Chapitre 3 : Morte sur le campus !
Ecrit par Max Axel Bounda
Trois mois plus tard.
Une foule de curieux s’était réunie autour du pavillon G. Je m’avançais histoire de comprendre pourquoi ce bâtiment inachevé était soudainement devenu l’attraction principale de la matinée.
Le pavillon G, était un de ces nombreux bâtiments de l’université, en travaux depuis bientôt une décennie. Son histoire, légendaire éléphant blanc de l’Université Publique du Gabon, était la même que celle de tous les chantiers inachevés du pays.
Il était une fois, des chantiers étaient financés par l’État avec des budgets qui n’atteignaient jamais leurs destinations, et s’en allaient vers des destinations lointaines et inconnues.
Le voyage sans retour.
La meilleure, dans ce conte pour grands enfants, était l’amnésie sélective de ceux qui dans certains lieux avaient même des documents faisant état de la livraison effective de ce pavillon. Un peu comme la route de Cocobeach . Une route de l’impossible dont la réfection avait pourtant été financée par plusieurs bailleurs, dont la coopération allemande, qui, elle, arborait fièrement dans ses bureaux une carte de la localité avec une route bitumée et praticable en toute saison.
ASL (au sol), s’ils pouvaient savoir.
Pratique devenue courante, Libreville avait fini par s’enrichir en bâtiments inachevés. La ville des éléphants blancs disait-on.
De temps en temps, nous nous tournions vers le rectorat pour nous plaindre, mais les autorités universitaires disaient n’avoir pas assez de fonds pour achever les travaux de tous les pavillons universitaires qui auraient dû voir le jour il y’a bien longtemps. Mais ce qu’on ne comprenait pas, c’était la raison pour laquelle la loi de finances consacrait-elle chaque année une ligne budgétaire aux travaux de réfection de l’université alors que les travaux ne se faisaient jamais. Où allait cet argent ? Personne ne nous donnait de réponses. Serait bien malin celui qui arriverait à répondre. Seuls Dieu et le diable savaient ce qu’il en était réellement. Car il fallait être un peu démoniaque sur les bords pour faire une chose pareille à son propre pays.
*
Deux soldats du feu passèrent devant moi sans se soucier de tous les regards plantés sur eux comme des pistolets à visée laser des snipers. Ils transportaient sur une civière un cadavre recouvert d’un linceul d’un blanc très douteux. La vue de ce spectacle me fit un léger froissement dans le bide. Encore un étudiant qui disparaît à la fleur de l’âge.
En chemin pour l’amphi où je suivais des TD pour rattraper certaines matières avant ma soutenance, j’entendais des gens parler autour de moi. Le corps d’une étudiante avait été retrouvé dans le capharnaüm du pavillon G. Les premières spéculations supposaient qu’elle avait été tuée au milieu de la nuit, par des bangando en essayant de regagner sa chambre au Campus. Pour l’instant, l’on ne savait pas trop qui était cette fille et quel était son département.
Je ne pris pas le temps pour m’enrichir des détails, il était huit heures trente. Je me rendais immédiatement à mon cours d’analyse des politiques publiques. J’arrivais à l’amphi au pas de course, monsieur Mvé, n’était pas encore là. L’ambiance y était morose. Tout le monde parlait de la découverte macabre de ce matin. Et c’était assez normal, car une étudiante avait été assassinée sur le campus.
La plupart des étudiants par crainte se demandaient comment il était possible d’ôter la vie d’une étudiante sur le campus d’une université publique. Des questions qui venaient rouvrir l’éternel débat sur la sécurisation du campus universitaire. Une sécurité quasi inexistante, et ce n’était pas la trentaine de policiers en casernement au portail de l’institution qui dirait le contraire, leur seul travail était de tuer dans l’œuf les mouvements d’humeur que nous lancions pour des revendications légitimes.
Légale et fondée a toujours été chacune de nos revendications, qui ne souffraient d’aucune forme d’instrumentalisation : ni politique ni conspirationniste. Même s’il fallait reconnaître que la cupidité et l’amateurisme de certains de nos leaders estudiantins nous plongeaient maintes fois dans un éternel recommencement. Une lutte de tous les âges, sans fin ou sans porte de sortie.
