Chapitre 32
Ecrit par WumiRa
- Je ne vois vraiment pas de quoi tu parles, sœur Léa, dit simplement Malik, en s'efforçant de masquer sa surprise.
Où diable avait-elle entendu parler de lui ?
- Si tu as fait de lui ton ennemi, je suppose que tu sais déjà qu'il faut beaucoup pour l'atteindre ? Tu crois vraiment qu'un homme aussi influent que lui donnerait son unique fille en mariage à un "inconnu" sans chercher à savoir d'où ce dernier sort ?
Il tiqua. Mais comme lorsqu'il n'était qu'un petit garçon, il préféra garder le silence et écouter ce qu'elle avait à dire, même si de toute façon, il n'allait rien faire de ce qu'elle lui dirait.
- Tu aimerais savoir comment j'ai su, n'est-ce pas ? C'est très simple. Je ne vais rien te cacher ou du moins je vais te mettre en garde. Si tu ne renonces pas à tes plans machiavéliques, tu ne seras jamais heureux.
- Je n'ai pas le temps de penser au bonheur.
- Non, pas maintenant en tout cas. Pour le moment seule la vengeance te préoccupe. Tu crois pouvoir trouver la paix du cœur, une fois que tu aurais obtenu la satisfaction de voir cet homme croupir en prison comme ton père, mais justement... Et s'il était innocent ?
Il leva inconsciemment les yeux au ciel. Et puis quoi encore ?
- Sur quoi exactement te bases-tu pour l'accuser ?
- Il a accusé mon père injustement, alors que c'était lui le coupable.
- C'est tout ce que tu as comme motif ? railla la veille femme. Pour un homme d'affaire, tu m'étonnes.
- Je suis sûr...
- Tais-toi et écoute ! coupa t-elle.
Elle se redressa du mieux qu'elle put.
- Tu crois avoir peut être fui de l'orphelinat, mais ce que tu ignores c'est que c'est moi qui t'ai laissé partir. Je travaille dans cet orphelinat depuis tellement d'années que les petites manigances d'un gamin n'aurait jamais pu passer inaperçues.
Il approuva d'un signe de tête.
- Soit. Mais en ce qui concerne...
- Tu ne m'as toujours pas demandé pourquoi je suppose qu'Henri peut ne pas être le méchant de l'histoire et ça c'est précisément par ce que ta haine obscurcit ton jugement. Il te fallait absolument un coupable et comme il s'avère que c'était le meilleur ami de ton père - paix à son âme - tu as trouvé normal que ce soit lui le coupable. Tu as si longtemps nourrie cette hypothèse, qu'au fil du temps, tu as fini par y croire.
- Je ne me suis pas trompé.
- Tu souhaites à tout prix que ce soit lui, mais dommage pour toi, parce que c'est tout le contraire.
Il se leva brusquement.
- Rassieds-toi, Zayn.
- J'ai...
- J'ai dit, repose tes fesses sur cette chaise.
Il finit par obtempérer, mais à contrecœur. Finalement elle n'avait pas perdu grand chose de son ton autoritaire d'autrefois.
- T'arrive-t-il de prier ?
- Pardon ?
- Je te demande si tu pries.
- Je ne vois pas le rapport avec...
- Oh si. Il n'y a rien qui se passe dans ce monde sans que Dieu n'en soit témoin. D'où tu dois comprendre que tous les actes que nous posons nous suivent où que nous allions.
Elle le désigna de l'index.
- Tu ne vaux pas plus que la personne qui est censée avoir fait du mal aux tiens. Et encore faudrait-il qu'il y ait un coupable.
- Je n'ai jamais tué personne.
- Personne n'a tué tes parents. Ton père est mort d'une crise d'asthme et ta mère s'est elle-même empoisonnée. Tu vas me dire que c'est toujours Henri le responsable ? Il ne faut blâmer les gens que pour les actes qu'ils posent.
- S'il n'avait pas fait incarcéré mon père, ma mère ne serait pas morte de chagrin.
Elle se remit à tousser bruyamment.
