille, brun avec un visage ovale. Quelques cheveux blancs parsemaient çà et là sa chevelure, lui donnant un air extrêmement séduisant. Il pouvait aisément mesurer le mètre quatre-vingt-dix et avait une carrure imposante. Je me sentis tout à coup minuscule près de lui du haut de mon mètre soixante pour mes minables cinquante-six kilos.
- Oui madame, me répondit-il en me dévisageant à son tour.
Je réalisai à cet instant que j'étais certainement restée là à l'observer comme une idiote. Je me raclai la gorge avant de parler.
- Euh, en fait, euh, je dois aller à la clinique XX, lui répondis-je d'une voix agitée en jetant tout de même de fréquents coups d’œil à ma montre.
- Je vois, vous devez retourner dans la gare et prendre le métro direction " Ospedale " et descendre à l’arrêt "Ospedale". Vous avez d'ailleurs de la chance. Je vais dans votre direction, mais je devrais descendre deux arrêts avant vous, me répondit le jeune-homme avec un large sourire.
- Merci beaucoup, rétorquai-je en lui rendant son sourire, même si le mien était crispé par le stress d'arriver en retard à mon entretien.
- Suivez-moi, dit le jeune-homme en entrant précipitamment dans la gare.
Je dus le suivre presque au pas de course, car il était très grand et s'éloignait en grandes enjambées. La bouche de métro se trouvait en effet à l’intérieur de la gare.
Il m'indiqua où me procurer mon ticket et quelques minutes plus tard, nous étions debout, côte à côte, dans le métro bondé.
- À votre accent, je devine que vous n’êtes pas de Brescia, supposa mon sauveur en me regardant attentivement.
- Euh non, je suis sicilienne de Palermo, répondis-je embarrassée sous ce regard ténébreux.
- Très belle ville Palermo, répliqua l'homme en question. J'y ai été il y a quelques années. Vous avez des plages magnifiques.
- Merci beaucoup.
- Nous ne nous sommes même pas présentés, je suis Giorgio, dit-il en me tendant la main.
- Euh, Tiziana, répondis-je dans une poignée de mains.
Une sensation bizarre envahit mon être et je levai immédiatement le regard vers Giorgio. Je le vis déglutir avec peine et nous restâmes ainsi quelques secondes avant que je ne jette un bref coup d’œil à nos mains encore liées. Giorgio le réalisa et libéra enfin ma main.
Un bref silence chargé de sensualité régnait désormais entre nous.
- Je devrais descendre dans deux arrêts, dit Giorgio. Pourrais-je avoir votre contact si cela ne vous pose pas de problème ?
- Pourquoi pas… répondis-je.
On réussit à échanger de justesse nos numéros avant que le métro ne fasse escale à l’arrêt "San Faustino". Giorgio descendit après une brève salutation de la tête à mon endroit et se perdit au milieu des autres passagers.
Je continuai mon trajet et descendis à mon arrêt de métro une demi-heure avant mon entretien. J'eus le temps de me renseigner et dix minutes plus tard, j'étais assise en salle d'attente.
L'entretien se déroula rapidement et j'eus l'impression d'être appréciée. Ils promirent de me donner une réponse dans les dix prochains jours, les dix jours les plus longs de ma vie.
Je sortis de la clinique et me rendis compte qu'il me restait encore énormément de temps avant mon train. Je décidai donc de faire un petit tour touristique dans la ville. Qui sait ? Je n’aurais peut-être plus jamais l’occasion d’y revenir, ou peut-être qu’elle serait ma prochaine ville de résidence, pensais-je, le cœur plein d’espoir quant à l’issue de cet entretien.
Je me baladai dans la ville et vers 15 h 30, je repris le métro pour retourner à la gare. Je pris place dans le petit café à l’intérieur de la gare et commandai un sandwich, je n'aurais plus l'occasion de manger une fois que mon train aura quitté la gare de Brescia.
J'étais actuellement assise dans le train et nous étions au niveau de la ville de Bologne quand mon téléphone me signala l'arrivée d'un message.