C’était risible de remarquer à quel point nous manquions peut-être de détermination. Revenir tous les ans, avec les mêmes revendications dans le même cahier de charge. Et pire encore, cela n’était pas près de s’arrêter, car chaque fois que l’on entamait un mouvement d’humeur, avec plusieurs points au cahier de charge, il suffisait que dix pour cent de la bourse soient octroyés pour que toutes les hostilités finissent par s’essouffler pour finalement mourir sans laisser de traces.
C’est alors qu’on oubliait rapidement les autres revendications, bien plus importantes comme l’amélioration des conditions de vie et d’apprentissage au campus, la réforme de l’Université, ou encore la qualité de la bouffe au restau U.
Et comme pour nous ramener à la réalité de notre échec, une étudiante était morte en plein milieu du campus.
En amphi, je rejoignis un siège pour la journée, le bavardage n’étant pas mon fort, j’entrepris de commencer une lecture du livre que j’avais dans mon sac. Monsieur Mvé arriva, quelques minutes plus tard avec le sourire comme à son habitude. Nous passâmes les trente premières minutes des TD à commenter l’actualité nationale puis internationale. Nous survolâmes tout ce qui touchait à l’extérieur de nos frontières. Cependant, il y avait des sujets bien plus intéressants chez nous, dont la découverte macabre de ce matin.
Ce jour-là, bien plus que d’habitude, j’entendis tout genre de théories, certaines ridicules, d’autres acceptables, quelques-unes excellentes, mais dans l’ensemble, les avis divergeaient sur la question. Beaucoup de mes condisciples plus portés sur la critique s’acharnaient à trouver des boucs émissaires et des coupables tous parfaits à la situation macabre du moment.
D’après plusieurs, le piteux état de notre université publique était entretenu par nos dirigeants pour nous plonger dans une dépendance éternelle et nous condamner ainsi à la mendicité. Nous obliger à accepter la main toujours tendue d’un pouvoir despotique et millénaire, incapable de faire mieux que ce qu’il n’a pas fait en cinquante ans de règne. Difficile d’être instruit et d’accepter la gestion chaotique de notre pays.
Mais pouvions-nous faire bouger les choses en dressant seulement des constats ?
Car de tous ces hommes perchés comme des corbeaux sur l’arbre du pouvoir, aucun n’était sans instruction. Tous étaient diplômés des meilleures universités européennes voire américaines. Sauf que le pays n’avait toujours pas évolué depuis le paléolithique. Comme quoi, dans ce système pyramidal, l’argent finit la plupart du temps par effacer les cerveaux.
Au terme des échanges, qui prirent un peu moins d’une heure, Monsieur Mvé avec grâce et intelligence trouva le moyen d’étayer ou de réfuter certaines théories selon qu’elles fussent plus ou moins solides. Il était bon ce prof pour qui j’avais beaucoup d’admiration. Et j’appréciais énormément ses capacités d’analyse. C’était cet esprit d’analyse et de synthèse que je cherchais à développer à ses côtés.
Après les deux heures avec Monsieur Mvé, nous eûmes droit à deux heures de TD en droit public, qui finirent par en faire trois, car l’enseignant s’était pointé avec cinquante minutes de retard sans même s’excuser. Comme si nous n’avions rien à faire de notre journée !
Le plus écœurant dans l’histoire, était que l’homme de loi qu’était Monsieur Ogoula, après nous avoir fait poireauter pendant près d’une heure, menaça des étudiants sans aucune gêne. « Tous ceux qui ont quitté la salle pour m’attendre hors de l’amphi ne doivent plus intégrer ma séance. » lança-t-il. En voilà un qui ignorait que la charité bien ordonnée commence toujours par soi-même.
Pour moi qui fus en instance de soutenance, ma présence n’était pas nécessaire, vu que j’avais déjà validé ce module. Mais malheureusement, je n’avais pas quitté l’amphi à temps. J’étais donc coincé ! Et je finis par passer deux longues et pénibles heures de droit.