- Comment s'appelle ta femme ? demanda t-elle, une fois que sa toux se fût calmée. La fille d'Henri.
- Maya...
Elle le fixa longuement.
- Si tu l'aimes, laisser sa famille en paix ne devrait plus te poser problème.
- Je ne l'aime pas.
Un autre sourire fendit le visage de sœur Léa.
- Tu en es vraiment arrivé à te mentir à toi-même ? Être amoureux ne te réussi pas, mais de là à refuser...
- Avec tout le respect que te dois sœur Léa, ce que je ressens ou pas ne regarde que moi. Je ne suis pas amoureux.
- Mais si. Regarde, tu es même sur le point de te mettre en colère, parce que je viens de voir ce que tu t'obstines à cacher. Tu as peur qu'elle le remarque ?
- Bon à la fin, tu peux penser ce qu'il te plaît. Ce n'est pas moi qui vais t'en empêcher.
- C'est exact. Mais peut-être que je me trompe, alors s'il y'a un semblant de vérité dans ce que tu dis, si tu ne t'es pas encore entiché de ta femme, je te conseille vivement de t'en abstenir à l'avenir. Laisse cette jeune femme tranquille et passe à autre chose.
Alors là, il fallait que quelqu'un lui confirme que cette bonne femme n'était pas atteinte psychologiquement. Elle semblait absolument tout mélanger.
- Tu sais, ta mère avait un journal intime.
Il expiration bruyamment.
- Cesse de me regarder comme ça. Oui, elle avait un journal intime, d'ailleurs moi aussi j'en avais un que j'ai fini par brûler avant de rejoindre l'église.
- Tu n'as quand même pas connue ma mère ?
- Non. Mais après avoir lu certains passages de son journal, j'ai eu l'impression de la connaître depuis toujours.
Que du bluff, pensa t-il. Elle voulait l'embrouiller, il le voyait bien.
- Tu crois que je mens ? Je me demande ce que j'y gagnerais.
- Je me le demande aussi, parce que si ce journal existe, comme tu le dis, je l'aurais déjà eu entre les mains. Ou plutôt Henri l'aurait détruit.
- Ah bon et pourquoi l'aurait-il fait ? Vous les jeunes, vous voulez tout le temps avoir raison, même quand tous les faits prouvent que vous avez tort.
Elle se tourna légèrement, souleva son oreiller et sortit quelque chose qui ressemblait à un vieux cahier.
- Tu ne t'ai jamais demandé comment tu as atterri dans un orphelinat, hein ? fit-elle. Tu ne t'es non plus jamais demandé pourquoi je te réservais un traitement différent de celui des autres.
- ...
- Revenons à ma première question. Sais-tu qui t'a conduit jusqu'à moi ?
- Les services sociaux.
- Ak lan (et quoi encore) ?
- Je ne vois pas qui d'autre. Je sais juste que...
- Tu ne sais rien, je te l'ai déjà dit. Tout ce que tu dois savoir se trouve dans ce journal.
Elle tapota la couverture du livre.
- Je suis parfaitement disposée à te le rendre - il t'appartient - mais à une seule condition.
Il la lorgna.
- Quoi ?
- Oublie les Fall.
- Je ne peux pas.
- Pourquoi ?
Parce que cela reviendrait à oublier Maya plus tôt que prévu, nom d'un chien. Il soupira et recouvrit son visage des deux mains.
- Je ne peux pas, tu comprends ? répéta t-il. Le mépris que m'inspirent ces gens est la seule chose qu'il me reste.
- Dans ce cas, je garde le journal de cette chère Aïda. Reviens après ma mort.
Aïda. C'était le prénom de sa mère. Il se souvenait même l'avoir appelée ainsi à plusieurs reprises, au lieu de dire «maman». L'avait-elle vraiment connu, au final ?
- Je... j'ai besoin de ce journal. S'il te plaît.
- Rien ne me plaît, où je suis. Oublie Henri et sa fille ou pars et ne reviens jamais jusqu'à ce que j'aie quitté ce monde.