" Bonjour Tiziana, j'espère ne pas vous déranger. "
Mon cœur se mit à battre quand je réalisai que le message provenait de Giorgio, le monsieur que j'avais connu ce matin à la gare. Je devais admettre qu'il était vraiment bel homme et ne m'avait pas laissée indifférente malgré l'appréhension de ce matin pour mon entretien.
" Bonjour Giorgio, et non, vous ne me dérangez pas. Je suis d'ailleurs dans un train et un long voyage m'attend."
" Vous n'êtes donc plus à Brescia ? "
" Non, j'y venais juste pour quelques heures. En fait, j'étais là pour un entretien d'embauche."
" Je vois, pour quel poste avez-vous postulé ?"
" Sage-femme"
Je lui racontai brièvement mon entretien de ce matin.
" J'espère que vous serez retenue, en tout cas, je vous le souhaite"
Je parlai avec Giorgio pendant une bonne partie de mon voyage. Il m'informa qu'il travaillait dans une banque de la place. Il n'habitait pas très loin de la gare et préférait se déplacer avec le métro pour aller au boulot afin éviter les bouchons le matin.
Ce jour marqua le début de notre amitié. On s'appelait et s'écrivait très souvent, presque quotidiennement. J'avais l'impression qu'il était, lui aussi, intéressé par moi. J'étais désormais au courant de tout ce qu'il faisait de ses journées et lui des miennes.
Je reçus une semaine après mon entretien un coup de fil de la clinique m'informant que j'avais été retenue.
Je décidai de l'appeler pour l'en informer. Non seulement, j'avais besoin de trouver un logement le plus vite possible, mais en plus, nous étions devenus pratiquement des amis.
- Je suis vraiment embêtée là, je dois venir signer le contrat de travail dans quinze jours et je devrais commencer le boulot d'ici un mois. J'ai commencé à jeter un coup d’œil sur le net pour me trouver un logement. J'ai même déjà contacté quelques agences, mais jusque-là, rien de concluant.
- Je vois, je vais éplucher moi aussi les annonces et si je trouve quelque chose de bien, je te fais signe"
- Merci infiniment Giorgio.
Giorgio m'envoya par la suite des annonces d'agences immobilières. J'appelai les numéros inscrits sur les annonces et optai à la fin pour trois appartements que je visiterai quand je viendrai pour signer le contrat de travail.
Je fis exactement la même chose que la fois précédente. Train de nuit et arrivée en matinée dans la ville. Je signai rapidement mon contrat d'embauche. J'étais en train de sortir de la clinique quand je reçus un appel de Giorgio.
- Ciao bella, dove sei ? (salut ma belle, où es-tu ? )
- Je suis à peine sortie de la clinique.
- Envoie-moi ta localisation et je te rejoins, dit Giorgio.
- Tu ne devais pas bosser cet après-midi ? demandai-je à Giorgio.
J'étais désormais au courant de presque tous ses faits et gestes.
- J'ai pris ma demi-journée, je voulais t'accompagner à tes rendez-vous.
Je rougis de plaisir à ces mots. Il me plaisait énormément cet homme et cette manière gentille et prévenante vis-à-vis de moi me conquérait.
- Je suis dans la voiture rouge en face de toi, m'informa Giorgio au téléphone quelques minutes plus tard.
J'allai vers la voiture et il baissa la vitre à mon approche. J'ouvris la porte et m'assis sur le siège passager. Je tournai ensuite le regard vers lui et une vague d'émotions me gagna. On resta un bref moment à se fixer dans les yeux. Giorgio sembla se reprendre le premier.
- Buongiorno cara (bonjour ma chère), lança-t-il d'une voix détendue, rompant ainsi l'enchantement.
- Buongiorno Giorgio, répondis-je d'une voix embarrassée.
On se rendit au premier rendez-vous.
- Ce sera tout, l'appartement nous semble assez bien, mais nous vous reviendrons quand nous aurons pris une décision, dit Giorgio à l'agent immobilier.
J’avoue que j'étais assez surprise par le comportement de Giorgio. Il avait en effet pris congé de l'agent immobilier sans me demander si j'avais des questions à poser, ni demander mon avis par rapport à l'appartement en question.
Nous nous rendîmes aux deux autres rendez-vous et Giorgio se comporta exactement de la même manière.
