chapitre 30

Ecrit par leilaji

Chapitre 30


***Elle***

Leila vient de me faire sa demande officielle par email. Comme elle ne quitte jamais son téléphone, c'est le moyen le plus simple qu’elle a trouvé pour éviter que je ne lui oppose un refus catégorique. Elle veut un discours sur le cancer, un discours qui va aider l’assistance à prendre connaissance de cette maladie et de la nécessité de s’organiser pour lutter contre le cancer. Je ne sais pas pourquoi elle désire tellement que j'en parle. Je ne suis pas la mieux placée pour évoquer ce sujet... Pourquoi ne pas demander au docteur Moutsinga de le faire. Elle est gynécologue et la prévention des cancers féminins c'est son domaine il me semble. Je n'ai pas vraiment envie de m'exécuter.  J'ai toujours été le centre de l'attention en tant que femme d'un homme libertin et contrairement à elle qui aime se faire discrète, j’ai très tôt été exposée aux regards. Tout Libreville a parlé de moi à un moment ou à un autre et pour me protéger j'ai appris à  cacher mes blessures et à sourire en tout temps. Entendre des femmes dire qu’elles ont couché avec ton mari ou qu’il leur a payé des voyages et continuer à marcher la tête haute… voilà de quoi je me suis sortie. Evidemment, ma maladie ce n’est pas la même chose mais de toute manière, j’ai été assez échaudée comme ça pour craindre la plus petite des expositions.

Exposer sa vie privée cela ne fait pas vraiment partie de nos mœurs. On ne parle pas de maladie en public même si en parler peut sauver d'autres vies, ce qui est vraiment dommage je le reconnais volontiers. Leila le sait très bien pourtant. Mais à Libreville dire j'ai un cancer ce serait aider les ragots à dénaturer tout ce que tu diras pour les transformer en accusations. Je ne veux pas que tout le monde se mette encore à parler de ma vie. C'est très difficile à gérer contrairement à ce que les gens pensent. Les paroles blessent. Je ne sais pas comment lui dire non.

On verra, je vais y réfléchir plus tard pour le moment  je prends l'élan pour subir ma dernière séance. En fin de compte c'est passé bien plus vite que je ne l'aurai imaginé. Grace au soutien d’Adrien. Cet homme…

J'entre en salle de chimiothérapie avec la bonne humeur de la belle nuit passée dans les bras d'Adrien. On n’a rien fait mais je nous ai sentis moins mal à l'aise que la dernière fois. Petit à petit, les sensations perdues reviendront, j'en suis convaincue. Le principal c’est de ne rien précipiter. Il faut arroser, un peu chaque jour la plante de notre relation plutôt que de laisser la grosse averse la noyer.  J'ai emprunté l’IPod d'Adrien qui contient des tubes d'artistes locaux et je trottine jusqu'a ma place habituelle. Le jour où j’ai découvert son goût pour les chansons de Nicole Amogho et Amandine, je suis restée scotchée. Je l'aurai cru plus Rnb américain voir même rap old school comme on dit, à cause de son allure générale mais en réalité, il écoute de tout, même de la musique béninoise. J’oublie souvent ses origines, il n’en parle pas beaucoup. Peut-être parce qu’en réalité, il se sent plus le fils de madame Evrard que celui de son père. Quant à lui en découvrant ma playlist, il a bien rigolé et m'a reprochée mon amour pour les zouks.

Je m'installe dans mon fauteuil après avoir salué les personnes présentes. Je me rappelle encore du premier jour de chimiothérapie où j'avais tout fait pour rester dans mon coin sans nouer de contact avec les autres malades. Je ne voulais pas faire partie de ce cercle, j’ai eu beaucoup de mal à accepter que finalement, j’étais comme eux, malade. Au fil des séances, mon attitude a bien changé. Je connais maintenant le nom de certaines infirmières car je respecte énormément le boulot qu'elles font. Côtoyer tous les jours des gens qui luttent pour ne pas mourir et venir avec le sourire malgré tout, tous les matins, ne pas passer leurs nerfs sur nous alors que face à l’injustice de la maladie, nous sommes tellement désagréables avec elles lorsque la prise de ce poison nous accable. Etre professionnelles comme elles le sont en tout temps, c'est juste faire preuve d'autant de courage que nous les malades.