- Si tu me disais pourquoi tu le crois innocent...
- Pour que tu te mette à réfléchir et décide ensuite que ce que j'avance ne tient pas la route ? J'aurais pu te remettre le journal de ta mère bien avant que tu sois parti, mais heureusement que j'ai compris que tu n'allais pas en faire bon usage, avant un certain âge. Mais même là, j'ai des doutes. Si tu avais été plus mature, tu aurais compris qu'il n'est jamais bien de se rendre justice soi-même.
Elle remis le journal à sa place et retrouva la position dans laquelle, il l'avait trouvée à son arrivée.
- Il y'a une autre solution, déclara t-elle. Elle consiste justement à reprendre ton ancienne identité. Tu devras abandonner Malik et t'appeler à nouveau Zayn. Zayn Sylla, plus précisément. Henri ignore peut-être qui tu es, mais qui sait si retrouver ton identité ne t'aidera pas à y voir plus clair et à démasquer le vrai coupable ?
Les conditions pour entrer en possession du fameux journal étaient l'une et l'autre très bizarres et insolites. D'abord il était hors de question qu'il redevienne Zayn, c'était à sa nouvelle identité qu'il devait tout ce qu'il avait pu acquérir jusque là. Ensuite, il ne voyait pas comment il était possible de laisser Henri Fall vivre en paix.
- Tu réfléchis ?
- Rien de ce que tu me demandes n'est réalisable.
- Vraiment ?
- J'ignore ce que contient ce journal et j'ignore comment tu as fait pour l'avoir, mais il y'a quand même quelque chose qui me perturbe. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps, pour m'en parler ?
- Je n'aurais sans doute rien dit si ton meilleur ami n'était pas venu me voir pour me dire que tu agis comme un suicidaire.
Malik se rembrunit.
- Umar... ?
- Il est inquiet pour toi. Je dirai même plus que tu ne le crois, parce qu'il te considère comme son frère. Imagine un instant s'il devait t'arriver quelque chose de grave.
- C'est une mise en garde ou quoi ?
- Je te l'ai déjà dit, abandonne ton idée stupide de vengeance, éloigne toi autant que tu pourras des Fall et va refaire ta vie ailleurs.
- Attends...
- Referme la porte en sortant, s'il te plaît. Pour une vielle femme de mon âge, mon stock de paroles et de conseils est épuisé.
***
- La table du fond est inoccupée, mademoiselle. Vous serez servie dans quelques minutes.
- Merci, dit Maya, en se dirigeant vers la table que venait de lui designer un serveur.
Elle avait commandé une pizza, mais Dieu seul savait si son ventre allait le tolérer. Plus les heures passaient, plus le stress augmentait, de manière incompréhensible.
La sonnerie de son propre téléphone la fit sursauter, avant que quelques regards ne se tournent vers elle. Le numéro de sa mère venait de s'afficher.
Oh mince, elle avait oublié leur rendez-vous.
- Bonjour, maman.
- Bonjour Maya. Nanga def (comment vas-tu) ?
- Je vais bien, maman. Et toi ?
- Ça va, ça va, à part que ton père me presse d'aller chez la coiffeuse. Il trouve que mes tresses sont vielles hein.
- C'est ma faute, nous avions convenu qu'on se verrait ce matin, mais hier il m'est carrément sorti de la tête que j'avais un travail à présent. Je viens te chercher à ma sortie ?
- Ehhh Maya. Où comptes-tu mettre ton mari ?
- Euh... comment ? Je l'informerai avant de te rejoindre.
- Bon d'accord, je t'attendrai. Et ton nouveau travail ? Tu t'y plais ?
- Oui, j'adore ce travail. Tiens, je te rappelle, il y'a trop de bruits ici. À tout à l'heure, bisous.
Elle raccrocha et remis l'appareil dans son sac.
- Bonjour Maya.
Elle releva la tête, avant que ses yeux ne s'écarquillent de surprise.
- Ça fait plaisir de te revoir, dit la personne.
- Qu'est-ce que tu fais là ?