- Tu devrais prendre cet appartement, lança Giorgio d'une voix autoritaire une fois retournés à sa voiture. Tu devrais d'ailleurs l'appeler dès demain pour le lui confirmer avant qu'il ne te file entre les doigts.
Je convenais parfaitement avec lui que le dernier appartement que nous avions visité correspondait parfaitement à mes attentes, mais c'était cette manière qu'il avait de prendre les devants qui me désarçonnait un peu.
- Euh oui, je vais y réfléchir encore un peu, ripostai-je tout de même.
- Oui, mais tu devrais te dépêcher si tu ne veux pas le perdre. Si tu veux, je peux les appeler à ta place demain.
- D'accord, répondis-je finalement.
Il avait raison en fin de compte. Je risquai de perdre cet appartement si je ne me décidais pas immédiatement, en plus, je n'avais pas trop de temps à ma disposition et trouver un logement n'était pas toujours évident.
J'étais reconnaissante et je me sentais flattée que Giorgio ait pris son après-midi au boulot afin de m'accompagner visiter les appartements.
- Que fait-on maintenant ? demanda Giorgio d'une voix gentille. À quelle heure as-tu ton train ?
- 20 heures, j'ai préféré prendre ce train-là pour ne pas avoir de pression durant les rendez-vous.
- Je vois, répondit Giorgio avec un large sourire. Il est 18 heures là, nous pourrions manger un morceau dans un bistrot sympa près de la gare et tu pourras ensuite prendre tranquillement ton train.
- Ça me va, lui répondis-je avec un sourire.
On se rendit dans le bistrot en question et on passa un bon moment en compagnie l'un de l’autre. Giorgio n’arrêtait de me regarder d'un air qui me donnait des fourmillements dans tout le corps. J'avais parfois de la peine à soutenir son regard et la lueur qui y dansait me donnait des idées pas très catholiques.
- On devrait y aller, dit Giorgio en regardant sa montre.
Je fis de même et me rendis compte que mon train partirait dans quinze minutes et nous étions heureusement à deux pas de la gare. Je m'étais tellement perdue dans ses yeux pénétrants que je n'avais pas vu le temps passer.
On se rendit au pas de course au quai et mon train y était déjà.
- Euh, euh... balbutiai-je tout à coup embarrassée en me tournant vers Giorgio.
- Bon beh ... dit Giorgio en me fixant dans les yeux.
Nos regards se perdirent encore l'un dans l'autre et comme mus par une force surnaturelle, on se jeta dans les bras de l'autre pour une étreinte pleine d'émotion.
Le coup de sifflet du personnel ferroviaire nos fit nous séparer brusquement.
- Tu fais un bon voyage, murmura Giorgio en me fixant d'un air languide.
- Merci, répondis-je timidement et montai précipitamment dans le train. Je m'assis et soufflai un long moment. J'avais le cœur qui battait à vive allure.
Giorgio m'appela quelques minutes après le départ du train et on resta en ligne une bonne partie du voyage.
Deux semaines plus tard, je débarquais une fois de plus à la gare de Brescia, mais cette fois, pour m'y installer définitivement. Ma relation amoureuse avec Giorgio commença dès mon arrivée à Brescia et continua tant bien que mal jusqu'à ce jour.
Fin de flash-back
En repensant avec du recul à tout cela, je me rendais compte que je ne connaissais presque personne dans cette ville. Je n'avais même pas réussi à établir de relations amicales avec mes collègues de travail, malgré leurs invitations constantes à sortir dîner de temps à temps. Giorgio s'y était toujours opposé et j'avais toujours cédé. Ma collègue Maura avec qui j'entretenais d'excellents rapports de travail m'avait réitéré une fois de plus l’invitation pour un apéritif et j'avais fini par accepter après de nombreux refus de ma part. Giorgio m'avait appelée ce soir-là et je lui avais simplement envoyé un message lui disant que je le rappellerai plus tard, car j'étais de sortie avec ma collègue. J'étais bien consciente qu'il ne l'aurait pas apprécié, mais j'avais préféré être sincère. Il en avait fait tout en plat et tout s'était terminé en grosse dispute. J'avais préféré éviter de renouveler l'expérience et ma vie à Brescia se résumait désormais à métro-boulot-dodo et Giorgio