- Bonjour Marie France, je dis à celle qui s'occupe de ma préparation.

C’est une belle jeune femme qui ne quitte jamais son sourire affable. Ses manières douces et son attitude sans façon en font l’une des infirmières les plus appréciées de l’institut.

- Bonjour madame Oyane, c'est la forme aujourd'hui on dirait...
-Oui. C'est la dernière séance de chimiothérapie, je lui annonce avec enthousiasme comme si elle ne
le savait pas déjà!
- Je sais... Je suis heureuse pour vous, vous vous en sortez très bien.
- Merci beaucoup pour tout, votre professionnalisme, votre gentillesse.
- Ne me remerciez pas, vous avez été une bonne patiente. Un peu insolente au début mais finalement très attachante...
- J'ai l'impression d'entendre Adrien quand vous dites ça.

Elle éclate de rire tandis qu'elle enfile ses gants avant de manipuler les objets.

- Ah docteur Adanlossesi! Toujours souriant et gentil avec tout le monde. Il va nous manquer quand
vous serez partie.
- Il y a Solange qui a promis de me le piquer si je ne fais pas attention...

Le sourire de Marie France se crispe un peu mais je n'y prête pas attention. Solange est une mère de famille nombreuse dont l'époux fonctionnaire ne s'en sort jamais avec les enfants quand elle les lui laisse de sorte qu'il les emmène avec lui à chaque chimiothérapie. Même si elle dit tous les jours qu'elle a bien envie de lui casser quelque chose sur la tête quand il fait ça, on sait toutes ici, qu'elle l'aime énormément son bêta de mari. C'est la première patiente à être passée outre mon blocus et à m'avoir adressée la parole malgré ma mine renfrognée. Comme c'est une grande cuisinière, elle nous a souvent emmené des plats de feuilles de manioc pilée ou d’aubergine à vous couper le souffle. Elle présentait ses plats comme s'ils allaient concourir à une émission culinaire. Les femmes myene aiment bien ajouter ce petit côté chic à ce qu'elles font, il faut bien le leur reconnaître. J'ai eu beau lui demander ses différentes recettes elle a toujours refusé de me les donner... Puis elle a dit qu'elle ferait une exception si je lui prêtais Adrien avec un clin d'œil bien appuyé. C'est à ce moment que nous sommes devenues amies. On s'est même promis de se revoir après la chimiothérapie pour se soutenir dans les moments difficiles. Ça m'étonne un peu qu'elle ne soit pas là car nous avons à peu de choses près le même programme.

- Tu sais où est Solange? Elle a raté sa séance?
- Solange ne viendra pas, répond elle calmement en continuant ses manipulations.

Étrangement, une nouvelle malade vient s'allonger dans le fauteuil de Solange. On sent qu'elle est nouvelle rien qu'à voir toutes les affaires qu'elle a emmenée avec elle: ordinateur, livres, magazine... On le fait toutes lors de la première chimiothérapie. On pense se blinder contre l’ennui, mais en réalité c’est la peur de se retrouver l’esprit libre à ne penser rien qu’à la mort qui nous fait apporter toutes nos affaires.

- Madame Solange ne viendra plus madame Oyane... Elle ne viendra plus, dit-elle tristement. Son mari nous a appelés hier pour nous annoncer la mauvaise nouvelle. Elle est décédée il y a quelques jours...

L'infirmière se fige un moment puis reprend comme si de rien n'était, comme si elle ne venait pas de m’annoncer la fin de la bataille de l'une d'entre nous.

-Désolée madame Oyane, me dit madame Assengone, une autre patiente, en essuyant quelques larmes.

Toutes savent à quel point je lui étais attachée... Une boule d’amertume se forme dans ma gorge.

-Elle s'est bien battue, c'est le plus important, me dit Marie France sans me quitter des yeux.

Solange! Seigneur! Qui va s'occuper de ses trois derniers? Elle qui faisait plein de projets pour l'après chimiothérapie avec son mari... J'ai un hoquet de douleur. C'était la plus forte d'entre nous. Celle qui encourageait tout le monde et mettait une bonne humeur dans la salle en nous racontant les cancans de son lieu de travail. Avec elle, on a toutes appris à détester Augustine, une de ses collègues, une espèce de professionnelle de la promotion canapé qui est passée chef avant elle. Et moi j'ai parlé de Sam alias Iznogood. On s'est défoulé sur toutes ces chipies dans la joie et la bonne humeur et tout d'un coup, on me dit : clap, fin de séquence, plus de rôle pour elle? C'est tellement injuste!
Je regarde le poison (chimio) tomber goûte à goutte et se verser tel du venin dans mon corps. J'ai encore tellement à faire, tant de chose à vivre et à découvrir... Je veux du temps. Nous toutes ici présentes, voulons encore un peu de temps.

Solange est partie... Elle est partie trop tôt, le sable de son sablier a cessé de couler...

***La veille de la soirée***

Alors que je cherche quoi mettre, Leila débarque chez moi avec Mamara mon assistante. L'énorme  housse qui les encombre n'augure rien de bon mais je les ai accueille avec le sourire malgré ma fatigue.

Leila aidée par Mamara sort du paquet une magnifique robe en pagne rouge avec des accessoires de même couleur. Le col de la robe ainsi que la poitrine sont recouverts de décorations cousues dans l même tissu. Les épaules sont aussi dénudées que le reste du corps est couvert. La robe me ressemble: sophistiquée et légèrement excentrique!

- Projet de la plus talentueuse des élèves couturières de ton école... Alors? Qu'en dis-tu? Demande Leila tout sourire

La robe est magnifique mais complètement importable... C'est justement la longue traîne qui lui donne de la majestuosité qui la rend ... sûrement trop lourde et importable.

- Elle est vraiment magnifique tu as raison, j’acquiesce doucement.
- Et tu pourras la porter demain n'est ce pas?
- Moi? Non mais ça va pas! C'est un projet de fin d'étude Leila, c'est fait pour impressionner le jury par la coupe et la technique de couture. J’ai déjà été jurée. C'est comme les robes haute couture, elles ne sont pas faites pour être portées telles qu’elles sont présentées!
- Franchement c'est trop de blabla... Je ne reconnais pas l'intrépide Elle qui défend le travail de ses élèves et les soutient continuellement. J'ai assisté à la présentation de cette robe et l'élève a dit qu'elle l'a cousu en pensant à toi...
- Mais elles le disent toutes Leila c’est pour gagner des points.

Leila fait une petite mine. Elle est déçue. Non mais dis donc je ne suis pas sa poupée moi.
Pour lui démontrer l’inutilité de la chose, je lui arrache la robe des mains. Tiens! Elle est moins lourde que je ne l'avais imaginé... Je la regarde de plus près. Le travail de coupe est vraiment magnifique!

- Tu me dis que c'est une élève qui a cousu ça?
- Elle a travaille avec Eloise Valentine ...

Hum l’ex de Denis, je ne la savais styliste. J’aime les belles choses et cette robe est une pièce unique je dois bien l’avouer.

- Elle peut l’ajuster à mes mensurations? Je n’ai plus les formes de cette robe...
- Ouiiiii. Demain, je veux que tu sois à couper le souffle.

Dans quelle galère je me suis fourrée ? Leila lance l’appelle vers le numéro de l’élève que Mamara lui donne et bavarde avec elle un moment. A la fin de la conversation, un léger pli barre son front.

- Trop tard, elle vient de prendre le train pour Franceville. Merde alors. Elle ne pourra pas te l’ajuster et je ne pense pas que c’est le genre de boulot à donner à n’importe quel couturier ! Je suis trop déçue.
- C’est pas grave. De toute manière, je ne pense pas que ce soit si important que ça. Ce n’est qu’une robe après tout.
- Hum. Bon je vais y aller alors… je dois prendre l’avion tout à l’heure avec Karisma.
- Ok, tu lui feras un bisou de ma part
- Et les enfants ?
- Ils vont bien, on s’appelle tous les soirs, ça va. Ils se plaignent un peu de leur belle-mère mais je crois qu’elle essaie de faire de son mieux. Je ne pensais pas pouvoir me séparer d’eux un jour tu sais. Il y a d’autres femmes là bas qui ont continué de s’occuper de leurs enfants malgré leur cancer et …
- Oyane, tu m’arrêtes ça. Ca ne fait pas de toi une mauvaise mère. Ta dernière séance est derrière toi maintenant. Tu pourras bientôt les récupérer après t’être bien reposée.
- Je dis hein, n’oublie pas que je suis ta grande sœur hein. C’est quelle manière de me parler ça !

Elle rigole et fait signe à Mamara. Elles s’en vont quelques instants après. Je vide mon verre de jus de fruit et regarde la robe posée sur le canapé. Hum. Elle me tente, je n’en avais encore jamais portée de semblable. Adrien va être dingue en me regardant la dedans parce qu’il adore me voir bien habillée. Je ne résiste plus et compose un numéro que je détestais composer quand je me suis séparée de Denis.

- Oui allo ?

Ah celle là quand elle te répond au téléphone, tu vas croire que tu parles à une blanche.

- Bonsoir Eloise, c’est Elle.
- Elle, comment ça va ?
- Bien merci. Excuse-moi de te déranger aussi tard mais j’aimerai beaucoup que tu m’aides par rapport à la robe de …
- Elle te plait hein ? coupe-t-elle. En la dessinant avec elle, je me disais que tu n’allais pas pouvoir y résister.
- Elle me plait beaucoup mais j’ai un peu maigri et ça va être une catastrophe si je la porte telle quelle.
- Ok, je viens te l’ajuster, la soirée c’est demain et il vaut mieux s’en occuper maintenant. Demain, j’ai des milliers de choses à faire…

Je n’en demandais pas tant. Je pensais qu’elle m’enverrait quelqu’un.

- Heu, si t’es trop occupée…
- Non ! Ca me fait plaisir. J’arrive tout de suite.

Je suis de plus en plus surprise par son attitude. Ah peut-être le fait qu’on ne soit plus en compétition pour le même homme a-t-il un peu détendu nos relations froidement cordiales auparavant.  En réfléchissant un peu, c’est peut-être aussi ce que j’appelle « l’effet cancer ». Les gens au courant se précipitent pour te rendre service comme si ta demande faisait partie de ton testament indiquant tes derniers souhaits.

- Tu habites où ?

Une demi-heure plus tard, elle sonne chez moi. Le gardien lui ouvre et la fait entrer. Elle me salue courtoisement et sans rien ajouter d’autre se met au travail. La situation est un peu étrange mais pas gênante.

- Toi ça va ? finit-elle par demander.
- Oui. Tu veux boire quelque chose ?
- Non, c’est bon. Je suis en mode régime en ce moment.
- Ok.

Je m’assois face à elle tandis qu’elle place son nécessaire de couture sur ma table basse.

- C’est très joli chez toi, j’aime beaucoup.
- Merci.

Elle passe son mètre autour de son cou et me demande d’approcher avec un large sourire. Cette femme est comme son frère qui organise la plus part de nos soirées, une vraie sophistication ambulante. Son maquillage est parfait, ses mèches brésiliennes parfaites, sa tenue parfaite et surement une marque occidentale qui coute la peau des fesses, ses chaussures n’en parlons même pas.

- Et si tu me laissais m’occuper de toi demain ? Ca sera mon petit coup de pouce pour la période difficile que tu traverses.

Je suis estomaquée ! Eloise et moi ne nous sommes jamais entendues. Je l’ai toujours trouvée superficielle et vaniteuse mais depuis qu’elle s’est séparée de Denis, elle a beaucoup changé selon Leila.

- Tu ne m’aimes pas beaucoup n’est-ce pas ?
- Tu étais une vraie peste !
- Je le suis toujours. Reconnait-elle en rigolant tout en prenant mes mesures.

Ca me fait doucement sourire.

- Alors qu’est-ce qui a changé ?
- J’ai rencontré quelqu’un. Murmure-t-elle en m’aidant à enfiler la robe.

Si elle aussi a tourné la page avec Denis, c’est une bonne chose.

- Je suis heureuse pour toi et je le pense sincèrement.
- Et moi aussi je suis heureuse pour toi et le docteur.
- Merci. Qui t’en a parlé ?
- J’étais au mariage, je vous ai vu danser… enfin si on peut appeler ce joli spectacle de la danse.
- Oh.

Elle pique tranquillement des épingles sur la robe et se concentre un moment avant de reprendre la conversation.

- Une nouvelle vie m’attend.
- C’est-à-dire ?

A sa manière de me jeter de petits indices, je sens qu’elle a envie de parler à quelqu’un mais qu’elle se gêne encore vus nos différends passés.

- Je quitte l’entreprise de Gabriel et j’ouvre mon propre atelier…
- Waouh félicitation !
- Ce sera une folle aventure mais je crois que je vais y arriver. Avec beaucoup de travail et de la détermination ça ira. Valentine création. J’ai hâte de me lancer. Votre soirée sera la dernière pour moi au sein de l’entreprise de Gabriel.
- Un atelier de quoi ?
- J’ai toujours aimé la mode et je veux devenir créatrice.
- Et ton diplôme en communication qu’en fais-tu ?

Elle lève un sourcil d’étonnement. Oui c’est vrai j’ai un peu espionné la vie de celle qui m’a remplacée dans la lit de Denis quand je l’ai quitté…  par pure vanité de femme. Je me disais qu’elle devait être aussi bête que belle, mais ce ne fut pas le cas.

- J’ai toujours été surprotégée que ce soit par mon père ou par mon frère. J’ai perdu un de mes frères, le jumeau de Gabriel et ça m’a beaucoup perturbée. J’ai décidé de prendre ma vie en main. Je veux voler de mes propres ailes et prouver que je ne suis pas qu’une petite princesse pourrie gatée. Je veux qu’on sache qu’avec ou sans le nom Valentine, je peux m’en sortir toute seule.
- Hum ! Je comprends que la mort de ton second frère t’ait bousculé mais je sens aussi que l’homme que tu as rencontré y est pour beaucoup.

Elle sourit et ses yeux s’illuminent.

- Comment est-il ?
- Il est moitié fang moitié eshira, pas très grand de taille.
- Ah ça c’est du mélange !
- Il est brut de décoffrage et ça me met dans tous mes états parce qu’il se fout complètement de mon argent et me traite comme une femme ...  normale quoi !

Elle me pique avec son aiguille mais je supporte silencieusement sa maladresse. Ses pensées volent surement vers l’élu de son cœur. Je fais de même tandis qu’elle transforme peu à peu la robe pour me permettre d’être resplendissante dedans le lendemain…

Adrien, j’ai hâte de le voir.

***Le lendemain à la soirée***

***Adrien***

On n’a pas vraiment eu le temps de se voir cette semaine. A chaque fois que je l’appelais, elle était trop occupée ou trop fatiguée pour qu’on puisse passe du temps ensemble. Cette semaine a été très longue pour moi aussi, mais je me débrouillais toujours pour lui trouver du temps. Elle n’en a pas fait de même mais ce n’est pas si grave que ça. Après tout, Elle a toujours aimé être dans la lumière même si elle s’en défend. Et cette soirée de fin d’année de la Fondation qui la met à l’honneur tombe à point pour elle. Elle y a mis beaucoup d’énergie… J’espère que ce sera une réussite même si j’ai hâte de retomber dans notre train-train quotidien.  Je ne suis pas parfait, j’ai mes défauts et j’avoue que j’ai beaucoup de mal à la partager avec tout le monde. J’aime qu’elle soit belle et désirable mais ce n’est pas pour autant que je souhaite que toute la convoitise de la gente masculine se concentre sur elle. Je suis possessif je l’admets. Et je n’ai pas beaucoup aimé qu’on vienne séparément à cette soirée. Mais je me dis que ce ne sera que pour aujourd’hui.

Je  gare ma voiture dans la cour de la Fondation à côté des autres voitures alignées dans le parking réservé aux enseignants et personnel administratif. Je cherche mon billet et me dirige vers la salle.
Une hôtesse accueille les différents invités à l’entrée, tandis que d’autres se chargent de nous guider vers nos tables. Je suis bien étonnée d’être si loin des tables principales disposées juste devant la scène érigée pour l’occasion. Les élèves ainsi que leurs parents pour la plus part sont déjà installés en attente du lancement officiel de la soirée. Quelques personnes sont déjà assises à ma table et m’accueillent avec le sourire. Je reconnais Samantha, Mamara l’assistante d’Elle et deux autres femmes.

- Bonsoir.
- Bonsoir docteur. Répondent-elles en cœur.

Samantha se lève et me fait la bise. Son parfum capiteux m’enveloppe immédiatement. J’aurais souhaité m’asseoir ailleurs mais je prends place à ses côtés car c’est la seule place libre. Nous sommes tout au fond de la salle. C’est à peine si on voit la scène.

- Excusez-moi un instant.

Samantha se lève et s’éloigne de notre table pour semble –t-il pour donner des instructions de dernière minute aux hôtesses qui s’empressent de s’exécuter. A son passage, les regards masculins se tournent automatiquement. Elle est sensationnelle dans sa robe blanche qui lui donne un air virginal. Et vu comment elle snobe tout le monde, elle sait parfaitement quel effet elle fait aux hommes. Je détourne mon regard et envoie un texto à Elle. Apparemment, elle ne m’a pas jugé digne d’être sur la même table qu’elle… je contiens ma déception.

***Elle***

Gabriel a un talent fou pour captiver l’attention du public par son charme. Il ne lui en faut pas beaucoup pour mettre le public dans sa poche. Un sourire éclatant, son bagout naturel et hop le tour est joué. L’artiste Nicole Amogho vient de finir le premier passage de la soirée et l’assistance est ravie de sa prestation scénique. Madame le ministre de la prévoyance sociale et compagnie bavarde gaiement avec le docteur Moutsinga de nouvelles mesures à prendre pour la lutte contre les cancers du col de l’utérus et du sein en association avec la Fondation de la première dame. Je les écoute d’une oreille très distraite parce que je suis vraiment énervée. Je ne sais pas quel est l’imbécile qui s’est occupé de dispatcher    les invités sur les différentes tables. Adrien n’est pas avec moi. C’est lui qui aurait dû être à la place de Moutsinga, je ne comprends pas ce qui s’est passé. Le pire c’est qu’avec le tourbillon des préparatifs de la soirée, j’ai complètement oublié de charger mon téléphone. Je ne peux donc pas le joindre pour savoir où il se trouve. J’espère qu’il n’est pas trop fâché. Un second artiste passe et la soirée continue…

Une heure et demie plus tard, Gabriel entre de nouveau sur scène et m’invite à l’y rejoindre… C’est l’heure du discours que j’ai eu tant de mal à écrire. D’ailleurs il ne tient qu’en quelques lignes sobres. Je le rejoins sous les applaudissements du public qui se lève.

Une fois devant le pupitre, je scrute la salle du regard pour y rechercher Adrien mais je ne le vois pas.  
Je suis complètement déconcentrée par son absence mais je joue le jeu et souris de toutes mes dents.

- Tu es resplendissante ce soir Elle.
- Merci Gabriel, mais ton charme ne marche pas sur moi…

La salle éclate de rire sans savoir que cet échange a été préparé par lui.

- Oh loin de moi cette idée. J’ai été trop mauvais élève par le passé pour courtiser une directrice d’école. Trop de mauvais souvenirs. 
- Mais en fin de compte tu ne t’es pas trop mal débrouillé on dirait.
- Je suis tenace. Juste comme vos élèves. Il parait que cette année encore vous avez cassé la baraque aux examens ?
- Casser la baraque c’est peu dire. Tout le monde s’est … comment les jeunes disent déjà ? Ah oui tout le monde s’est waze sur nos résultats.

Parents et élèves se mettent à applaudir tandis que Gabriel me fait la bise et me laisse prononcer mon discours.

- Je suis tellement fière de vous toutes ici présentes. Vous avez travaillé dur cette année et les résultats parlent d’eux même. Je ne vais pas faire un long discours. Je vais juste vous dire que dans la vie pour avancer, vous avez besoin de garder trois choses avec vous de manière continuelle : la force, le courage et l’espoir. C’est ce qui est marqué cette année sur les bracelets qui récompensent vos efforts. Comme vous le savez surement, je suis atteinte d’un cancer du sein et je viens de finir avec mon traitement par chimiothérapie. Nous avons toutes participées au dépistage gratuit organisé par la fondation de la première dame et  je suis très heureuse que ce cancer n’ait été décelé chez aucune d’entre vous. Malheureusement pour moi, le résultat a été différent. Je ne voulais pas en parler mais j’ai changé d’avis en nous voyant tous réunis ici pour cette soirée. Je vois vos mères, vos sœurs, vos cousines qui vous ont accompagné pour cette soirée de fin d’année académique. Je me rends compte qu’elles n’ont pas bénéficié de ce dépistage et qu’il se peut que l’une d’entre elles se retrouve dans ma situation. Je vous en prie, faites vous dépister, parlez-en autour de vous… sauvez des vies !

Ma voix tremble, je m’arrête un court instant, peut-être que si le cancer de Solange avait été détecté plus tôt, elle serait à cette soirée avec moi.
Mais je veux maintenant parler de ce qui est encore plus essentiel pour moi. Le soutien d’Adrien. Je ne le vois peut-être pas mais je sais qu’il est là dans la salle. Les choses ont tellement changé pour moi. Comme tout le monde, j’ai eu peur de mourir et de devoir rendre des comptes à Dieu. Il m’aurait demandé : qu’as-tu fait de ta vie ? Et je lui aurais  répondu : j’ai été une bonne femme très longtemps et aussi une bonne mère. Puis je me suis rendue compte que ça ne servait à rien d’être une bonne femme pour le mauvais homme. C’est une perte de temps. Et j’ai fait des bêtises.
Il m’a envoyé Adrien. Puis j’ai cessé d’avoir peur de devoir rendre des comptes car il m’a envoyé l’homme bon et je suis redevenue une bonne femme : une femme qui se bat pour son bonheur. Je veux remercier Adrien devant toute l’assistance pour tout ce qu’il fait pour moi avec beaucoup d’abnégation.   On ne peut pas vivre de grandes choses en se préservant, c’est impossibles. Il faut apprendre à sauter dans le vide en amour : soit on s’écrase sur le sol, soit on s’envole vers le firmament…
Je peux dire qu’avec Adrien… je me suis envolée très haut vers le ciel et je veux que tout le monde le sache. Cette partie de ma vie je suis prête à la partager avec le monde entier parce que ce soir, sous le feu des projecteurs, il n’y a que son regard qui m’importait… Et je le cherche toujours son regard…

Au moment où je veux reprendre la parole, les lumières s’éteignent.

*
*
*

Sorry pour le retard…

leilaji

Je t'ai dans la peau